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Introduction
Dans les recherches en géographie, on aurait de la peine à ne pas trouver des apports d’autres
disciplines. Ethnographie, anthropologie, sciences économiques, sociologie, sciences
politiques, et d’autres, ont été si bien intégrées que c’est la géographie elle-même qui s’est
spécialisée (géographie de la santé, études urbaines, etc.), sans compter les influences
méthodologiques de chacune des disciplines. L’objet même de la géographie lorsqu’elle a été
instituée, à savoir « la description de la Terre et de ses habitants » (1) que ni les sciences
historiques, sociales et naturelles de l’époque ne pouvaient comprendre, en fait même « une
discipline de l’interdisciplinarité » (2). De manière interne, elle met en effet en relation les
sciences naturelles et sociales. Au moment de lui choisir sa faculté au sein de l’organigramme
universitaire, elle est placée au sein des sciences naturelles ou bien des sciences humaines (3).
Le domaine particulier de l’aménagement du territoire, dans lequel se situe notre recherche
doctorale, est également propice à l’approche inter- voire transdisciplinaire, puisque son objet,
ses outils et sa finalité font sans cesse l’aller-retour entre disciplines et, disons-le
schématiquement, entre théorie et pratique. « En matière d’espace habité, affirmait J. Lévy,
les connexions entre la géographie ou la sociologie urbaine et le monde de l’urbanisme et de
l’aménagement vont au-delà de l’idée de passerelle. Il existe en effet un double mouvement
d’embrassement réciproque » (4).
Paradoxalement, peu de recherches en géographie – car on ne fait pas aisément l’économie de
l’inscription épistémologique et administrative dans une discipline – sont explicitement
interdisciplinaires, alors que les écoles doctorales prônent de plus en plus l’adoption de cette
"approche" sans la définir systématiquement. L’interdisciplinarité semble à la fois
incontournable et floue, trop souvent confondue avec la pluri- et la transdisciplinarité (pour ne
citer qu’elles !) qu’elle contiendrait à ses extrémités. Le défi qui se pose alors au chercheur
désireux de mener une étude "interdisciplinaire" est de se situer dans les différentes manières
de concevoir l’interdisciplinarité ou de forger sa propre conception, et de savoir ensuite
comment la mettre en œuvre. Pour rappel et pour ne reprendre que les sens communément
retenus, la pluridisciplinarité consiste en la juxtaposition de plusieurs disciplines, par exemple
sur un même thème ou objet, mais sans mise en relation ni effet intégrateur (5), tandis que la
transdisciplinarité « représente un processus de connaissance qui va au-delà (trans-) des
frontières disciplinaires » (6) impliquant la production de nouveaux concepts et, dans une
vision plus pragmatique, désigne un processus de recherche intégrant des acteurs externes,
non scientifiques, qui participent à la co-construction des connaissances (6). Dans le cadre de
cette communication, c’est principalement l’interdisciplinarité scientifique qui sera au centre
de nos préoccupations. La définition provisoire que nous en adoptons est la suivante :
« l’interdisciplinarité mobilise deux ou plusieurs disciplines instituées et vise leur mise en
interaction dynamique pour décrire, analyser et comprendre la complexité d’un objet d’étude
donné » (6). Elle implique « un principe d’intégration conceptuel, théorique et
méthodologique des disciplines » (7), nécessite « une collaboration entre représentants des
disciplines » et donne lieu à une synthèse (7).
L’objectif de cette communication est de montrer comment et pourquoi, dans notre recherche
doctorale en cours, nous "faisons" de l’interdisciplinarité. La première partie montrera en quoi
le sujet lui-même, transversal, nécessite une intégration de savoirs et de disciplines, tandis que
la seconde partie présentera la mise en application de cette posture. Enfin, nous terminerons
par une réflexion sur la place de notre pratique interdisciplinaire dans l’ensemble de notre
recherche.