1522 Revue Médicale Suisse
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13 août 2014
actualité, info
Jean Carpentier
Nous lavons un peu oublié ces dernières an-
nées. Puis tombe cette nouvelle, au cœur de
lété, de son décès. Tout ressurgit alors
: les
lectures, les discussions, les conférences, tout
ce qui me rappelle à quel point ce médecin
généraliste, engagé et humaniste, m’a accom-
pagné et m’a influencé durant toutes les an-
nées de mon activi.
Dabord et surtout, il y avait son message
politique. Avec son livre
Médecine générale
et les textes engagés dans la revue
Tantkona-
lasan
, jai appris que nos actes ont aussi
une portée politique et que cette action fait
partie de notre engagement pour soigner nos
patients et préserver leur santé. C’était bien
sûr dans l’air du temps de développer une ap-
proche critique des relations entre la société
et la médecine, mais il aura fallu la personna-
lité de Jean Carpentier pour l’incarner, pour
provoquer des débats et des actions qui lui
ont valu de nombreux et divers procès et mise
à l’index.
Ensuite il y a eu lengagement social, pour
beaucoup de groupes défavorisés, en parti-
culier pour les patients toxicomanes. Grâce à
la politique plutôt avant-gardiste appliquée en
Suisse dans les années 90, nous
avons vécu une situation favora-
ble à la prise en charge adéquate
des patients dépendants. Dans ce
contexte, nous observions les ef-
forts déployés en France par Jean
Carpentier et ses collègues con
tre
un système politique con serva
teur
et réactionnaire, avec le plus grand
respect et notre admiration émue.
Dans cet engagement très per-
son nel, on trouve encore des ac-
tes très concrets comme la pres-
cription contestée de Temgesic
(qui lui vaudra de nouveaux pro-
cès), de pair avec de nombreux ar-
ti cles, jusqu’à la reconnaissan ce
de ses efforts pion niers et la publi-
cation du livre
La toxicomanie à
l’héroïne en médecine générale
.
Plus tard, j’ai aussi découvert
tout l’univers de son approche
conceptuelle, plus réflexive de la
médecine générale. Comme ini-
tiateur de la création de l’Ecole dispersée de
santé européenne, il a su réunir des collègues
de nom breux pays pour une réflexion sur notre
tier, partant du serment d’Hippocrate. Mes
amis sont revenus d’une rencontre avec une
centaine de soignants à Kos, en 1992, les
yeux brillants et pleins d’idées et d’initiatives
carte blanche
Pr Thomas Bischoff
Médecine interne FMH
1030 Bussigny
Directeur de l’Institut universi-
taire de médecine générale
PMU, Lausanne
cobiri@@bluewin.ch
Virus de l’hépatite E : faut-il désormais le
dépister systématiquement dans le sang ?
Pendant longtemps on ne parla, faute de
mieux, que des «hépatites». Puis vint la vi-
ro logie et, avec elle, le démembrement de
cette entité. On découvrit alors, l’un après
l’autre, les agents pathogènes qui avançaient
jus qu’alors masqués. D’abord, le virus de
l’hé patite B et celui de l’hépatite A. Avec le
mystère du «non-A non B». Puis, le virus
responsable de l’hépatite C – dont les nou-
veaux et dispendieux traitements font aujour-
d’hui couler beaucoup d’encre. Et, enfin, celui
de l’hépatite E (VHE).
Les virologues ont cloné et caractérisé son
génome, il y a près d’un quart de siècle. On
sait désormais que le VHE est un virus non
enveloppé à génome ARN brin positif classé
dans la famille des Hepeviridae (dont il est le
seul membre). «Si un seul sérotype est con nu,
ce virus présente une diversité génétique im-
portante, actuellement représentée par qua tre
génotypes infectant l’humain. Ce pendant,
de nouvelles souches virales spéci fiques à
certains animaux ont été récemment identi-
fiées (lapin, rat et oiseau) et viennent agran-
dir cette famille, pouvait-on lire l’an dernier
dans ces colonnes.1 Les auteurs ajou taient
que ce virus est transmis par voie féco-orale
ou par l’intermédiaire de produits anima-
liers carnés insuffisamment cuits.
