t`ACTIVITÉ PSYCHIQUE

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t'ACTIVITÉ PSYCHIQUE
ET LA VIE
Psychanalyse et Civilisations
Série Trouvailles et Retrouvailles
dirigée par Jacques Chazaud
Renouer avec les grandes œuvres, les grands thèmes, les
grands moments, les grands débats de la Psychopathologie, de
la Psychologie, de la Psychanalyse, telle est la finalité de cette
série qui entend maintenir l'exigence de préserver, dans ces
provinces de la Culture et des Sciences Humaines, la trace des
origines. Mais place sera également donnée à des Essais
montrant, dans leur perspective historique, l'impact d'ouverture
et le potentiel de développement des grandes doctrines qui, pour
faire date, continuent de nous faire signe et nous donnent la
ressource nécessaire pour affronter les problèmes présents et à
venIr.
Déjà parus
Les grandes formes de la vie mentale, H. DELACROIX, 2008.
L'aliéné, Albert LEMOINE, 2008.
La neurophilosophie et la question de l'être, C. POIREL, 2008.
Les névroses, P. JANET, 2008.
Anomalies et perversions sexuelles, M. HIRSCHFELD, 2007.
Elles. Les femmes dans l 'œuvre de Jean Genet, Caroline
DA VIRON, 2007.
Éléments pour une histoire de la psychiatrie
occidentale,
Jacques POSTEL, 2007.
Les psychonévroses
et leur traitement moral, Dr DUBOIS,
2007.
Demifous et demiresponsables, J. GRASSET, 2007.
La conscience humaine, Pierre MARCHAIS, 2007.
Van Gogh sa vie, sa maladie et son œuvre, Dr F.
MINKOWSKA, 2007.
Écrits sur l'analyse existentielle, Roland KUHN, textes réunis
et présentés par Jean-Claude Marceau, 2007
Les phénomènes d'autoscopie, Paul SOLUER, 2006.
Vagabondages psy..., Albert LE DORZE, 2006.
La théorie de l'émotion, William JAMES, 2006.
L'activité
Psychique
et la Vie
PAR
w.
BECHTEREW
PHOFESSEvn
A L'AcADÉMIE
IMPf;lUALE
DE :V11~DECINE MILITAIHE
DIHECTEUR DE LA CLINIQUE
DES MALADIES NEHVEU,mS
ET \lENTALES
DE ST-Pf~TEnSBOUHG
TradUlt
et adapté
du russe
PAB
Le Dr P. KERAVAL
i\1[~Dr,.CI" EN CHEF
DES ASILES
DE LA SE['r~
...
PARIS
LIBRAIRIE
CH.
ALEX.
BOULANGÉ,
COCCOZ
SUCCESSEUR
11, RUE DE L'ANCIENNE COMÉDIE, VIe
1907
@
5-7,
L'HARMATTAN, 2008
rue de l'École-Polytechnique;
75005
http://www.1ibrairieharmattan.com
[email protected]
harmattan [email protected]
ISBN: 978-2-296-07405-7
EAN: 9782296074057
Paris
PRÉFACE
Wladimir BECHTEREW et la question
de la nature du psychisme*
Psychiatre fort illustre en son temps, BECHTEREW est le
plus généralement tenu, de nos jours, sur la foi des quelques lignes
qui lui sont encore parfois parcimonieusement accordées dans les
manuels, pour être l'un des fondateurs de la « psychologie sans
âme ». Cette grave erreur d'attribution tient d'abord, comme c'est
si souvent le cas, à une connaissance incomplète de ses écrits. En
témoigne l'ouvrage reproduit ici qui expose sa conception
singulièrement
originale du psychisme dans le cadre de la
théorie (alors très vivante et même virulente dans son opposition à
l'atomisme naissant) de l'énergétisme, lequel - après une éclipse
marquée - est peut-être en train de renaître de ses cendres avec la
physique, en cours de développement, des champs quantiques...
Un des moindres paradoxes de celui qui a fondé la psychologie
objective
est
- L'Activité
p.!Jchique et la Vie en témoigne
- qu'il était
en un certain sens « panpsychique », allant jusqu'à accorder une
forme rudimentaire de subjectivité aux organismes unicellulaires
les plus élémentaires...
VLADIMIR
MIKHAÏLOVITCH
BEKHTEREF
(ou
BEKHTEREV, BECHTEREV BECHTEREW, et même BETCHEREV,
selon l'impossible transposition de bEXTEPEB) fut l'un des plus
illustres, sinon le plus illustre, neuro-anatomo-pl!Jsiologistes
de son
temps. Tous les étudiants en médecine de ma génération savaient
localiser les nqyaux de Betcherew, comme on le disait le plus
généralement alors, et comme on le fait encore trop souvent... W.
BECHTERE'X', comme nous écrirons, désormais, pour suivre la
graphie - qui était celle adoptée par « Wladimir» à l'usage des
Occidentaux!, reprise par son traducteur de 1907, P. KERAVALfut un grand pionnier dont les neuropsychogues contemporains
redécouvrent (sans le nommer, comme c'est devenu d'usage) la
Cette préface est une reprise
*
PSYCHIATRIQUE VOL. 83, N°S.
John Libbey Eurotext, Paris.
