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L’amour envers les parents dans le processus thérapeutique
Jacqueline Besson
On peut donc se poser la question de l’authenticité des souvenirs. La personne en psychothérapie
est le plus souvent tout à fait sincère, (nous ne parlons pas ici de personnes qui mentiraient
sciemment, ni de personnalités mythomaniaques). Mais son vécu pendant le récit peut être tout à
fait différent de son expérience au moment des faits et c’est cela même qui offre une opportunité
thérapeutique mais qui peut aussi être un problème si la personne est, par exemple, très en colère
contre ses parents.
Supposons, d’abord dans un premier cas, qu’un homme affronté à un événement douloureux reste
complètement stoïque comme on lui a appris depuis toujours à se comporter dans de telles
circonstances3. Il le raconte au psychothérapeute et se met à pleurer, se rendant compte d’une
grande souffrance. Le « nouveau » souvenir qui va en résulter intègrera un « souvenir » de
souffrance. Mais cette souffrance était-elle présente dans la première expérience ? C’est une
question tout à fait vaine ! Dans cet exemple, l’homme ne revit pas l’événement douloureux, il
l’accomplit. Son « nouveau » souvenir est plus riche que l’ancien et la remémoration a été l’occasion
d’un nouveau choix d’expérience, puisqu’il s’est autorisé à pleurer. En outre, il y a reconnaissance et
partage de la part du psychothérapeute ce qui est bien sûr thérapeutique.
Naturellement, si cette personne a éprouvé le besoin de raconter cet épisode à son
psychothérapeute c’est qu’au moment où il a vécu l’événement, il n’a pas pu réagir de façon à
réguler la charge émotionnelle. Nous disons qu’une énergie résiduelle était bloquée quelque part. La
remémoration a permis la libération de cette énergie et donc la situation est devenue dynamique.
On voit que le fait que notre mémoire soit labile n’est pas un défaut mais la condition même d’un
changement possible. Si nos souvenirs ne pouvaient être modifiés, il serait cruel et inefficace de
revenir sur un passé douloureux. Cependant, nous avons assez souvent constaté que certains
patients revenaient de manière répétitive sur des événements passés et les figeaient dans un récit
largement mythique. On peut donc aussi se bloquer et ne pas changer.La personne ne rassemble pas
ses souvenirs au contraire elle émet une plainte répétitive et stérile. Mais pour notre propos nous
allons rester sur les événements nouveaux que met en scène le processus thérapeutique.
Dans la seconde opportunité, certaines personnes croyant avoir découvert des traumatismes anciens
et refoulés assignent leurs parents en justice parce qu’ils considèrent avoir été violés ou battus (et
c’est parfois vrai mais pas toujours !). D’où pour le psychothérapeute un dilemme avec deux points
extrêmes dangereux : encourager son client à porter plainte devant la justice ou lui dire que les abus
ne sont que fantasmes. Le psychothérapeute n’a sûrement à faire ni l’un ni l’autre mais sa position
est inconfortable car le client fait passer du lieu thérapeutique dans le réel de la vie ses élaborations.
Arrivons à l’amour pour les parents
Les clients en psychothérapie ont très souvent l’occasion d’exprimer, par des mots ou des émotions,
les sentiments qu’ils ont pour leurs parents. Bien sûr rien d’étonnant à cela, le processus
thérapeutique invite à revisiter le passé et à faire surgir les affects archaïques. Mélanie Klein4 a
décrit, il y a déjà plus de cinquante ans, que des affects ambivalents sont déjà à l’œuvre chez le
bébé : haine et amour s’affrontent. Dans un premier temps les pulsions agressives du bébé ne sont
pas perçues par lui comme lui appartenant. Elles ne sont, pas plus que le sein de sa mère, un objet
3. Les hommes de ma génération n’étaient pas considérés comme virils s’ils pleuraient. Cela reste sans doute partiellement
vrai.
4 Melanie Klein, Essai de psychanalyse, Paris, Payot, 1968.