Programme de recherche « Concertation, Décision et Environnement » LE ROLE DE L’OFFICE PARLEMENTAIRE D’EVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES . UNE MISE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE Récapitulatif du rapport final1 Avril 2002 Responsable Scientifique : Michel Callon Centre de Sociologie de l’Innovation Ecole des Mines de Paris 60, Bd Saint Michel 75272 Paris Cedex 06 Tél. 01 40 51 91 91 Fax. 01 43 54 56 28 Avec la participation de : Yannick Barthe : CERAT, UMR 5606 CNRS 1 Barthe, Y., 2002. Le rôle de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques . Une mise en perspective historique. CERAT, Grenoble. I. OBJECTIFS DE LA RECHERCHE Cette recherche vise à apporter un éclairage sur un organisme encore largement méconnu mais qui pourrait être amené à jouer un rôle de plus en plus important dans le traitement des enjeux environnementaux : il s’agit de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. L’objectif de cette étude est de restituer les conditions d’émergence et l’histoire de ce dispositif d’évaluation, et notamment de le resituer par rapport à la manière dont s’est développé au niveau international le thème de l’évaluation technologique. Il s’agit, d’une part, de comprendre comment s’est progressivement imposée en France l’idée d’une évaluation politique des technologies. D’autre part, il s’agit de retracer la « carrière » de l’Office, d’analyser son évolution afin de comprendre le rôle qu’il joue – ou qu’il pourrait jouer – dans le traitement des enjeux environnementaux et dans les décisions qui sont prises dans ce domaine. II. PRESENTATION DES TRAVAUX La question qui guide cette recherche a trait au problème de la fonctionnalisation progressive de ces instances d’évaluation qui ont fleuri dans toute l’Europe au tournant des années quatre-vingt. Comme le montre la sociologie politique des institutions, l’établissement de la « figure » d’une institution, de ses caractéristiques essentielles comme de sa fonctionnalité, résulte des usages successifs qui en sont faits ; par conséquent, cette figure se rejoue continuellement au gré des conjonctures. Dans la lignée théorique de ces travaux, nous avons cherché à ne pas attribuer de manière hâtive une fonction à ce type d’instance, mais à prendre au contraire pour objet d’étude les modalités d’institutionnalisation de l’évaluation parlementaire des technologies, modalités qui peuvent varier dans le temps (d’où l’intérêt d’une mise en perspective historique). Ainsi, s’il était conçu à l’origine par certains comme un instrument de contrôle et d’expertise par le Parlement des politiques publiques menées dans différents secteurs – et en particulier de leurs conséquences sur l’environnement –, l’Office parlementaire apparaît aujourd’hui davantage comme une arène de débat permettant aux pouvoirs publics de traiter les controverses qui se déploient dans l’espace public à propos du développement technique. D’une expertise scientifique classique, nous sommes progressivement passés à la mise en œuvre de procédures de concertation et de consultation qui sont autant de moyens, sinon de résoudre, du moins de mettre en forme les controverses environnementales, c’est-à-dire de les « cadrer » en sélectionnant les participants et des arguments jugés légitimes. En ce sens, les activités de l’Office peuvent être appréhendées sous l’angle de la mise en place de nouvelles technologies de gouvernement qui ont la particularité d’accorder une place prépondérante au débat public et à la cooptation de porte-parole de « publics concernés » d’une part, et qui trouvent leur efficacité dans leur capacité à établir des connexions entre différents pôles institutionnels et arènes de débat d’autre part. Cette évolution générale peut être interprétée comme le fruit d’un apprentissage, autrement dit comme le résultat d’une expérimentation en continu et d’une adaptation progressive aux contraintes institutionnelles et politiques qui pèsent sur les activités d’évaluation dans des secteurs controversés. Méthodologie Cette recherche repose en grande partie sur un travail documentaire. Afin de retracer la genèse et l’histoire de l’Office parlementaire, nous avons notamment été amenés à constituer trois corpus distincts. 