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nité entière“, une décentralisation, une organisation garanties par une force morale
rationnelle (ibid.: 227). A cet égard, Duprat approuve certes que l’Allemagne ait
dès 1881 rétabli ses corporations, l’un des meilleurs outils de décentralisation et
de représentation organique d’un pays qui soit. Mais son esprit reste aristocrati-
que, monarchique, maintenant le peuple allemand à l’état d’une servitude douce
tandis que „Nul pays n’est plus attaché que [la France] à la démocratie“ (ibid.: 2).
En Allemagne, la philosophie sociale, qu’elle soit idéaliste ou matérialiste, reste en
outre métaphysique. N’étant pas conceptualisée comme une „hypothèse ajoutée à
la science afin de concevoir ce qui peut-être et de proposer, comme devant être, le
meilleur des possibles, le plus conforme aux aspirations des peuples et aux exi-
gences de la Raison“, la philosophie sociale allemande échoue à offrir à la sociolo-
gie l’inscription pratico-politique rationnelle, aux nations la morale socio-démocrati-
que objective qui leur sont dues (ibid.: 113). Pour Duprat, le modèle à suivre ici
n’était pas Marx – dont l’esprit est „individualiste“, le socialisme „allemand“ et
l’internationalisme „du pangermanisme à peine déguisé“ – mais indéniablement
Proudhon.8 Toutefois, il faut plus que Proudhon, plus qu’une morale scientifique
pour réaliser la solidarité organique et démocratique dont la sociologie arrête la
nécessité. A la „démocratie intégrale“ correspond un „enseignement intégral“, uni-
versitaire comme élémentaire, scolaire comme para-scolaire. Or l’Allemagne et
son système éducatif délaissent le citoyen: rien n’est fait pour le rendre apte à
prendre part au gouvernement. Duprat déplorait d’ailleurs qu’on l’imite trop en
France sur ce point, et voyait dans l’agrégation ou le baccalauréat des institutions
sclérosées typiques du „péril que fait courir à l’éducation nationale une Université
où tant de bons esprits perdent leur temps à imiter les pédants allemands“ (Duprat
1902a: 190). Partant, la réforme de l’ensemble du système éducatif français deve-
nait sinon une croisade, du moins un étendard politique (Duprat 1912: 488-496).
Cet idéal éducatif d’une édification sociocratique de la démocratie que Duprat dé-
fendait „avec la chaleur de l’apostolat et la vive conscience du devoir civique“ (RIS
1900: 131), fut intimement lié à la franc-maçonnerie, à laquelle il s’initie en 1897,
peu après son échec à l’agrégation. Dans ce contexte, il se peut certes que ce soit
„en sociologue qu’il aborda la Franc-Maçonnerie, convaincu que ‚la méthode ma-
çonnique‘ était le parangon des modèles éducatifs qu’il cherchait à définir et qu’il
exprimait encore en 1920“.9 Mais c’est en franc-maçon proudhonien bien plus
qu’en sociologue qu’il abordait le modèle éducatif, social et politique allemand.
Le conflit en lui-même ne pousse pas Duprat à changer ses vues sur
l’Allemagne. Dans ses recensions, il cautionne l’idée que l’Allemagne a „trompé,
insulté, martyrisé“; que pour „en venir à ce point de folie homicide ou prédatrice“ il
faut que ce „peuple soit tout entier malade, perverti intellectuellement et morale-
ment, victime d’un égoïsme monstrueux et d’un mysticisme guerrier auprès duquel
pâlit celui des plus sinistres orientaux“ (RIS 1916: 655, 594). Cet „état d’esprit
collectif“ typiquement germanique, que Duprat souhaitait „analyser ultérieurement“,
devait beaucoup à la vieille ritournelle du „pédantisme inintelligent“ des universitai-
res d’outre-Rhin (ibid.: 94, 655). Toujours haineux envers la métaphysique alle-