La pratique de la prévention du cancer du col en Belgique

La participation optimale de la population est un facteur
essentiel de succès d’un programme de dépistage. Jusqu’il y a
peu, la couverture du dépistage cytologique en Belgique ne
pouvait être estimée qu’à partir des enquêtes par entretiens
auprès des femmes. Une analyse statistique des données des
organismes assureurs, compilées par l’Agence Intermutualiste,
se rapportant au dépistage ainsi qu’aux interventions dia-
gnostiques ou thérapeutiques du cancer du col de l’utérus, a
permis de calculer précisément cette couverture ainsi que le
volume d’actes médicaux associés au dépistage. En 2000, la
couverture, définie comme le pourcentage de femmes âgées
de 25 à 64 ans ayant bénéficié d’au moins un frottis durant
les trois dernières années, était de 59%. Pourtant, le nombre
de frottis prélevés était suffisant pour assurer une couverture
complète de la population cible. A noter également le nombre
impressionnant de colposcopies exécutées (en moyenne 1
colposcopie pour 3 frottis). Un programme de dépistage et de
prise en charge des femmes avec frottis anormal organisé
suivant les recommandations du Conseil de l’Europe pourrait
réduire l’incidence du cancer du col en Belgique sans
augmentation du financement par l’INAMI.
Introduction
En 2003, le Conseil de l’Europe a recommandé d’offrir un
dépistage cytologique organisé du cancer du col de l’utérus à
toutes les femmes de la population-cible dans tous les
Etats-membres de l’UE (1). Une couverture optimale est le
principal facteur de succès d’un programme de dépistage (2, 3).
Jusqu’à présent, la couverture du dépistage en Belgique n’avait pu
être évaluée que par des enquêtes (4, 5). Le rapport actuel a pour
but d’évaluer la couverture réelle du dépistage cytologique ainsi
que l’utilisation d’actes médicaux pour le dépistage et le suivi ou
traitement des cas positifs en utilisant un fichier de données
provenant de l’Agence Intermutualiste (AIM), qui rassemble
l’information de tous les organismes assureurs en Belgique (6).
L’étude sera utilisée pour définir les futures stratégies de dépis-
tage du cancer du col de l’utérus suivant les recommandations
européennes.
Matériel et méthodes
A la demande de l’Institut Scientifique de Santé Publique, un
fichier de données individuelles de plus de 13 millions d’enregis-
trements a été compilé par l’Agence Intermutualiste. Ces données
relatives aux remboursements des frais médicaux des membres de
l’ensemble des organismes assureurs ont été collectées et mises à
disposition de l’Agence Intermutualiste après anonymisation par
codification irréversible de l’identification.
Ce fichier contient l’information concernant les actes médicaux se
rapportant au dépistage ainsi qu’aux interventions diagnostiques
ou thérapeutiques du cancer du col de l’utérus (collecte et inter-
prétation du frottis vaginal, colposcopies, biopsies cervicales et
leur interprétation, chirurgie du col de l’utérus) de 1996 à 2000.
Résultats
Couverture du dépistage
La couverture du dépistage opportuniste du cancer du col de
l’utérus, mesurée en 2000, s’élevait à 59%. Elle est définie comme
la proportion de la population-cible (femmes âgées de 25 à 64
ans) ayant bénéficié d’un frottis du col de l’utérus durant les trois
dernières années.
La couverture évaluée grâce aux fichiers de données des organis-
mes assureurs est significativement plus basse que les estima-
tions déduites des enquêtes nationales par interviews sur la
santé. Au niveau national, pour la période 2000-2001 cette
différence s’élève à 11%.
RÉUNION GGOLFB: LE CANCER DU COL UTÉRIN, GEMBLOUX, SEPTEMBRE 2006
La pratique de la prévention
du cancer du col en Belgique
Marc Arbyn1,2, Valérie Fabri3,4
1. Unité d’Epidémiologie du Cancer, Institut Scientifique de Santé Publique, Bruxelles
2. European Network for Information in Cancer Epidemiology, IARC, Lyon, France
3. Union nationale des mutualités socialistes, Bruxelles
4. Agence Intermutualiste, Bruxelles
KEYWORDS: CERVIX CANCER CERVICAL SMEAR COLPOSCOPY
SCREENING COVERAGE
GG051F_2006
1
GUNAIKEIA - Vol 11 n°8 - 2006
Cette divergence est probablement due à des biais de rapportage,
qui selon la littérature internationale, sont inhérents aux enquê-
tes sous forme d’entretiens.
Couverture en fonction du domicile
Les différences de couvertures de dépistage observées entre
régions sont faibles, les couvertures respectives sont égales à
57% dans la Région flamande, 58% à Bruxelles et 61% dans la
Région wallonne. Les augmentations de couverture mesurées de
1996 à 2000 sont limitées respectivement à 2%, 5% et 3% en
Régions flamande, bruxelloise et wallonne. La faible augmenta-
tion constatée en Région flamande est étonnante étant donné
que dans cette région – uniquement – une campagne de dépis-
tage était organisée.
