Gilles MANCERON
74
En France, du lobby colonial au lobby postcolonial
Dans ces conditions, au lobby colonial d’avant 1962 a succédé ce
qu’on pourrait appeler un lobby postcolonial, qui, désormais, faute de
défendre un projet colonial, défend un passé et une idéologie, une vision
des races et du monde qui a des conséquences graves sur le présent de la
société française. Et, de même que tout au long de la colonisation, le
lobby colonial a réussi presque toujours à exercer son leadership sur la
politique coloniale de la France, le lobby postcolonial a eu tendance
depuis à exercer, jusqu’à aujourd’hui, le même leadership sur les
décisions politiques des gouvernants.
En effet, avant les indépendances, les groupes d’intérêt qui militaient
en faveur de la politique coloniale et étaient directement concernés par sa
mise en œuvre, ont presque toujours réussi à exercer un leadership
politique auprès des principales forces politiques françaises. En dehors
des deux moments d’exception qu’ont constitué sous la Première
République, de 1793 à 1797, la Convention et le début du Directoire, et
au commencement de la Ve République la politique du général de Gaulle
de 1959 à 1962, ce « parti colonial
» a, durant tout le temps de la
colonisation française, su imposer ses volontés aux forces politiques
françaises. Leur leadership a réussi, sauf en de très rares moments
d’exception, à inspirer les positions des gouvernements en ce domaine et
à faire obstacle aux décisions qu’il n’approuvait pas, ces groupes d’intérêt
sont le plus souvent parvenus à faire endosser leurs volontés par les
institutions de la Métropole, y compris quand celles-ci étaient
républicaines
.
La première exception, pendant la Révolution, a eu lieu quand le
pouvoir républicain a pris conscience, selon les mots de Condorcet, que
les négociants des colonies avaient « l’art de masquer sans cesse [leurs]
intérêts particuliers sous le beau nom de bien public et des intérêts de
l’État »
. En février 1794, il n’a plus laissé les représentants des colons de
Saint-Domingue, la future Haïti, faire obstacle à l’abolition de
l’esclavage. Pendant une brève période, sous la Convention et lors de
l’adoption de la constitution du Directoire, la République a cessé de
Ces termes de « parti colonial » sont employés ici dans le sens où les employait Charles-
Robert Ageron, c’est-à-dire non pas dans le sens d’un parti politique spécifique mais dans
celui de groupe d’intérêts coordonnés. Voir Ageron, Ch.-R. (1978), France coloniale, ou
parti colonial ?, Paris, Presses Universitaires de France.
Voir Manceron, G. (2005), Marianne et les colonies, une introduction à l’histoire
coloniale de la France, Paris, la Découverte/Poche.
La Chronique de Paris, 26 novembre 1792.