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D’ABORD LA MUSIQUE ENSUITE LES MOTS ? : LE CAS DU KTI (MUSIQUE
CARNATIQUE)
FIRS MUSIC, THEN TALK ? THE MUSICAL "CARNATICAL" THOUGHTS IN SOUTH
INDIA
Fabrice Contri
Conservatoire National Supérieur Musique et Danse
Thématique C : Patrimoine culturel : Enjeux et métamorphoses
Theme C: Cultural Heritage: Issues and Metamorphoses
Atelier 01 : La parole musicale
Workshop 01: The musical talk
4ème Congrès du Réseau Asie & Pacifique
4th Congress of the Asia & Pacific Network
14-16 sept. 2011, Paris, France
École nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville
Centre de conférences du Ministère des Affaires étrangères et européennes
© 2011 Fabrice Contri
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D’ABORD LA MUSIQUE ENSUITE LES MOTS ? :
LE CAS DU KTI (MUSIQUE CARNATIQUE)
Fabrice Contri
Conservatoire National Supérieur Musique et Danse
Si la danse indienne s’exprime à travers une grande variété de gestes et d’attitudes
corporelles (mudrā), la musique carnatique qui s’avère fondamentalement destinée à la
voix surprend, enchante par sa richesse verbale : les mots se mêlent aux notes (svara) en un
jeu sonore particulièrement inventif. Les compositions de la tradition carnatique ne feraient
sans doute pencher d’aucun côté la balance de la musique et des mots, pour peu que l’on
souhaite les peser : elles sont, en ce domaine, l’illustration d’un savant équilibre.
Parmi toutes les formes qui composent le vaste répertoire musical de l’Inde du Sud, le
kti offre un espace de prédilection pour comprendre ces phénomènes musico-poétiques
puisqu’il synthétise en quelque sorte, et développe, de multiples pratiques et donc diverses
techniques liées au chant et à la danse.
Cet article, pour des raisons pédagogiques et de limites éditoriales, se concentrera
essentiellement sur cette forme souveraine de la tradition carnatique et sur certaines figures
poético-musicales. Il est avant tout une proposition, un guide pour l’analyse des rapports entre
texte et musique dont il propose certaines applications issues des œuvres des trois grands
compositeurs qui ont porté le kti à son apogée : ŚŚastri (1762/63 1827), Tyāgarāja
1767-1847), Muttusvāmi Dīks itar (1775-1835) communément surnommés « La Trinité
Carnatique ».
I. Statut et fonction de la musique et de la parole chez les compositeurs de la
Trinité carnatique
En sanskrit, le terme hitya désigne une composition poétique qu’elle soit versifiée
ou prosaïque , la littérature et la rhétorique. Prière, poème, mais aussi parfaite illustration de
l’art oratoire, science de la démonstration, de la persuasion, du raisonnement, le discours
littéraire du kti joue avec les subtilités de la langue des langues et se joue d’elles afin de
les mêler, de les unir à celles de la musique.
Sagita est communément employé pour désigner la musique. Ce mot est composé de
sa (parfaitement, ensemble) et de gīta (le chant, le poème chanté). Dans la tradition
carnatique, la musique est tout d’abord la parole chantée ; l’instrument de musique imite la
voix, emprunte à son répertoire. Le poème appelle par essence la musique : le chant est
considéré comme le plus parfait des modes de parole. Le kti est, à la base, un chant
congrégationnel (kīrtana).
Enfin, le compositeur ou vāggeyakāra est celui qui fait (kāra, qui fait, qui produit) la
parole (vāc) et le chant (geya). Le compositeur par excellence (uttama vāggeyakāra) engendre
3
et maîtrise parfaitement la poésie et la musique.
Dans la tradition carnatique, la parole est l’instrument privilégié du poète et du
musicien qui est aussi un bhakta, un dévot. Sarasvatī, déesse de la connaissance est aussi la
Parole Personnifiée. Déifiée, la Parole, Vāc, est « la compagne ou "seconde" de Prajāpati (le
Démiurge, le Seigneur des créatures], qui, douée d’énergie et du pouvoir de produire, permet
à ce dieu d’engendrer tous les êtres (…) et soutient la puissance des dieux »
1
.
Vāc est aussi, la voix, le discours, ce qui est dit, prononcé et en train d’être dit, mais
encore la « Parole première, force transcendante, immortelle, omniprésente et toute
puissante »
2
, originelle, créatrice.
Parler à la divinité, c’est attendre et entendre aussi une réponse et donc instaurer un
dialogue. Le mot parole caractérise ou nomme la divinité dans les poèmes des compositeurs
de la Trinité.