«On estime chaque année à vingt millions
le nombre d’infections par le VHE, à plus de
trois millions de cas aigus et à 56 000 le nom-
bre de décès liés à la maladie, indique pour
sa part l’OMS. L’hépatite E régresse généra-
lement spontanément mais peut évoluer en
hépatite fulminante. L’hépatite E sévit par-
tout dans le monde mais sa prévalence est la
plus élevée en Asie de l’Est et du Sud. La
Chine a produit et homologué le premier vac-
cin, qui n’est pas encore disponible partout
dans le monde.»
Le VHE se transmet donc principalement
par la voie féco-orale (contamination fécale
de l’eau de boisson) ainsi que par voies
alimen taire (ingestion de produits dérivés
d’ani maux infectés) et transfusionnelle. «Des
quatre génotypes connus, le génotype 3 est
responsable d’infections autochtones dans les
pays développés, avec une séroprévalence
en Suisse estimée jusqu’à 22%, précisent les
auteurs de la Revue Médicale
Suisse. La majorité des pa-
tients infectés sont asympto-
matiques mais une minorité
d’entre eux, notam ment des hommes de plus
de 50 ans ou avec une hépatopathie préexis-
tante, peuvent pré senter une hépatite aiguë
sévère. Une évolution chronique de l’infec-
tion par le VHE de génotype 3 est possible
chez des patients im munosupprimés, no-
tamment des patients transplantés. La séro-
logie n’offrant pas une sensibilité suffisante,
surtout chez ces patients, le diagnostic d’une
avancée thérapeutique
les conséquences cliniques de l’infection
à VHE ne doivent pas être minimisées …
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1 Hiroz P, Gouttenoire J, Viet Loan Dao-Thi VL, et al. Mise
à jour sur l’hépatite E. Rev Med Suisse 2013;9:1594-8.
2 Hewitt PE, Ijaz S, Brailsford SR, et al. Hepatitis E virus in
blood components : A prevalence and transmission study
in southeast England. Lancet 2014 ; epub ahead of print.
pour enrichir notre travail au quotidien. La
«valise à symptômes» illustre à merveille la
créativité de ce mouvement
: une boîte en
plexiglas sous forme d’une valise de docteur,
avec plusieurs plans transparents sur lesquels
on lit «symptômes», «histoire», «signes»…,
l’illustration de la profondeur et de la com-
plexité qui se retrouvent derrière toute ren-
contre avec le patient et sa maladie. L abou-
tissement de toute cette démarche se trouve
sans doute dans ses
Thèses sur l’art médi-
cal
, un texte de 77 énon cés, censés trouver
une langue commune pour une pratique tant
diversifiée.
Jean Carpentier n’avait pas besoin de-
fendre la médecine générale. Il était méde-
cin généraliste pour défendre ses patients,
pour rendre le monde un peu meilleur par son
action passionnée, médicale et politique. Il a
bous culé des tabous de la médecine et par
ceci défendu une conception singulière et
humaine de ce métier qu’il a aimé sans res-
triction.
«La pratique médicale est un processus
créa tif ; la relation aboutit à une création
réalisée par les deux partenaires.
Elle modifie l’un et l’autre ; c’est la
demande du malade et le risque accepté
du médecin»
Jean Carpentier,
Thèses sur l’art médical
infection active repose sur la PCR.»
Une nouvelle question est aujourd’hui sou-
levée avec la publication d’une étude et d’un
commentaire dérangeant dans The Lancet.2
Cette publication est signée d’un groupe
diri gé par le Pr Richard Tedder (Service na-
tional britannique de transfusion et de trans-
plantation). Quant au commentaire, il est si-
gné du Pr Jean-Michel Pawlotsky (Centre
national de référence français pour les hépa-
tites B, C et D ; Département de virologie de
l’Hôpital Henri Mondor, Créteil).
Le travail du Pr Tedder et de ses collègues
a consisté en une analyse rétrospective de
225 000 dons de sang individuels recueillis
dans le sud-est de l’Angleterre entre octobre
2012 et septembre 2013. Une recherche sys-
tématique de l’ARN viral de l’agent VHE a
été effectuée. Ils ont alors trouvé 79 don-
neurs ayant une virémie positive pour le gé-
notype 3 du VHE (prévalence de 1/2848).