I D'abord traduit en Allemand,
ou von BECHTEREW~e X russe
du W, dans cette langue).
modifiée de l'article paru dans L'INFORMATION
MAI, 2007, pp 40S- 411, Avec l'autorisation de
le savant russe signait: WLADIMIRBECHTEREW,
se rapprochant phonétiquement du CH, et le B
II
pertinence de ce qu'il enseignait sur les noyaux gris centraux
(particulièrement sur le striatum) en tant qu'impulseurs moteurs et
expresseurs émotionnels. Mais cela restait subordonné, pour lui, à
son exercice de neuropsychiatre, clinicien et thérapeute d'adultes
et d'enfants,
d'épileptologue,
possédant
une connaissance
encyclopédique
de toutes
les doctrines
physiologiques,
psychologiques, psychopathologiques et philosophiques de son
temps. Il appartenait à cette génération des « cérébralistes » qui,
pour se refuser à dissocier les recherches psychiatriques de l'étude
des centres de réalisation des fonctions psychiques,
ne
pratiquaient pas pour autant de « réductionnisme » linéaire et
étaient, à des degrés divers (très marqué chez BECHlliREW),
hypnotiseurs, suggestionneurs comme psychothérapeutes. Voire
ne reculaient pas devant ce qu'un romancier, humoriste
pataphysicien et très savant encyclopédiste et mathématicien,
RAYMOND QUENEAU, baptisera poétiquement la « science des
solutions imaginaires » (comme, sur le tard de sa vie, chez notre
auteur, la « métapsychie »).
W. BECHlliREW est né, en 1857, à Sorali dans la
province de Viatka. Il est mort à Leningrad, en 1927, peu
après son retour du Symposium international de psychologie de
Springfield (Ohio), alors qu'il projetait la création
d'un
«panthéon»
pour la conservation des cerveaux des hommes de
génie. Il n'y a aucune raison de prêter foi, en l'état actuel de nos
connaissances, aux rumeurs qui ont propagé que l'éminent savant,
ne serait pas décédé d'une maladie infectieuse, mais d'un assassinat
par le rIIY (Guépéou) pour avoir diagnostiqué une 'paranoïa
sévère' chez STALINEqui l'avait consulté lors d'une dépression.
Après avoir effectué (dès l'age de 16 ans !) ses études de
médecine à l'illustre Académie militaire de Pétersbourg (le plus
haut lieu d'enseignement médical du tsarisme), WLADIMIR les
poursuivra en Allemagne, dans les services de FLECHSIG et de
WESTPHALL, puis dans le laboratoire de Wundt avant de partir à
Paris suivre l'enseignement de CHARCOT à la Salpêtrière. De
retour
en Russie, il dirigea (dès 1887) l'Institut
de
psychophysiologie de Kazan (Tatarstan) où il fonda la Société de
neuropathologie et de psychiatrie. Nommé, en 1893, Titulaire de
la chaire de Clinique des Maladies Mentales et Nerveuses de
l'Académie impériale de médecine militaire, il créa, en 1907, l'
Institut psychoneurologique de recherche sur le cerveau (qui porte
aujourd'hui son nom) où il expérimenta en...psychochirurgie.
III
Anatomophysiologiste
déjà mondialement réputé pour
ses travaux sur les niveaux médullaire, bulbaire et basocérébraux
de l'axe nerveux (dont on trouvera certains aspects en français
dans les deux volumes, Les fonctions nerveuses et Les fonctions
bulbomédullaires(paris, Doin, 1909 et 1910) et dans Les voies de
condu..tiondu cerveauet de la moelle(paris, Lyon, Stork et Doin, 1913) ;
neurologue descripteurd'une dizaine, au moins, de nouveaux réflexes;
clinicien découvreur de la maladie à qui on donna son nom, mais de
paternité
désormais oubliée (la spon4Ylarthrite ankylosante) ;
BECHTEREW va se distinguer par ses études sur les tâches,
actions, épreuves et apprentissages
moteurs, qui le conduiront
à travailler, dans la postérité de SETCHENOV, sur les réflexes
cérébraux2ou, comme il aimera à dire, «sf/onctifs (id est: conjonctifs)
p!Jchiques » et à élaborer, sur cette base, une psychologie empirique
qu'il nommera psychoréflexologie
en ce qu'elle intégrait aux
réactions et conduites les idées, les évocations d'images, dans les
phénomènesassociatifscérébraux3. Cela donnera lieu à deux ouvrages.
L'un de 1903, traduit en 1907 chez Alcan, intitulé P!Jchologie
Go/ective(réédité en 2007 chez L'Harmattan), où les partages sont
clairement établis entre ce qui relève d'une position méthodologique
(scientifique ou pratique), et ce qui représente une position
métaprysique ; et surtout un second livre exposant, en 1917, Les
principes généraux de la Réflexologie: Une introduction à l'étude ol!jectivede
la Personnalité. Plus tard viendra une Réflexologie collective (appliquant
la méthode à la sociologie).
2 Terme extensif de toute « conduite» à cette époque,. Sans même évoquer
GRISIENGER, rappelons que FREUD parlait du « réflexe verbal» de l'abréaction,
que RICHET parlait de « réflexes psychiques », que RIBOT classait la Volonté dans
les « réflexes idéo-moteurs », etc. Tout le XIXo et grande partie du XXo (à
l'exception de BAIN) ont pris le réflexe comme paradigme fondamental, en
psychophysiologie comme en psychologie: ainsi en va-t-il de WILLIAMJAMESluimême...
