L`homme, par certaines de ses activités, provoque des séismes

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source : Sud Ouest
Publié le 10/04/2017 à 9h22 par Alexandra Tauziac.
Espagne, 2011. Le tremblement de terre de Lorca fait partie de ceux que les chercheurs ont attribué aux
activités humaines.
Jorge Guerrero
L’homme, par certaines de ses activités, provoque des séismes. Mais
à quel point ?
De combien de séismes l’homme est-il responsable ? Des centaines ? Bien plus ? Au moins 730 partout à
travers le monde, selon une base de données mise en ligne en janvier dernier par des chercheurs. Ils y sont
classés par cause.
Que certaines activités humaines provoquent des tremblements de terre, le fait est reconnu. Exploration
minière, mise en eau des grands barrages, exploitation d’hydrocarbures, géothermie, injection massive dans
le sous-sol d’eaux usées, fracturation hydraulique… "L’humain est devenu une force tellurique majeure
avec les risques et responsabilités que cela implique", selon Robin Lacassin, directeur de recherche à
l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP).
Aux États-Unis, crises sismiques et activités pétrolières
Lui s’est notamment penché sur le cas de l’Oklahoma. Cet état, pourtant loin des principales failles
géologiques, a vu le nombre de séismes de magnitude 3 sur l’échelle de Richter ou plus exploser ces
dernières années, passant de deux en moyenne entre 1975 et 2008, à 20 en 2009, 585 en 2014… et plus de
800 en 2015, selon l’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS).
La faute aux exploitations pétrolières, explique Robin Lacassin. En particulier le boum de la fracturation
hydraulique, procédé au cours duquel de l’eau est injectée sous forte pression pour libérer le gaz ou le
pétrole. Ce qui entraîne une remontée à la surface de fluides usés et pollués (essentiellement de l’eau salée et
polluée) qui nécessiteraient un travail de retraitement très complexe pour être rejetés dans l’environnement.
Ils sont donc injectés à nouveau dans une couche géologique de stockage à plusieurs kilomètres de
profondeur. "Dans certains forages, il remonte même neuf fois plus d’eau que de pétrole. Sans l’option
économique de réinjecter cette eau, cela reviendrait probablement trop cher d’exploiter ces gisements",
précise Robin Lacassin.
La fracturation hydraulique est un procédé au cours duquel de l’eau est injectée sous forte pression pour
libérer le gaz ou le pétrole.
Crédit photo : KAREN BLEIER
Problème, "l’injection artificielle de fluides sous pression agit sur la répartition des contraintes dans la
croûte terrestre et contrebalance en partie la force normale à la faille", selon le chercheur.
"Une faille initialement proche du seuil de rupture pourra alors rompre en avance par rapport à ce qu’aurait
été son évolution naturelle. Ces séismes induits sont donc des séismes naturels avancés de plusieurs dizaines
à milliers d’années du fait de l’activité industrielle"
Une étude publiée en mai 2016 dans "Seismological research letters", fait un constat similaire pour le Texas
et lie aussi la multiplication (par 6) des séismes d’une magnitude supérieure à 3 à l’injection d’eaux usées
dans le sol. Idem dans d’autres états, tels que le Colorado ou l’Arkansas.
Dans l’Oklahoma, face à cette crise sismique, les autorités ont pris des premières mesures de régulation. Si
cela a engendré en 2016 une légère baisse du nombre de séismes d’une magnitude moyenne, cette année-là,
l’état a aussi été frappé par trois tremblements de terre d’une magnitude supérieure à 5. "Le problème, c’est
que l’on connaît mal la physique de ces choses-là", note Robin Lacassin. "Si l’on cesse ou qu’on limite
effectivement les injections massives d’eaux usées en Oklahoma, normalement la sismicité devrait
s’atténuer au bout d’un certain temps. Mais il est difficile de dire si cela va prendre deux ans, dix ans ou
cinquante ans".
En Europe et en France aussi
Ces crises sismiques ne sont pas l’apanage des Etats-Unis. Il suffit de jeter un œil à la base de données mise
en ligne par les chercheurs de l’université britannique de Durham pour constater que l’Asie, mais aussi
l’Europe et même la France, ont leur lot de tremblements de terre provoqués par les activités humaines, bien
que le taux d’activité soit beaucoup plus faible qu’aux Etats-Unis.
