Texte de Martin Bellemare Auteur (Tuer le moustique/Le Bilboquet ou la Folie racontée aux enfants/Un Château sur le dos) « Qu’est-ce qui brûle en moi, en tant que créateur jeune public? » Le fait d’avoir été enfant et de plus l’être (au moins en âge) Ça Ça brûle en moi Le temps qui passe Je fais douze heures par semaine dans un service de garde Dans une école primaire Avec des enfants Et honnêtement Je pense que j’ai sûrement plus besoin d’eux Que eux ont besoin de moi J’ai une anecdote Je m’occupais d’un groupe de deuxième année Je les attendais à l’extérieur de leur classe Assis sur une petite chaise Devant un petit pupitre Quand ils sont sortis Ils étaient au dessus de moi Et ils m’ont dit T’as des cheveux blancs J’ai dit Je sais Ils m’ont dit Est-ce qu’on peut en arracher un J’ai dit S’il est blanc vous pouvez Ils l’ont fait Pis je trouvais que c’était une belle image ça Que les enfants m’arrachent des cheveux blancs Je vois pas de raison pour que moi Comme auteur Je leur en provoque prématurément (des cheveux blancs) Mais je veux quand même leur parler du monde Qu’est-ce qui brûle en moi comme créateur jeune public? L’étonnement des enfants Leur capacité d’aborder tous les sujets Comme auteur Quand je me demande ce que je peux leur amener Je me dis Que le temps du théâtre est un temps différent Et pour ça Je trouve qu’il est valable et précieux Parce qu’il montre autre chose Que le temps quotidien Quand je me demande ce que je peux leur amener Ce qui me brûle de leur amener Je me dis Comme pour les adultes Un spectacle c’est une rencontre Pour s’étonner Pour ressentir Pour voir différent Pour réfléchir Je veux pas que les enfants soient naïfs Je veux pas que Plus tard Ils se rendent compte Comme il me semble que je l’ai fait Qu’ils se rendent compte Qu’ils se sont faits avoir Avec des valeurs qu’on véhicule Et qui sont souvent différentes Dans les histoires Et dans la réalité Alors qu’est-ce que je peux leur amener? Je peux leur amener ce que peut amener le théâtre Une brèche Une porte Une possibilité D’étonnement d’émotion de réflexion En leur exposant des univers Qui pourraient les amener (je l’espère toujours) À se faire leur propre idée Sur le monde Sur ce qu’ils veulent être La franchise dont ils font preuve Je veux leur dire qu’elle peut rester quand ils vont vieillir Je veux leur parler de la complexité de la vie De sa diversité Je veux leur parler Des possibilités innombrables qu’elle contient De ses limites incompréhensibles Je veux leur parler de l’imaginaire sans limite Je veux partager un temps avec eux Un temps « LIVE » Un temps humain Cette particularité du théâtre qui fait que le spectacle est Le partage d’un moment entre les acteurs et les spectateurs Cette particularité dans le fait qu’on existe en même temps Qu’est-ce qui brûle en moi? Le temps qui passe C’est ça qui brûle en moi Comme créateur jeune public Comme auteur Comme être humain Merci Texte de Mélanie Brisebois Responsable de la programmation jeunesse (série Théâtre-Enfance-Jeunesse) Corporation de développement culturel de Trois-Rivières Nous sommes diffuseurs. Nous sommes diffuseurs pluridisciplinaires et nous possédons 5 salles de spectacle. Nous offrons des spectacles de toutes sortes pour différentes clientèles. En 1997, il y a maintenant près de 15 ans, nous avons convenu que le jeune public serait également un public à part entière qui mérite une programmation à sa hauteur. Nous avons choisi de présenter du théâtre de création. Pourquoi ? Parce que L’Arbre-Muse, des créateurs de chez nous, nous proposait cette avenue différente et créative. Pourquoi avons-nous continué ? Une unique raison : le public. Un public doté d’une grande intelligence, débordant d’imagination et empreint d’une grande sensibilité. C’est pourquoi chaque pièce de théâtre présentée possède un texte riche, une présentation artistique ingénieuse et un propos inspirant. Chaque spectacle est différent. L’un peut faire rire, l’autre bouleverser, le suivant questionner… une chose est certaine, c’est que ceux-ci ne laissent personne indifférent. Le théâtre est un art vivant, qui évolue avec son public, ce qui fait que chaque représentation est unique. Nous souhaitons faire vivre une expérience enrichissante à tous les enfants et leurs parents. ********** J’en ai marre ! J’en ai marre que l’on perçoive la diffusion jeune public comme un investissement