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L’amour envers les parents dans le processus thérapeutique
Jacqueline Besson
L’amour envers les parents dans le processus thérapeutique
Traiter de ce sujet peut sembler un peu surprenant : ne faudrait-il pas plutôt traiter du transfert du
client vers le psychothérapeute, de ce mouvement affectif qui est le moteur du processus
thérapeutique ? Certes le transfert est un thème intéressant mais j’ai choisi de parler de l’amour du
client pour ses parents car les modalités de cet amour posent parfois des problèmes au
psychothérapeute. Les clients passent par des phases où l’affection qu’ils portent à leurs parents
peut aller de l’amour inconditionnel : « mes parents ont été des parents parfaits ») à de la haine très
profonde : « je n’ai plus rien à faire avec eux ».
Plusieurs niveaux de réflexion vont traverser mon exposé :
Le degré de véracité des récits que font les clients de leurs relations avec leurs parents
La mise à l’extérieur de la séance thérapeutique de ce qui est ressenti et élaboré par les
clients concernant leurs parents
Pour parler de la première question je vais regarder quels sont les apports des neurosciences sur la
mémoire et essayer de montrer en quoi elles peuvent nous apprendre quelque chose à nous
psychothérapeutes sur les récits que nous font nos clients.
On distingue plusieurs types de mémoire dépendant du temps de rétention des informations reçues
de l’extérieur. Nous avons besoin d’une mémoire « courte », en millisecondes parfois, pour pouvoir
percevoir un objet car il faut bien pouvoir retenir les premières perceptions pour voir une forme
reconnaissable et voir un tableau se former. Mais bien sûr nous avons aussi des mémoires plus
longues, celles qui vont surtout nous intéresser dans la psychothérapie puisque souvent nos clients
évoquent le passé dans les séances. Ces deux types de mémoire ont des liens qui font appel à
différentes localisations dans le cerveau. Mais, et c’est très important, il n’y a pas un lieu où sont
archivés nos souvenirs. Pour les retrouver il faut un travail de remémorisation qui réorganise à
chaque fois les souvenirs évoqués en les consolidant ou en les modifiant.
Parmi les mémoires « longues » on peut distinguer plusieurs types de mémoires, j’en distingue deux
essentielles dans la psychothérapie :
1. La mémoire épisodique traite des événements singuliers et de leur inscription dans l’histoire
individuelle de la personne. Chacun de ces événements est unique et prend sens à travers sa
place dans le temps (avant, pendant ou après tel autre événement) ou dans l’espace (il s’est
produit à tel ou tel endroit) et bien sûr son importance (ses causes, ses conséquences, son
impact émotionnel). Elle est par ailleurs liée à la mémoire sémantique dans la mesure où les
événements personnels s’insèrent dans un contexte géo-historique plus général.
2. La mémoire procédurale traite de l’apprentissage (volontaire ou non) ou des habitudes
acquises selon un certain mode opérationnel1. Cet apprentissage ou cette habitude ne peut
1 Je donne au terme procédural une extension qui paraîtra sans doute excessive à certains spécialistes de la mémoire mais
ce qui nous importe est de clairement distinguer ce qui ressort des événements de l’histoire personnelle des habitudes et
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exister que s’il y a répétition du mode opérationnel : apprendre à monter à bicyclette, à
patiner, ou apprendre le violon ne s’acquiert pas en une fois, parler d’une façon pédante non
plus ! Il ne s’agit pas ici d’un événement singulier ayant une place unique mais d’une façon
de se comporter. La mémoire épisodique est une inscription dans le temps, la mémoire
procédurale est, d’une certaine façon, intemporelle. Pour le conseiller technique d’un sportif
de haut niveau, il importe peu de savoir dans quelles circonstances ce dernier a appris sa
spécialité (sauf pour corriger d’éventuelles erreurs techniques). Ce qu’il veut, c’est le faire
progresser. De même, dans la psychothérapie, il est hors de doute que certains
comportements peuvent se modifier, certaines souffrances s’atténuer sans qu’il soit
nécessaire d’y associer un souvenir quelconque. C’est sur cette différence que les thérapies
comportementalistes ou l’EMDR se sont construites. En analyse psycho-organique,
l’élaboration de l’histoire personnelle est importante mais, par le travail organique
notamment, il est possible aussi de travailler directement sur les habitudes. La mémoire
procédurale a donc un rôle important à jouer.
La mémoire épisodique dans la psychothérapie
Se remémorer des événements passés est une activité fréquente dans un processus thérapeutique et
est souvent fortement encouragée par le psychothérapeute. Parmi les paradigmes usuels en
psychothérapie il y en a un qui consiste à dire que retrouver son passé, souvent oublié ou refoulé, est
la seule manière de se libérer des événements traumatisants et qu’il est absolument nécessaire de
passer par là pour réussir une psychothérapie.
