JEUXETENJEUXPERVERSAUTHEATREDANSUNGROUPEDEMEDIATION THERAPEUTIQUE:TEMOIGNAGECLINIQUE,REFLEXIONETANALYSE. BéatriceVandevelde-Pouliquen1 UniversitéCatholiquedel’Ouest Résumé Cetémoignagecliniqueillustrelesrisquesdedérivesperversesdesthérapies.Àtravers l’analyse de la pratique d’un atelier théâtre en structure de soin, le principe de la catharsisduthéâtrerencontreunpointdebutéedanssescertitudes:lapurgationdes fantasmes par leur expression hors réalité ne préserverait pas de toutes dérives perverses. Les jeux pervers sur la scène favorisant l’exacerbation des enjeux transférentiels et contre-transférentiels, le risque de précipiter la thérapie dans la perversion est réel. Aussi, par ses réflexions sur cette pratique singulière, l’auteur proposedeslignesdirectricespourpréserverlepraticiendetellesdérives. Motsclefs Atelierthéâtre,Perversion,Transfert,Contre-transfert,Analyseclinique. PerversegamesandchallengesattheTheatreinamediatedtherapeuticgroup: clinicalevidence,reflectionandanalysis. Thisclinicaltestimonyillustratestheriskthattherapiesgoperverselyadrift.Theanalysis ofatheatreworkshopimplementedinacarefacilityshowsthattheprincipleoftheatre catharsis can be confronted to some limits: the purgation of phantasms through their expressionoutsideofrealitydoesnotpreventeachandeveryperverseleeway.Perverse gamesonstageexacerbateissuesrelatedtotransferandcountertransference,sothat 1 Docteure en Psychologie, Psychologue Clinicienne. EA 4050, Recherches en psychopathologie, nouveaux symptômes et lien social, composante Clinique psychanalytique, processus de pensée, et esthétique.UCO–Angers(France).361RueRollandDion,Magog,Qc.J1X7T5,Canada.Tel:+1819993 6653.@:[email protected] Page 1 sur 20 there is a real risk that therapy turns into perversion. By sharing her thoughts on this singular practice, the author offers directions to prevent the practitioner from such a risk. Keywords Theatreworkshop,perversion,transfer,countertransference,clinicalanalysis Juegosyapuestasperversosteatroenungrupodemediaciónterapéutica:laevidencia clínica,lareflexiónyelanálisis. resumen Estaevidenciaclínicamuestralosriesgosperversosdederivasdeterapias.Atravésdel análisisdelaprácticadeuntallerdeteatroenunaescuelaespecializada,elprincipiode la catarsis teatral se encuentra con un punto de parada en sus certezas: fantasías de austeridad por su expresión fuera de la realidad no se vaya a mantener todos los excesosperjudiciales.Juegosperversossobrelaescenafavorecenlaexacerbacióndelos problemasdelatransferenciaydecontratransferencia,elriesgodeprecipitarlaterapia enlaperversiónesreal.Además,porsuspensamientossobreestasingularpráctica,el autorproponeinstruccionesparaprotegeralpracticantedetalesabusos. Palabrasllaves tallerdeteatro,perversión,latransferencia,contra-transferencia,AnálisisClínicos. Page 2 sur 20 Jeuxetenjeuxperversauthéâtredansungroupedemédiationthérapeutique: témoignageclinique,réflexionetanalyse. Le jeu dramatique est le lieu de tous les possibles. Sur l’espace scénique les comédiens jouent avec les tabous et les mettent en scène. L’inceste et le meurtre du pèredeviennentpossiblescommedansŒdipeRoi,pourciterl’exempleleplusparlant. L’essencemêmeduthéâtreestdemettreenscèneunscénariopourqu’ilsoitregardé par les spectateurs. Par le jeu des répétitions, la