à long terme ! Oui, c’est vrai ! Un enfant qui va au théâtre ira probablement au théâtre lorsqu’il sera adulte. Mais en attendant, ici et maintenant, il y a un être humain qui évolue. Qui a besoin qu’on lui parle ! Pour y arriver, une seule avenue est possible. Une direction artistique. Sans prétention. Juste une envie de communiquer avec ce spectateur qui a tout pour comprendre et ressentir. Texte de Jasmine Dubé Auteure et directrice artistique Théâtre Bouches Décousues Qu’est-ce qui brûle en vous, en tant que créateur jeune public? Jeanne-d’arc et Don Quichotte. Au four et au moulin. Je suis née sous un signe de feu. Il a suffi d’une étincelle pour que je m’enflamme. J’étais tout à la fois au four et au moulin. Jeanne-d’arc et Don Quichotte. J’ai brûlé et je brûle toujours pour la reconnaissance du théâtre jeune public. Je rage du peu de respect qu’on accorde aux enfants. J’ébouillante les tabous. Je tisonne l’inégalité entre les adultes et les enfants. Je fais feu de tout bois. En moi, il y a toujours une Pierrette Pan qui mijote. Je l’ai inventée cette ministre de l’enfance et des produits dérivés pour montrer par l’absurde, la minuscule place qu’on accorde aux enfants et à ceux qui travaillent avec eux dans notre société. Je suis issue d’une région et je sais l’effet que peut avoir sur une enfant un spectacle de théâtre. Je n’oublie pas mes origines. Au même titre que les adultes, j’aimerais que tous les enfants aient accès au théâtre. Qu’on cesse de penser à eux comme à un sous-public, un pas-encore public. Que n’a-t-on pas dit du théâtre pour enfants et de la recette à suivre pour s’adresser à eux? Recette tiède et sucrée, anémique et comique, réductrice et pédagogique... Il faut la réduire en cendres cette recette, la faire cramer, la flamber, la roussir, la griller, la rôtir, l’incendier, la calciner, l’incinérer, la carboniser. Ce qui brûle en moi, c’est toujours le désir de m’aventurer sur des sentiers non fréquentés. De brûler les planches. De jouer. Écrire. D’être dans le feu de l’action et de continuer à explorer ce que je ne connais pas encore. Je suis toujours tout feu tout flamme pour la création. Ma compagnie a 25 ans. Nous avons été si longtemps ¨une compagnie de la relève¨. Sans feu ni lieu. Nous avons connu les sous-sols, les demandes de sub sur le coin de la table de la cuisine, les années à travailler d’arrache-pied en se demandant si on devait continuer ou arrêter ça là, ce feu roulant. Nous avons traversé ces épreuves, ruminant, maugréant, et puis… maintenant nous voici cinquantenaires et nous avons encore le feu au derrière. Mais ce qu’il y a de bien avec le feu c’est qu’on peut le partager. On peut aussi l’éteindre, ce qu’on ne veut pas. Mon feu à moi. Je le veux rassembleur. Aujourd’hui, ce qui brûle en moi, c’est la transmission, le passage du flambeau, la suite du monde. Je vois des feux qui se multiplient dans la montagne et ça me rassure….et me questionne tout à la fois. Et si je trouve formidable de voir ces jeunes artistes qui ont le feu sacré et qui forment leur compagnie, je m’inquiète aussi du nombre de structures ainsi créées parce que je sais ce que ça implique comme paperasse et l’artistique est souvent relégué au 3e rang dans l’histoire. Plusieurs s’épuisent et ne font pas long feu. Feux de paille. D’autres persistent sans brûler d’étape. D’autres encore crient Au feu!, brûlent la chandelle par les deux bouts et s’éteignent à petit feu parce qu’ils sont brûlés. Et pourtant, ils ont droit au feu vert, eux aussi, même si les budgets de la culture sont dans le rouge! Le défi n’est pas de tout recommencer à zéro mais de continuer sans réinventer la poudre. Pourquoi refaire ce que d’autres ont déjà réalisé? Comment poursuivre ce que ma génération a accompli? Là est le véritable défi. Comment marcher sur ces traces en se réinventant, en laissant d’autres traces? Pour toutes ces raisons, nous voulons que le Théâtre Bouches décousues nous survive. Que nos outils servent à d’autres. J’ai un vieux fond M.L. que je ne renie pas. Jeanne d’arc m’inspire toujours. Et Don Quichotte aussi. J’ai à cœur la langue française. Le partage de la richesse. Le bien commun. L’équité. L’écologie. Et ce sont souvent les enfants qui m’inspirent par leur sens de la justice et leur capacité à voir que l’empereur est nu quand tout autour de nous, tant de cachoteries, de jeux de coulisses