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Le paradigme critique : le « pot de fer »
Johann Georg Hamann, disciple de Kant, était plutôt sans illusion quand il
critiquait avec une grande force subversive l’absence constitutive d’une pensée de la
langue dans le système kantien. Il le regrette vivement : « Mon coup est contre celui de
Kant un pot fêlé – argile contre fer » et Caussat explique : « Argile signifie pour Hamann
la flexibilité, la spontanéité » (7). La philosophie transcendantale, monumentale,
systématique, « cathédralesque » de Kant est comme un pot de fer résistant à l’attaque
flexible et spontanée de ceux qui croient à l’impact du « Faktum der Sprache » (23), ceux
qui oeuvrent « pour un décentrement, un renversement, une ouverture, pour que le rayon
de lumière qu’amène le ‘tournant linguistique’ puisse révéler et bousculer » (1). Argile
contre fer, ce ‘nettoyage’ [Reinigung] du purisme de la raison pure (cette purification de
la soi-disant ‘pureté de la raison’), reste impuissant à l’égard du prestige de la Critique où
le langage est le grand absent (6). Le ‘paradigme critique’, le pot de fer, ne chancelle pas
facilement. Toutefois, il ne convient pas seulement de développer une théorie du langage,
à côté de la métaphysique, sa force subversive ne fonctionne que si le langage entre au
cœur de la raison, ambition certaine des penseurs que l’on présentera dans les pages à
venir.
Le contre-paradigme métacritique : le « pot d’argile »
Evoquons pour un instant le contre-paradigme métacritique, le pot d’argile. On a
souvent parlé, à propos de Hamann et Herder, d’une « invasion métacritique ». Caussat
remarque à bon droit que la Métacritique se veut un rappel « à ce que la Critique,
imposante et justifiée dans son ordre, a oublié ou refoulé ». Mais soyons sérieux : on
n’est jamais arrivé à un dialogue entre le grand Maître et ses deux disciples-amis. Je
pense, comme Caussat, « que Hamann et Herder ont pu instiller un déplacement, une
effraction, ce qui témoigne de leur puissance d’exhortation, mais il est improbable que
Kant ait eu « la capacité à écouter, sinon à entendre » (9).
En effet, Hamann et Herder, les deux pensées qui constituent l’essentiel de ma
communication, ont écrit tous les deux une Metakritik, mais ces deux métacritiques sont
très différentes. « Métacritique » est un néologisme inventé par Hamann en 1784 :