Il est certain qu’après avoir raconté au psychothérapeute les difficultés présentes qui motivent sa
venue dans son cabinet, le client parle souvent spontanément de son enfance et des situations
difficiles qu’il a connues avec ses parents et son entourage. Le désir de mettre de l’ordre dans ses
idées et de comprendre comment on s’est construit, fait que raconter à quelqu’un d’attentif et
d’empathique son parcours de vie semble naturel et libérateur.
Mais il y a une première observation à faire : la mémoire n’est pas sûre. Dire que la mémoire est
incertaine n’est pas seulement l’expérience banale que chacun peut faire en prenant de l’âge. Il
arrive souvent qu’on croit dur comme fer décrire une réalité passée puis qu’on s’aperçoive un peu
plus tard qu’on se trompait de lieu, de date, voire parfois de protagonistes. Chacun sait que les
témoins d’accidents ne sont pas fiables. Pourquoi ? Ce ne sont pas les informations en tant que telles
qui sont mémorisée (ce serait le cas dans un fichier informatique). Le cerveau garde seulement en
mémoire le frayage, le chemin pour reconstituer les informations à mémoriser.
Les études neuroscientifiques sur la mémoire montrent, cela semble un résultat acquis, que le
souvenir d’un événement devient facilement modifiable par le fait même de la remémoration. C’est
ainsi que le biologiste Georges Chapouthier écrit : « ... lorsqu’on se ressouvient de quelque chose, le
souvenir, même ancien, redevient particulièrement labile et peut être effacé, par exemple par des
molécules qui agissent sur les récepteurs NMDA.2 ». Nos souvenirs ne sont pas enregistrés dans une
sorte de disque dur qui pourrait nous les restituer tels que nous les avons stockés. Ils peuvent se
transformer et même disparaître.
comportements acquis.
2. Georges Chapouthier Biologie de la mémoire Odile Jacob 2006 Page 140.
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On peut donc se poser la question de l’authenticité des souvenirs. La personne en psychothérapie
est le plus souvent tout à fait sincère, (nous ne parlons pas ici de personnes qui mentiraient
sciemment, ni de personnalités mythomaniaques). Mais son vécu pendant le récit peut être tout à
fait différent de son expérience au moment des faits et c’est cela même qui offre une opportunité
thérapeutique mais qui peut aussi être un problème si la personne est, par exemple, très en colère
contre ses parents.
Supposons, d’abord dans un premier cas, qu’un homme affronté à un événement douloureux reste
complètement stoïque comme on lui a appris depuis toujours à se comporter dans de telles
circonstances3. Il le raconte au psychothérapeute et se met à pleurer, se rendant compte d’une
grande souffrance. Le « nouveau » souvenir qui va en résulter intègrera un « souvenir » de
souffrance. Mais cette souffrance était-elle présente dans la première expérience ? C’est une
question tout à fait vaine ! Dans cet exemple, l’homme ne revit pas l’événement douloureux, il
l’accomplit. Son « nouveau » souvenir est plus riche que l’ancien et la remémoration a été l’occasion
d’un nouveau choix d’expérience, puisqu’il s’est autorisé à pleurer. En outre, il y a reconnaissance et
partage de la part du psychothérapeute ce qui est bien sûr thérapeutique.
Naturellement, si cette personne a éprouvé le besoin de raconter cet épisode à son
psychothérapeute c’est qu’au moment où il a vécu l’événement, il n’a pas pu réagir de façon à
réguler la charge émotionnelle. Nous disons qu’une énergie résiduelle était bloquée quelque part. La
remémoration a permis la libération de cette énergie et donc la situation est devenue dynamique.
On voit que le fait que notre mémoire soit labile n’est pas un défaut mais la condition même d’un
changement possible. Si nos souvenirs ne pouvaient être modifiés, il serait cruel et inefficace de
revenir sur un passé douloureux. Cependant, nous avons assez souvent constaté que certains
patients revenaient de manière répétitive sur des événements passés et les figeaient dans un récit
largement mythique. On peut donc aussi se bloquer et ne pas changer.La personne ne rassemble pas
ses souvenirs au contraire elle émet une plainte répétitive et stérile. Mais pour notre propos nous
allons rester sur les événements nouveaux que met en scène le processus thérapeutique.