Les différences notées à un niveau géographique plus bas sont par
contre importantes: en 2000, au niveau provincial, les couvertures
se situent entre 52% (Luxembourg) et 69% (Brabant-Wallon), tandis
qu’au niveau des arrondissements la couverture la plus élevée est
trouvée à Huy (71%) et la plus basse à Arlon (40% seulement).
Couverture en fonction de l’âge
Au niveau national, dans le groupe le plus jeune, de la popula-
tion-cible, c’est-à-dire les femmes de 25 à 29 ans, la couverture
s’élève à 64%. La couverture augmente jusqu’à 67% parmi les
femmes de la tranche d’âge de 30 à 39 ans. A partir de l’âge de 40
ans, la couverture diminue graduellement jusqu’à 56% chez les
femmes dans le groupe d’âge de 50 à 54 ans, pour se réduire
ensuite plus rapidement.
(FFiigguurree 11). Cette diminution en fonction de l’âge est moins
prononcée à Bruxelles et en Région wallonne.
Intervalle de dépistage
L’intervalle modal de dépistage est de un an. Un espace de trois
ans entre deux frottis de dépistage comme recommandé est
observé chez seulement 5% des femmes examinées par 2 ou
plusieurs frottis durant la période de l’étude.
Tranche d’âge cible
10% de tous les frottis exécutés sont prélevés chez des femmes de
moins de 25 ans et 7% chez des femmes âgées de plus de 64 ans.
Prélèvement des frottis selon la spécialité du
médecin
Le pourcentage de frottis prélevés par les médecins généralistes
est faible et varie substantiellement en fonction des régions. En
2000, 20% des frottis sont réalisés par les médecins généralistes
en Région flamande, contre seulement 8% à Bruxelles et 3% en
Région wallonne. La tendance est à la baisse de 1996 à 2000.
Utilisation des frottis
Le nombre de frottis utilisé est théoriquement suffisant pour
couvrir plus de 100% de la population-cible dans un intervalle de
temps de trois ans (TTaabblleeaauu 11). En 2000, le rapport entre le
nombre de frottis interprétés sur l’effectif moyen de la popula-
tion-cible, est de 1,1. Ce rapport devrait être plus élevé si nous
étions à même d’ajuster l’effectif de la population-cible en
excluant les femmes qui ont subi une hystérectomie totale.
Néanmoins, seulement 59% des femmes âgées de 25 à 64 ans
sont couvertes par un ou plusieurs frottis.
En chiffres absolus: de 1998 à 2000, 3 millions de frottis ont été
interprétés. Ces frottis ont été prélevés chez 1.6 millions de
femmes de 25-64 ans, alors que la population-cible se chiffre à
2,7 millions de femmes de 25 à 64 ans. 1,1 millions de femmes de
cet âge n’ont donc pas bénéficié du frottis de dépistage.
Chaque femme examinée a eu en moyenne 1.88 frottis sur une
période de 3 ans. Ce rapport était élevé dans toutes les régions, il
l’était cependant un peu moins en Région flamande (1,86), intermé-
diaire dans la Région wallonne (1,90) et le plus à Bruxelles (1,98).
2
GUNAIKEIA - Vol 11 n°8 - 2006
Figure 1: Variation de la couverture de dépistage au niveau de
l’arrondissement parmi les femmes de 25 à 64 ans (Belgique, 2000).
Tableau 1: Consommation de frottis de Papanicolaou, couverture de dépistage et excès de frottis faits entre 1996 et 2000 pour les femmes âgées
de 25 à 64 ans, par Région.
PPéérriiooddeeRRééggiioonnPPooppuullaattiioonnNNoommbbrreeNNoommbbrreeCCoouuvveerrttuurreeRRaappppoorrttssEExxccèèss
mmooyyeennnneeddee ffrroottttiissddee ffeemmmmeess##ffrroottttiiss //ddee ffrroottttiiss
((2255--6644 aannss))eexxaammiinnééeess##ffeemmmmeess
lloorrss ddee 33 aannss
1996-1998 Région 1.582.128 1.569.687 870.520 55,0% 0,99 80,3%
1997-1999 flamande 1.585.642 1.639.685 900.538 56,8% 1,03 82,1%
1998-2000 1.587.847 1.691.932 911.761 57,4% 1,07 85,6%
1996-1998 Bruxelles 253.557 264.611 134.397 53,0% 1,04 96,9%
1997-1999 254.534 277.884 141.204 55,5% 1.09 96,8%
1998-2000 255.656 292.582 147.381 57,6% 1.14 98,5%
1996-1998 Région 867.361 944.176 506.947 58,4% 1,09 86,2%
1997-1999 wallonne 870.296 983.611 522.153 60,0% 1,13 88,4%
1998-2000 873.429 1.010.866 532.113 60,9% 1,16 90,0%
Une partie de cet excès de frottis prestés est attribuable au suivi de
lésions cervicales avec ou sans traitement. En supposant que 10% de
ces frottis excédentaires sont prélevés pour le suivi de frottis
anormaux, on peut estimer qu’environ 400.000 frottis par an sont
prélevés sans contribuer à la couverture de dépistage ou au suivi. Cela
correspond à un montant estimé à 8,2 millions d’euros remboursés
par l’INAMI annuellement pour des prélèvements et l’interprétation de
frottis dont l’utilité est non prouvée. A ce montant il faut encore
ajouter 3,9 millions euros pour le dépistage effectué hors âge cible.