3 Il est devenu occulté que c'est WLADIMIRMICHAïLOVITSCHqui a mis en
évidence les riflexes associatifs cérébraux, dix ans avant IVAN PÉTROVITCH, et
employé le premier le terme générique de « riflexologie» Dans son ouvrage de
1903, BECHTEREW (qui avait déjà localisé les centres cérébraux des fonctions
végétatives et organiques) citait avec faveur le « sérum psychique» de son
collègue physiologiste, portant lui aussi l'uniforme, PAVLOV (qui recevra le
Nobel, en 1904, pour ses travaux sur le « petit estomao) alors qu'il parlait
encore de la « sécrétion psychique du suc gastrique »). Mais bientôt les deux
savants devinrent rivaux et ennemis farouches, affIrmant chacun la supériorité de
sa méthode (motrice vs salivaire).
IV
Décrire des conduites diverses, et des techniques
pragmatiques de régulation à visée correctrice (dite réflexothérapie)
qui anticipaient
largement
sur ce que deviendront
les
thérapeutiques « cognitivo-compotementalistes
» contemporaines,
n'implique en rien la volontéde diminuer, et encoremoins de supprimer le
4J;namisme suo/ectif présent en arrièrefond des activités normales et morbides.4
On pourrait être tenté de penser que c'est pour avoir
souffert des raccourcis confusionnels entre méthode et dogme
dont ses écrits étaient l'objet que BECHTEREWa tenu à préciser sa
philosophie sur l'assise et le rôle du mental dans l'Activité p.rychique
et la VieS. Mais cela paraît d'abord absurde si on considère que
l'ouvrage est antérieur à son tournant «objectiviste». S'agirait-il
alors d'un moment dépassé, obsolète, de son parcours? Il n'en est
cependant rien; sinon pourquoi tant tenir à le rééditer, en même
temps que La P.rychologieoo/ective,sous une forme améliorée? Aftn
d'éclaircir le mystère qui veut que le livre soit paru avant ce sur
quoi il paraît faire offtce de mise au point, on est contraint de
supposer que la préface de l'auteur, écriteen 1906 pour l'éditionfrançaise
de 1907, n'est qu'un 'après-coup'destiné à affIrmer la permanence de
sa pensée fondamentale, en arrière-fond de sa nouvelle méthode
de travail... Cela justifte d'autant l'importance que nous devons lui
attribuer.
Après avoir rappelé que lesprocessussuo/ectifsprésentaienttous
un côtéoo/ectifdont l'étude permettait de faire rentrer la psychologie
dans le cadre de la biologie (c'était déjà là le projet du Péripsukhé
d'ARISTOTE 1),il déclarera fermement, dans sa préface, que « La
psychologie
objective
ne rapetisse
nullement
la valeur
subjective
du psychisme
en tant que base des mobiles
intérieurs des actes ». Ce qu'il ne cessera de répéter tout au long
de l'ouvrage: « L'ensemble indépendantde la vie tel qu'il se manifestedans
les êtres organisés, depuis les plus inférieuresjusqu'aux plus élevés, est
inadmissible et irréalisable sans lep.rychisme [...] La manifestation ouverte de
4 Ce que cela implique a été fort bien explicité, en 1928, par A. MARIE lorsqu'il
appelait la psychologie objective de BECHTEREWau secours de la psychanalyse
(!), après avoir montré que le russe combattait l'épiphénoménisme
de ZIEHEN,
qu'il reconnaissait «l'illumination»
des actes psychiques par la conscience, et
même la valeur de point de départ de l'introspection, en tant que « pouvant se
combiner avec l'étude des réactions neuropsychiques corticales».
S Die energie des lebenden
Organismus
und ibre p.rychologische
Bedeutung
(Berlin,
Deuticke,
1903 ; Paris, Dain, 1907). On remarquera le glissement du titre original qui
signifie textuellement:
« L'énergie de l'Organisme vivant et son Interprétation
psychologique ». Mais le reste de la traduction est fidèle.
v
la vie t'hez l'être organisé se traduit to1!fours,simultanément, par le relief de la
manœuvre directrice du pJ)lchique dont la perte conduit itifailliblement
l'organisme à sa ruine [...] Dans le monde animal, avec le développement des
processus biologiques, nous rencontrons de pair et constamment les états
suijectiJs de conscience. Ce sont eux, dans une certaine mesure, les
ordonnateurs des relations des organismes vis-à-vis de la nature environnante
[...] non seulement ils adaptent les rapports internes aux rapports externes,
mais zis transforment les conditions externes: autrement dit ils adaptant
comme il convient les rapports externes aux rapports internes6 [...] les
phénomènes suijectiJs évaluent le milieu par rapport aux besoins. Les delatas
suijectiJs Jont desphénomènes des signes d'appréciation de la 'valeur' vis-à-vis
de l'organisme (et permettent) de faire le thoix de ceux qui nous sont
avantageux )), etc. On pourrait continuer de citer bien d'autres
déclarations du même genre et, plus avant, montrer comment elles
s'articulent naturellement (au sens le plus concret de l'expression)
avec l'importance décisive que notre auteur attribuait au principe de
plaisir/ déplaisir et au désir dans le fonctionnement mental et la
conduite orientée. Mais notre seul but, à l'inverse de tous les
contre-sens commis répétitivement sur ses intentions, est de
mettre simplement en relief ici que le savant russe était ce qu'on
appellerait aujourd'hui un « mentaliste » ! Ce qui ne signifie
nullement que, comme défenseur de la réalité psychique, il fut un
rêveur idéaliste. Il restait bien un neurophysiologiste, maintenant
la structure qualitative des quantités distribuées dans le cadre
d'une théorie générale.
