© POUR LA SCIENCE -N° 351 JANVIER 2007
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devenu méconnaissable et ne fonctionne plus). Le salut
du transposon peut venir d’un événement dont les moda-
lités restent mystérieuses: le passage dans une autre espèce,
où son cycle d’invasion recommence. Ainsi, une même
espèce peut subir des invasions successives, voire simul-
tanées, de différentes familles de transposons venus
d’ailleurs. Quelles en sont les conséquences dans le génome?
Les réarrangements génomiques
Plusieurs mécanismes de réarrangements génomiques
ont été identifiés. Le premier concerne les rétrotranspo-
sons, et notamment les éléments de type
LINE
. Leur trans-
cription en
ARN
, la première étape de sa migration, s’arrête
parfois au-delà de l’élément: la séquence génomique aval
est transcrite en continuité avec celle du transposon, fai-
sant la copie plus longue que l’original (voir la figure 2).
Nous avons vu que les copies dispersées d’un trans-
poson pouvaient donner lieu à des recombinaisons inégales
et des chromosomes aberrants. La sélection naturelle par-
ticipe à l’élimination de ces éléments, c’est le modèle sélec-
tif, mais certains événements de recombinaison échappent
à la pression quand le matériel remanié ne perturbe pas
l’intégrité du génome : au final, les chromosomes sont
remaniés de façon durable.
Autre désordre, les éléments de classe
II
créent par-
fois, à cause de leur mode de transposition, des macro-
transposons constitués de deux éléments de la même
famille et de la région génomique qu’ils encadrent. La
transposition utilise l’extrémité droite d’une des copies
et l’extrémité gauche de l’autre comme s’ils étaient les
extrémités d’une même copie. L’ensemble s’excise et s’in-
sère comme un seul transposon, déplaçant une fraction
non négligeable du génome.
Les rétrotransposons à
LTR
auraient un effet plus
notable sur la taille des génomes que les autres types d’élé-
ments. Pour quelles raisons? D’abord, ce sont de grands
éléments; aussi, lorsqu’ils se multiplient, augmentent-
ils plus vite la taille des génomes que les petits transpo-
sons. Cependant, les structures répétées de leurs extrémités
(les
LTR
) jouent un rôle antagoniste. En effet, ces deux
séquences sont la cible de recombinaisons inégales, ce qui
élimine d’un coup la séquence qu’elles encadrent. Ce phé-
nomène peut aussi avoir lieu entre copies et ainsi retirer
des portions génomiques importantes.
Outre ces réductions massives et soudaines, de petites
délétions de quelques dizaines de paires de nucléotides
se produisent continuellement dans le génome. Elles sont
le résultat de cassures, spontanées et aléatoires, de l’
ADN
,
qui sont mal réparées par l’hôte. Lorsqu’elles ont lieu
dans des séquences non essentielles à la survie de l’hôte
ou dans des transposons, ces coupures participent à la dimi-
nution de la taille des génomes. Ce processus d’érosion
joue également un rôle dans l’élimination des transposons.
L’examen du génome révèle que les régions riches en
transposons sont celles où la recombinaison est moins fré-
quente, c’est-à-dire celles où le processus d’élimination
décrit précédemment est moins fréquent, les transposons
pouvant donc s’accumuler. La densité en gènes d’une région
influe aussi sur la densité en transposons. En effet, dans
ces régions à haute densité, les insertions et les éliminations
ont plus de chances de perturber les gènes voisins : la
pression de sélection qui maintient fonctionnels ces gènes
laissera la région pauvre en transposons.
Ces exemples de bouleversements montrent que les
transposons jouent un rôle majeur dans les processus évo-
lutifs en tant que source de nouveauté génétique. Ils ont
aussi des acteurs de la spéciation, c’est-à-dire de l’appa-
rition d’espèces nouvelles à partir d’une population homo-
gène. Trois mécanismes ont été proposés. Le premier est
fondé sur une modification majeure des programmes de
développement des individus. Nous avons vu que les
transposons modifient parfois l’expression des gènes:
de tels changements qui rallongeraient la période de matu-
rité sexuelle de certains individus créeraient un isolement
reproductif, les individus à courte période de maturité
sexuelle s’accouplant ensemble. Selon le deuxième méca-
nisme, les remaniements chromosomiques dus aux trans-
posons empêcheraient l’appariement des chromosomes
homologues chez les hybrides, conduisant là aussi à un
isolement reproductif : seuls les individus au profil
chromosomique identique seraient féconds. Enfin le
dernier mécanisme concerne des familles de transpo-
sons entraînant une dysgénésie des hybrides, par exemple
chez la drosophile. Ces dysgénésies sont des incompati-
bilités de croisements entre des mâles porteurs d’une
famille de transposons et des femelles qui en sont dépour-
vues: la descendance est stérile en raison de multiples
remaniements chromosomiques. Ces croisements déclen-
chent aussi une ségrégation au sein d’une population. Les
effets des transposons que nous avons vus laissent
croire que l’hôte est passif devant cette invasion. Ce
n’est pas toujours le cas.
Le palimpseste génomique
Le manuscrit génomique est réécrit en permanence. La com-
paraison des génomes montre qu’au cours de l’évolution,
les transposons ont notablement contribué à cette réécri-
ture. En effet, ils codent des protéines qui représentent pour
la cellule un répertoire attractif de nouvelles propriétés.
De plus certaines de ces protéines modifient ou détour-
nent la fonction originelle de molécules de l’hôte. Ce der-
nier, en maîtrisant le comportement « anarchique » des
transposons, c’est-à-dire en détournant certaines proprié-
tés de leurs protéines à son profit, bénéficie d’innovations
à bon compte. Voyons comment (voir l’encadré de la page 85).
Plusieurs études ont montré que des transposons de
classe
II
et les transposases qu’ils codent ont été une
source de domaines protéiques pour l’assemblage de nou-
veaux gènes au cours de l’évolution. Au cours de l’évolu-
tion, la séquence codant un domaine de fixation à l’
ADN
d’une transposase peut subir des remaniements et être insé-
rée dans d’autres gènes, on parle de brassage d’exons. Les
protéines codées par ces gènes « dopés » peuvent consti-
tuer, par exemple, une famille de facteurs de transcrip-
tion. Ainsi, le domaine
BED
est un domaine de fixation à
l’
ADN
qui est trouvé à la fois dans plusieurs transposases
et dans plusieurs protéines qui assurent des fonctions cel-
lulaires associées à l’
ADN
.
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