nous laissent croire qu’il a revêtu ses plus beaux atours et qu’il a les choses bien en main. Je me prends à espérer que tout comme Icare, il se brûle les ailes à vouloir trop s’approcher du pouvoir. J’ai honte parfois de voir ce que nous proposons comme société protectionniste et conservatrice où les pauvres sont désespérément pauvres et les riches scandaleusement riches, où on se consume par ce qu’on consomme. Est-ce qu’un jour on investira davantage du côté des enfants que du bitumineux? Est-ce qu’un jour les profits des banques profiteront aux plus petits? Verrons-nous, un jour, un plafond au salaire maximum? Est-ce que le plancher du salaire minimum atteindra au moins le rez-dechaussée? Ce n’est pas pour demain : j’en mets ma main au feu. Mais on peut bien rêver… Rêver aussi qu’un jour on cesse de considérer les artistes comme des citoyens de second ordre, des parasites, des têtes brûlées. Je revendique le droit de réfléchir à ma société et d’en faire partie au même titre qu’un politicien, un épicier ou un médecin. Je ne vis pas en dehors de la réalité. Mon urgence est d’aller à l’encontre de la morosité et du cynisme. Je veux brûler la langue de bois. Partager mes doutes, mes idées, mes folies. Mêler les générations. Inviter de jeunes artistes, et plus particulièrement les auteurs, à allumer les étincelles au fond des yeux, à mettre le feu aux poudres. Je suis une gardienne du feu et je sais qu’il ne s’agira que d’un coup de vent pour alimenter la braise et qu’elle se transforme en brasier. 30 ans plus tard, j’ai toujours des questions et des doutes : À brûle-pourpoint et sans vouloir jeter d’huile sur le feu, je pose ces questions brûlantes : pourquoi est-ce moins important de s’adresser aux enfants qu’aux adultes? Pourquoi les artistes qui travaillent pour les enfants sont moins reconnus que ceux qui travaillent pour les adultes? Pourquoi c’est pas cher quand c’est pour les enfants? Pourquoi le prix d’un spectacle destiné aux adultes est-il 5 fois, 6 fois, 7 fois plus cher qu’un spectacle destiné au jeune public? Le public de demain que je rejoignais il y a 30 ans est-il devenu un public aujourd’hui et les publics que je rejoins aujourd’hui, seront-ils encore des publics demain? L’artiste que j’étais hier et celle je suis aujourd’hui, deviendrat-elle une vieille créatrice de demain? Qu’avons nous semé? Que sèmerons-nous encore? Soufflerons-nous encore sur le feu? Prendrons-nous feu? Pèterons-nous le feu? Ouvrirons-nous le feu? Moi, je dis qu’il y a le feu au lac. Je suis une pyrowoman et je brûle de l’urgence de garder l’espoir malgré un monde qui est souvent désespérant. J’ai écrit Petit monstre en 1992, et je brûle d’entendre, demain, en cette veille de la Journée internationale des enfants.(dim. 20 nov.). Monstre de Pascal… Brullemans. *** Texte d’Alain Grégoire Directeur général La Maison Théâtre Je brûle pour! En quarante ans, théâtre pour enfants est devenu graduellement théâtre pour jeune public ; puis le pour est disparu dans l’expression théâtre jeune public, et enfin, subrepticement, est apparue l’expression théâtre tout public. Nous ne sommes pas loin de ce que Suzanne Lebeau a déjà qualifié de consensus mou : le théâtre pour tous. Et quand nous parlons de grand public, voulons-nous dire qu’il est petit ? Pendant ce temps, le théâtre qui visait les adultes n’avait pas besoin de préposition ni d’adverbe pour se situer : il s’agit évidemment de théâtre, tout simplement. C’est la notoriété de l’auteur ou de la compagnie et le genre de la salle qui indiquent à l’amateur si c’est pour lui. Il se fait du théâtre pour adultes et du théâtre pour enfants. Depuis une quarantaine d’années, il se fait du bon et du moins bon théâtre pour adultes et pour enfants. Par bon, j’entends notamment des spectacles faits par des artistes soucieux d’exigences artistiques et de renouvellement des formes. Peu d’adultes influents, c’est-à-dire possédant des postes clefs au sein de la profession ou des médias, voient du théâtre pour enfants. L’expression, tout public, est un euphémisme qui peut peut-être expliquer en partie le peu de valeur qu’on accorde au théâtre conçu pour ou présenté à de jeunes publics. En effet, ce n’est pas en occultant une pratique qu’on lui donnera une reconnaissance. Et, c’est bien connu, un bon spectacle de théâtre qui s’adresse aux enfants ou aux adolescents touche toujours