2 • Le premier corpus regroupe des travaux d’analyse en sciences sociales produits sur le thème du technology assessment. En s’appuyant sur cette production académique, il s’agit de rendre compte des débats suscités à l’échelle internationale par le thème du technology assessment. Ce recueil d’articles (plus d’une centaine de références) permet de dresser un bilan analytique de la littérature produite sur le sujet, de comprendre la nature des arguments qui plaident en faveur d’une évaluation parlementaire des technologies, mais aussi de recenser les critiques qui ont été adressées à ce type de pratiques. • Le deuxième corpus est constitué par des textes parlementaires et des documents officiels : les différentes propositions de loi visant à créer en France un organisme d’évaluation des technologies, les rapports allant dans le même sens, les rapports préparatoires, les débats parlementaires, le texte de loi portant création de l’Office en 1983, et enfin l’ensemble des rapports rédigés dans le cadre des activités de l’Office depuis 1985. L’analyse de l’ensemble de ces documents permet de comprendre ce qui a longtemps fait obstacle à l’émergence d’une telle instance en France. D’autre part, en nous intéressant aux débats ayant précédé la mise en place de l’Office, nous nous donnons les moyens d’éclairer la définition qui est alors donnée du rôle qu’est censée jouer cette structure. Enfin, en travaillant sur certains des rapports produits par les parlementaires, nous avons la possibilité de suivre l’évolution des activités de l’Office, le type de problèmes abordés et la manière de les aborder. • Enfin, le troisième corpus est constitué par les articles de presse portant ou mentionnant les activités de l’Office. Ce corpus permet d’avoir une idée des réactions suscitées par l’institutionnalisation d’une évaluation technologique en France, mais il permet surtout de mesurer l’impact de ce travail parlementaire et la publicité accordée aux débats qui sont organisés en son sein. La presse permet de suivre le destin des rapports de l’Office et les prises de position, mais elle est en elle-même un bon indicateur de son poids dans le débat. Parallèlement à ce travail d’analyse documentaire, des entretiens ont été réalisés auprès d’observateurs privilégiés. Ils sont destinés à compléter les données que nous avons recueillies concernant la genèse et l’histoire de l’Office. D’autre part, nous avons cherché à travers ces entretiens à rendre compte des mécanismes d’apprentissage qui marquent l’histoire de cette institution. Résultats • La première partie de ce rapport s’apparente à une mise en perspective historique du thème de l’évaluation technologique. A partir des expériences étrangères et de la littérature qu’elles ont suscitée, nous faisons le point sur les différentes définitions qui ont été données du technology assessment. Ce travail nous permet de caractériser de manière schématique deux « modèles » : (i) Un premier modèle que l’on peut qualifier d’« analytique » où il s’agit de constituer l’évaluation technologique en champ de savoir à caractère objectif, scientifique et disciplinaire. Dans ce modèle, qui est typiquement celui de l’OTA (Office of Technology Assessment) américain au début des années soixante-dix, l’évaluation technologique est conçue comme une pratique visant, par le recours à l’expertise scientifique, à échapper aux aléas des turbulences liées à l’intervention des acteurs concernés par les « impacts » des technologies. (ii) Dans les années plus récentes, un deuxième grand modèle va voir le jour, dans lequel l’évaluation technologique n’est pas conçue comme une pratique uniquement scientifique, mais 3 comme une analyse politique impliquant de porter attention aux expressions d’opinions et d’intérêts, et aux représentations d’acteurs sociaux. Les décisions auxquelles peut aboutir ce type d’évaluation visent moins à clôturer le débat qu’à l’organiser dans un sens constructif, c’est-à-dire à dresser la carte des acteurs en présence et à établir différents scénarios permettant d’aboutir à des compromis. C’est ce qu’on pourrait appeler un « modèle concertatif » d’évaluation technologique. • Dans un deuxième temps, nous montrons que l’histoire de l’Office parlementaire d’évaluation technologique peut être lue comme celle d’un déplacement d’un modèle vers l’autre, les deux conceptions restant cependant en tension. (i) Les premières conceptions de l’évaluation technologique et ses différents projets d’institutionnalisation s’appuient peu ou proue sur le modèle que constitue l’office américain. Un transfert institutionnel s’opère, qui s’accompagne d’adaptations destinées à prendre en considération les particularités du système institutionnel français. (ii) Mais, suite aux difficultés rencontrées concernant la mise en œuvre d’une contre-expertise, le fonctionnement de l’Office va ensuite connaître un déplacement au profit d’évaluations plus « politiques », qui s’efforcent d’articuler des avis d’experts avec ceux exprimés par des groupes en conflit, cela au moyen d’une procédure : les auditions publiques. • Ces procédures de consultation, qu’il s’agisse des auditions publiques ou de la conférence de citoyens organisée sur les OGM (organismes génétiquement modifiés) en juin 1998, sont souvent dénoncées comme étant de simples techniques de manipulation des gouvernés visant à légitimer des décisions déjà prises. Une telle vision ne rend toutefois pas compte du caractère souvent ambivalent de ce type de