Théorie qu'il nous faut maintenant aborder puisqu'elle est
celle sous l'angle de laquelle il considérait « l'éternel mystère» de
l'union substantielle de l'âme et du corps, selon la formulation
scolastique qui continue d'habiter, jusqu'à nos jours, la question
piège des relations du corps et de l'esprit (dite, désormais, brainmind problem).
La vision de BECHTEREW repose sur un monisme
énergétique. L'Activité pJ)lchique et la Vie nous enseigne que
l'irritabilité de la matière vivante se résume en décharges d'énergies
s'accompagnant d'états intérieurs, sous forme de « sens intime»
6 Cela est très important qui démontre que BECHTEREWne se contentait pas de
la psychologie de réaction, mais qu'il considérait l'organisme comme créateur de
son propre « umwelt», ce qui n'était pas si courant en un temps où l'organisme
considéré, certes, comme un système complexe, restait néanmoins soumis sans
initiative à son
environnement.
BECHREREW soulignait fortement
la
« transformation
par l'individu des conditions ambiantes aux fins de son
organisation.. .activité utilitaire.. .opportunisme pratique ».
VI
plus ou moins élaboré, dont les formes les plus simples (celles de
l'animalcule unicellulaire), ne vont pas sans un certain mode de
subjectivité élémentaire. Dans le processus vital, le neurone, pris
dans un ensemble de relations enchevêtrées, ne manifeste
l'irritabilité qu'avec plus de vigueur et de netteté. Le subjectif, la
conscience - ne serait-ce qu'en leurs prémices - sont le résultat
direct de la «tension moléculaire» des corps organisés. Le
système nerveux ne crée pas l'énergie; ill' élabore, la transforme
en influx nerveux électrique, la distribue et la répartit en fonction
de ses structures différentielles.
Quoi qu'en dise BMb (ou VMB), il se montre, en cela,
sinon un disciple, un penseur très proche de l'antimécanisme et de
l'énergétisme
de son contemporain,
le fameux savant et
philosophe de Leipzig, W. Oswald dont il tient fermement
cependant à être différencié, en l'argumentant longuement7.
Comme il tient à ce qu'on ne fasse aucune relation entre lui et les
psychophysiologistes (Lasswitz, Sturm, Strump) de ses élèves.
Il n'en reste pas moins qu'OS1WALD a été le premier à
proclamer que seul l'énergétisme était susceptible de résoudre
l'apparente incompatibilité du physique et du psychique. C'est que
la notion d'énergie était plus vaste, pour lui, que celle classique de
matière (qu'il ne concevait - à la manière de Leibniz - que comme
un
arrangement spatial
des diverses formes et quantités
d'énergieS). Elle incluait cependant des groupes définis de
phénomènes pouvant se transformer l'un dans l'autre, dans des
conditions déterminées; ces transformations réciproques formant
elles-mêmes un « groupe ou complexe de faits dont le psychisme
serait un aspect ».
Un aspect des moins banals des divers enseignements
d'Ostwald est qu'il considérait comme puéril de localiser les
souvenirs Oa mémoire, dont le moi 1) dans les cellules nerveuses
corticales, alors qu'ils correspondent
à la reproduction
de
7 La théorie d'OS1WALD, qui a pu paraître périmée, ressuscite de nos jours, sous
une forme rajeunie depuis qu'ERICH Joas, théoricien de la décohérence
quantique, aŒrme « qu'il n'existe pas de particules» et propose des modèles
continuistes capables de rendre compte, plus économiquement, des apparences.
MICHEL BITBOL n'hésite pas, quant à lui, à parler de la « défunte théorie
corpusculaire ». Il a écrit une mise au point limpide sur la théorie quantique des
champs, laquelle intègre dans son formalisme la « dématérialisation» impliquée
par l'équation relativiste d'Einstein.
8 Cf. son remarquable
ouvrage L'éne'l,étisme (Alcan, 1910, 2ème éd.),
particulièrement dans les chapitres X Qa vie) et XI Qes phénomènes psychiques).
VII
successions temporaires de réactions. De même que, selon lui, on
ne peut éliminer le faux problème de la relation psychophysique
qu'en ne situant pas la conscience dans l'espace, mais dans le
temps (idée dont on retrouvera des analogons chez HENRI
BERGSON, CONSTANTINvon MONAKOW, etc.)...