Ces 79 dons ont été utilisés pour préparer
129 composants sanguins, dont 62 ont été
utilisés chez des receveurs. Le suivi de 43
d’entre eux a montré qu’une transmission
virale avait eu lieu dans 18 cas (42%).
«L’infection par le génotype 3 du VHE est
très répandue dans la population anglaise, y
compris chez les donneurs de sang. Nous
estimons qu’entre 80 000 et 100 000 infections
sont susceptibles d’avoir été contractées en
Angleterre au cours de l’année de notre
étude, commente le Pr Richard Tedder. Bien
que se manifestant rarement par une mala-
die aiguë, les infections par le virus de l’hé-
patite E peuvent évoluer ultérieurement chez
les patients immunodéprimés. Ceci les ex-
pose au risque de pathologie hépatique chro-
nique et une politique est nécessaire pour
identifier ces patients infectés de façon per-
sistante et leur fournir un traitement antivi-
ral approprié.»
Pragmatisme aidant, le Pr Tedder précise
que son étude indique que la charge globale
du préjudice collectif résultant d’une infec-
tion post-transfusionnelle par le VHE est lé-
gère. Il ne semble donc pas urgent selon lui
d’instaurer un dépistage systématique chez
les donneurs de sang. Il renvoie toutefois ici
à l’organisation d’un débat plus large centré
sur le rapport bénéfice/risque. «Je partage
l’analyse de Richard Tedder, explique le Pr
Francis Barin, spécialiste de virologie (CHU
– Université François Rabelais de Tours). La
quasi totalité des infections à VHE sont tran-
sitoires, spontanément résolutives. Les con sé-
quences sévères sont une hépatite fulminante
(fort heureusement assez rare) et une infec-
tion chronique (uniquement chez le sujet im-
munodéprimé). Si on franchit le pas du dé-
pistage systématique pour le VHE, il faudrait
se poser la question de la nécessité du scree-
ning pour le génome d’autres virus (parvo-
virus B19…). »
Le point de vue du Pr Jean-Michel Paw-
lotsky est radicalement différent. Dans son
commentaire du Lancet, le spécialiste français
se dit surpris des conclusions que ses col-
lègues anglais tirent des faits qu’ils révèlent
au grand jour. Selon lui, les conséquences
cliniques potentielles de l’infection à VHE
ne doivent pas être minimisées. «Je crois que
le dépistage systématique des composants
san guins pour les marqueurs de l’hépatite E
doit être mis en œuvre dans les zones où le
VHE est endémique, par exemple, dans les
pays de l’Union européenne.»
Le Pr Pawlotsky sait que cette position
sera débattue au sein de la communauté des
experts. Viendra ensuite le temps de la déci-
sion politique. Mais pour lui aucun doute
n’est permis : le dépistage de l’ARN du virus
de l’hépatite E s’ajoutera bientôt à la liste de
tous ceux, obligatoires, qui permettent d’as-
surer une sécurisation maximale de la trans-
fusion sanguine. Restera bien sûr la question
du coût. Mais on sait, depuis les affaires dites
«du sang contaminé» (par le VIH), que la lec-
ture des responsables politiques français dif-
fère sensiblement de celle que peuvent faire
sur le même sujet (et avec les mêmes don-
nées chiffrées) leurs homologues européens.
«L’infection par le VHE est préoccupante
chez les transplantés (de rein, de cœur) chez
lesquels on observe des formes chroniques
que l’on peut traiter. Chez les sujets immuno-
compétents, l’infection est le plus souvent
asymptomatique, précise le Pr Alain Gou-
deau, chef du Service de bactério-virologie
du CHU de Tours. Nous nous sommes pré-
occupés de l’impact des infections à VHE
dans la population des transplantés rénaux
qui ont eu souvent des transfusions itéra-
tives. Nous avons repris les sérums des trans-
plantés en 2013 (126 patients testés sur 131
greffés), 20 sujets avaient des anticorps anti-
VHE (15%) mais parmi eux aucun n’était
virémique. Cela relativise de beaucoup, me
semble-t-il, les propos incitant au dépistage
systématique.»
Jean-Yves Nau
jeanyves.nau@gmail.com
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