l’adulte qui accompagne ou qui vient pour son propre plaisir. Il y a une quarantaine d’années, plusieurs artistes adultes décident de consacrer leur talent et leur travail aux enfants et aux adolescents. Ils proviennent surtout de la discipline théâtre. Ils veulent que le plus grand nombre puisse y avoir accès. Poursuivant cet objectif d’accès égalitaire, ils passent par les écoles pour la diffusion de leurs créations. Puis, graduellement, cet objectif de démocratisation peut continuer dans des salles de théâtre comparables à celles que l’on consent aux adultes. Les écoliers se libèrent peu à peu de l’enceinte des gymnases et prennent le chemin des salles de théâtre. Les familles commencent dès lors à fréquenter également ces propositions théâtrales. Mais pendant toute cette évolution, le système économique qui caractérise le théâtre pour enfants devient un goulot d’étranglement: son sous-financement mine son développement. C’est ce qui est inquiétant : le peu de valeur économique du théâtre pour même déguisé parfois en théâtre tout public. Combien sommes-nous prêts collectivement, à débourser pour soutenir cette pratique ? Un observateur assidu du théâtre pour jeune public peut témoigner d’expériences artistiques et esthétiques d’un haut niveau qui se sont raffinées et diversifiées depuis quarante ans. On a reculé sans cesse les tabous et tenté souvent avec succès de débusquer l’autocensure (celle des artistes ou des adultes qui choisissaient pour les mineurs) qui sévissait. Nous pouvons aussi, dépendant de la position que nous occupons, reconnaître une certaine valeur pédagogique à cette activité. Ou encore, on peut s’intéresser à cette chaîne de création-production-diffusion spécifique dans la mesure où elle remplira les soirs des salles de théâtre (pour adultes...) : la valeur du fameux public de demain. Par ailleurs, les «carnets de commande» de plusieurs compagnies d’ici qui tournent littéralement autour de la planète, cette reconnaissance internationale, devraient être un gage incontestable d’une grande valeur. Enfin, plusieurs spectateurs adultes qui fréquentent le théâtre pour enfants et adolescents considèrent que la durée de la plupart des spectacles pour enfants et adolescents, une heure en moyenne, a une valeur en soi... Néanmoins, le pour dérange, dévalorise l’acte théâtral à destination des mineurs. Plusieurs artistes sont réfractaires à l’emploi du petit mot, voire résolument contre comme feu Jean-Pierre Ronfard. On peut les comprendre si l’on considère la carrière, notamment lucrative sur les plans des finances et du prestige, qu’ils veulent embrasser : plusieurs portes se fermeront si le passage du théâtre pour enfants au théâtre tout public ne se fait pas. Par exemple, des auteurs vivants, doués et inspirés fuient comme la peste ce pour, de peur d’être catalogués à jamais — malgré que certains de leurs textes s’adressent à un public jeune. Ça n’aide pas à ce qu’on accorde plus de valeur au genre. Ce pour supposerait l’existence de mécanismes réducteurs qui s’exerceraient de l’écriture au jeu. Pourtant les enfants s’avèrent souvent plus ouverts que les adultes à des propositions innovantes : un grand nombre des œuvres qui sont créées à leur intention le démontrent. On demeure souvent embarrassé devant une pratique qui affirme s’adresser aux enfants. C’est là que je soupçonne la pensée magique de jouer un rôle important chez ceux qui utilisent l’expression « tout public ». C’est une responsabilité que de s’adresser à des mineurs, notamment quant à la présence d’espoir. C’est peut-être une explication du mépris que peuvent éprouver certains artistes envers le théâtre pour enfants. Ils prétendent ne pas pouvoir créer avec des contraintes, que la liberté totale est la seule voie. L’artiste face aux contraintes peut avoir deux attitudes : les fuir à tout prix et prétexter qu’il a trouvé un terrain d’exercice où elles n’existent pas — ou les considérer comme stimulantes. Pourtant, un spectacle est obligatoirement pour un public, que ce soit l’artiste, le programmateur, la réputation ou le « bouche à oreille » qui le détermine. Chaque lieu théâtral, chaque lieu culturel, chaque journal, chaque magazine a son public. La diffusion doublement spécialisée (dans une discipline, le théâtre et pour un public, les mineurs), comme elle est pratiquée depuis une trentaine d’années au Québec, au