Au-delà des divergences avec OSTWALD9, BECHTEREW
n'en reste pas moins convaincu que lep.rychismeest consubstantielaux
processuspf?ysicochimiquesd'un .rystèmecapablede maintenir constantesa
forme en se procurant lui-même ses énergies de remplacement,
comme de se reproduire et de s'inscrire dans une histoire. Il
aff1rme que toute action de l'organisme relève de l'énergie de
conduction et de concentration électrochimique et procède du
dégagement en force vive des provisions d'énergie résidant
principalement dans le cerveau (ou dans des organes qui sont sous
sa complète dépendance) en tant qu'accumulateur
et volant
coordinateur. Aussi bien, « l'activitéconscientesupérieurene se développe
qu'à la conditiond'une tensionpotentiellede l'énergielatente dans les centres
nerveux les plus élevés; ceux du cerveau ». À travers des détours
complexes sur les conditions qui entraînent la tension spéciale de
l'énergie dont résulte (ou qu'exprime) le psychique, BECHTEREW
reconnaît qu'il entend ainsi « désobstruer la nature du
psychisme de toute opinion mécanistico-matérialiste
». Car
les mouvements de la matière sont l'expression mais non la nature
de l'énergie. Celle-ci, dans son essence, ne peut être seulement
une grandeur physique (?) mais embrasse aussi l'immatériel ou
psychique à l'état potentiel. Quitte à préciser qu'il ne s'agit pas là,
immédiatement, des états de conscience, mais qu'il s'agit de l'état
latent qui, servi par les conditions conformes de pair avec les
processus de l'état matériel, peut devenir la
particularité si
caractéristique du psychisme de l'ensemble des êtres organisés en
9 BECHTEREW se refuse, lui, à considérer l'énergie seule (<<dans le vide»). IlIa
conçoit comme l'activité d'un
milieu condensant de façon indécomposable
l'énergie et la masse»
(il est évident, qu'en 1903, il ne pouvait connaître
EINSTEIN, mais il avait lu, en 1900, un certain SKVORTZOWidentifiant matière,
énergie et lumière...). La matière (et ses aspects) est, pour lui, « la forme
extérieure de la manifestation du milieu actif; la cause interne de l'état d'activité
de ce milieu, nous l'appelons: énergie. Nous distinguons quelques aspects de
cette énergie bien qu'au fond dans la nature il n 'y ait [...] qu'une seule et même
énergie cosmique [...] sous l'aspect d'un seul milieu actif uruversel ». Là où
apparaissaient des transformations, BECHTEREW ne voulait voir, lui, que des
manifestations différentes, circonstancielles. On remarquera, en passant, que la
molécule (dont notre auteur fera grand cas, sous forme de biomolécule) est un
diminutif de « masse ». . .
VIII
général, et en particulier des centres nerveux des anunaux
supérieurs.
Le finale de L'Activité prychique et la Vie y reviendra de
façon insistante: la force qui s'exprime dans les mouvements
moléculaires manifeste un «fondement X» qui ne peut être
inclus dans le concept de matière. Cet X (symbolisant une énergie
distinguée de la force proprement dite et qui est, d'une certaine
façon, liée à la masse) pourrait nous sembler alors rééditer la vieille
conception de « l'âme du monde» des anciens ou - ce qui revient
au même - du panthéisme des moderneslo...
Si l'option
supposée
panthéiste
de WLADIMIR
MIKHAÏLOVITCH reste une question des plus disputables, il n'en
va pas de même avec la conviction - fondée sur ce qu'il exprime
sans ambiguité - de son pan psychisme organiciste : Tout être vivant
organisé,de l'animalculemicroscopiqueà l'homme,possède,à son sens, selon
son niveau évolutif,unejàrme rudimentaireou complexede suijectivité. Pour
étonnante que puisse nous paraître une telle aff1rmation, elle était
prégnante dans l'air du temps, et bien avant... et ensuite! Elle
existait déjà dans la substance simple de LEIBNIZ, la monade, ce
point métaphysique doté d'un mode embryonnaire d'appétition et
de perception (sinon d'« aperception ») et qui léguera son nom aux
premiers protistes connus:
de l'infusoire du chevalier de
LAMARCK et d'HAECKEL au point, ou monade organique, de la
théorie cellulaire d'OKEN, de CARUS, de RASPAIL et de leur
postérité.
Citons en ce sens, non systématiquement, le large éventail
qui va du psychoplasma (ou de la cytopsyché) de E. HAECKEL, et
de la mémoire cellulaire de E. HERING (1870), à la centralisation
psychique de E. PFLÜGER (1877), à la psychobiologie inférée du
comportement des organismes inférieurs selon H.S. JENNINGS
(1904), et du pycho-Iamarckisme
de A. PAULY (1905) au
néomonadisme psychique cellulaire de W. Mc DOUGALL (1905) ;
ou encore au vitalisme énergétique de E. RIGNANO (1922), au
néoaristotélisme de P. VIGNON (1930) et à la conscience cellulaire
de PIERREJEAN, alias G. BUIS (en 1935), etc.
Cette opinion reste toujours présente dans certaines
conceptions biologiques plus récentes qui se refusent à considérer
le comportement
des divers organismes élémentaires comme
purement mécanique. Ainsi en va-t-il de l'intentionnalité du
10 On sait que, derrière
« flirtait»
avec un panthéisme
sa célèbre formule
cosmologique.
E
= mc2,
EINSTEIN lui-même
IX
comportement
des organismes
microscopiques
les plus
rudimentaires selon E. RUSSEL (1949), de F. J. J. BUYTENDI]K
(1952) reprenant, en somme, l'affirmation de J. von UEXKÜLL qui
n'hésitait pas à affirmer que « l'animal est un sujet» et que
« l'amibe est moins machine que le cheval» !
On pourrait
aussi évoquer
les rebondissements
philosophiques:
On connaît le passage de L'évolution créatrice
d'HENRI BERGSON (1907) où le philosophe déclare: « Il serait
aussi absurde de refuser la conscience à un animal parce qu'il n'a
pas de cerveau, que de le déclarer incapable de se nourrir parce
qu'il n'a pas d'estomac [...J le système nerveux est né, comme les
autres systèmes d'une division du travail, il ne crée pas la fonction,
il la porte seulement à un plus haut degré d'intensité et de
précision [...J là ou ne s'est pas encore produite [...J une
concentration des éléments nerveux en un système, il y a quelque
chose d'où sortiront, par voie de dédoublement et le réflexe et le
volontaire, quelque chose qui n'a ni la précision du premier ni les
hésitations intelligentes du second, mais qui, participant à dose
infmitésimale de l'un et de l'autre, est une réaction indécise et par
conséquent déjà vaguement consciente ».
