1943
MORT ET RÉSISTANCE
Des partisans du groupe Greenspan se réunissent
dans la forêt de Parczew, en Pologne.
BIEN QUAYANTrarement connu les noms de
leurs victimes juives, les nazis entendaient que ni Zivia Lubetkin, ni Richard
Glazar, ni Thomas Blatt ne survivent à la « solution finale ». Ils survécurent
cependant et, après la Shoah, chacun écrivit un livre sur la Résistance en 1943.
Quelque 400 000 Juifs vivaient dans le ghetto de Varsovie surpeuplé, mais les épi-
démies, la famine et les déportations à Treblinka – 300 000 personnes entre juillet et
septembre 1942 – réduisirent considérablement ce nombre. Estimant que 40 000
Juifs s’y trouvaient encore (le chiffre réel approchait les 55 000), Heinrich Himmler,
le chef des SS, ordonna la déportation de 8 000 autres lors de sa visite du ghetto, le
9 janvier 1943. Cependant, sous la direction de Mordekhaï Anielewicz, âgé de 23
ans, le Zydowska Organizacja Bojowa (ZOB, Organisation juive de combat) lança
une résistance armée lorsque les Allemands exécutèrent l’ordre d’Himmler, le 18
janvier. Bien que plus de 5 000 Juifs aient été déportés le 22 janvier, la Résistance
juive – elle impliquait aussi bien la recherche de caches et le refus de s’enregistrer
que la lutte violente – empêcha de remplir le quota et conduisit les Allemands à
mettre fin à l’Aktion. Le répit, cependant, fut de courte durée.
En janvier, Zivia Lubetkin participa à la création de l’Organisation juive de com-
bat et au soulèvement du ghetto de Varsovie. « Nous combattions avec des gre-
nades, des fusils, des barres de fer et des ampoules remplies d’acide sulfurique »,
rapporte-t-elle dans son livre Aux jours de la destruction et de la révolte. « Pendant
quelques minutes, nous avons été grisés par le frisson du combat. Effectivement,
nous avons vu de nos yeux les Allemands, conquérants du monde, battre en
retraite, effrayés par une poignée de jeunes Juifs armés seulement de quelques
pistolets et grenades à main. »
Zivia Lubetkin savait que les Allemands reviendraient. La seule question était
de savoir quand. Pour les 50 000 Juifs qui demeuraient dans le ghetto, la réponse
décisive survint le 19 avril 1943, la veille de la Pâque. Cette fois, les troupes bien
équipées du général Jürgen Stroop s’attendaient à une résistance armée en péné-
trant dans le ghetto et elles s’y confrontèrent. Conscients de la puissance de feu très
supérieure des Allemands, les combattants juifs piètrement armés – au nombre
d’environ 700 à 750 – ne se faisaient aucune illusion sur la possibilité de vaincre
Stroop. Mais Z. Lubetkin vit les Allemands se replier d’abord lorsque les armes à
feu, les grenades et les « cocktails Molotov » des Juifs, en quantité réduite, semè-
rent la peur et la mort chez les envahisseurs allemands.
À nouveau, le répit fut temporaire. « L’ennemi a mis le feu au ghetto,
témoigna Z. Lubetkin. Comment décrire les terribles souffrances et la ter-
reur des Juifs pris au piège dans les flammes ? » Pourtant, les combattants du
ghetto résistèrent.
405
Ce ne fut que le 16 mai que Stroop put noter dans son rapport que « le
quartier juif de Varsovie avait cessé d’exister. » Mais à cette date, Z. Lubetkin
s’était déjà enfuie par les égouts et était passée du côté « aryen » de Varsovie
où elle poursuivit sa résistance.
Le soulèvement du ghetto de Varsovie revêtit une importance bien supé-
rieure à celle des rapports de batailles et du décompte des pertes. La nouvelle
du soulèvement inspira ailleurs une résistance juive et accrut l’inquiétude des
nazis après la défaite révélatrice de l’armée allemande sur le front Est à Sta-
lingrad, en Russie, fin janvier. Comme dans le cas du ghetto de Varsovie, si
héroïque et si répandue fût-elle, la Résistance juive manqua en général du
soutien extérieur nécessaire pour remporter des victoires autres que morales.
