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La migration des neurones sous l'aile d'Elongator
12/05/09
Malgré la consonance de son nom, «Elongator» n'est pas le dernier robot tueur incarné par Arnold
Schwarzenegger au cinéma. Loin de la science-fiction, ce complexe protéique composé de six sous-unités
joue un rôle crucial dans la différenciation des neurones du cortex cérébral. Un rôle mis au jour il y a peu par
Laurent Nguyen et Alain Chariot, chercheurs au sein du pôle de recherche GIGA (Groupe Interdisciplinaire de
Génoprotéomique Appliquée) de l'ULg. Aujourd'hui, et toujours grâce à la mise en commun de leur expertise,
les deux scientifiques ont réussi à rentrer un peu plus dans l'intimité d'Elongator : dans une étude publiée dans
la revue Cell (1), ils révèlent l'implication de ce complexe protéique dans la migration et donc dans la mise
en place des neurones pyramidaux du cortex cérébral.
Destination : la plaque corticale
Le cortex cérébral contient principalement deux grandes classes de neurones : les neurones pyramidaux
glutamatergiqueset les interneurones GABAergiques. Les premiers, également appelés neurones de
projection, sont dits «excitateurs». Leurs axones, excessivement longs, se regroupent pour former des
faisceaux qui descendent notamment jusque dans la moelle épinière ils forment des connexions
avec les motoneurones, eux-mêmes responsables de l'activation des muscles. Les neurones pyramidaux
représentent environ 80% du contenu en cellules nerveuses du cortex cérébral contre 20% pour les
interneurones GABAergiques qui sont, eux, inhibiteurs. «Au cours de l'embryogenèse, les neurones
pyramidaux et les interneurones corticaux naissent dans des domaines progéniteurs situés dans la partie
antérieur du système nerveux primitif», explique le docteur Laurent Nguyen, chercheur de l'unité de
recherche «Neurosciences» du GIGA. «Ils migrent ensuite pour atteindre la plaque corticale naissante qui
comportera à terme six couches de neurones. Notre unité de recherche s'intéresse aux mécanismes qui
régulent la production et la différenciation de ces deux grandes classes de neurones. Et dans le cadre d'une
collaboration avec Alain Chariot, nous nous sommes penchés plus particulièrement sur le complexe protéique
Elongator». Cet assemblage de protéines a une activité acétyl-transférase, c'est-à-dire qu'il catalyse l'ajout de
groupements acétyles (COCH3) sur une série de protéines.
Tracer les «cellules migratrices»
«Chez les personnes atteintes de la dysautonomie familiale, ce complexe ne fonctionne pas correctement»,
indique Alain Chariot de l'unité de recherche «Signal Transduction» du GIGA. «Il s'agit d'une pathologie
génétique très rare qui touche presque exclusivement la population juive ashkénaze et qui est notamment
caractérisée par des problèmes de développement et de survie de certains neurones du système nerveux
périphérique. La dysautonomie familiale résulte de la mutation du gène qui code pour la protéine ELP1,
responsable de l'assemblage du complexe Elongator», précise le chercheur. Au-delà de cette maladie qui
illustre l'importance de ce complexe protéique, ce dernier a également été identifié chez la levure comme étant
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requis lors de la transcription de l'ADN en ARN messager. En effet, en acétylant les histones, protéines autour
desquelles est enroulé l'ADN, Elongator permet de «détendre» cet enroulement afin que l'ARN polymérase
puisse plus facilement se déplacer le long du brin d'ADN et le transcrire.
(1) Creppe, C.*, Malinouskaya, L.*, Volvert, M.-L., Gillard, M., Close, P., Malaise, O., Laguesse, S., Cornez, I., Rahmouni, S., Ormenese, S., Belachew, S.,
Malgrange, B., Chapelle, J.-P., Siebenlist, U., Moonen, G., Chariot, A.CA,* and Nguyen, L. CA,* : Elongator Controls the Migration and Differentiation of
Cortical Neurons through Acetylation of Alpha Tubulin. Cell (2009), 132: 551-56 * : contribution équivalente
De plus, «nous avons observé que de nombreux types cellulaires dans lesquels nous avions invalidé le
gène codant pour ELP1 présentaient des déficits migratoires», souligne Alain Chariot. Pour étudier l'aspect
fondamental et la fonction d'Elongator, les deux scientifiques ont choisi d'utiliser le modèle du développement
cortical car «c'est un modèle que l'on maîtrise bien et on sait que la migration radiaire des neurones pyramidaux
est un phénomène très contrôlé et régulé. Nous sommes donc allés voir si le complexe Elongator avait un rôle
à jouer dans la migration de ces neurones de projections», explique Laurent Nguyen.
Au cours de cette nouvelle étude, et afin d'évaluer les conséquences de la perte de fonction d'Elongator, les
chercheurs ont eu recours à la technique d'ARN interférence sur des embryons de souris de 14 jours. «L'idée
ici était d'aller injecter directement dans le cerveau des embryons des vecteurs codant des ARN interférants
pour inhiber la production de la protéine ELP1. Pour forcer ces vecteurs à entrer dans les cellules, on a utilisé
un courant électrique qui permet la déstabilisation physique des membranes cellulaires, c'est la technique
d'électroporation», poursuit Laurent Nguyen. Pour pouvoir tracer visuellement les cellules privées de ELP1,
et donc d'un complexe Elongator fonctionnel, les chercheurs ont co-électroporé un vecteur exprimant la GFP,
une protéine fluorescente. Quelles lumières cet informateur a-t-il pu apporter aux scientifiques ?