Quant au métaphysicien original des formes transpatiales
et temporelles, RAYMOND RUYER, il affirmait encore en 1964,
dans L'Animal, l'homme, lafonction .rymbolique(chez Gallimard) qu'il
y avait « quelque chose de puéril à se croire bien hardi d"accorder,
en théoricien, la conscience aux protozoaires ou aux êtres vivants
les plus primitif, alors que ce sont eux qui, en fait, nous
l'accordent ». Il poussait le paradoxe jusqu'à écrire qu' « un
protozoaire n'est pas moins mais plus conscient qu'un homme, en
ce sens [...J que la conscience est, en lui, coextensive à son
organisme, dont elle est l'unité domaniale absolue; tandis que,
chez l'homme, la conscience [...J n'est conservée pleine et entière
que dans nos domaines cérébraux encore capables de liaisons
improvisées comme les protozoaires en mouvement »...
S'agissant d'un auteur russe, il nous est impossible de ne
pas évoquer ce qu'écrivait A. CHEPTOULINE, l'un des derniers
idéologues officiels du soviétisme sur son déclin. Nous pouvons
lire dans les Catégorieset les lois de la dialectique(Ed. du Progrès,
Moscou, 1978) que: « l'expérience prouvant que les liaisons
temporaires existaient chez les protistes, on devait reconnaître un
psychisme chez les organismes sans système nerveux ni cortex,
quand bien même certains auteurs se refusent catégoriquement de
x
reconnaître l'existence du psychisme chez les arumaux qut ne
possèdent pas [...] de cerveau ».
BECHTEREW a bien marqué, quant à lui, la différence
irréductible entre la fonctionnalité spécifique des cellulesdifférenciées
mais non ((p!ychiques)) des organismes métazoaires (comme les
cellules intestinales cependant porteuses de cils vibratiles), et le
comportementadaptatifglobal, autofinalisédes animalcules...Chez l'animal
« supérieur », seules l'organisation neuronale et sa complexification
peuvent rendre compte des progrès de l'évolution psychologique
dans le cadre des processus énergétiques.
Après cette tentative d'exposition du psychoénergétisme
moniste généralisé de BECHTEREW,il nous reste à apporter, peutêtre pas accessoirement, quelques compléments, comparaisons,
voire interrogations.
Nous n'avons pas à évoquer ici ce qui deviendra la
psychologie objective que l'étude sur L'Activité p!ychique et la vie
précède et à laquelle elle survit. Nous avons dit que la
psychoréflexologie trouvera sa base dans la motricité. Cela se
retrouve chez BERGSON, JANET, FREUD, comme chez PIAGET,
VIKTOR von WEIZSAECKER, SPERRY,LÉONTlEV, VARELA, etc.,
pour qui, pour ainsi dire, toute psychologie cohérente relève d'une
conception psychomotrice.
Voyons à présent ce qu'il en est de ce que j'ai appelé le
panpsychisme de BECHTEREW. Il me semble, je dois le confesser,
difficile d'imaginer les moules douées de psychisme (même
BERGSON pensait que celui-ci devait se trouver quelque peu
assoupi chez les mollusques bivalves...). Certes, le psychisme de
l'amibe comme « survol domanial absolu» d'un RUYER est une
belle formule; mais s'agit-il alors d'autre chose que de poésie? Je
vois difficilement, quant à moi, comment le psychisme peut être
autre qu'une
émergence évolutive liée à la complexification
organisée, adaptative, et structurée par un système adéquat, de
l'irritabilité cellulaire en général11. Son essor me paraît - malgré
le conditionnement»
(fort discutable) des paramécies lié aux
II
Comme aurait dit F. ENGELS, entre « irritabilité» et psychisme se produit
un saut qualitatif. Le concept d'« émergence» est désormais largement reçu, avec
ceux de complexification, de développement non linéaire, de bifurcations, etc. Il
n'est pas spécifique de la psychobiologie. Je ne vois pas là d'atteinte (non plus
que de support), au niveau macroscopique, à la transcription énergétique (au
niveau quantique) de la matière.
XI
progrès du développement du système nerveux central. C'est la
raison pour laquelle je refuse (provisoirement ?) un psychisme,
aussi élémentaire soit-il, aux unicellulaires. Notre Russe le refusait
bien aux leucocytes malgré leur comportement amiboïde (sous
prétexte, il est vrai, qu'ils n'étaient pas, comme le sont les amibes,
des organismes complets...) ; il reste juste de remarquer qu'il a
émis, à l'occasion, des doutes sur ce qu'il considérait comme
«activité psychique élémentaire» soit autre chose qu'un réflexe.
Mais laissons cela.
Le noyau dur de la pensée de BECHTEREW, c'est le
dégagement, sous forme d'activité psychique, de l'énergie latente
accumulée dans les centres cérébraux qui en sont le volant
coordinateur. Le rôle de la conscience, c'est d'adapter l'organisme
au milieu et, surtout, de le traniformer pour satisfaire aux
besoins énergétiques, perfus comme tensions ou désirs. Sur ce
point fondamental, et pour dégager la ligne dominante de la
pensée de notre auteur, je n'ai pas évoqué certaines de ses
déclarations qui paraissent, pour le moins, prêter à discussion.
