Cas cliniqueC as clinique Un diabète peut en cacher un autre… Annabelle Barnas, Anne Vambergue* N ous rapportons l’observation de Monsieur Y, âgé de 22 ans, d’origine africaine, ayant comme principal antécédent une psychose maniaco-dépressive connue depuis l’âge de 16 ans. Il est actuellement traité par une association de valpromide (Dépamide®) 300 mg (3 cp/j), cyamémazine (Tercian®) 25 mg (1 cp/j), olanzapine (Zyprexa®) 10 mg (2 cp/j) et tropatépine (Lepticur®) 10 mg (1 cp/j). Ce patient a des antécédents familiaux de diabète de type 2 chez le père et de diabète de type 1 chez une cousine. Il ne prend pas d’alcool, n’est pas fumeur. Il a interrompu ses études en raison de sa pathologie psychiatrique. C’est devant la présence d’un syndrome polyuropolydipsique évoluant depuis une quinzaine de jours associé à une perte pondérale de 5 kg que le patient est adressé au service d’urgence. Cliniquement, on note une asthénie importante avec ralentissement psychomoteur. La glycémie à l’entrée est à 2,74 g/l. La bandelette urinaire met en évidence une glycosurie et une cétonurie à plus de quatre croix. Les gaz du sang confirment le diagnostic d’acidose métabolique décompensée (pH = 7,14 ; PaCO2 = 8,9 ; PO2 = 98 mmHg ; bicarbonates = 4 mEq/l). Le patient est immédiatement transféré en réanimation pour prise en charge thérapeutique. Un traitement est mis en route par insulinothérapie par seringue autopulsée, associé à une réhydratation et à une supplémentation en potassium et en phosphore adaptée au bilan biologique. Ce patient est ensuite transféré dans le service de diabétologie pour adaptation de l’insulinothérapie et éducation thérapeutique. À l’entrée, le poids est de 119 kg pour une taille de 1,80 m, soit un indice de masse corporelle à 37 kg/m2. Le périmètre abdominal est à 126 cm. Sur le plan neurologique, on relève des troubles de la vigilance, avec une somnolence importante, sans signe de localisation. Le reste de l’examen clinique est normal. Sur le plan biologique, il n’y a pas d’hyperleucocytose. La vitesse de sédimentation est modérément élevée, à 18 mm à la première heure (N de 3 à 10). Il n’y a plus de trouble hydro-électrolytique. Sur le plan rénal, l’urée est à 0,28 g/l et la créatinémie à 6,7 mg/l. Il n’existe pas de microalbuminurie. Le bilan lipidique retrouve un cholestérol total à 1,88 g/l, avec un HDL cholestérol à 0,43 g/l et un LDL cholestérol à 1,24 g/l. Les triglycérides sont à 1,03 g/l. L’HbA1c est à 13,9 % (N entre 4,5 et 6,5 %). * Service d’endocrinologie et diabétologie, clinique Marc-Linquette, CHRU Lille. Devant la somnolence persistante du patient, une dépakinémie est réalisée et retrouve une valeur abaissée à 40,9 mg/l (N entre 50 et 100 mg/l), excluant ainsi une origine iatrogène des troubles de la vigilance. Sur le plan paraclinique, l’électrocardiogramme de repos est normal. Le fond d’œil est normal. Sur le plan nutritionnel, l’enquête alimentaire met en évidence une alimentation très hyperlipidique et très riche en sucres rapides, l’apport en hydrates de carbone étant estimé à 270 g/j. L’évolution est rapidement favorable. Le patient est mis sous un schéma d’insulinothérapie optimisée : Insuline Levemir® matin et soir et Insuline Novorapid® à chacun des repas, en association à une prise de metformine (3 cp/j) en raison de l’insulinorésistance associée à l’obésité abdominale. Sur le plan psychiatrique, le patient reste stable. Après avis psychiatrique, le traitement antipsychotique est poursuivi, à la même posologie. Discussion Cette observation pose le problème du cadre nosologique de ce diabète. Chez un patient considéré comme porteur d’un diabète de type 2, envisager la possibilité d’un diabète de type 1 présente un intérêt essentiellement thérapeutique. En effet, trois hypothèses peuvent être discutées, et c’est l’évolution à terme qui pourra nous éclairer. La première hypothèse est évidemment celle d’un diabète auto-immun de type 1. Les arguments en faveur de ce diagnostic sont ici : le jeune âge du patient, le mode de révélation de ce diabète par une acidocétose témoin d’une insulinopénie, et l’absence de complications au moment du diagnostic. Les arguments en défaveur de ce diagnostic sont la présence d’une surcharge pondérale avec obésité abdominale et, sur le plan biologique, le typage HLA de classe II, qui est atypique. Ce patient présente la combinaison haplotypique DQA1*0101/0201, DQB1*0501/0201, qui confère un DR1/DR7. Les marqueurs d’auto-immunité étaient tous négatifs chez ce patient (anticorps anti-cellules β ou ICA, anticorps anti-insuline IAA, anticorps antiglutamate décarboxylase GAD et anticorps contre la protéine tyrosine phosphatase IA2). À distance de l’épisode aigu, nous avons étudié les réserves insuliniques chez ce patient. En regard d’une glycémie à jeun à 0,98 g/l, le peptide C à jeun est à Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 2, mars-avril 2008 MHDN 2(XII) mars avril 2008.indd93 93 93 22/04/08 16:25:4 Cas clinique Cas clinique 94 1,2 ng/ml (N < 2 ng/ml), passant à 2,7 ng/ml en postprandial en regard d’une glycémie à 1,12 g/l. La seconde hypothèse qui pouvait être évoquée chez ce patient est celle d’un diabète de type 1B, ou diabète atypique africain. La présentation clinique peut ressembler en tous points à celle d’un diabète de type 1A. Les arguments en