représentation met en relation "exhibitionnistes"et"voyeurs".Etpourtant,lavaleurperverseduthéâtreestloind’être évidente. Autraversduprésenttémoignageclinique,nousproposonsd’investiguersurles éléments qui protègent le théâtre d’une dérive perverse, en posant la problématique suivante:«PourquoileThéâtren’estpasunartperversbienqu’ilsembleenavoirtous lesingrédients?».Pourtenterd’yrépondre,nousformulonsl’hypothèseselonlaquelle la notion de jeu préserverait le théâtre des dérives perverses, puisqu’elle garantit l’inaccessionàlaréalité.Cependant,lacliniquemetenlumièrequelanotionseulede jeu ne suffit pas à assurer l’absence de perversion au sein de la thérapie. Ce qui nous conduitàformulerunesecondehypothèsequis’appuiesurlepostulatquelethéâtrese protègedesdérivesperversesparlecadreetlesrèglesquilerégissent. Pour notre réflexion nous nous appuyons sur une expérience d’animation d’atelierthéâtresingulière. Présentations L’atelierthéâtre Legroupethéâtreiciétudiéestunemédiationproposéeauseind’unservicede remobilisation aux apprentissages pour adolescents. Une scolarité décousue, souvent associée à une situation familiale complexe, est le principal symptôme visible qui conduitàleurintégrationdansleservice. Page 3 sur 20 Le groupe «atelier théâtre» est né du désir d’une des psychologues de l’institution. N’ayant aucune expérience en théâtre, elle cherche chaque année des stagiairespourencadrerl’atelierqu’ellesupervise.C’estdanscecontextequeLola ,la ∗ psychologuestagiaire,estintervenueauseindugroupethéâtre. L’année de son intervention, seuls deux adolescents de 14 ans, Aldric* et Étienne* sontinscritsà l’atelier. Pour des raisons familiales Étienne quitte la région et estremplacéparMagali*,16ans.FinalementMagaliquitteégalementlastructuredeux semainesaprèsledébutdel’atelier,suiteàdesfuguesàrépétitions. Aldric AldricestprésentéàLolaparlapsychologuecommeunjeuneinhibé,sansami, "leboucémissaire"desautresjeunesducollègeetduservice.Ilauraitétélepremier intéressé par l’atelier théâtre car une initiation au collège lui avait révélé un certain intérêtpourcettediscipline. Aldricestâgéde14ans.Ilestscolariséàtempspartielaucollègeetvientlereste du temps au centre de rééducation. Il vit depuis plusieurs années dans une famille d’accueil et ne voit sa mère que pour de rares week-ends. Il ne connaît pas son père biologique et garde des liens fragiles avec sa sœur et son frère aînés. Aldric s’est beaucoup attaché à l’homme qui vivait avec sa mère. Ce dernier, décédé quelques annéesplustôtd’unemaladiegrave,restepourluiunefigureimportante. Organisationdesséances L’atelierthéâtresediviseentroistemps:d’abordunéchauffement,ensuiteune discussion pour présenter le scénario et enfin le jeu. La psychologue reste extérieure pournotercequiseditetsejoue,enintervenanttoutefoisrégulièrement.Latâchede la stagiaire consiste à animer l’échauffement, à aider les jeunes à construire leur histoire,etàjoueruntroisièmepersonnagesinécessaire. ∗ Pourdesraisonsdeconfidentialitélesprénomsontétémodifiés. Page 4 sur 20 Le fonctionnement de cet atelier théâtre est le même depuis son origine. Il a doncétéréfléchisansLola.Troisélémentssurl’atelierenlui-mêmeetsonorganisation l’interpellent. D’abord,l’absencedegroupe,entantqu’«ensembledepersonnes»2,auraitdû