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INTERVIEW
«Le malade doit connaître
son parcours de soins»
Quatre questions au Pr Dominique Maraninchi,
président de l'INCa (Institut national du Cancer).
M*l Près de 300 services de
cancérologie ont dû fermer faute
d'activité suffisante. L'éloigne-
ment de certains patients des
centres de traitement ne
risque-t-il pas de compromettre
l'égalité d'accès aux soins ?
Pr Dominique Maraninchi.
Non, car les centres qui ont
disparu pratiquaient très peu
d'actes de cancérologie. En
revanche, le fait que les établis-
sements doivent désormais
satisfaire à des procédures
d'assurance qualité et sécurité
pour être autorisés à pratiquer la
cancérologie est une révolution.
LS£9 Certains médecins
estiment que les réunions de
concertation pluridisciplinaire
(RCP)
leur
prennent
trop
de
temps, un temps qui, dans le
privé, n'est pas rémunéré.
F D. M. Que les professionnels
se concertent (enfin !), on doit
s'en féliciter. Maintenant, faut-il
rémunérer ce travail ? Selon moi,
non. Certes, cela représente du
temps, mais c'est surtout du
temps de gagné, de l'efficacité.
Quand on se concerte, on travaille
mieux. Et de toute façon, les
médecins n'ont plus le choix.
612 000 RCP ont été enregistrées
en 2009. Preuve que la procédure
est entrée dans les mœurs. En
revanche, la remise du PPS (plan
personnalisé de soins) au patient
est beaucoup moins bien suivie,
alors que le Plan cancer fixe des
objectifs sur ce point. Cette
feuille de route doit être partagée
avec l'usager et avec son médecin
traitant. Dans le cas contraire,
on voit apparaître des tensions,
des risques d'erreur qui peuvent
se traduire par des pertes de
chances pour les patients.
CM Avec le développement
des thérapies ciblées, le budget
des médicaments augmente
énormément. Comment y faire
face ? Comment s'assurer que
ces médicaments sont correc-
tement prescrits?
Pr D. M. D'abord, nous traitons
beaucoup plus de malades, et
c'est tant mieux. La chimiothéra-
pie a entraîné une baisse de
mortalité spectaculaire dans
certains cancers. Avec 473 éta-
blissements autorisés à la prati-
quer, elle est accessible à tous.
Autre avancée, la plupart des
nouvelles molécules sont déli-
vrées par voie orale, ce qui est
beaucoup moins contraignant
pour les malades que les traite-
ments sous perfusion intravei-
neuse et évite les frais d'hospita-
lisation. Enfin, les thérapies
ciblées sont en train de changer
les choses. Avant leur arrivée, le
traitement était identique pour
tous les malades atteints de la
même pathologie. En cas d'échec
du traitement, on testait la réac-
tivité d'une nouvelle molécule
et ainsi de suite. Les thérapies
ciblées inversent le processus.
On teste d'abord les caractères
génétiques de la tumeur pour
savoir si elle peut être sensible ou
non à une thérapie ciblée. Revers
de la médaille, ces molécules sont
onéreuses et ne sont efficaces
que sur quelques patients.
En revanche, pour ceux qui
répondent bien, le bénéfice est
immense. Cette année, 100000
personnes atteintes d'un cancer
du poumon vont bénéficier de
ces tests, afin de mieux cibler les
moyens thérapeutiques. Cela
représente un coût supplémen-
taire de 10 millions d'euros, soit
Le Pr Dominique
Maraninchi.
100 € par patient. Mais au-delà
du bénéfice thérapeutique,
prescrire directement le bon
traitement est plus économique.
frM L'attente, pour une
première consultation, un
scanner ou le début de la prise
en charge, peut durer des
semaines. Comment réduire
ces délais qui compromettent
les chances des patients?
Pr D. M. Le délai d'accès à un
examen par IRM est en moyenne
de 29 jours - il peut dépasser
45 jours dans quatre régions. Il
existe des inégalités de traitement.
Ce n'est pas acceptable. Ce n'est
pas uniquement un problème
de moyens: les centres les
mieux équipés en IRM n'offrent
pas forcément les délais les plus
courts. Il s'agit plutôt d'un
problème de logistique, résultat
d'une mauvaise organisation
qui ne prend pas en compte les
besoins prioritaires de certains
patients. Les agences régionales
de santé (ARS) vont devoir
trouver des solutions. D
•> doit prendre le temps d'expliquer toutes les
implications du traitement et répondre aux
questions du malade. C'est un moment-clé, où
doit s'établir une relation de confiance détermi-
nante pour la suite.
Une seconde consultation, généralement assu-
rée par une infirmière, doit alors être proposée.
«À l'annonce du diagnostic, la personne est sou-
vent en état de sidération. Elle n'est plus capable
d'entendre ce qu'on lui dit. Il est important qu'il y
ait par la suite des soignants disponibles qui
écoutent, reformulent et s'assurent que le patient
a bien compris le diagnostic et le parcours de
soins qu'on lui propose», précise le Dr Philippe
Bergerot, radiothérapeute et vice-président de
la Ligue contre le cancer.
Trop formel, trop technocratique ce dispositif?
Certains le pensent, comme ce patient ulcéré
par la consultation de l'infirmière d'annonce:
"J'avais l'impression d'être pris pour un imbécile... »
Côté médecins, on déplore également la codifi-
cation à outrance. «L'annonce doit être différente
selon les patients. Elle doit s'adapter à ce que la
personne peut ou ne peut pas entendre. Sinon on
déresponsabilise les médecins car ils appliquent
des recettes », regrette le Pr Marc Espié.
Même si aucun protocole ne pourra effacer la
difficulté qu'il y a à dire et à entendre le cancer,
de l'avis général et malgré quelques bémols, la
mise en place du dispositif d'annonce marque
une avancée positive. À condition que tous les
malades puissent en bénéficier. Or en juin 2010,
cette mesure, pourtant obligatoire, n'était effec-
tive que dans 69 % des établissements.
Concertation pluridisciplinaire
Face à l'évolution rapide de la recherche et des
thérapies, un médecin ne peut plus décider seul
d'un traitement. Le Plan cancer prévoit que tout
nouveau dossier doit être étudié au cours d'une
réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP)
réunissant cancérologue, radiologue, radiothé-
rapeute... Tous les professionnels concernés
discutent, évaluent les bénéfices et les risques
des traitements, afin de déterminer le meilleur