La croisade populaire
Copyright © Clio Texte 3/3
boire le sang ; d’autres lançaient des ceintures et des chiffons dans les latrines et en exprimaient le
liquide dans leurs bouches ; quelques-uns urinaient dans la main d’un compagnon et buvaient
ensuite ; d’autres creusaient le sol humide, se couchaient et répandaient de la terre sur leur
poitrine, tant était grande l’ardeur de leur soif. Les évêques et les prêtres réconfortaient les nôtres
et les exhortaient à tenir ferme. Cette tribulation dura huit jours, puis le chef des Allemands
conclut un accord avec les Turcs pour leur livrer ses compagnons : feignant de sortir pour
combattre, il s’enfuit auprès d’eux et beaucoup le suivirent. Tous ceux qui refusèrent de renier le
Seigneur furent condamnés à mort ; d’autres pris vivants furent partagés comme des brebis ;
d’autres servirent de cible aux Turcs qui lançaient des flèches sur eux ; d’autres étaient vendus ou
donnés comme des animaux. Les uns conduisaient leur prise dans leur demeure, d’autres dans le
Khorassan, à Antioche, à Alep, partout où ils habitaient. Tels furent ceux qui reçurent les premiers
un heureux martyre au nom du Seigneur Jésus. Les Turcs, apprenant ensuite que Pierre l’Ermite et
Gautier sans Avoir se trouvaient à Civitot, située au delà de Nicée, s’y dirigèrent, pleins
d’allégresse, afin de les massacrer ainsi que leurs compagnons. Pendant leur marche ils se
heurtèrent à Gautier avec les siens, qu’ils eurent bientôt massacrés. Quant à Pierre l’Ermite, il
venait de retourner à Constantinople, incapable de discipliner cette troupe disparate, qui ne voulait
entendre ni lui ni ses paroles. Les Turcs, se précipitant sur eux, en tuèrent un grand nombre. Ils
trouvèrent les uns en train de dormir, les autres tout nus et les massacrèrent tous. Un prêtre qui
célébrait la messe reçut d’eux le martyre sur l’autel. Ceux qui purent s’échapper s’enfuirent à
Civitot.
Quelques-uns se précipitaient dans la mer, d’autres se cachaient dans les forêts et dans les
montagnes. Mais les Turcs les poursuivirent dans la place et entassèrent du bois pour les brûler
avec la ville. Mais les chrétiens qui occupaient la ville mirent le feu au tas de bois ; la flamme se
dirigea vers les Turcs et en brûla un certain nombre, tandis que Dieu préserva les nôtres de cet
incendie. À la fin les Turcs les prirent vivants, les partagèrent, comme ils avaient fait des premiers,
et les dispersèrent dans toutes les régions, les uns en Khorassan, les autres en Perse. Tous ces
événements eurent lieu au mois d’octobre. À la nouvelle que les Turcs avaient ainsi dispersé les
nôtres, l’empereur témoigna une grande joie et donna des ordres pour leur faire traverser le Bras.
Le passage terminé, il rassembla toutes leurs armes."
Traduction prise dans Anonyme, éd. et trad. par Louis Bréhier, Histoire anonyme de la première
croisade, Paris, Éditions « Les Belles Lettres « , 1964 (1924), pp. 7-13
Les Turcs massacrant les
pèlerins à Civitot en 1096 (XVe
siècle)