selonelle,entraînerl’arrêtdel’atelierthéâtre.Illuisemblaitantinomiquedeproposer une thérapie de groupe à une personne seule. Une prise en charge individuelle aurait alorspuêtreproposéeàAldric. Ensuite,l’élaborationduscénarioenamont,etnonconstruitaufuretàmesure dujeurisquaitd’appauvrirl’improvisation.Eneffet,l’expériencedecomédiennedeLola luiavaitprouvéqu’ilestplusdifficilepourunepersonnedetrouverdesidéesdescène uniquementparlaréflexion.Ceciluisemblaitd’autantplusvraichezlesadolescentsqui présententsouventuneinhibitionàexprimerleurimaginaire.SelonLola,l’objectifd’un groupe à médiation théâtre dans le cadre d’une prise en charge psychologique était d’offrirunespaced’expressiondel’Inconscient.Déciderdecequivaêtrejouéàl’avance comporte le risque de rester dans le contrôle, dans la censure des pensées inconscientes. Enfin,lefaitqu’illuifaillejoueraveclesjeunesluiposaitunvéritableproblème quant à sa place de psychologue stagiaire et d’animatrice d’atelier. En lui demandant d’avoirunedoublefonction,d’animerl’atelieretdejouer,saplaceneluisemblaitpas clairement définie. Si son rôle était simplement de jouer tel un co-thérapeute en psychodrame cela aurait été différent. Sa fonction aurait été celle d’un "outil" augmentant les possibles du jeu. Mais en étant à la fois "metteur en scène" et "comédienne" Lola sentait qu’elle risquait d’être en difficulté pour garder la distance nécessaireàlabonnepratiqued’ungroupethérapeutique. Ne trouvant pas d’écoute à sa tentative d’exposition de ses questionnements auprès de la psychologue, elle décida de prendre la place qui lui incombait: celle de stagiaire. 2 CentreNationaldeRessourcesTextuellesetLexicales,http://www.cnrtl.fr/(consultéle19/10/2016). Page 5 sur 20 Ici, se dessinent déjà les balbutiements d’un fonctionnement corrompu. Premièrement, la décision de la psychologue de maintenir le groupe malgré l’absence degroupeamèneàsequestionnersurlescausesdesonimpossibilitéàlâcherl’objetde sondésird’atelierthéâtre.Deuxièmement,l’acceptationparLolad’undispositifqu’elle supposaitnepasêtrefiablel’aconduiteàengageruneréflexionprofondesursaplace etsonpositionnement. Nousn’analyseronspasicilesraisonspropresàchacune,maisilestintéressant desouleverquecesdeuxpositionnementsmarquentlabasedelarelationquis’installa entre la psychologue et sa stagiaire. Ils signent ainsi les prémisses d’un dispositif thérapeutique pervers illustré par la phrase emblématique proposée par O. Mannoni: «jesaisbienmaisquandmême»(1969).«Jesaisbienqu’ilnes’agitpasd’ungroupe théâtre, mais quand même nous pouvons continuer à faire exister l’atelier théâtre!» pour l’une. Et «je sais bien que je ne devrais pas y aller dans ces (ou plutôt ses) conditions,maisquandmême,j’yvais»pourl’autre. Lejeucommemédiateuràl’expressiondesfantasmes De fait, les premières séances furent quelques peu difficiles. Aldric, après avoir vu partir ses deux partenaires de jeu successifs, esquivait le jeu en discutant de son quotidien de façon très superficielle et en refusant d’entrer dans le dispositif. Mais à forced’insistancedelapsychologue,lorsd’uneséanceilyeutcommeundéclic.Aldric étaitprêtàs’investirdansl’espacethérapeutiquequiluiétaitproposé. Jeu1 Ce jour-là, Aldric arrive en disant qu’il sait ce qu’il va jouer. Il se dirige aussitôt dans les coulisses et entre sur la