Ainsi, écrira-t-il que le psychisme et le physique sont
incommensurables
mais sont, cependant, deux ordres de
phénomènes d'une cause énergétique uniquel2, avant que d'écrire
que la vie mentale, les phénomènes subjectifs, tiennent à « une
énergie qui met aussi les modifications matérielles du ceroeau, qyant
parallèlement lieu, sous la dépendance desprocessus p!ychiques );13...
Cela n'est pas très clair car BECHTEREW a d'entrée
condamné, comme plein d'obscurité, le parallélisme spinoziste où
la substance (devenue, ici, énergie) est supposée se manifester
sous les modes de la pensée et l'étendue (devenus la révélation
simultanée des mondes intérieur et extérieur). De même a-t-il
rejeté la merveille de l'harmonie préétablie d'un LEIBNIZ qui seule,
pourtant, serait logiquement capable de subordonner idéalement,
dans un cadre post-cartésien, le physique au psychique dans la
« conspiration»
psychophysique. De toute façon, le langage
change dès la phrase suivante: « Les énergies physiques qui
entrent en jeu à l'occasion de la nutrition du cerveau concourent,
avec les énergies physiques qui agissent du dehors sur nos organes
12Cela n'est pas forcément du spinozisme et n'exclut pas, a priori, la coopération
ou l'interférence des deux ordres.
13 Formulation assez inédite, puisqu'on dit, plus habituellement, que c'est le
psychisme qui est « parallèle» aux événements nerveux et qui exclut, avec
l'interaction, toute dépendance...
XII
des sens, à l'approvisionnement
[...] En l'un et l'autre cas, la
transformation des énergiesprysiques en énergie des centres, s'accompagne, de
même que les décharges de celles-ci, des phénomènes sul?jectift de notre
conscience. S'agit-il des énergies [...] métaboliques, les phénomènes sul?jectift
revêtent l'aspect de sentiments généraux vagues ce qu'on appelle [...J la
disposition d'esprit. S'agit-il des énergies d'origine extérieure, les sentiments
généraux se doublent de sensations lomlisées... )).
Nous quittons ainsi le parallélisme, au sens le plus étroit,
pour une sorte de « conditionnalisme fonctionnel» ; voire pour un
genre de concordance, au sens où MAURICE MERLEAU-PON1Y
l'exprimait en conclusion de sa célèbre thèse sur La Structure du
comportement; ou, plus simplement, d'une « correspondance» non
substantielle, mais phénoménale qui ne serait pas sans évoquer
«l'occasionnalisme»
de l'Abbé NICOLAS MALEBRANCHE... Le
tout est de savoir si, dans une forme de pensée prédialectique,
cette concordance / correspondance est univoque (cerveau ~
champ de conscience) ou réciproque
cerveau ~~ expérience subjective14.
À supposer que la solution du parallélisme phénoménal
ou de l'organogénétisme soit désormais résolue sans séquelle dans
la question des relations psychophysiques, une autre se présente
immédiatement. BECH1EREW, plutôt que d'utiliser le terme d'«
expression» de l'énergie potentielle des centres pour qualifier la
fonction psychique, en parle comme de ce qui « dénonce» cette
dernière. Ne tombons-nous
pas alors dans une conception
épiphénoméniste ? On peut d'autant plus le redouter que, au
moins en un passage, notre Russe compare l'activité de la
conscience à celle, apparente, de la flamme dont on dit qu'elle
cause l'incendie, alors que c'est l'énergie calorique qui la produit à
partir d'une certaine intensité qui en est responsable15. Position qui
14Pour m'enfoncer dans l'anachronisme, je ferai allusion (en dehors de la théorie
engelsienne, déjà existante, de la rétroaction de l'effet sur sa cause) à la théorie de
SPERRY qui considère le rôle régulateur des processus
conscients comme
réorganisant, de façon molaire, intégrative et configurationnelle, les événements
dynamiques, biomoléculaires et cellulairesqui les engendrent. Autrement dit, Ic.rpbénomènes
propm à fensemble dominent
et restructurentkr professu.rdont iL<sont frsus. Cette vue, qui permet
de soutenir un ({mentalirmesansdualisme», implique des concepts comme celui d'" d'autoorganisation» qui n'existaient pas encore en 1903 !
15 Cette comparaison n'et pas, à mon sens, très pertinent, car la flamme (si j'en
crois l'article
épiphénomène
exclusive.
« Combustion»
de L'Ençyc!opœdia Universalis) n'a rien d'un
de cette dernière, mais en est une desformes fondamentale, mais non
XIII
semble renforcée en ce qu'il distingue le p.rychisme(que d'autres
appelleront la cérébrationou l'idéation inconsciente)et la conscienœ,
justement selon un rapport d'intensité de l'énergie potentielle.
Mais comment comprendre, alors, que ces fameux delatas soient
cependant considérés, en tant que conscients, comme exerçantune
fonction biologiqued'adaptation,de survie, de direction,d'ordonnancement,de
transformation,etc. ; qu'en tant que subjectifs, ils soient faits signes
d'appréciation
de la valeur des phénomènes
vis-à-vis de
l'organisme et permettent de choisir ceux qui nous sont les plus
avantageux? Non liquet!
