R ÉUNION GGOLFB: LE CANCER DU COL UTÉRIN , G EMBLOUX , SEPTEMBRE 2006 La pratique de la prévention du cancer du col en Belgique Marc Arbyn1,2, Valérie Fabri3,4 1. Unité d’Epidémiologie du Cancer, Institut Scientifique de Santé Publique, Bruxelles 2. European Network for Information in Cancer Epidemiology, IARC, Lyon, France 3. Union nationale des mutualités socialistes, Bruxelles 4. Agence Intermutualiste, Bruxelles KEYWORDS: CERVIX CANCER – CERVICAL SMEAR – COLPOSCOPY – SCREENING COVERAGE La participation optimale de la population est un facteur essentiel de succès d’un programme de dépistage. Jusqu’il y a peu, la couverture du dépistage cytologique en Belgique ne pouvait être estimée qu’à partir des enquêtes par entretiens auprès des femmes. Une analyse statistique des données des organismes assureurs, compilées par l’Agence Intermutualiste, se rapportant au dépistage ainsi qu’aux interventions diagnostiques ou thérapeutiques du cancer du col de l’utérus, a permis de calculer précisément cette couverture ainsi que le volume d’actes médicaux associés au dépistage. En 2000, la couverture, définie comme le pourcentage de femmes âgées de 25 à 64 ans ayant bénéficié d’au moins un frottis durant les trois dernières années, était de 59%. Pourtant, le nombre de frottis prélevés était suffisant pour assurer une couverture complète de la population cible. A noter également le nombre impressionnant de colposcopies exécutées (en moyenne 1 colposcopie pour 3 frottis). Un programme de dépistage et de prise en charge des femmes avec frottis anormal organisé suivant les recommandations du Conseil de l’Europe pourrait réduire l’incidence du cancer du col en Belgique sans augmentation du financement par l’INAMI. L’étude sera utilisée pour définir les futures stratégies de dépistage du cancer du col de l’utérus suivant les recommandations européennes. Matériel et méthodes A la demande de l’Institut Scientifique de Santé Publique, un fichier de données individuelles de plus de 13 millions d’enregistrements a été compilé par l’Agence Intermutualiste. Ces données relatives aux remboursements des frais médicaux des membres de l’ensemble des organismes assureurs ont été collectées et mises à disposition de l’Agence Intermutualiste après anonymisation par codification irréversible de l’identification. Ce fichier contient l’information concernant les actes médicaux se rapportant au dépistage ainsi qu’aux interventions diagnostiques ou thérapeutiques du cancer du col de l’utérus (collecte et interprétation du frottis vaginal, colposcopies, biopsies cervicales et leur interprétation, chirurgie du col de l’utérus) de 1996 à 2000. Résultats GG051F_2006 Introduction Couverture du dépistage En 2003, le Conseil de l’Europe a recommandé d’offrir un dépistage cytologique organisé du cancer du col de l’utérus à toutes les femmes de la population-cible dans tous les Etats-membres de l’UE (1). Une couverture optimale est le principal facteur de succès d’un programme de dépistage (2, 3). Jusqu’à présent, la couverture du dépistage en Belgique n’avait pu être évaluée que par des enquêtes (4, 5). Le rapport actuel a pour but d’évaluer la couverture réelle du dépistage cytologique ainsi que l’utilisation d’actes médicaux pour le dépistage et le suivi ou traitement des cas positifs en utilisant un fichier de données provenant de l’Agence Intermutualiste (AIM), qui rassemble l’information de tous les organismes assureurs en Belgique (6). La couverture du dépistage opportuniste du cancer du col de l’utérus, mesurée en 2000, s’élevait à 59%. Elle est définie comme la proportion de la population-cible (femmes âgées de 25 à 64 ans) ayant bénéficié d’un frottis du col de l’utérus durant les trois dernières années. La couverture évaluée grâce aux fichiers de données des organismes assureurs est significativement plus basse que les estimations déduites des enquêtes nationales par interviews sur la santé. Au niveau national, pour la période 2000-2001 cette différence s’élève à 11%. 1 GUNAIKEIA - Vol 11 n°8 - 2006 Figure 1: Variation de la couverture de dépistage au niveau de l’arrondissement parmi les femmes de 25 à 64 ans (Belgique, 2000). Cette divergence est probablement due à des biais de rapportage, qui selon la littérature internationale, sont inhérents aux enquêtes sous forme d’entretiens. Couverture en fonction du domicile Les différences de couvertures de dépistage observées entre régions sont faibles, les couvertures respectives sont égales à 57% dans la Région flamande, 58% à Bruxelles et 61% dans la Région wallonne. Les augmentations de couverture mesurées de 1996 à 2000 sont limitées respectivement à 2%, 5% et 3% en Régions flamande, bruxelloise et wallonne. La faible augmentation constatée en Région flamande est étonnante étant