Pendant le soulèvement du ghetto de Varsovie, un Juif tchèque nommé
Richard Glazar luttait pour demeurer en vie au camp de Treblinka situé à
une centaine de kilomètres au nord-est de Varsovie. Né en 1920, il avait été
envoyé début octobre 1942 du camp / ghetto de Theresienstadt (Tchécoslo-
vaquie) dans ce camp de la mort. Les chambres à gaz de Treblinka coûtèrent
la vie à plus de 800 000 Juifs, mais Glazar fut parmi les très rares détenus qui
furent épargnés pour travailler. Comme Lubetkin, il résista et survécut pour
raconter son histoire dans son livre Trap with a Green
Fence (La trappe du grillage vert).
Glazar vit régulièrement les trains qui acheminaient
des milliers de Juifs à Treblinka. Au printemps 1943, il
savait jusqu’où les nazis perpétraient leurs assassinats en
masse car les convois amenaient des Juifs de Bulgarie et
de Grèce. Tandis que les Juifs disparaissaient à tout
jamais en arrivant à Treblinka, leurs biens demeuraient.
Avant que les déportés soient déshabillés, gazés et brû-
lés, les Allemands pillaient leurs affaires. Glazar se sou-
vient du camp comme d’un « gigantesque entrepôt de
bric-à-brac. » On pouvait tout trouver à Treblinka, écrit-
il, « excepté la vie ». Trier le butin devint pour lui un tra-
vail routinier qui le maintint en vie. Lui et ses camarades prisonniers se
savaient condamnés si le tri cessait.
Alors que tout était contre eux, les Juifs résistèrent à Treblinka. Décrivant les
trains chargés de butin au départ du camp de la mort, Glazar se souvient que les
prisonniers cachèrent deux évadés entre les ballots, afin que le monde apprenne les
meurtres. Puis, fin mai 1943, Glazar vit « le convoi le plus misérable de tous ceux
qui arrivèrent à Treblinka. » Les gens venaient de Varsovie. Leurs affaires étaient si
pauvres qu’il n’y avait pas grand-chose à trier. Mais, par ailleurs, souligne Glazar,
ces derniers convois de Varsovie étaient riches : d’espoir, parce qu’ils apportaient la
nouvelle du soulèvement du ghetto. Cette nouvelle fit croire à Glazar et à ses com-
pagnons que les avertissements des évadés de Treblinka avaient contribué au sou-
lèvement de Varsovie. Quant au soulèvement de Varsovie, il commença à émouvoir
les détenus de Treblinka qui, pour reprendre les propos de Glazar, « renoncèrent
à l’espoir d’être les derniers à échapper à cette mort dans le dénuement. [Il faut]
montrer au monde et à vous-mêmes [ce qui se passe]… »
À Treblinka, depuis le printemps, un groupe de résistance avait prévu de
s’emparer d’armes dans l’arsenal des SS, de prendre le contrôle du camp, de
le détruire et de rejoindre les partisans dans la forêt. La date du soulèvement
de Treblinka était fixée au lundi 2 août. Vers 16 heures, avant que les chefs de
la résistance n’aient pu prendre le contrôle de la cache d’armes, un officier SS
qui se montrait soupçonneux fut tué par un coup de feu qui alerta les gardes
406
1943
Le commandant Jürgen Stroop (au
centre) accompagne ses soldats
pendant le soulèvement du ghetto
de Varsovie.
du camp et donna prématurément le signal de la révolte aux déte-
nus. Pendant les échanges de coups de feu, certains prisonniers
mirent le feu à des parties du camp. Alors que les détenus s’évadaient
en courant, la plupart furent abattus depuis les tours de guet du camp
ou pris et tués plus tard. Le jour du soulèvement, le camp contenait
environ 850 prisonniers. Environ 750 tentèrent de s’évader. Glazar
fut l’un des 70 qui survécurent à la Shoah.
Après la révolte, les Allemands contraignirent les évadés qui avaient
été repris à raser ce qui restait du camp de Treblinka. Puis, ces prison-
niers furent abattus, des arbres furent plantés et le site fut camouflé en
ferme. La résistance juive avait contribué à fermer Treblinka, mais seulement
après que la raison d’être du camp ait été, pour l’essentiel, achevée.
Entre-temps, au sud-est de Treblinka, à cinq kilomètres du fleuve Bug, le
camp de la mort de Sobibor fonctionnait toujours. Entre mars et juillet 1943,
19 convois des Pays-Bas acheminèrent 35 000 Juifs néerlandais dans les
chambres à gaz de Sobibor qui, au total, tuèrent 250 000 Juifs. Le rythme des
meurtres diminua ensuite, plus de 13 000 Juifs des ghettos liquidés de Vilnius,
Minsk et Lida étant gazés à Sobibor pendant les quinze derniers jours de sep-
tembre. Les détenus du camp comprirent que la fin des convois signifiait éga-
lement la fin de leur vie.