risque parfois d’une exclusion du milieu artistique dominant, permet non seulement de rendre compte de façon continue des voies multiples de la dramaturgie pour ces publics mais contribue aussi à assurer la pérennité du genre. Les diffuseurs pluridisciplinaires ne sont pas nombreux au Québec à offrir à leur communauté du théâtre pour enfants : ce n’est ni payant ni simple. Mais il y a des irréductibles. Et ça se transmet. Il faut continuer à brûler d’espoir! ********** Très tôt en sortant de l’école de théâtre, je me suis mis littéralement dans la peau de Cléo l’écureuil plus de deux cent cinquante fois. Les milliers d’enfants rencontrés alors m’ont rentré dedans. J’ai découvert un état humain que j’avais besoin de fréquenter. Puis assez rapidement, j’ai joint pendant longtemps une compagnie qui tournait déjà beaucoup pour enfants et surtout qui prenait (et continue d’ailleurs à le faire) les enfants très au sérieux, trop au goût de certains d’ailleurs. J’ai alors, en plus de jouer, comme les enfants, mis en scène et codirigé cette compagnie pour enfants. Ensuite, je me suis dirigé vers la programmation pour les petits après avoir été voir chez les grands comment ils y s’y prenaient pour arbitrer et gérer. J’ai fini par accéder à mon saint des saints, un rêve d’enfant!, et j’y suis encore. Au fond la vie est simple : on reconnaît la cause qui habite en nous et on y consacre toute sa vie. Moi, ce sont les enfants, la période de l’enfance. Ça ne m’a pas empêché de grandir, d’avoir des enfants et même des petits-enfants. Mais la flamme est là : cette période déterminante où tout se joue mérite qu’on y accorde le meilleur de nous. Je n’ai pas de mérite à consacrer mon travail aux enfants : ça prend réellement un village pour les aider à grandir, surtout dans une société qui utilise la formule épeurante de cellule familiale. L’essentiel de ma vie professionnelle a été consacrée à cet objectif : que les enfants aient accès à ma passion, le théâtre, qu’ils aient le droit de tomber aussi, s’ils le désirent, sous son empire. Et puis, c’est facile d’être du côté des plus faibles, ceux qui sont plus vulnérables, qui ne maîtrisent pas encore les codes sociaux, qui ne votent pas. Je continue à être émerveillé et touché par un regard vivant d’un enfant, déstabilisé par un pleur. Qui a dit que ça prenait beaucoup d’efforts pour ne pas mourir adulte? J’y travaille fort! Mais je tiens à la vie, et, même si ça chauffe en titi, je ne m’immolerai quand même pas pour ça... Longue vie au théâtre pour enfants! Longue vie au théâtre pour adolescents! Un amoureux du pour Alain Grégoire Texte de Louis-Dominique Lavigne Auteur et codirecteur artistique Le Théâtre de Quartier VIVE LE THÉÂTRE JEUNE PUBLIC! J’ai commencé à faire sérieusement du théâtre pour les jeunes publics un peu par hasard. Lorsque j’étudiais au Conservatoire d’art dramatique de Montréal, je voulais orienter mon métier dans le Théâtre de création, engagé socialement. Après avoir assisté, dans les années 70, au spectacle C’est tellement cute des enfants de Marie-Francine Hébert, mis en scène par Monique Rioux, à l’Université du Québec à Montréal, je me suis aperçu à quel point le théâtre pour enfants pouvait participer au développement d’un théâtre progressiste et émancipateur. Un théâtre plus libre et imaginatif que celui qui s’adresse aux adultes. J’ai été très marqué par les expériences radicales du Théâtre de la Marmaille, qui, à l’époque, contestait le Théâtre pour enfants cul-cul fleur bleue, à l’imaginaire de pacotille que nous offrait la culture dominante des années 60. Le Théâtre de la Marmaille proposait une nouvelle voie au théâtre jeune public qui me stimulait. À la fin des années 70, après un important passage au Théâtre Parminou dont j’étais un des co-fondateurs, je me suis joint au Théâtre de Quartier, fondé par des gens de ma promotion du Conservatoire, qui, à ce moment-là, pratiquaient un théâtre d’intervention sociale dans les quartiers de Montréal. Au Théâtre de Quartier, le choix du travail pour les jeunes publics est né de notre volonté de pratiquer un théâtre populaire et intervenant. Nous voulions rencontrer de nouveaux publics. Nous voulions changer le monde par notre théâtre. Nous nous sommes dits : commençons par les enfants. À notre grande surprise, nous n’avons pas changé les enfants, ce sont les enfants qui nous ont changés. Ce sont