L`ordre et l`autorité dans le discours des candidats à l`élection

INSTITUT EUROPÉEN DE L’UNIVERSIDE GENÈVE
COLLECTION EURYOPA
VOL. 55-2008
L’ordre et l’autorité dans le discours des candidats
à l’élection présidentielle française de 2007 :
une étude de contenu
Mémoire présenté en vue de l’obtention du
Diplôme d’études approfondies en études européennes
Par Mathieu Aeschmann
Rédigé sous la direction du Professeur Antoine Maurice
Jurés : Professeur Nicolas Levrat et
Marc Roissard de Bellet
Genève, août 2008
2
Table des matières
Introduction 4
PREMRE PARTIE
1. Trois candidats, trois stratégies de campagne 9
1.1 Éléments méthodologiques 9
1.2 Quelques données statistiques 11
2. Nicolas Sarkozy : l’ordre en mouvement 13
2.1 Réhabiliter l’autorité et « liquider l’héritage de mai 68 » 13
2.2 « Remettre de la morale dans le politique » 18
3. Ségolène Royal, « réinventer la politique ensemble » 20
3.1 Crise morale – crise de la fraternité 20
3.2 « Avec moi, plus jamais la politique ne se fera sans vous ! » 25
4. François Bayrou – la stratégie de l’évitement 27
4.1 L’ordre de l’école plutôt que l’ordre de la rue 28
4.2 Crise politique : la repsentativité séquestrée 31
5. Alignements, convergences et oppositions : une syntse 33
5.1 Autorité ; la contrainte ou le consensus ? 33
5.2 Ordre moral ou ordre républicain ? 33
5.3 Mai 68 ; un héritage symbolique 34
5.4 Crise du politique ; un constat - trois formes degitimité en réponse 35
DEUXIÈME PARTIE
1. Le rappel à l’ordre, un discours réactionnaire ? 37
1.1 Une droite décomplexée : vers une autre révolution conservatrice ? 37
1.2 Que reste-t-il de la gauche libertaire ? 42
2. Réhabilitation du politique, du discours à la méthode 46
2.1 Nicolas Sarkozy : bonapartiste compassionnel 47
2.2 Ségolène Royal : participation et distance 50
2.3 Entre démocratie participative et démocratie d’opinion 53
3
3. Ordre et autorité : usure démocratique et tentation populiste 56
3.1 Nicolas Sarkozy : la synthèse autoritaire 57
3.2 Conquérir le pouvoir : vers une normalisation du style populiste 60
3.3 Nicolas Sarkozy à l’épreuve de la comparaison européenne 64
3.4 Populisme et gouvernance, couple de la démocratie vide 71
Conclusion 76
Bibliographie 80
Annexes 86
4
Tiens tiens les pensionnats, les chanteurs à croix de bois
Les taloches les coups de trique la troisième république
Tiens tiens les belles images, les enfants du marécage
Le vrai goût des vrais fruits dans une vraie épicerie
Tiens ça repart en arrière, noir et blanc sur poster
Maréchal nous voilà du sépia plein les doigts
A quoi elle pense en s’endormant
Cette jolie France confiture bonne maman
Elle pense pareil, pareil qu’hier
Avant Simone Veil, avant Badinter
Vincent Delerm1
Introduction
Le dimanche 29 avril 2007, Nicolas Sarkozy clôt au Palais omnisport de Paris Bercy une campagne menée
au pas de charge. Devant une foule électrique, il prévient de l’enjeu que revêt, à ses yeux, le second tour du
scrutin présidentiel : « Dans cette élection, il s’agit de savoir si l’héritage de Mai 68 doit être perpétué ou
s’il doit être liquidé une bonne fois pour toutes »2.
Si la violence de la formule choque, c’est bien sa signification qui interpelle. Cette attaque contre l’héritage
d’un épisode considéré comme symbolique de l’émancipation des sociétés occidentales n’est pourtant pas
un acte isolé. Elle s’inscrit comme l’ultime et vindicatif écho d’une campagne présidentielle sur laquelle a
flotté un enivrant parfum de nostalgie. De «la réhabilitation de l’autorité» appelée par Nicolas Sarkozy
jusqu’à «l’ordre juste» de Ségolène Royal, l’ensemble des prétendants à l’Elysée a lébré le triomphe dun
discours de valeurs, riche d’une abstraction aux saveurs d’autrefois. Ordre, autorité, mais aussi travail,
famille, nation, valeurs ou morale, ces vocables ont eu la part belle dans les discours des candidats. Ils ont
marqué la surrection d’un champ lexical du pérenne que certains croyaient enterré à jamais. Intrigante
coïncidence, cet élan a servi de théâtre au retour fracassant du politique dans l’espace public. Comme si la
tentation réactionnaire représentait un antidote intemporel aux fracas de la moderni et son pendant
populiste et autoritaire un rede conjoncturel à «la crise de la représentation» qui gangrène les
démocraties libérales.
Quel sens accorder à ce glissement sémantique qui a fait du rappel à l’ordre et de la réhabilitation de
l’autorité une des rares constantes de cette campagne électorale ? Afin de proposer une analyse aussi
complète que possible du phénomène, la présente étude nous semble devoir rechercher la signification de
ce discours en suivant deux axes de recherche bien distincts. Il conviendra, dans un premier temps, de
questionner le projet de société porté par cet élan autoritaire, le socle idéologique sur lequel il repose et les
choix politiques qu’il implique. Dans un second temps, ce discours d’ordre et d’autorité devra être observé
sous le prisme de son influence sur l’évolution des pratiques politiques et de la représentation du pouvoir
qu’il suggère. En un mot, il s’agira d’éprouver l’enracinement de ce discours tant dans les contenus que
dans le contenant politique. Enfin seulement, les deux volets de l’analyse seront réunis afin de proposer
1 Vincent Delerm, « Sépia plein les doigts », Les piqûres d’araignées, tôt Ou tard musiques, 2006.
2 Nicolas Sarkozy, Discours de Paris Bercy, 29 avril 2007.
5
une synthèse globale de cette tentation autoritaire ; laquelle pourra être ensuite questionnée en miroir à la
vague de populismes qui déferle sur l’Europe depuis une quinzaine d’années.