Dans la seconde opportunité, certaines personnes croyant avoir découvert des traumatismes anciens
et refoulés assignent leurs parents en justice parce qu’ils considèrent avoir été violés ou battus (et
c’est parfois vrai mais pas toujours !). D’où pour le psychothérapeute un dilemme avec deux points
extrêmes dangereux : encourager son client à porter plainte devant la justice ou lui dire que les abus
ne sont que fantasmes. Le psychothérapeute n’a sûrement à faire ni l’un ni l’autre mais sa position
est inconfortable car le client fait passer du lieu thérapeutique dans le réel de la vie ses élaborations.
Arrivons à l’amour pour les parents
Les clients en psychothérapie ont très souvent l’occasion d’exprimer, par des mots ou des émotions,
les sentiments qu’ils ont pour leurs parents. Bien sûr rien d’étonnant à cela, le processus
thérapeutique invite à revisiter le passé et à faire surgir les affects archaïques. Mélanie Klein4 a
décrit, il y a déjà plus de cinquante ans, que des affects ambivalents sont déjà à l’œuvre chez le
bébé : haine et amour s’affrontent. Dans un premier temps les pulsions agressives du bébé ne sont
pas perçues par lui comme lui appartenant. Elles ne sont, pas plus que le sein de sa mère, un objet
3. Les hommes de ma génération n’étaient pas considérés comme virils s’ils pleuraient. Cela reste sans doute partiellement
vrai.
4 Melanie Klein, Essai de psychanalyse, Paris, Payot, 1968.
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extérieur à lui-même. La frontière entre le bébé et le monde n’étant pas encore définie, l’enfant peut
les ressentir comme venant de l’extérieur dans un mouvement semblable à celui d’une personne
ayant des hallucinations qui perçoit des voix ou des images. Ces hallucinations peuvent devenir
persécutrices. Mélanie Klein explique cela par des mouvements de projections et d’introjections des
pulsions de l’enfant. Pourtant, l’agressivité est interne à l’enfant, elle est un acte de vie, de survie, un
mouvement agressif : pour se nourrir il faut dévorer. Du moins pendant la phase schizoparanoïde
décrite par Mélanie Klein. Ensuite bien sûr l’enfant devient capable de différencier plus clairement le
dedans du dehors. Cela lui permet de se sentir entier et de sentir qu’autour de lui d’autres personnes
existent et se détachent d’un monde indifférencié. Pour rester un peu avec Mélanie Klein nous dirons
que l’enfant passe alors par la position dépressive où l’enfant est capable de faire porter à la même
personne le « bon » et le « mauvais » sein et sort ainsi du clivage des « bons » et des « mauvais ». À
ce moment l’enfant accède à une certaine permanence de l’objet5.
Ces mécanismes se passent avec chaque enfant et n’a rien à voir avec les qualités réelles de la mère.
Par contre, bien sûr, le fait de pouvoir traverser ces phases sont certainement en lien avec la sécurité
affective que l’environnement donne à l’enfant.
On comprend bien que lorsqu’on travaille dans des zones archaïques ces ambivalences reviennent à
la surface et s’actualisent dans le travail thérapeutique. Pourtant je ne parle pas seulement de
personnes restées dans des positions clivées ou psychotiques mais d’adultes qui en plein processus
thérapeutique se trouvent aux prises avec des affects violents et souvent très agressifs à l’égard de
leurs parents ou d’un des deux parents. Ces personnes bien sûr ne parle plus de parents dévorateurs
tels des ogres ou ogresses (comme pourraient le faire certains psychotiques : une cliente d’Yves lui
racontait qu’on lui donnait à la cantine ses parents à manger, de mon côté quand je la voyais dans la
salle d’attente, je ne voyais qu’une bouche immense maculée de rouge à lèvre vif qui dépassait
largement de ses lèvres !) mais trouvent souvent une haine colossale à l’égard de leurs parents.
Haine qui les empêche parfois d’avancer dans leurs processus thérapeutiques car ils mettent leurs
parents dans un rôle de mauvais parents qui ne leur a pas donné ce qu’ils attendaient. Bien sûr
parfois cela est vrai, les parents ont parfois eu beaucoup de carences affectives et ont parfois aussi
été de très mauvais parents, ils ont parfois abusé leurs enfants sexuellement ou affectivement. Mais
les parents ne peuvent pas réparer le passé car leur vision du passé est souvent bien différente de
celle de leurs enfants.
Pourtant ce fond de haine et d’amour dans les mécanismes archaïques, donc non symbolisés quand il
est repris dans des événements plus tardifs donnent lieu à des sentiments très violents, très
passionnels.
Parfois cela donne lieu à des récits qui sont proches de la réalité historique de l’événement,
d’autrefois l’événement est très distordu.