eux qui nous ont conduits vers ce théâtre que nous pratiquons depuis. Un théâtre réaliste, poétique et ludique, avec des thèmes qui concernent directement la vie quotidienne des enfants. Tout le monde nous disait que nos spectacles pour les jeunes publics étaient beaucoup plus inspirés et inspirants que nos spectacles pour les adultes. Les gens avaient raison. Notre recherche auprès des enfants était passionnante. Nous nous y sentions plus libres. Nous avions l’impression d’y trouver notre style. C’est donc avec le Théâtre de Quartier que le Théâtre pour les jeunes publics s’est mis à me passionner plus que tous les autres théâtres. Tous les jeunes publics se sont mis à m’intéresser. Des tout petits jusqu’aux adolescents. J’ai travaillé avec tous ces publics en tant qu’auteur, metteur en scène et comédien. En plus de poursuivre ma recherche avec le Théâtre de Quartier, j’ai travaillé et je travaille encore avec plusieurs compagnies. Le Théâtre de la Marmaille, le Théâtre de Carton, Le Théâtre de l’Avant Pays, le Théâtre PÀP, le Théâtre le Clou, le Théâtre Bouche Décousue, le Théâtre de la Vieille 17, le Théâtre de Galafronie et le Théâtre de la Casquette de Belgique, le Théâtre du Tilleul de Bruxelles, le Théâtre de l’Escaouette de Moncton, le Théâtre populaire d’Acadie et le Théâtre Ébouriffé. Mais c’est au Théâtre de Quartier que je poursuis ma recherche la plus personnelle puisqu’elle est la compagnie dont je suis le co-directeur artistique avec Lise Gionet et Jean-Guy Leduc. Depuis plus de trente ans le théâtre pour les jeunes publics a évolué. Et je crois que le Théâtre de Quartier a évolué avec lui. Tout au long de ma vie professionnelle, plusieurs personnalités avec qui j’ai travaillé m’auront influencé par leur esprit novateur. Monique Rioux, qui est à mon avis, la principale pionnière du renouveau du Théâtre jeune public québécois. Lise Gionet, qui, issue des débuts de la Marmaille a su donner au Théâtre de Quartier son style bien à lui. Joël Da Silva, qui, avec sa Nuit Blanche de Barbe bleue dont j’ai fait la mise en scène, par l’expression de cet imaginaire inclassable qui lui est propre, est venu bousculer notre pratique du théâtre réaliste. Wolfgang Kolneder, qui, artisan du Grips Théâtre de Berlin, en venant mettre en scène chez nous Max et Milli de Volker Ludwig, a su influencer nos méthodes de mise en scène. Jean Debefve, qui, en nous insufflant ce surréalisme belge du Théâtre de Galafronie, nous a appris à nous méfier du théâtre trop clean et nous a rappelé qu’on peut faire du Théâtre à la Tadeuze Kantor aussi et surtout en théâtre pour les jeunes publics. Où en suis-je en ce moment? Mes enseignements en écriture dramatique pour la jeunesse, à l’École nationale de théâtre et mes fréquents ateliers d’écriture en Belgique, m’auront permis d’interroger la pratique de cet art spécifique, et d’en établir certains constats. Le théâtre pour les jeunes publics a une histoire mal connue. Si bien que j’ai parfois l’impression qu’elle se répète. En d’autres mots il m’arrive d’assister en des lieux professionnels fort respectables à des spectacles aussi « insignifiants » et « stéréotypés » que ceux que nous contestions dans les années 70. Pendant plusieurs années, le théâtre jeune public tournait d’une manière sauvage en différents réseaux improvisés, au gré des gymnases d’école, des salles paroissiales, des parcs publics, des bibliothèques, des centres communautaires. Les compagnies y diffusaient leurs audaces artistiques. L’imagination était partout. Autant dans les spectacles que dans la manière de les faire circuler. Depuis, des réseaux de diffusion se sont organisés. Les tournées sont plus confortables. Les conditions de travail sont meilleures pour les artisans de la scène. Tant mieux. Par contre, les diffuseurs ont pris un pouvoir démesuré. Si bien qu’un spectacle, le moindrement hors norme peut facilement ne pas être diffusé. De plus en plus nous assistons à une sorte de spectacle d’un conformisme souvent navrant et que j’appelle « spectacle pour les diffuseurs ». Certains spectacles pour enfants qui, sans doute sous prétexte de vouloir combattre l’infantilisation dans les dramaturgies, finissent par s’adresser plus aux adultes qu’aux enfants. De ce point de vue je n’approuve pas cette catégorie très populaire en Europe de « Théâtre tout public », où tout le monde, à force de ne pas