donné que dans cette région – uniquement – une campagne de dépistage était organisée. Les différences notées à un niveau géographique plus bas sont par contre importantes: en 2000, au niveau provincial, les couvertures se situent entre 52% (Luxembourg) et 69% (Brabant-Wallon), tandis qu’au niveau des arrondissements la couverture la plus élevée est trouvée à Huy (71%) et la plus basse à Arlon (40% seulement). Prélèvement des frottis selon la spécialité du médecin Le pourcentage de frottis prélevés par les médecins généralistes est faible et varie substantiellement en fonction des régions. En 2000, 20% des frottis sont réalisés par les médecins généralistes en Région flamande, contre seulement 8% à Bruxelles et 3% en Région wallonne. La tendance est à la baisse de 1996 à 2000. Couverture en fonction de l’âge Au niveau national, dans le groupe le plus jeune, de la population-cible, c’est-à-dire les femmes de 25 à 29 ans, la couverture s’élève à 64%. La couverture augmente jusqu’à 67% parmi les femmes de la tranche d’âge de 30 à 39 ans. A partir de l’âge de 40 ans, la couverture diminue graduellement jusqu’à 56% chez les femmes dans le groupe d’âge de 50 à 54 ans, pour se réduire ensuite plus rapidement. (FFigure 1). Cette diminution en fonction de l’âge est moins prononcée à Bruxelles et en Région wallonne. Utilisation des frottis Le nombre de frottis utilisé est théoriquement suffisant pour couvrir plus de 100% de la population-cible dans un intervalle de temps de trois ans (TTableau 1). En 2000, le rapport entre le nombre de frottis interprétés sur l’effectif moyen de la population-cible, est de 1,1. Ce rapport devrait être plus élevé si nous étions à même d’ajuster l’effectif de la population-cible en excluant les femmes qui ont subi une hystérectomie totale. Néanmoins, seulement 59% des femmes âgées de 25 à 64 ans sont couvertes par un ou plusieurs frottis. En chiffres absolus: de 1998 à 2000, 3 millions de frottis ont été interprétés. Ces frottis ont été prélevés chez 1.6 millions de femmes de 25-64 ans, alors que la population-cible se chiffre à 2,7 millions de femmes de 25 à 64 ans. 1,1 millions de femmes de cet âge n’ont donc pas bénéficié du frottis de dépistage. Intervalle de dépistage L’intervalle modal de dépistage est de un an. Un espace de trois ans entre deux frottis de dépistage comme recommandé est observé chez seulement 5% des femmes examinées par 2 ou plusieurs frottis durant la période de l’étude. Chaque femme examinée a eu en moyenne 1.88 frottis sur une période de 3 ans. Ce rapport était élevé dans toutes les régions, il l’était cependant un peu moins en Région flamande (1,86), intermédiaire dans la Région wallonne (1,90) et le plus à Bruxelles (1,98). Tranche d’âge cible 10% de tous les frottis exécutés sont prélevés chez des femmes de moins de 25 ans et 7% chez des femmes âgées de plus de 64 ans. Tableau 1: Consommation de frottis de Papanicolaou, couverture de dépistage et excès de frottis faits entre 1996 et 2000 pour les femmes âgées de 25 à 64 ans, par Région. Période Région Population moyenne (25-64 ans) Nombre de frottis 1996-1998 1997-1999 1998-2000 1996-1998 1997-1999 1998-2000 1996-1998 1997-1999 1998-2000 Région flamande 1.582.128 1.585.642 1.587.847 253.557 254.534 255.656 867.361 870.296 873.429 1.569.687 1.639.685 1.691.932 264.611 277.884 292.582 944.176 983.611 1.010.866 Bruxelles Région wallonne Nombre de femmes examinées lors de 3 ans 870.520 900.538 911.761 134.397 141.204 147.381 506.947 522.153 532.113 2 GUNAIKEIA - Vol 11 n°8 - 2006 Couverture Rapports #frottis / #femmes Excès de frottis 55,0% 56,8% 57,4% 53,0% 55,5% 57,6% 58,4% 60,0% 60,9% 0,99 1,03 1,07 1,04 1.09 1.14 1,09 1,13 1,16 80,3% 82,1% 85,6% 96,9% 96,8% 98,5% 86,2% 88,4% 90,0% Tableau 2: Nombre de colposcopies, de biopsies cervicales et de frottis examinés. Rapport du nombre de biopsies sur le nombre de colposcopies, le rapport du nombre de frottis sur le nombre de colposcopies et le rapport du nombre de biopsies sur le nombre de frottis, (Belgique, 1996-2000). Région Colposcopies Biopsies Frottis Région flamande Bruxelles Région wallonne Total 618.033 207.587 1.176.139 2.001.759 53.825 12.143 39.315 105.283 3.003.722 586.105 2.128.873 5.718.700 Rapport biopsies/ colposcopies 8,7% 5,8% 3,3% 5,3% Rapport frottis/ colposcopie 4,9 2,8 1,8 2,9 Rapport biopsies/frottis 1,8% 2,1% 1,8% 1,8% Figure 2: La couverture (% de femmes ayant eu au moins un frottis au cours des dernières 3 années) et le rapport du nombre de femmes sur le nombre de femmes en fonction de la tranche d’âge, Belgique (1998-2000). Une partie de cet excès de frottis prestés est attribuable au suivi de lésions cervicales avec ou sans traitement. En supposant que 10% de ces frottis excédentaires sont prélevés pour le suivi de frottis anormaux, on peut estimer qu’environ 400.000 frottis par an sont prélevés sans contribuer à la couverture de dépistage ou au suivi. Cela correspond à un montant estimé à 8,2 millions d’euros remboursés par l’INAMI annuellement pour des prélèvements et l’interprétation de frottis dont l’utilité est non prouvée. A ce montant il faut encore ajouter 3,9 millions euros pour le dépistage effectué hors âge cible. 