Début septembre 1943, environ 650 détenus juifs de Sobibor étaient
astreints au travail. Comme à Treblinka, certains étaient des travailleurs qua-
lifiés chargés de la maintenance du camp, d’autres triaient le butin, d’autres
encore faisaient partie des équipes chargées d’évacuer les corps des chambres
à gaz. Thomas Blatt faisait partie des quelque 300 prisonniers qui s’évadèrent
du camp pendant le soulèvement qui éclata le 14 octobre 1943. Paru en 1996,
son livre Sobibor, The Forgotten Revolt (Sobibor, la révolte oubliée) précise
que 48 seulement des évadés de Sobibor survécurent après s’être libérés.
Le soulèvement de Sobibor conduisit les Allemands à abandonner leurs
projets de convertir le camp de la mort en un camp de concentration. Ils déci-
dèrent plutôt de démanteler et de camoufler les installations dont le travail de
meurtre avait, de toute façon, été pratiquement accompli. Comme Treblinka,
Sobibor devint une ferme. Ce ne fut cependant pas le seul résultat du soulè-
vement. Les événements de Varsovie, Treblinka et Sobibor
indiquaient que les Juifs polonais étaient de plus en plus
conscients qu’il n’y aurait pas de « salut par le travail ». Pri-
vés de l’espoir de survivre, ils allaient résister jusqu’à la
mort. Conscient de la menace d’une telle résistance juive,
Himmler accéléra l’extermination des Juifs qui demeu-
raient dans les camps de travail de la région de Lublin, à
Trawniki et Poniatowa, ainsi que dans le camp de la mort
de Majdanek.
Le 3 novembre 1943, dans la région de Lublin, quelque
42 000 Juifs furent rassemblés et abattus. L’historien Chris-
topher Browning expliqua que ce massacre constituait
«l’opération de meurtre la plus importante perpétrée par les Allemands
contre les Juifs durant toute la guerre. » Son nom de code était Erntefest, qui
signifie en allemand « fête des moissons. »
Des estimations prudentes montrent qu’au moins 500 000 Juifs périrent
en 1943 dans la Shoah. Sans que ce soit de sa faute, la Résistance juive de
cette année – si importante qu’elle fût et si impressionnante qu’elle demeure
– ne suffit malheureusement pas à éviter le désastre.
407
Le four crématoire IV à Auschwitz-
Birkenau pouvait incinérer près de
1 500 corps par jour.
Des officiers allemands découragés
face aux Russes qui les ont faits
prisonniers après la bataille de
Stalingrad.
1943 1943 : Heinrich Himmler est
nommé ministre de l’Intérieur du
Reich. • Le pape Pie XII annonce
que le Vatican ne peut aider les
opprimés que par « nos prières ».
Création du parti collaborationniste
Nye Denmark (Nouveau Danemark).
• Fondation de SS Galizien (SS de
Galicie), une unité de volontaires SS
ukrainiens. • Jozef Tiso, premier
ministre de Slovaquie et allié d’Adolf
Hitler, interrompt brièvement les
déportations des Juifs slovaques. • En
France, Sabina Zlatin, une Juive, crée
la maison d’enfants d’Izieu qui abrite
une centaine d’enfants juifs ; voir 6
avril 1944. • Première édition en
Allemagne du texte antisémite Archiv
für Judenfragen (Archives sur les
questions juives).
408
1943 • MORT ET RÉSISTANCE
Le rabbin Leo
Baeck
Éminent rabbin et théolo-
gien du judaïsme libéral alle-
mand depuis 1897, Leo Baeck
exerça ses fonctions à Berlin
de 1912 jusqu’à sa déporta-
tion au camp / ghetto de
Theresienstadt, en Tchécoslo-
vaquie, début 1943.
Lorsque
les nazis créè-
rent la Re-
présentation
des Juifs alle-
mands du
Reich, Baeck
en fut nommé
président.
Représentant principal des
Juifs allemands, il refusa de
quitter l’Allemagne, même
lorsque sa sécurité, ainsi que
celle des Juifs allemands, fut
menacée.
Après sa déportation à
Theresienstadt, Baeck œuvra
sans relâche pour remonter
le moral de nombreux Juifs,
même ceux qui, il le savait,
étaient voués à Auschwitz.