Utilisation de la colposcopie
Un nombre impressionnant de colposcopies sont exécutées en
Belgique (TTaabblleeaauu 22). Au niveau national, en moyenne un examen
colposcopique est réalisé pour trois frottis prestés. Dans la Région
wallonne, le rapport du nombre de frottis sur le nombre de
colposcopies est même inférieur à deux, tandis que dans la
Région flamande ce rapport est de cinq.
Dans certains arrondissements wallons le nombre de frottis
examinés égale le nombre de colposcopies exécutées. La propor-
tion biopsie/colposcopie est basse (en moyenne 5%) ce qui est dû
à la très grande fréquence d’examens colposcopiques réalisés
chez des femmes ayant un frottis normal.
Il est clair que la colposcopie n’est pas utilisée comme l’indiquent
les guides nationaux et internationaux (7-10). Pour rappel,
l’exploration colposcopique est indiquée lors d’une première
observation d’une lésion intra-épitheliale de haut grade (HSIL) ou
anomalie glandulaire ou après une deuxième observation de
cellules squameuses atypiques de signification indéterminée
(ASC-US) ou une lésion intra-épithéliale de bas grade (LSIL) ou
encore après un résultat positif de triage avec HPV dans des cas
d’ASC-US et pour le follow-up de lésions traitées.
Conclusions générales
La couverture du dépistage du cancer du col de l’utérus en
Belgique, définie comme la proportion de femmes âgées de 25 et
64 ans ayant bénéficié d’un frottis les trois dernières années,
n’atteint que 59% en 2000. Pourtant, le nombre de frottis prélevés
est théoriquement suffisant pour couvrir toute la population-cible.
L’estimation de la couverture de dépistage du cancer du col de
l’utérus venant d’enquêtes par interviews devrait être interprétée
avec prudence, étant donné le risque inhérent de surestimation.
Les frottis sont le plus souvent prélevés par les gynécologues en
Flandre et à Bruxelles et quasi exclusivement, en Wallonie.
La colposcopie est trop souvent exécutée simultanément au
frottis, alors que l’indication clinique principale de la colposcopie
est réservée aux femmes ayant eu des anomalies cytologiques.
Les mesures prévues dans les Recommandations sur le Dépistage
du Cancer du Conseil d’Europe devraient être exécutoires et uni-
verselles (1, 11, 12).
Des actions isolées et régionales comme celles entreprises dans le
programme flamand de dépistage n’ont pas fourni le résultat
désiré, ce qui nous incite à proposer une campagne de prévention
organisée à l’échelle nationale avec la collaboration et la sensibi-
lisation de tous les acteurs concernés.
En effet, un programme de dépistage, basé sur les recommanda-
tions internationales, permettrait de dépister toutes les femmes
de 25 à 64 ans et d’augmenter le nombre de vies sauvées et ce,
sans coût supplémentaire pour l’INAMI.
Les ministères de la Santé publique du gouvernement fédéral et
des gouvernements des communautés ainsi que les représentants
des sociétés scientifiques et professionnelles devraient se réunir
au plus vite pour définir une politique de dépistage rationnelle,
efficiente et basée sur de l’évidence scientifique.
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Screening. 2003/0093 (CNS),1-22. 2003.
3
GUNAIKEIA - Vol 11 n°8 - 2006
Tableau 2: Nombre de colposcopies, de biopsies cervicales et de frottis examinés.
Rapport du nombre de biopsies sur le nombre de colposcopies, le rapport du nombre de frottis sur le nombre de colposcopies et le rapport du nombre de biopsies sur
le nombre de frottis, (Belgique, 1996-2000).
RRééggiioonnCCoollppoossccooppiieessBBiiooppssiieessFFrroottttiissRRaappppoorrtt bbiiooppssiieess//RRaappppoorrtt ffrroottttiiss//RRaappppoorrtt
ccoollppoossccooppiieessccoollppoossccooppiieebbiiooppssiieess//ffrroottttiiss
Région flamande 618.033 53.825 3.003.722 8,7% 4,9 1,8%
Bruxelles 207.587 12.143 586.105 5,8% 2,8 2,1%
Région wallonne 1.176.139 39.315 2.128.873 3,3% 1,8 1,8%
TToottaall22..000011..775599110055..22883355..771188..77000055,,33%%22,,9911,,88%%
Figure 2: La couverture (% de femmes ayant eu au moins un frottis
au cours des dernières 3 années) et le rapport du nombre de femmes
sur le nombre de femmes en fonction de la tranche d’âge, Belgique
(1998-2000).
# frottis/#femmes
Couverture
1,4
1,2
1,0
0,8
0,6
0,4
0,2
0
10 20 30 40 50 60 70
Age
1 / 3 100%

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