être directement interpelé, finit par s’ennuyer. De ce point de vue, la fameuse phrase de Peter Brook est valable pour le théâtre qui s’adressent aux jeunes auditoires. En théâtre jeune public aussi, « Le diable c’est l’ennui… » Cependant d’autres aspects me réjouissent. Et c’est là que le théâtre pour les jeunes publics m’apparait si vigoureux et prometteur. Certains metteurs en scène, à cause d’une plus grande liberté, expriment, dans le théâtre pour les jeunes publics, le meilleur de leur recherche. Plusieurs auteurs de théâtre s’intéressent à l’écriture pour les jeunes publics. Certains y trouvent une voix singulière qui se démarque dans le paysage de notre dramaturgie toute catégorie confondue. Si le théâtre pour les jeunes publics, malgré mes réserves, m’apparait plus en santé que jamais, avec des acquis organisationnels imposants, des expériences dramaturgiques remarquables, je rêve qu’il demeure ce que j’ai toujours aimé en lui. Un lieu d’interrogation sociale, de recherche esthétique, de contenus mobilisants, d’audace théâtrale et de créativité sans concession. Je rêve que ce théâtre, sans jamais faire de compromis artistique, continue de s’adresser d’abord et avant tout à ce public qui l’a toujours inspiré : le jeune public. Vive le théâtre jeune public! Louis-Dominique Lavigne Texte de David Paquet Auteur « Qu’est-ce qui brûle en vous, en tant que créateur jeune public ? » Ce qui brûle, brûle. Que ce soit en création jeune public ou en création tout public, le feu reste le même. Faire une distinction serait prétendre à une différence. Il n’y en a pas. Les enfants sont les adultes de demain, les adultes sont les enfants d’hier : ensemble, tout deux forment le public d’aujourd’hui. Ce qui brûle en moi, c’est le pouvoir de la fiction. Je ne connais aucun espace de liberté plus grand. J’ai besoin de ce refuge, de ce monde où tout est possible. Sans la fiction, le réel m’échappe. Je choisis de ne pas questionner cet enthousiasme. Imaginer une femme se dévêtir en criant « La vraie femme à barbe, c’est moi ! La vraie femme à barbe, c’est moi ! » me rend heureux. De ça, je ne doute pas. De tout le reste peut-être, mais pas de ça. La fiction m’enivre. Je m’y saoule. Et plus je bois, plus je brûle. * J’écris aussi pour plaire au public. Je sais : je suis vilain. Mais j’ai toujours porté un profond respect aux gens qui me considèrent. Le public s’est déplacé. Il est venu jusqu’à moi. Tout naturel, alors, d’aller jusqu’à lui. Le public est un invité. Il doit repartir en ayant été reçu. Plaire, ce n’est pas niveler l’art vers le bas. C’est être assez lucide pour savoir que personne n’écoute quelqu’un qui les emmerde. En occupant l’espace collectif, je cherche à communiquer. Sans le public, cet échange est impossible. Sans lui, pas de moi. Qu’on me nomme auteur populiste, populaire m’importe peu. Je respecte trop les gens –tous les gens– pour y voir une insulte. * On parle souvent de crises politiques. De crises économiques. Selon moi, une autre crise sévit, d’autant plus dangereuse qu’elle n’est jamais nommée : la crise poétique. Quand réussir devient plus important que ressentir, quand le cynisme empêche la beauté, quand les lois du marché piétinent les vertus de l’imagination, il est grand temps, chers amis, de reconnaître qu’il y a crise. Cela ramène au pouvoir de la fiction. Et à l’importance du public. Multiplier un avec l’autre, c’est se donner à boire en période de sécheresse poétique. C’est réapprendre à envisager le monde comme une société des possibles et non de l’étouffement. Simpliste ? Probablement. Ou pas. Je ne sais pas. C’est que, souvenons-nous, je n’ai qu’une seule certitude : « La vraie femme à barbe, c’est moi ! La vraie femme à barbe, c’est moi ! » David Paquet Octobre 2011 Texte d’Annabelle Sergent Auteure « Qu’est-ce qui brûle en vous, en tant que créateur jeune public? » Créer pour et en direction du jeune public, dans mon parcours actuel de créatrice, signifie plusieurs choses : d’abord je me permets une liberté esthétique plus large que si je créais uniquement en directement des adultes. C’est le cœur même de l’enfance : tout est possible, surtout l’impossible. Les frontières de l’improbable, du merveilleux sont des autoroutes d’imaginaires pour les enfants, pourvu qu’il ya ait du sens symbolique, un propos profond… sur la forme : fantaisie, improbable, frottement d’univers