La parole divine est une bénédiction, elle est musicale par nature, elle est objet de
communion entre le croyant et sa divinité d’élection (iṣṭadevatā). Elle orne celle-ci comme un
vêtement de mots. La parole est aussi pour l’homme un vecteur essentiel de création.
Sœur de la parole, la musique qui est inhérente au nāda son originel, suprême,
1
GONDA, Jan,
Les religions de l’Inde, Vol.1, Védisme et hindouisme ancien
, Paris, Payothèque, 1979, p. 326.
2
PADOUX, André,
Comprendre le tantrisme, Les sources hindoues,
Coll.
Spiritualités vivantes, Ed. Albin
Michel, 2010, p. 180.
4
« condensation de la vibration phonique originelle (celle de la Parole suprême) »
3
est la
manifestation dune totalité, non seulement artistique mais cosmogonique, un moyen
d’appréhension du monde : « la musique est l’expression du nāda, l’origine de tous les sons,
la vibration ; elle est aussi élément du laya, le rythme, expression du temps, et de gati, le
mouvement, expression de l’espace. Voilà pourquoi les dieux et les déesses se font
musique »
4
.
Dans ce texte, Muttusvāmi Dīks itar joue habilement sur la polysémie du terme gati
(gatyāḥ, à l’ablatif) qui est, non seulement, la démarche de l’éléphant, un terme de technique
musicale qui désigne communément le tempo, la pulsation (plus précisément les différents
catégories de subdivision du temps) mais qui signifie aussi, entre autres : marche ,
allure, mouvement (différents types de mouvement), refuge, origine, issue, destination, cours,
chemin, pouvoir etc.
5
. Ainsi, au sein de cette exégèse poétiquement suggérée par
Muttusvāmi Dīks itar , la musique, qui techniquement se compose du son (nāda) et du
rythme (laya), est envisagée comme une voie complète de connaissance, en laquelle et par
laquelle se manifeste la divinité.
La parole, exhaussée par la dévotion (bhakti) et la musique qui sont aussi chant
insatiable du nom divin , est célébrée par les compositeurs carnatiques comme un chemin qui
3
Id, p. 175.
4
Jayaprakash Narayanan, acteur de Kathakali, communication personnelle.
5
Ce procédé, qui consiste à répéter un même mot avec à chaque fois un sens différent, se nomme en
littérature sanskrite,
yamaka
. C’est une figure rhétorique abondement employée par les compositeurs de la
Trinité
5
dépasse tous les savoirs, toutes les ascèses. La musique par dessus tout le chant, la parole
musicale est pour l’homme, la voie de connaissance suprême, et la plus excellente, de toutes
les expressions artistiques.
II. Catégories de paroles et lieux de parole dans les compositions de la Trinité
carnatique (structure du kti)
Le kti, dans sa transmission c’est-à-dire sa mémorisation et son apprentissage,
comme son appréciation est d’abord poème : le texte littéraire est, à la fois, le support et le
vecteur premier de la pérennité de l’oeuvre
6
. Ce dernier demeure cependant intrinsèquement
associé au fait musical : il est souvent inventé conjointement à la musique ; la musique
cherche à s’intégrer au texte, à y "coller" au plus près.
Le poème reste ouvert à différents commentaires et prolongements qui ressortissent
essentiellement du domaine de l’improvisation ou qui usent de techniques propres à
l’improvisation. Cette ouverture, ce jeu entre composition et improvisation le texte achevé
et son exégèse apparaissent comme les lieux même de l’expérience sur la parole et à travers
la parole. De même que l’abhinaya, ou technique de représentation de la danse, se compose
de gestes abstraits (ntta) et concrets (ntya), de même le chant carnatique s’exprime,
transporte l’auditeur, à travers un panel très diversifié d’outils de langage. Ceux-ci nuancent
sans cesse la physionomie des mots, demeurent toujours étroitement associés au sens,
explicite ou sous-jacent, substantiel ou essentiel, qu’ils recèlent.
Outre les mots du texte poétique, le kti peut employer :
- les svara ou noms des notes
- les jāti (śolkaṭṭu) ou syllabes rythmiques
Le tableau ci-dessous présente les différentes parties composées
7
du kti (dans sa
forme la plus complète du moins) en regard des liens entre texte signifiant et non signifiant et
des différentes catégories de mots employées.
6
Cf. CONTRI, Fabrice,
Le style et le sacré dans la tradition carnatique
, 3ème Congrès du Réseau Asie,
sept.2007. www.reseau-asie.com
7
Les parties improvisées enrichissent encore cet éventail expressif de la parole. Dans le cadre de cet
article, et puisque le propos concerne avant tout l’art compositionnel des musiciens de la Trinité, nous avons
décidé de les laisser de côté.
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