scène. Au centre, il se tientdebout,lebustepliéversl’avant,latêteredresséeetunœilfermé. Ils’exclame«elleestbelle,jesuisamoureuxd’elle!»etrestequelque secondeensilenceavantdequitterlascène. Une fois son improvisation terminée, il explique: «ça se passe dansunfoyer.Ungarçonobserveunefilleparletroudelaserrure.Elle sortdeladouchequiestdanslachambreetvas’habiller.» Page 6 sur 20 Jeu2 Lorsdelaséancesuivante,Aldricrefused’embléedesemettreau travail. A peine entré dans le théâtre, il se cache dans les coulisses. Il manifeste alors sa présence en tapant sur les tuyaux. Lola compare ce bruit à celui de travaux. La psychologue lui propose de partir de cette idéepourtrouveruneimprovisation. Aldricjoueunhommequibricolechezlui.Ilentendsontéléphone sonner et va décrocher: «bonjour voisine… Quoi je fais trop de bruit avecmaperceuse?!».Ils’énerveetlamenace:«Jevaisvouspercer!» etilraccrocheetsortdanslescoulisses.Quelquessecondesplustard,il entredenouveausurlascèneets’adresseaupublic.«Pourm’excuser, jeluiaifaitencorepleindepetitstrous,puisj’aiinstalléunjudasetune sonnetteàsaporte». Dans ces deux premiers jeux nous pouvons observer le premier glissement du cadredel’atelierthéâtre.Ilavaitétéannoncéquelesséancesseraientdiviséesentrois temps:d’abordl’échauffement,puisl’élaborationduscénarioetenfinletempsdejeu. IciAldricévitel’échauffementetl’élaborationcommuneduscénario. Danslepremierjeu,ilestclairqu’Aldricestvenuàl’atelieravecl’enviedenous montrer le scénario qu’il avait élaboré tout seul, avant même de se rendre à l’atelier. Danslesecondjeu,lefaitqu’ilsecachedanslescoulissesetattirel’attentionenfaisant dubruit,sembleindiquerqu’ilsouhaitaitmontrer"quelquechose"sanssavoircomment le mettre en corps et en mots sur la scène. L’essentiel de l’improvisation se joue hors scène.Decefaitiln’estpaspossibledevoircequisejoue(ounesejouepas)dansles coulisses.Aldricdévoilelasubstancedesonimprovisationenlaracontantetnonenla jouant. Dans les deux jeux, Aldric esquive le cadre, ce qui n’est pas repris par la psychologue qui accueille le jeu (ou le non jeu) sans autre forme de commentaire, malgrélemalaisedeLolafaceàcequiluisembleêtreuneabsencedejeu. Dans un premier temps, nous pouvons constater que la médiation théâtre est opéranteauprèsd’Aldric.Ilutiliselascènepourlaisserlibrecoursàsesfantasmes,de façon consciente dans le premier jeu, en laissant parler son inconscient dans le deuxième. Ainsi, dans le premier jeu, Aldric qui est un adolescent plutôt timide et réservé, notamment avec la gente féminine, accomplit son désir de pouvoir observer une femme nue. Dans le deuxième jeu, Aldric va plus loin dans l’expression des Page 7 sur 20 fantasmes. En utilisant l’image des travaux avec la perceuse, Aldric poursuit sa découverte du sexuel. Dans son improvisation, lorsqu’Aldric menace sa voisine en lui criant«jevaisvouspercer»nouspouvonsentendrel’expressiond’undésirdedépasser sespulsionsscopiques,expriméeslorsdujeuprécédent,enaccomplissantl’actesexuel en lui-même. Nous pouvons constater ensuite le retour de la pulsion scopique avec l’installation du judas. L’ambivalence d’Aldric s’exprime à nouveau. Le retour du trou incarnéparlejudastémoignedesondésirderegarderencachette,maispeutêtreaussi d’êtreluiaussiobservé–fonctionpremièredujudas. Dans ce deuxième jeu, il