Après la guerre, Baeck s’ins-
talla à Londres où il devint le
président du Conseil des
Juifs d’Allemagne. L’Institut
Leo Baeck, première institu-
tion se consacrant à l’étude
des Juifs allemands, porte le
nom de cet homme véné-
rable.
Comme on leur faisait croire qu’ils partaient pour une « réinstallation »,
les Juifs en route pour Auschwitz transportaient des valises contenant leurs
biens les plus précieux. Alors que les prisonniers étaient souvent envoyés à
la mort dès leur arrivée, leurs affaires étaient gardées, triées et entreposées
pour être expédiées en Allemagne.
Ces Juifs sont emmenés au ghetto de Grodno (Biélorussie), créé peu après
l’invasion de la Russie par les Allemands. En novembre 1941, 25 000 Juifs
de Grodno et de la région voisine furent contraints de s’installer dans ce
ghetto qui fut liquidé en janvier 1943, lorsque les habitants juifs furent dépor-
tés à Treblinka. Avant même l’occupation de cette région de l’Union soviétique
par les Allemands, des antisémites de la population civile avaient attaqué les
Juifs.
Janvier 1943 : En ce début d’année,
10 000 Juifs sont astreints au travail dans
des usines dans toute l’Allemagne. • Les 27
derniers Juifs de Bilgoraj, en Pologne, sont
chassés de leur cachette et massacrés.
Près de 870 enfants, infirmes, médecins
et infirmières des Pays-Bas sont envoyés à
Auschwitz. • Une victoire militaire rempor-
tée par les Soviétiques sur le Don astreint
au travail 50 000 Juifs hongrois sur le front
Est ; plus de 40 000 sont tués au combat
entre forces allemandes et soviétiques. Plu-
sieurs milliers d’autres sont faits
prisonniers et maltraités et par les
Soviétiques et par les prisonniers de
guerre de l’Axe.
• Une circulaire SS sur l’application des
peines de mort dans les camps d’extermi-
nation enjoint que les exécutions par pen-
daison soient réalisées par des prisonniers
désignés qui recevront trois cigarettes.
•Les membres de la Résistance juive du
ghetto de Varsovie commencent à se scin-
der en 22 groupes. Ils construisent abris et
bunkers, et même des tunnels conduisant
à la partie non juive de la ville. • Moshé
Fish et Leva Gilchik, des Juifs qui, en
juillet 1942, avaient constitué un groupe
de partisans dans les forêts des environs
409
1943 • MORT ET RÉSISTANCE
Dans le ghetto de Varsovie, un tra-
vailleur retire de la rue un corps
décharné. En janvier 1943, les Alle-
mands entreprirent une nouvelle
déportation à partir du ghetto. Pour la
première fois, les Juifs résistèrent avec
force, utilisant quelques rares armes
pour combattre les Allemands dans
les rues et dans les immeubles du
ghetto. Ces accrochages remontaient
le moral et permettaient d’acquérir
une expérience indispensable pour la
lutte décisive qui allait commencer
quelques mois plus tard.
Des enfants vêtus de loques atten-
dent devant un mur en briques du
ghetto de Varsovie. Durant l’hiver
1942-43, les conditions dans le
ghetto furent abominables. Les tuyau-
teries gelaient et les eaux d’égout se
déversaient dans les rues. Le typhus
faisait rage dans l’ensemble du
ghetto et les rations de famine préle-
vaient un lourd tribut sur la population
juive. Plus de 5 000 personnes mou-
raient chaque mois, et ceux qui s’ac-
crochaient à la vie étaient dans un
état lamentable.
« Rues pleines, pleines… Vendant.
Mendiant. Pleurant. Affamés. »
—Jan Karski, témoin du ghetto de Varsovie
Des prisonniers détenus à
Dachau travaillent dans une usine
d’armements voisine. Peut-être un
tiers des travailleurs du camp
étaient Juifs ; les autres étaient des
dissidents politiques, des ecclésias-
tiques, des Tsiganes, des Témoins
de Jéhovah, des homosexuels et
des prisonniers de guerre
soviétiques. L’exploitation du travail
servile et l’intensification de l’effort
de guerre contribuèrent à la crois-
sance du camp. Dachau compta
par la suite 36 camps annexes qui
exploitaient le travail de 37 000
prisonniers. L’immense majorité tra-
vaillait dans la production d’arme-
ments.
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