En Europe, on peut notamment citer le séisme de 2006 dans la région de Bâle, en Suisse. D’une magnitude
de 3,4 sur l’échelle de Richter, il est attribué à un projet de géothermie qui a finalement été abandonné après
que les études sismologiques ont démontré que l’injection d’eau avait activé une petite portion d’une faille
préexistante et que la poursuite des travaux risquait d’engendrer un séisme de magnitude 4,5.
En Espagne, c’est à l’exploitation intense de la nappe souterraine pour l’irrigation que les chercheurs
attribuent le séisme de magnitude 5,1 qui a frappé en 2011 la ville de Lorca, située à proximité de la faille
d’Alhama de Murcia, "déjà reconnue comme active et capable de produire des magnitudes 5 à 6", souligne
Robin Lacassin. Un tremblement de terre qui n’était donc pas vraiment inattendu mais qui a "probablement
été avancé dans le temps", en raison des activités humaines. En l’occurrence, le pompage d’eau, qui aurait
modifié les contraintes sur la faille, provoquant sa rupture anticipée.
Le séisme de Lorca, en 2011.
Crédit photo : Jorge Guerrero
La France n’est pas non plus à l’abri de séismes induits, le cas le plus connu étant celui du 25 avril 1963 à
Monteynard, dans les Alpes. D’une magnitude de 4,9, l’institut des risques majeurs de Grenoble et des
sismologues l’ont attribué à la mise en eau du barrage de Monteynard. Ce sont d’ailleurs les séismes
provoqués par les phases de remplissage des barrages qui sont en général les plus violents.
En Nouvelle-Aquitaine, l’exploitation des hydrocarbures du bassin de Lacq, dans les PyrénéesAtlantiques, a elle aussi déclenché de nombreux séismes (jusqu’à des magnitudes de 4,5) de 1969 à nos
jours. Exemple récent, le 25 avril 2016, un séisme de magnitude 4 réveille le Béarn. Comme beaucoup
d’autres, il s’agit d’un séisme induit, expliquait alors Guy Sénéchal, maître de conférence en géophysique à
l’université de Pau et des Pays de l’Adour.
"L’extraction de gaz a commencé dans les années 1950 et les séismes sont apparus quinze ans plus tard.
Entre 1974 et 2008, on a mesuré 2 400 séismes dans le secteur de Lacq. Mais la plupart très faibles, sous le
1,5 de magnitude"
Dans le bassin de Lacq, l’exploitation des hydrocarbures a déclenché de nombreux séismes depuis les
années 1970.
Crédit photo : archives Suire Thierry
Anticiper les séismes induits est-il possible ?
Si à Lacq, aucune secousse n’échappe aux scientifiques grâce à une dizaine de stations de mesure, combien
passent inaperçus dans le monde ? Gillian Foulger, auteure principale de la base de
données inducedearthquakes.org, estime ainsi que le nombre de 730 séismes induits est largement sousestimé. "Nous estimons avoir manqué 60% de ceux de magnitude 3, par exemple, et les signalements
sont rares dans les régions peu peuplées", explique-t-elle dans le magazine américain de géologie "Eos".
Si Robin Lacassin pense lui aussi que certains séismes nous échappent, il reste toutefois dubitatif sur
l’attribution de certains à l’homme par cette base de données. A commencer par celui de Gorkha, au Népal,
(7,8) survenu en avril 2015 et dans lequel ont péri plus de 8 000 personnes. "Il n’est pas du tout démontré
que l’homme ait quoi que ce soit à voir avec ce séisme, qui est l’un des plus gros. Il vaut donc mieux éviter
d’être inutilement alarmiste", estime-t-il.
Le meilleur moyen de ne pas l’être ne serait-il pas d’anticiper ? Au moins les séismes induits. Puisque l’on a
identifié les activités humaines qui peuvent les provoquer, ou du moins activer des failles qui seraient en
train de préparer un séisme qui aurait normalement dû se déclencher dans quelques centaines ou milliers
d’années. Pas vraiment selon Robin Lacassin. L’affaire est d’autant plus complexe que la plupart des
séismes ont des causes multiples. Sans compter qu’il existe des failles qui ne sont pas connues. On ne finit
par les cartographier que lorsqu’elles provoquent un séisme. Or certaines rompent à une très faible
fréquence. Difficile dès lors d’anticiper les futures ruptures de failles qui ne sont pas manifestées depuis 10
000 ans ou plus.
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