imaginaires, une liberté de création s’ouvre pour moi. Ensuite, dans ces temps moroses, de lourdeurs intellectuelles et de manque d’utopie, créer pour le jeune public et les adultes qui les accompagnent, c’est me relier directement avec la part d’enfance qui habite chacun. Je ne crée pas pour le jeune public, je crée pour les familles. En ce sens, mes textes sont à lire à plusieurs niveaux, chacun pouvant prendre ce qui résonne chez lui… ne laisser ni les enfants ni les adultes sur le carreau, sur le bord de la scène et embarquer tout ce beau monde dans mon récit, dans mon spectacle, telle est mon défi. Parler aux petites et grandes oreilles, et sentir la pulsation collective autour d’une œuvre artistique, c’est pour moi le sens de monter sur scène. Les enfants ont cette capacité d’ouverture à se laisser embarquer –évidemment mieux vaut ne pas les prendre pour des nunuches sinon la sanction est immédiate! – une connivence une envie de partager toute fraiche… c’est ça qui me fait écrire et jouer devant le jeune public en ce moment et depuis plusieurs années. Et puis, les jeunes requestionnent les formes du spectacle : nouveaux spectateurs, ils ont quelques idées sur ce que devrait-pourrait être une forme théâtrales, sans en avoir le code. A ce titre, ils sont à la fois vierge de référence et en même temps miroir sur les formes théâtrales montrées. Et me font donc avancer questionner réinterroger mes créations. Voilà en quelques mots pourquoi je me plonge avec délice dans les spectacles jeune-tout public… Annabelle Sergent 26 octobre 2011. Texte de Karin Serres Auteure AU FEU ! C’EST COMMENT QU’ON VA OU ? Qu’est-ce qui brûle en vous, en tant que créateur jeune public ? Le plaisir, la colère et l’urgence Ce qui brûle en moi, c’est l’intense plaisir de la fiction, ce monde étrange, chaleureux et puissant qui se nourrit du quotidien que je traverse pour faire naître d’autres mondes cousins, reliés, échos, reflets déformés, qui se recréent sans cesse. Ce qui brûle aussi, c’est la force des mots, inépuisable, la joie de nager à l’instinct dans leur flot, leur puissance encore accrue sur scène, et leur goût, leur image, leur résonnance, leur rythme, leur sens multiple, leur façon de se faire attendre puis de surgir pour battre et danser jusqu’à ce qu’ils trouvent leur place. Ce qui brûle, c’est tous ces personnages aux corps incandescents qui arrivent soudain dans ma tête, s’y installent le temps que je les écoute puis disparaissent pour laisser la place aux suivants, ne laissant derrière eux qu’une odeur particulière, une ombre ou quelques miettes. Ce qui brûle, aussi, c’est la colère. Colère de voir la fiction amenée sciemment à disparaître de nos vies et de nos pensées, entraînant avec elle l’idée de modifier la réalité, de réécrire le quotidien, de conjuguer au futur, de multiplier les possibles, d’éviter les boulevards, d’inventer de nouveaux buts et chemins. Sans fiction, plus de rébellion. Sans fiction, plus tant de goût au réel, non plus. Ce qui brûle, depuis quelque temps, c’est l’urgence de mettre nos pieds dans les portes du théâtre vivant pour les empêcher de se refermer au nez des jeunes, des enfants, du public non familier qui n’ose pas entrer. Et l’urgence, toujours, d’embrasser ce public dans une vaste foule de spectateurs de tous âges, sexes, horizons, langues et cultures, sans les sépareren sous-groupes cloisonnés, prédivertis ou calibrés : qu’ils s’y rencontrent, au contraire, pour partager leurs émotions. Car ce qui brûle en moi, depuis plus de vingt ans, c’est l’extraordinaire intensité possible de cette rencontre éphémère, entre humains: lorsqu’entre scène et salle, comédien/ne/s, spectateur/trice/s, auteur/trice/s, technicien/ne/s, artistes et administratif/ve/s conjuguent leur travail et leur sensibilité pour atteindre ces instants rares où nous partageons quelque chose de sauvage, d’éblouissant, de troublant et d’inexplicable qui nous parle de nos vies et nous accompagne, une fois les lumières rallumées, pour longtemps. Au feu ! C’est comment qu’on va où ? Ce qui brûle en moi, depuis vingt ans que je travaille dans le théâtre pour les enfants et les adolescents, c’est des braises. C’est moins spectaculaire que les flammes, mais ça résiste au vent, au froid, au temps, et quand on souffle dessus, chaque fois qu’on veut, ça lance un nouveau feu (de joie ?). Karin Serres, septembre 2011