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Des neurones en retard et plus petits
En regardant l'évolution des des neurones de projection issus des progéniteurs électroporés trois jours
plus tôt afin d'invalider le gène codant pour ELP1, les chercheurs ont découvert que ceux-ci présentaient
un retard de migration vers la plaque corticale. «La perte d'expression ou la réduction d'expression de la
protéine d'assemblage du complexe Elongator n'affectait en rien la capacité des progéniteurs de neurones
corticaux à proliférer et à survivre mais en comparaison aux embryons témoins, les neurones pyramidaux
des souris « électroporées » n'avaient pas atteint les parties du cortex attendues», reprend Laurent Nguyen.
Par contre, cinq jours après «l'opération», soit deux jours après leur naissance, les neurones de projection
des jeunes souris étaient arrivés à bon port. «Grâce à la vidéo-microscopie en temps réel, nous avons
alors étudié la vitesse de déplacement des neurones et nous avons constaté que lorsque nous réduisions
l'expression de ELP1, nous affections la vitesse de déplacement des neurones de projection en la réduisant
approximativement de moitié», précise Laurent Nguyen.
Outre ce retard de migration, les chercheurs ont également observé qu'une fois en position dans la plaque
corticale, les neurones de projection semblaient plus petits. «A l'aide d'un microscope confocalqui permet
d'obtenir une représentation tridimensionnelle des neurones, nous nous sommes rendus compte que la taille
et le nombre de leurs dendrites et axones étaient nettement réduits», ajoute le docteur en Neurosciences.
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Ainsi, sans l'intégrité du complexe Elongator, les neurones pyramidaux mettent non seulement plus de temps
à atteindre la plaque corticale mais présentent également une altération permanente de leur croissance et
de leur branchement.
«Nous avons ensuite poursuivi la caractérisation moléculaire de ce complexe en testant la capacité de toute
une série de mutants à assembler Elongator en un complexe fonctionnel, et surtout à lier la sous-unité
catalytique ELP3, responsable de son activité acétylase», poursuit Alain Chariot. «Nous avons alors observé
que les mutants ELP1 incapables de lier efficacement la sous-unité ELP3 d' Elongator ne permettaient pas
de restaurer les déficits de migration et de branchements des cellules privées de la forme naturelle de cette
protéine». Ces résultats suggèrent dès lors que ces défauts constatés suite à l'invalidation d'ELP1 sont très
certainement dus à son incapacité à lier ELP3. Hypothèse vérifiée sur le champ : «la perte de fonction directe
d'ELP3 mène aux mêmes problèmes de migration et de branchements !», confirme Laurent Nguyen.
Elongator et la tubuline alpha, une histoire d'acétylation
Si Elongator agit certes dans le noyau des cellules pour détendre l'enroulement de l'ADN autour des
protéines histones lors de sa transcription, ce complexe est principalement localisé dans le cytoplasme.
Les deux chercheurs se sont donc intéressés aux protéines qu'Elongator est susceptible d'acétyler dans
ce compartiment cellulaire. «La protéine acétylable la mieux connue du cytoplasme est la tubuline alpha»,
indique Alain Chariot. Cette protéine intervient dans la formation des microtubules, fibres constitutives du
cytosquelette d'une cellule. En y regardant de plus près, les scientifiques ont pu constater que les cellules
appauvries en ELP1 ou ELP3 présentaient un taux réduit de tubuline alpha acétylée. De plus, «il est possible
d'extraire des microtubules de fractions cellulaires enrichies et lorsqu'on réalise cet extrait, il s'avère qu'il est
également enrichi en Elongator. Ce qui atteste que ce complexe s'associe aux microtubules», explique le
docteur Chariot. Enfin, des expériences in vitro sont également venues confirmer l'implication de la sous-unité
ELP3 d'Elongator dans l'acétylation de la tubuline alpha.
«Finalement, pour faire le lien entre le niveau d'acétylation de la tubuline alpha et les défauts migratoires et
de branchements des neurones de projection, nous avons remplacé la forme sauvage de la tubuline alpha
par une forme dominante négative de cette protéine. Celle-ci s'intègre aux microtubules mais, contrairement
à la forme sauvage, elle ne peut être acétylée», spécifie Laurent Nguyen. «Dans les cellules la forme
dominante négative de tubuline alpha avait pris la place de la forme sauvage, nous avons observé des déficits
de migration ainsi que de branchements !», poursuit le neurobiologiste.
La boucle est donc bouclée : «Le complexe Elongator régule la migration et le branchement des progéniteurs
des neurones corticaux via l'acétylation de la tubuline alpha», comme l'indique le titre de la publication des
deux scientifiques liégeois dans la revue Cell. «Outre l'implication d'Elongator dans le développement cortical,
un des aspects vraiment importants de cet article c'est que, jusqu'à présent, aucune acétylase de la tubuline
alpha n'avait été découverte», s'enthousiasme Laurent Nguyen. La migration et le branchement des neurones
demandent un remodelage permanent du cytosquelette des cellules au cours duquel les microtubules servent
de sorte de rails pour acheminer divers éléments cellulaires. L'acétylation de la tubuline alpha est notamment
cruciale pour l'ancrage des moteurs moléculaires. «On peut dès lors imaginer qu'un défaut de migration ou de
branchement puisse résulter d'un défaut de transport de certains éléments cellulaires suite à une acétylation
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