une synthèse globale de cette tentation autoritaire ; laquelle pourra être ensuite questionnée en miroir à la
vague de populismes qui déferle sur l’Europe depuis une quinzaine d’années.
De toute évidence, le discours aux accents autoritaires a plu durant la campagne. La plupart des candidats
y ont eu recours et son adepte le plus fidèle, Nicolas Sarkozy, a remporté une victoire relativement aisée3.
Comment expliquer le succès rencontré auprès de l’opinion publique par cette forme de réaction ? Doit-
elle être considérée comme l’expression d’une droitisation des esprits et d’un renversement des fronts
politiques qui voit la gauche perdre son statut de principale force de proposition4 ? Dans le sillage des
accusations contre un Mai 68 en forme de boîte de pandore du monde moderne, le «rappel à l’ordre»
articule une critique farouche de l’individualisme roi et de la dynamique libérationniste de nos sociétés.
Reprise par l’ensemble de l’échiquier politique, celle-ci a trouvé un écho favorable auprès d’une opinion
publique qui associe volontiers modernité et permissivité. Le succès de ce discours teinté d’ordre moral et
d’autorité retrouvée incarne-t-il, chez les politiques, une redistribution des cartes idéologiques que le
monde intellectuel vit depuis une décennie ? Doit-on y déceler la force d’une «pensée réactionnaire»5 qui
s’empare d’un voile progressiste et malmène l’héritage libertaire ? Ou cet élan représente-t-il l’expression
d’un malaise plus profond qui se traduit par le constat d’une élite en «panne des pensées de la
modernisation»6 ? Ces questions structurelles traversent et secouent actuellement l’ensemble de l’échiquier
politique français. Durant la campagne, elles ont influencé les positions des différents partis selon des
nuances qui respectent leurs sensibilités traditionnelles. Il s’agira par conséquent d’illustrer de quelle
manière ce discours de l’autorité et de l’ordre a été intégré dans les orientations défendues par les
principaux candidats. De son importance stratégique chez Ségolène Royal à sa dimension idéologique dans
les élans « révolutionnaires conservateurs » de Nicolas Sarkozy, le rappel à l’ordre sociétal7 entretient
notamment une relation de dépendance paradoxale avec le libéralisme économique. Il conviendra de
disséquer les ressorts de cette dépendance à la lumière de son influence sur le lien social.
Dans le domaine des représentations du pouvoir politique, le glissement vers un discours autoritaire peut
permettre de réaffirmer avec vigueur la capacité du politique à résoudre les problèmes de la société. Porté
par un style volontariste, presque héroïque, il évoque des époques où le pouvoir politique possédait des
prérogatives que l’économie globalisée lui a dérobées. Mais répond-t-il, pour autant, aux attentes de
citoyens lassés de sentir le fossé entre gouvernants et gouvernés se creuser sans cesse davantage ? Cette
évocation d’un retour presque miraculeux du politique se traduit-elle vraiment par une meilleure
intégration du corps social dans le processus de délibération politique ? Adopté par tous les candidats dans
leur énoncé d’un contenu politique, le cadre idéologique de l’autorité s’est vu contesté comme
représentation du pouvoir politique par le projet de démocratie participative défendue par Ségolène Royal.
Résolument moderne, cette proposition s’est opposée à l’incarnation du pouvoir hiérarchique de type
traditionnel, porté par Nicolas Sarkozy. A travers cette opposition, encore renforcée par le style très
différent des deux candidats finalistes, il conviendra de souligner les tensions inhérentes à l’expression du
politique au sein de l’espace public moderne. Entre capacité et proximité, opinion et participation,
l’analyse de ces tensions tentera de souligner l’évolution paradoxale des démocraties libérales et d’en
éclairer les penchants autoritaires. Elle se refermera en questionnant ces penchants à l’aune du phénomène
populiste. Largement utilisé par les candidats durant la campagne, le style populiste semble se banaliser au
sein de l’espace démocratique traditionnel. « Le retour du politique » évoqué tant par Nicolas Sarkozy que
par Ségolène Royal n’est-il pas le ressac français de l’irrésistible vague populiste qui déferle, depuis presque
deux décennies, sur les démocraties représentatives occidentales, les ébranlant jusque dans leurs
fondations ?
3 Nicolas Sarkozy l’emporte avec 53,06 % des suffrages selon les résultats officiels du Ministère de l’Intérieur.
http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_votre_service/resultats-elections/PR2007/FE.html
4 Eric DUPIN, A droite toute, Paris, Fayard, 2006.
5 Daniel LINDENBERG, Le rappel à l’ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires, Paris, Seuil – La République des
idées, 2002.
6 Jean BIRNBAUM, « Il faut refaire le bagage d’idées de la démocratie française » - Entretien avec Pierre
ROSANVALLON, Le Monde, 21 novembre 2002.
7 Le néologisme «sociétal» sera volontairement préféré durant l’ensemble de l’étude au terme «social». Il nous paraît
mieux embrasser le caractère global à l’ensemble de la société d’une redéfinition de l’ordre et de l’autorité comme des
cadres qui régissent les rapports qu’entretient un individu avec autrui et avec le pouvoir.