semblerait que cette expression plus libre et moins contrôlée de l’Inconscient d’Aldric vienne du fait qu’il n’ait pas élaboré son scénario à l’avance.Ilétaitdoncmoinsdanslamaîtrisequelorsdupremierjeu,cequiluipermet d’aller plus loin dans l’expression de ses fantasmes, la censure étant amoindrie. Cependant, notons que ce deuxième jeu semble tellement troublant pour Aldric qu’il n’arrive même pas à le jouer sur scène. Il ne peut que le raconter avec un contenu manifeste détourné. Le sexuel étant tellement envahissant pour Aldric que la métaphoredestravauxnesuffitpasàvenirvoilerlecontenulatentdesesfantasmes. Nousretrouvonsdanscesjeuxcertainescomposantesdelaperversion.D’abord, levoyeurismeestillustréparl’observationdelafillenuedanslepremierjeuetlejudas dans le second jeu. Ce même judas vient évoquer également le désir exhibitionniste d’Aldric. Ensuite, Aldric va plus loin dans la perversion en venant représenter l’accomplissement de l’acte sexuel par le viol. Il va trouver sa voisine qui se plaint du bruit,pour«lapercer»etluifaireplein«depetitstrous». Toutefois, notons que le jeu théâtral, par sa nature même, vient exposer un fantasme, mais préserve du passage dans le réel. Grâce à la dimension du jeu et du «faire semblant» Aldric ne bascule pas dans la perversion puisqu’il reste au stade de l’imaginaire. La corrélation entre les fantasmes ici exprimés et les actes pervers peut s’expliquer du fait que «Les fantasmes inconscients présentent, par conséquent, le même contenu que les actions authentiques des pervers» (Freud, 1905: 36). De plus, notonsque«Lesactesperverssontaufantasmedusujetperverscequelesymptôme, Page 8 sur 20 résultatdurefoulement,estaufantasmedunévrosé.»(Haie,2006:700).Surscène,il n'yapaspassageàl'actedansleréel,maisillusiondupassageàl'acte,nousnesommes doncpasdanslaperversion. Danscettepremièreanalyse,l’atelierthéâtresembledoncremplirsafonction: offrir une scène à ʺl’autre-scèneʺ. L’inconscient et les fantasmes sont libres de s’exprimer sans devenir le lieu d'une débauche d'actes pervers. Pourtant, le premier glissementducadredevraitalerter. Eneffet,définiravecunadolescentuncadre,toutenluiindiquantqu’ilenfaitce qu’ilveutnerisque-t-ilpasd’amenerd’autresglissements? Verslaperversiondujeu Malgré les questionnements de Lola les séances continuent ainsi et le cadre est manipuléselonlebonvouloird’Aldric. Jeu3 Cejour-làAldricn’estpasdanslerefusdejouer.Aucontraire!Ila apporté deux pistolets en plastiques: un pour lui et un pour une partenaire de jeu. La psychologue responsable du groupe théâtre lui avait «promis» qu’il pourrait jouer des jeux à deux s’il le souhaitait même si elle n’avait pas trouvé d’autres jeunes pour participer au groupe. Par conséquent, elle demande à Lola d’aller jouer avec Aldric. Prisedanslemouvement,lavoilàdoncsurscèneaveclejeune.Ilveut qu’ellejoueune«fillequitirepartout».Lui,estunpolicierquiessaye delaremettredansledroitchemin. Elle tente de rappeler le cadre et propose l’échauffement, en insistant sur le fait que pour jouer elle a besoin de se préparer. Il consent de mauvaise grâce, bâcle l’échauffement et refuse de faire le travail de recherche de la démarche du personnage. Aldric et Lola s’installentdoncdanslescoulissespourcommencerlejeu. Sur scène le policier parle d’un acte que la