08-a-Loubiere:Mise en page 1 22/09/08 14:56 Page 82 Grand Paris. Les lignes de force d’un paysage mouvant Les ressorts d’une consultation ou la place impartie aux professions de la ville De manière surprenante, ce n’est pas le ministère Borloo (équipements, transports, territoires) mais le ministère de la Culture et de la Communication qui a lancé et suivi la consultation sur le Grand Paris et désigné les dix équipes qui sont dirigées par un architecte. Pourquoi un architecte et pas un urbaniste ? Cela n’a rien d’étonnant, puisque les architectes relèvent effectivement du ministère de la Culture et que la profession d’urbaniste (qui jouit désormais d’une qualification ministérielle) est faiblement reconnue en France où l’urbanisme relevait des DDE et donc des ingénieurs des Ponts et Chaussées jusqu’au tournant de la décentralisation du début des années 1980. Aujourd’hui, l’urbanisme a été pris en main, au grand dam de certains ingénieurs des grands corps de l’État, par les maires et les urbanistes. Dès lors, aménageurs et urbanistes ne disposent pas toujours de l’autonomie qu’on devrait leur reconnaître et les politiques locaux sont souvent leur propre patron en termes d’urbanisme. Certes il y a des contre-exemples (Nathan Starkman à Lille, Laurent Théry à Nantes, Francis Cuillier à Bordeaux…). Mais nous ne sommes pas dans le secret des dieux… Va-t-on en rester longtemps à cette coupure quasi napoléonienne entre l’ingénieur (d’autant que les ingénieurs des Ponts et Chaussées hier en charge des territoires n’ont pas renoncé à leur pouvoir ancien et que leur travail à la tête des opérations d’intérêt national mérite l’attention) et l’artiste (l’architecture comme l’un des beaux-arts) ? Certes, elle correspond sûrement au mental français qui aime opposer l’Art et la Science pour mieux les conciler après coup. Mais qui peut croire que l’architecte, l’ingénieur et l’aménageur peuvent ne pas se concerter ? Et surtout qui peut imaginer après Alberti et son Traité sur l’architecture (1452) que le bel objet architectural (ce qu’on appelle depuis Duchamp la « machine célibataire ») peut être sorti de son contexte et que l’artiste n’est pas aussi un homme de science qui connaît son béton, son métal, ses verres, ses lumières, sa nature… ? Quant à la profession de paysagiste qui occupe aujourd’hui une place prépondérante (Michel Corajoud, Alexandre Chemetoff…) car il faut réimaginer des espaces publics, aménager des berges, valoriser des friches industrielles, ferroviaires, portuaires et résidentielles… il faut rappeler à son propos que le paysage a longtemps été considéré en France comme un jardin (le jardin écologique du paysan d’hier mais aussi le jardin royal à la française, celui de Versailles). Plus concrètement l’École nationale du paysage de Versailles a longtemps dépendu du seul ministère de l’Agriculture avant d’avoir quatre tutelles (pas une de moins !) : équipement et environnement (réunis dans le nouveau ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire), enseignement, culture, agriculture. Pour comparaison dans le code de l’urbanisme suisse le paysagiste doit intervenir à côté de l’architecte dès qu’il faut mettre en chantier un espace public. En France, les frontières institutionnelles ont du mal à bouger et les tutelles politiques sont lourdes à gérer. Mais laissons aux professionnels le soin d’animer des débats qui sont trop rares et encore bien légers pour remarquer que la majorité des architectes français retenus (trois d’entre eux ont été lauréats du Grand prix national d’urbanisme) sont ceux-là mêmes qui ont essayé de sortir l’architecture de l’ornière des beaux-arts, de 82