faveur de ce diagnostic dans notre observation sont tout d’abord l’origine ethnique du patient (sujet originaire d’Afrique subsaharienne ou métis) et son sexe (les hommes étant plus souvent touchés ; sex-ratio H/F de 1,5 à 3). Le poids est le plus souvent normal, mais l’obésité présentée par le patient n’exclut pas le diagnostic. La découverte bruyante du diabète sur le mode cétosique, la présence d’antécédents familiaux de diabète de type 2 (dans plus de 50 % des cas), l’absence de marqueurs d’auto-immunité sont en faveur de ce diagnostic. La présence de l’haplotype DQB1*0201 se retrouve dans 30 à 65 % des cas dans ce type de diabète. Le seul argument qui n’est pas en faveur de ce diagnostic est le jeune âge du patient, puisque, généralement, le diabète de type 1B se déclare chez les adultes entre 35 et 45 ans. Enfin, la troisième hypothèse pouvant être évoquée chez ce patient est celle du diabète sous neuroleptiques. En effet, un nombre croissant de publications à propos de cas de diminution de la tolérance au glucose, de diabète et d’acidocétose chez des patients traités avec des antipsychotiques atypiques plaide pour une association possible entre une anomalie du métabolisme du glucose et le traitement par antipsychotique atypique, même si la question reste controversée en raison de nombreux facteurs confondants (1). Il semble que les neuroleptiques de nouvelle génération, ou antipsychotiques atypiques, augmentent le risque de diabète, avec un risque attribuable de 0,05 à 2,05 % selon les molécules utilisées. Notre patient était traité depuis 6 ans par neuroleptique atypique (olanzapine, Zyprexa®). Une relation étroite entre la prise de poids induite par le traitement et le risque accru de diabète a été rapportée, insistant sur le rôle de l’insulinorésistance. Depuis la prise de ce traitement, le patient a signalé une prise de poids pouvant être compatible avec un syndrome métabolique. Par ailleurs, il semble que le mécanisme de ce diabète soit en rapport avec une insulinopénie marquée, à laquelle s’associe une insulinorésistance, indépendamment de la masse grasse. Les mécanismes par lesquels ces neuroleptiques induisent une insulinopénie et une insulinorésistance sont mal connus. Dans notre observation, la découverte de ce diabète par acidocétose est également un argument en faveur de ce diagnostic. Il est également évoqué un effet toxique direct des neuroleptiques sur les cellules β des îlots de Langerhans, responsable d’un insulinopénie qui semble réversible. Le dernier argument en faveur de ce diagnostic est celui de la présence d’antécédents familiaux de diabète de type 2, qui prédispose à une modification du métabolisme glucidique sous neuroleptiques atypiques. L’intérêt d’évoquer le diagnostic est thérapeutique. En effet, en l’absence de marqueurs d’auto-immunité et si l’état psychiatrique du patient l’autorise, un arrêt de l’antipsychotique atypique peut permettre une réversibilité du diabète. En ce qui concerne notre patient, le traitement antipsychotique a dû être maintenu à la même posologie. L’intérêt de cette observation réside dans le fait que, malgré la révélation par acidocétose, d’autres étiologies que le diabète de type 1 peuvent être évoquées dans ce contexte. Dans le cas de Monsieur Y, il est impératif de continuer le suivi, ce qui devrait nous permettre de mieux définir le cadre nosologique. En effet, l’évolution des besoins insuliniques pourra nous orienter en partie vers l’une ou l’autre des deux dernières hypothèses. S’il s’agit d’un diabète de type 1B, après quelques semaines, la capacité insulinosécrétoire est partiellement restaurée, permettant le plus souvent un sevrage de l’insuline. Cette forme de diabète se caractérise surtout par l’évolution émaillée de périodes où l’insuline peut être interrompue (2). Les besoins insuliniques diminuent progressivement. Ces phases de rémission avec un équilibre glycémique parfait (HbA1c < 7 %) peuvent durer de plusieurs mois à plusieurs années. Néanmoins, la probabilité de rechute est de 18 % à 3 ans et de 90 % à 10 ans. Dans les phases de rémission, le traitement consistera à réaliser un relais par traitement par antidiabétiques oraux. En revanche, si les besoins insuliniques persistent, voire s’accroissent, on évoquera plutôt l’hypothèse d’un diabète sous neuroleptiques atypiques. La disparition de ces symptômes et de l’insulinopénie à la suite de l’arrêt des neuroleptiques atypiques en serait une preuve. Il n’existe pas à ce jour d’études prospectives ayant analysé l’impact des antipsychotiques chez des patients schizophrènes minces dépourvus de syndrome métabolique et nouvellement traités, qui pourraient fournir des données dynamiques concernant une modification de la sensibilité à l’insuline N et/ou de la sécrétion des cellules β du pancréas. Références bibliographiques 1. Scheen AJ, De Hert MA. Abnormal glucose metabolism in patients treated with antipsychotics. Diabetes Metab 2007;33:169-75. 2. Mauvais-Jarvis F, Sobngwi E, Porcher R et al. Ketosis-prone type 2 diabetes in patients of sub-Saharan African origin: clinical pathophysiology and natural history of beta-cell dysfunction and insulin resistance. Diabetes 2004;53:645-53. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 2, mars-avril 2008 MHDN 2(XII) mars avril 2008.indd94 94 22/04/08 16:25:4