jeune fille aurait commis sous l’emprise de la drogue: « hier t’as été voir unpetit monsieur, tu lui as fait ...». Le discours s’arrête net puis il reprend: «Quand t’as sniffé, tu ne sais plus ce que tu fais!». Devant le regard incréduledupersonnagedeLola,ilprécise:«t’essortiaveclegarsettu l’as buté! ». Le policier menace de tuer la fille qui le provoque en Page 9 sur 20 réponse: «vas y! allez! t’es même pas cap’!». En effet incapable d’assumer ses menaces, le policier tire dans la cuisse de la jeune fille: «Etmaintenanttuvasfaireentièrementcequejetedis!»luilance-t-il pourfinirl’improvisation. Aldric est venu à la séance avec son scénario déjà établi. Il n’est pas dupe, et savaitpertinemmentqueLolaseraitobligéedejoueraveclui. Nous pouvons clairement ici repérer les prémices d'une posture perverse, telle quelasoulignaitP.Aulagnier,«leperversseprésentecommeceluipourquiladémarche exigelamiseenplaced’unescèned’oùlehasardserabanni.Ilfautqueleperverssoit assuré de la possibilité de la coïncidence entre un fragment de “réel” et ce qui sera la “scène”oùsejouerasonphantasme.Maiscettecoïncidence–etc’estlàlepointoùl’on toucheauspécifiquedelastructurepervers–doitêtregarantieparuneLoi,laLoiqui régitunesorted’actenotariéqu’estlecontratetquenouspouvonsappelerlaloidela jouissance»(citéedansClavreul,1967:122). Rappelons ici que la psychologue avait promis, comme un deal ou l'établissementd'uncontrat,quelejeuneauraitlapossibilitédejouerdesjeuxàdeux. Aldrics'appuiedoncsurcettepromessepourfeindrelacoïncidencequ'ilseretrouveà joueravecLola. Toutefois, remarquons que cette manipulation du cadre est légitimée par la psychologuepuisqu'ellenereprendnullementlesglissementsdecadre.D'abord,Aldric élaboresonscénarioseuletàl'avance,alorsqu’ilauraitdûêtreélaboréàtrois:parlui, lapsychologuefaisanttiersetLola,devenueparlaforcedeschosespartenairedejeu. Ensuite, il n’accepte pas réellement le travail de préparation au jeu comme à la démarcheetauxattitudesdupersonnage.Decefait,iln'yapasdedistanceentreAldric etsonpersonnage:Lolarelatequesurscène,ellepouvaitvoirAldricetnonunpolicier. Aldricestprisdansunconflitpulsionnelintenserenforcéparl’adolescence.Commele montrentlesprécédentesvignettescliniquesleconcernant,ilestagitépardespulsions sexuelles qu’il a du mal à gérer. Nous pouvons observer le Ça et le Surmoi entrer en conflit chez Aldric. Il veut parler de la chose sexuelle mais cela lui est impossible, d’autant plus qu’il joue sur scène avec une co-thérapeute et non pas avec un de ses Page 10 sur 20 pairs.Lediscourss’arrêtenet,incapabledeverbalisertoutsapensée.«Hiert’asétévoir unpetit monsieur, tu lui as fait ...». De même lorsqu’il s’agit d’anéantir l’autre, le mouvement est inhibé et il manque sa cible. Il préfère prendre le pouvoir en l’affaiblissant: «et maintenant tu vas faire tout ce que je te dis!». Notons qu’il est regrettable que le temps d’échange post-jeu soit inexistant. Afin de rester dans une dimensionthérapeutique,ilauraitéténécessaired’affirmerlanotiondejeuetdelaisser la place à l’élaboration secondaire. La chaîne associative de l’improvisation théâtrale n’estpasexploitée,cequinepermetpasd’accompagnerlesujetàs’ouvrirauprocessus desymbolisation. IlsemblequecesglissementsducadrepermettentàAldricdepervertirlejeu,en l’utilisant pour faire