1,4 # frottis/#femmes Couverture 1,2 1,0 0,8 0,6 0,4 Utilisation de la colposcopie 0,2 Un nombre impressionnant de colposcopies sont exécutées en Belgique (TTableau 2). Au niveau national, en moyenne un examen colposcopique est réalisé pour trois frottis prestés. Dans la Région wallonne, le rapport du nombre de frottis sur le nombre de colposcopies est même inférieur à deux, tandis que dans la Région flamande ce rapport est de cinq. Dans certains arrondissements wallons le nombre de frottis examinés égale le nombre de colposcopies exécutées. La proportion biopsie/colposcopie est basse (en moyenne 5%) ce qui est dû à la très grande fréquence d’examens colposcopiques réalisés chez des femmes ayant un frottis normal. Il est clair que la colposcopie n’est pas utilisée comme l’indiquent les guides nationaux et internationaux (7-10). Pour rappel, l’exploration colposcopique est indiquée lors d’une première observation d’une lésion intra-épitheliale de haut grade (HSIL) ou anomalie glandulaire ou après une deuxième observation de cellules squameuses atypiques de signification indéterminée (ASC-US) ou une lésion intra-épithéliale de bas grade (LSIL) ou encore après un résultat positif de triage avec HPV dans des cas d’ASC-US et pour le follow-up de lésions traitées. 0 10 20 30 40 Age 50 60 70 Les mesures prévues dans les Recommandations sur le Dépistage du Cancer du Conseil d’Europe devraient être exécutoires et universelles (1, 11, 12). Des actions isolées et régionales comme celles entreprises dans le programme flamand de dépistage n’ont pas fourni le résultat désiré, ce qui nous incite à proposer une campagne de prévention organisée à l’échelle nationale avec la collaboration et la sensibilisation de tous les acteurs concernés. En effet, un programme de dépistage, basé sur les recommandations internationales, permettrait de dépister toutes les femmes de 25 à 64 ans et d’augmenter le nombre de vies sauvées et ce, sans coût supplémentaire pour l’INAMI. Les ministères de la Santé publique du gouvernement fédéral et des gouvernements des communautés ainsi que les représentants des sociétés scientifiques et professionnelles devraient se réunir au plus vite pour définir une politique de dépistage rationnelle, efficiente et basée sur de l’évidence scientifique. References 1. The Council of the European Union. Council Recommendation of 2 December on Cancer Screening. Off J Eur Union 2003;878:34-8. 2. Chamberlain J. 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Tijdschr voor Geneeskunde 1996;52:709-15. 8. NHSCSP. Colposcopy and programme managment: guidelines for the NHS Cervical Screening Programme. Luesley, D. and Leeson, S. NHSCSP publication 2004;20:1-80. Sheffield, Manor House. NHS Cancer Screening Programmes. 9. Tjalma W, Crijns P, De Sutter P, Ide P, Orye G, Poppe W, Verguts J, Watty K, Weyers S, Wuyts K. Richtlijnen voor de behandeling van vrouwen met abnormaal uitstrijkje. Tijdschr voor Geneeskunde 2005;61:108-18. 10. De Sutter P, Crijns P, Ide P, Orye G, Poppe W, Tjalma W, Verguts J, Watty K, Weyers S, Wuyts K. Colposcopie en behandeling van cervicale intra-epitheliale neoplasie. Tijdschr voor Geneeskunde 2005;61:119-28. 11. Arbyn M, Van Oyen H, Lynge E, Micksche M, Faivre J, Jordan J. European Commission’s proposal for a Council recommendation on cancer screening. BMJ 2003;327:289-90. 12. Commission of the European Communities. Proposal for a Council Recommendation on Cancer Screening. 2003/0093 (CNS),1-22. 2003. Conclusions générales La couverture du dépistage du cancer du col de l’utérus en Belgique, définie comme la proportion de femmes âgées de 25 et 64 ans ayant bénéficié d’un frottis les trois dernières années, n’atteint que 59% en 2000. Pourtant, le nombre de frottis prélevés est théoriquement suffisant pour couvrir toute la population-cible. L’estimation de la couverture de dépistage du cancer du col de l’utérus venant d’enquêtes par interviews devrait être interprétée avec prudence, étant donné le risque inhérent de surestimation. Les frottis sont le plus souvent prélevés par les gynécologues en Flandre et à Bruxelles et quasi exclusivement, en Wallonie. La colposcopie est trop souvent exécutée simultanément au frottis, alors que l’indication clinique principale de la colposcopie est réservée aux femmes ayant eu des anomalies cytologiques. 3 GUNAIKEIA - Vol 11 n°8 - 2006