Par contre, si l'expression psychique qui guidera notre
conservation provient (et se manifeste) grâce aux phénomènes
métabolico-énergétiques complexes de notre physiologie nerveuse,
il n'y a aucune difficulté à admettre que nous ignorons d'où nous
viennent nos idées ou la première impulsion de notre volonté. Car
la vie psychique n'a pas pour fonction, même dans l'introspection
de ses états, de pratiquer l'endoscopie de ses fondements physicochimiques et énergétiques, mais de scruter ce qu'elle ressent ou
« éprouve» (comme faim, désirs sexuels, etc.).
Il faut bien arriver à conclure. Parti de la conviction, ici
maintenue, que BETCHEREW n'était nullement réductionniste en
intention et qu'il n'entendait ôter au p.rychisme aucun de ses privilègesjusqu'à
le considérer - sous sa forme consciente - comme le garant de notre existence;
convaincu aussi que ses méthodes objectivistes étaient un procédé
méthodologico- pratique et non une position dogmatique; sa
lecture peut cependant entraîner quelques embarras du fait qu'il
puisse sembler que des
points de vue
ambigus
ou
contradictoires se chevauchent dans son argumentation. Ces
divergences intrinsèques, difficiles à lever sans reste, sont
possiblement l'une des raisons qui ont fait que les psychiatres
français, ses contemporains, ont peu tenu compte, à l'exception
près, de sa tentative pour définir les assises générales du
psychisme, alors qu'ils ont fait grand cas de La p.rychologie oq'ectiveet
des Principes généraux de réflexologie humaine. Soit pour s'en
enthousiasmer,
soit pour s'en indigner... Il reste d'ailleurs
extrêmement mystérieux pour moi que les comportementalistes
contemporains ne citent jamais, à ma connaissance, (EYSENK,
WOLPE), ce véritable
précurseur,
psychiatre
thérapeute
polymorphe de talent, alors qu'ils se réclamèrent - au moins au
début - du grand physiologiste 1. P. Pavlov, qui ne s'intéressa que
fort tardivement à la psychiatrie, à l'occasion des troubles apparus
XIV
lors du conditionnement
salivaire canin, qu'il assimilait aux
données de la clinique humaine« élémentarisée »16...
Quoi qu'il en soit, pour nous en tenir à la conception de
BECHTEREW (en l'admettant comme une donnée indiscutable, et à
supposer qu'elle ne fasse aucune difficulté dans la façon dont ilIa
formule) que le p!ychisme exprimait, ou correspondaità la dépense de
l'énergiepotentielle accumulée dans les centres, alors nous sommes
renvoyés inexorablement à la question. S'agit-il là d'une véritable
explication du « grand mystère» ou seulement d'une simple
constatation defacto?
Dans le cas présent, la constatation du fait qu'il y a
expression, ou correspondance,
entre ce que notre homme
maintient
lui-même différentiellement
comme les aspects
extérieurs et intérieurs, objectifs et subjectifs du vivant. Ces
deniers exerçant d'ailleurs une fonction biologique toute
particulière (singulièrement chez l'homme, où ils vont se
développer sous les formes de l'intellect et de la volonté)...
WLADIMIR MICHAÏLOVITSCH n'a pas trouvé le Graal,
mais peut-être est-ce simplement que celui-ci n'est qu'un mythe
(ou, ici, une séquelle pernicieuse du dualisme) et que la science
pure n'a pas d'autre but que d'appréhender les apparences
manifestes pour en chercher, par la précision progressive de leurs
conditions ou terrain d'apparition, les lois, relations et corrélations,
comme l'ensemble des latences qui les soutiennent;
quitte à
pratiquer quelques décentrements et à émettre des hypothèses
provisoires. Si l'on s'en tient à ce point de vue épistémologique,
BECHTEREW n'aurait pas démérité en suivant - tel qu'on pouvait
entrevoir les choses en son temps dans le contexte de l'hypothèse
16 Notre auteur, lui aussi, « parcellisait» certaines conduites de l'enfant supposées
directement impulsives (onanisme, vol, énurésie...). II utilisait alors une méthode
simple de conditionnement, plus ou moins aversif, ou une méthode jouant sur
les conduites liées au principe du plaisir/déplaisir, mais dans le cadre d'une
verbalisation d'accompagnement nous paraissant suggestivement « interdictricesurmoïque ». Ce qui explique, peut-être, qu'au lieu d'un petit choc électrique, le
son banal d'une cloche puisse servir à la suppression de la mauvaise habitude (par
son évocation de la désapprobation
intimidante de l'adulte qui a proféré
l'injonction?). II faudrait reprendre les protocoles de BECHTEREW et les
soumettre à la réflexion des spécialistes contemporains de la thérapeutique
cognitivo-comportementale.
Ce qui, pour le moment, paraît un vœu utopique. ..
POffr les cas plus complexes, le même, bien que réticent devant la théorie de la libido, faisait
((
grand cas de la méthode freudienne dite des associations libres » de la parole pour
retrouver les enchaînements
événementiels dont résultai/(( l'enrqyement » pathologique
((
d'un désir par le complexus du moi » et le rendre à l'inhibition volontaire.
xv
énergétique - les transformations
métaboliques, les éléments
électrochimiques qui contribuaient à l'entretien de la vie des
centres, de leurs charges et décharges, en cherchant en quoi ils
font fonction (au sens mathématique) avec la vie psychique dont
ils sont à l'évidence le substrat.
JACQUES
CHAZAUD
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