ce qu’il a envie, non pas dans l’expression d’un désir inconscient, mais dans une manipulation consciente. Il biaise donc l’objectif thérapeutique de l’atelier,etlemetauservicedesavolontédefairedeLolasonobjetdejeu.Danscette premièreapproche,ils’arrêteà«maintenanttuvasfairetoutcequejetedis»,mais nousverronsquedanslesjeuxsuivantiltenteraderéalisercetteinjonction. Lejeuperverti Aumomentdesvacancesscolaires,unsecondglissementducadreintervient.La psychologueexpliqueàLolaqu’elleseraencongés,maisqu’ilestimportantd’accueillir Aldriccommeprévu.Lecollègeestfermé,etilestprimordialdenepaslaisserlejeune en errance. Il vient donc comme à l’accoutumée dans le service et la psychologue demande à Lola de maintenir l’atelier. La séance suivante se déroule alors en tête à tête:AldricetLola. Jeu4 DanscecontexteAldricexprimesonsouhaitdenepasvenir,tout en se dirigeant vers le théâtre. Il refuse de se mettre au travail, disant:«j’aidesproblèmes,jesuisstressé,jenepeuxpastravailler!». Lolaseretrouvealorsseuleavecunadolescentquiditnepasvouloirse mettre au travail. Pourtant, il est entré dans le petit théâtre où a Page 11 sur 20 toujourslieul’atelierets’estinstallésurlascène.Elleneprenddoncpas acte de son refus verbalisé et lui propose d’entrer dans le travail en introduisantundécalage. Ilrefusel’échauffement,ets’allongeparterreaupieddelascène. Lolaluiproposealorsunéveilcorporelenguised’échauffement:quand il entend taper dans le tambourin, il doit bouger une partie de son corps, pour se retrouver petit à petit en position debout. Il accepte difficilement et s’arrête lorsqu’il est assis. Puis il monte sur scène «Voilà, Elle est contente?! Elle va me laisser tranquille?!». Lola lui demande alors s’il aime bien qu’on insiste lorsqu’on lui demande de fairequelquechose.Ilrépond«j’aimebienfairechierlesgens»,puisil ajoute«c’estpasfaciled’êtretoutseulavecunejeunefille».Regardant Lolaécriresurlecahier,ilprendalorsunefeuilleetuncrayondanssa ʺbananeʺ(sacocheattachéeàlaceinture)etdéclare«Moiaussijepeux noter!».IlimiteainsiLola,puisluidemandedeneplusbouger,delever latêteversluicommes’illadessinait:«Minutepapillonjefaisquelque chosepourtoi!». Lolautilisececipourlanceruneidéedescène:ilpourraitêtreun garçon qui dessine quelqu’un. Il répond que ce serait mieux avec la psychologue car «il y en a une qui note et l’autre qui joue!». Et il ajoute en parlant du papier qu’il tient entre les mains:«Si tu veux le voirilfautquetumepassessurlecorps,quetumeprennesetquetu metapes.».Gênéeparcesparolestrèssexualisées,Lolaintroduitalors lejeupourseprotégerdel’expressiondespulsionsd’Aldric.Ellerefuse alors d’entendre ses paroles comme lui étant dirigées, et lui dit alorsqu’il a oublié de préciser les noms des personnages avant de commencerlejeu,etdedéfinirlasituation. Il explique que dans cette scène deux jeunes se confrontent: un garçonnomméJeanCéquedal(«J’ensaisquedalle!»)etunejeunefille qu’Aldricdécided’appelerChocolola. LesdeuxjeunessebattentcarChocololaveutrécupérerlepapier quilaconcerne.JeanCéquedalditàChocolola:«j’aidanslesmainsla photodetamèreentraind’accoucherdetoi!».Illancealorslepapier à Chocolola en lui criant: «c’était une blague, ça te concernait même pas,c’étaitpourquetut’intéressesàmoi!».Aldricmetunefinbrutale àlascèneensortantduthéâtre. Lorsque Lola le rejoint, Aldric est tranquillement installé dans le salonduserviced’accueil,àfeuilleterunebandedessinée.Ilestcalme etapaisé. En début de séance, Aldric exprime clairement que la présence de Lola le trouble.