Prenons des exemples : Marie-Paule est une femme psychotique, elle a fait plusieurs séjours en
hôpital psychiatrique. Dans une séance elle retrouve une sensation très douloureuse, elle a subi une
intervention chirurgicale pour opérer un « bec-de-lièvre » lorsqu’elle était toute petite. Cet
événement a réellement eu lieu, du moins quand je l’entends je n’ai pas de doute. Elle insiste sur
5 Jean Piaget, La naissance de l’intelligence, Neuchâtel Suisse, Delachaux et Niestlé, 1963
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l’intrusion du médecin dans sa bouche. Deux séances plus tard, elle retrouve une autre sensation et
situation : le médecin qui l’a opéré, a abusé d’elle sexuellement en mettant un doigt dans son vagin.
Deux séances plus tard encore elle retrouve encore un nouvel événement : son père a abusé d’elle
sexuellement. Quelques mois plus tard elle dira qu’un collègue thérapeute a voulu la violer dans le
métro. Où est la vérité ? Sûrement dans la sensation d’être envahie, pénétrée mais les histoires sont
incertaines.
Prenons un autre exemple : Elise a une haine épouvantable contre sa mère. Pourtant elle ne peut la
quitter et la voit chaque jour pour l’aider parce qu’elle est vieille. Tout ce que fait sa mère lui paraît
monstrueux. Il n’y a pas un seul événement heureux avec elle. Quand elle me raconte certains
épisodes avec sa mère, je trouve sa mère gentille et ne vois pas pourquoi Elise a tant de haine contre
elle. Si j’essaie de lui montrer quelques qualités de sa mère, Elise me rétorque invariablement que sa
mère est fourbe. J’essaie de faire dire à Elise en quoi cette mère a été si méchante, elle ne trouve
rien jusqu’au jour où elle apprend par une tante que sa mère la laissait la journée sans biberon et
que c’est son père qui lui donnait à manger dès qu’il rentrait le soir. Elise croit que sa mère
dépressive aurait pu la laisser mourir de faim ! On comprend que ce manque de nourriture ait été un
traumatisme grave pour Elise, d’autant qu’elle n’en savait rien avant que sa tante ne dévoile le secret
près de trente ans plus tard. Mais si la haine initiale trouve ici une vérité historique, elle s’étend sur
toute la vie d’Elise et n’a jamais pu être effacéee par des actions positives que sa mère a pu faire une
fois sa dépression post-partum passée.
Autre exemple encore : Anne-Rose a un père qui passe beaucoup de temps avec sa fille quand elle
est petite. Au cours d’une séance thérapeutique, elle croit découvrir qu’un cousin, adulte alors
qu’elle n’est encore qu’une enfant, a fait preuve d’abus sexuel sur elle. Anne-Rose est persuadée de
l’abus de son cousin. Pourtant quand elle en parle dans sa famille tout le groupe familial dénie
l’événement ; le cousin en premier. Pour Anne-Rose beaucoup d’événements de sa vie prennent sens
avec sa découverte. Par contre elle a un gros problème avec sa famille car on la traite de menteuse et
cela la touche beaucoup surtout venant de sa mère ! Elle se retrouve avec une grosse colère contre
sa mère mais son père, étant déjà décédé au moment de sa thérapie, elle peut garder intact son
amour pour lui. On voit ici quAnne-Rose ayant plus de quatre ans au moment des situations qu’elles
évoquent, donc étant en capacité à symboliser (on est loin des premiers mois de l’enfant décrits par
Mélanie Klein) amalgame tout de même différents événements. D’autant que dans sa vie d’adulte,
elle se trouve confrontée à des situations où elle est réellement violée sexuellement ou abusée
financièrement. Elle asubir une relation sexuelle avec un ancien amant qu’elle avait éconduit et
qui est revenu chez elle en forçant sa porte. Par ailleurs, dans toutes ses relations affectives, elles
rencontraient des hommes qui profitaient de son argent.
Elise et Anne-Rose font payer cher à leur entourage leur sentiment de haine et d’amour mais c’est
surtout à elles-mêmes qu’elles font payer leurs sentiments. La thérapie s’embourbe longtemps sur
ces thèmes. Pourtant Elise a pu un jour décider que sa mère était « malade » ainsi elle n’est plus dans
la haine ni dans l’attente. Elle s’occupe moins de sa mère, délègue à des auxiliaires médicaux les
soins à lui faire. Anne-Rose se trouve dans une situation toujours compliquée avec les hommes mais
elle a décidé de ne plus attendre que sa famille reconnaisse son trauma. Le soulagement est
perceptible.
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