procédures qui, tout en permettant de canaliser les controverses, ont pour résultat d’augmenter la « discutabilité » des problèmes et d’ouvrir concrètement l’éventail des choix possibles. C’est ce que nous montrons à partir du cas des auditions publiques organisées en 1990 par l’Office sur la question du stockage des déchets nucléaires. Cet exemple illustre la façon dont de tels dispositifs de consultation peuvent tout à la fois contribuer à encadrer une controverse et avoir pour effet d’ouvrir la « boîte noire » de décisions techniques pourtant considérées comme irréversibles. III. ACQUIS EN TERMES DE TRANSFERT Etant essentiellement historique, cette étude ne se veut pas un travail prescriptif. À ce titre, elle ne saurait donner lieu à une série de recommandations ou à un « transfert » de solutions. Il existe aujourd’hui une tendance dans les sciences sociales qui consiste, à propos des controverses environnementales et d’une manière plus générale à propos des questions relatives à la concertation, à chercher à fournir des « solutions clé en main » censées résoudre les conflits auxquels sont confrontés les décideurs. Ce travail d’ingénierie sociale, à supposer qu’il soit efficace du point de vue des problèmes en question (on peut émettre quelques doutes à ce sujet…), ne correspond pas à notre conception du rôle que doivent jouer les sciences sociales dans ces domaines. S’il paraît légitime d’être à l’écoute d’une certaine « demande sociale » et d’accorder une attention privilégiée aux problèmes que se posent les acteurs, il nous semble tout aussi légitime de reformuler cette demande de manière à préserver une certaine autonomie du travail de recherche et à maintenir sa spécificité. 4 En l’occurrence, en matière de procédures de concertation et décision, le rôle des sciences sociales consiste avant tout, selon nous, à organiser des retours d’expériences de manière à pouvoir en tirer quelques enseignements. Aussi peut-on envisager cette recherche comme une manière « d’allonger le questionnaire », pour reprendre l’expression de Paul Veyne, et de sortir de quelques dichotomies usuelles à propos de la démocratisation des choix dans le domaine de l’environnement et plus généralement dans le domaine des risques liés au développement des sciences et des techniques. L’histoire du technology assessment, celle de l’Office parlementaire français en particulier, permet notamment de remettre en cause l’idée selon laquelle seule l’organisation d’une contre-expertise serait la garantie d’une démocratisation des choix techniques. Hormis les difficultés rencontrées pour mettre en place de tels contre-poids, l’histoire de cet organisme et des procédures qu’il a initiées montre qu’il existe d’autres voies pour aller dans ce sens. Ces voies passent notamment par la création d’espaces de discussion qui se situent à la frontière du monde de la recherche et des espaces publics formés par les controverses. Comme nous le montrons à partir du cas des déchets nucléaires, l’intérêt de ces espaces « hybrides » est de permettre une double investigation, à la fois scientifique et politique, qui peut être une manière d’aboutir à des compromis durables. IV. LISTE DES PRINCIPALES VALORISATIONS DE LA RECHERCHE Articles scientifiques publiés, sous presse, et en préparation Barthe, Y., 2002. Rendre discutable. Le traitement politique d’un héritage technologique. Politix, vol. 15, n° 57, 2002, 57-78. Article en préparation pour la Revue internationale de politiques comparées : L’évaluation parlementaire des technologies en Europe : approche comparative. Rapport de recherche Barthe, Y., 2002. Le rôle de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques . Une mise en perspective historique. CERAT, Grenoble. Publication en préparation Cette étude doit être considérée comme un premier « débrouillage » des problèmes posés par une évaluation politique des choix technologiques. Elle constitue en effet l’amorce d’une recherche plus large qui s’inscrit dans un programme présenté et accepté par les instances scientifiques du CNRS, en l’occurrence la commission de la section 40. Compte tenu de la taille et de la complexité de certains enjeux (que l’on songe au problème des OGM), il est en effet nécessaire d’explorer de manière plus approfondie les pistes qui sont ici esquissées. Pour comprendre le rôle joué par l’Office sur certains sujets, il s’agit d’entreprendre en parallèle une étude poussée de certains secteurs d’activités et de certaines politiques environnementales, afin de comparer l’évolution du travail de l’Office et l’évolution des enjeux propres à ces secteurs. C’est pourquoi nous avons comme perspective de poursuivre cette recherche sur un temps long (3 à 4 ans). Ainsi, à terme, ce rapport prendra place au sein d’un ouvrage sur l’évaluation parlementaire des technologies qui présentera les résultats de cette recherche. 5