De toute évidence, le discours aux accents autoritaires a plu durant la campagne. La plupart des candidats
y ont eu recours et son adepte le plus fidèle, Nicolas Sarkozy, a remporune victoire relativement aisée3.
Comment expliquer le succès rencontré auprès de l’opinion publique par cette forme de réaction ? Doit-
elle être considérée comme l’expression d’une droitisation des esprits et d’un renversement des fronts
politiques qui voit la gauche perdre son statut de principale force de proposition4 ? Dans le sillage des
accusations contre un Mai 68 en forme de bte de pandore du monde moderne, le «rappel à l’ordre»
articule une critique farouche de l’individualisme roi et de la dynamique libérationniste de nos sociétés.
Reprise par l’ensemble de l’échiquier politique, celle-ci a trouvé un écho favorable auprès d’une opinion
publique qui associe volontiers moderniet permissivité. Le succès de ce discours teind’ordre moral et
d’autorité retrouvée incarne-t-il, chez les politiques, une redistribution des cartes idéologiques que le
monde intellectuel vit depuis une décennie ? Doit-on y déceler la force d’une «pensée actionnaire»5 qui
s’empare d’un voile progressiste et malmène l’héritage libertaire ? Ou cet élan représente-t-il l’expression
d’un malaise plus profond qui se traduit par le constat d’une élite en «panne des pensées de la
modernisatio6 ? Ces questions structurelles traversent et secouent actuellement l’ensemble de l’échiquier
politique français. Durant la campagne, elles ont influencé les positions des différents partis selon des
nuances qui respectent leurs sensibilités traditionnelles. Il s’agira par conséquent d’illustrer de quelle
manière ce discours de l’autorité et de lordre a été intégré dans les orientations défendues par les
principaux candidats. De son importance stratégique chez Ségolène Royal à sa dimension idéologique dans
les élans «volutionnaires conservateurs » de Nicolas Sarkozy, le rappel à l’ordre sociétal7 entretient
notamment une relation de dépendance paradoxale avec le libéralisme économique. Il conviendra de
disséquer les ressorts de cette dépendance à la lumière de son influence sur le lien social.
Dans le domaine des représentations du pouvoir politique, le glissement vers un discours autoritaire peut
permettre de affirmer avec vigueur la capacité du politique à soudre les problèmes de la société. Porté
par un style volontariste, presque héroïque, il évoque des époques où le pouvoir politique possédait des
prérogatives que l’économie globalisée lui a dérobées. Mais répond-t-il, pour autant, aux attentes de
citoyens lassés de sentir le fossé entre gouvernants et gouvernés se creuser sans cesse davantage ? Cette
évocation d’un retour presque miraculeux du politique se traduit-elle vraiment par une meilleure
intégration du corps social dans le processus de libération politique ? Adopté par tous les candidats dans
leur énoncé d’un contenu politique, le cadre idéologique de l’autori s’est vu contesté comme
représentation du pouvoir politique par le projet de démocratie participative fendue par Ségolène Royal.
Résolument moderne, cette proposition s’est opposée à l’incarnation du pouvoir hiérarchique de type
traditionnel, porté par Nicolas Sarkozy. A travers cette opposition, encore renforcée par le style très
différent des deux candidats finalistes, il conviendra de souligner les tensions inhérentes à l’expression du
politique au sein de l’espace public moderne. Entre capaci et proximité, opinion et participation,
l’analyse de ces tensions tentera de souligner l’évolution paradoxale des démocraties libérales et d’en
éclairer les penchants autoritaires. Elle se refermera en questionnant ces penchants à l’aune du phénomène
populiste. Largement utilisé par les candidats durant la campagne, le style populiste semble se banaliser au
sein de l’espace démocratique traditionnel. « Le retour du politique » évoqtant par Nicolas Sarkozy que
par Ségolène Royal n’est-il pas le ressac français de l’irrésistible vague populiste qui déferle, depuis presque
deux décennies, sur les démocraties représentatives occidentales, les ébranlant jusque dans leurs
fondations ?
3 Nicolas Sarkozy l’emporte avec 53,06 % des suffrages selon les résultats officiels du Ministère de l’Intérieur.
http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_votre_service/resultats-elections/PR2007/FE.html
4 Eric DUPIN, A droite toute, Paris, Fayard, 2006.
5 Daniel LINDENBERG, Le rappel à l’ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires, Paris, Seuil La République des
idées, 2002.
6 Jean BIRNBAUM, « Il faut refaire le bagage d’idées de la démocratie française » - Entretien avec Pierre
ROSANVALLON, Le Monde, 21 novembre 2002.
7 Le néologisme «sociétal» sera volontairement préféré durant l’ensemble de l’étude au terme «social». Il nous paraît
mieux embrasser le caractère global à l’ensemble de la société d’une redéfinition de l’ordre et de l’autorité comme des
cadres qui régissent les rapports qu’entretient un individu avec autrui et avec le pouvoir.
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