«C’estpasfaciled’êtretoutseulavecunejeunefille».Malgrésestentativesde ramenerdujeu,Lolaconstatequ’ilsn’ysontplus.Elle-mêmegênéeparcettesituation Page 12 sur 20 contre-thérapeutique, elle s’englue (pour reprendre son expression) dans le cadre déviantetn’entendpaslacontradictiondansl’expressiondudésird’Aldric.Ilsouhaite joueravecelle,maisenapeur.Ellerépondparlejeu,etsefaitalorsobjetdesondésir, sans lui garantir le cadre rassurant, rempart aux glissements pervers. Lola et Aldric utilisent l’un et l’autre le jeu pour se défiler, comme voile à l’expression de leurs ressentisconscients. Cependant, nous pouvons constater que la séance a eu malgré tout un effet apaisantsurAldric.IlestcalmelorsqueLolaleretrouve.Enutilisantlejeupourexprimer ses pensées conscientes, Aldric se sent libéré de ses fantasmes, comme s’il les avait assouvis.Pourtant,AldricrestedanslafuitelorsqueLolalerejoint.Illuiestimpossible de croiser son regard. Il prend une attitude qui donne l’illusion qu’il est dans la pièce avecsesbandesdessinéesdepuissonarrivéedansleservice.C’estcommesilaséance n’avaitpasexistée,dansunesortedenégationdel’atelierenlui-même.D’ailleursune éducatrice passe à ce moment et exprime son étonnement que la séance n’ait pas eu lieu.Aldricconfirme.Lolacontreditalorsleurproposenexpliquantquelaséances’est dérouléecommeprévumaisqu’elles’estfinieplustôt. Nous pouvons voir ici se glisser un autre des fondements de la perversion: le Déni. Aldric n'a pas l'air de mentir, il a beau savoir qu'il vient de jouer dans le petit théâtredelastructure,toutdanssonattitudeindiquequ'iln'yapaseujeu.Ilsaitbien qu'il a joué, mais il semble sincère lorsqu'il confirme les propos de l'éducatrice. Cette contradiction est typique du fonctionnement pervers mis en évidence avec le concept de Verleugnung (Freud, 1927) que l’on peut traduire par déni, démenti. Le «démenti perversrendcompted'unclivageentredeuxconstats[...]»(Haie,2006:700).Parson attitude,soncorpsetsespropos,Aldricconstatequ'ilsaitbienqu'ilajouémaisquand mêmelaséancen'apaseulieu,etillustreainsilacitationd'O.Mannoniprésentéplus haut. Ce «mais quand même» peut se traduire comme «ce voile sur lequel s'immaginarisel'absencedel'objet.Ilestl'imagequivientrecouvrircequimanqueetqui de ce fait, l'annule.» (Haie, 2006: 700). Il est clair qu'Aldric n'a pas trouvé ce qu'il voulaitdanslejeu,alorsc'estcommes'ilannulaitpsychiquementlaséance. Page 13 sur 20 Du fait de son adolescence, Aldric est aux prises de ses pulsions de façon envahissante et ambivalente. Dans le jeu entre Jean Céquedal et Chocolola, il semble exprimerdespulsionsdevietrèsfortesassociéesàdespulsionsnégatives,despulsions de mort. Il évoque le sexuel de façon violente et crue. Remarquons également la contractionqu’ilutilisepourcréerleprénomdupersonnage:«Chocolola»correspond à Chocolat et Lola3. Ce nouveau prénom apparaît donc comme une gourmandise à déguster. Par le prénom du personnage, il semblerait qu’Aldric exprime une pulsion érotique orale, instantanément coupée par la négation de son propre personnage «JeanCéquedal»,pour«j’ensaisquedalle»,quel’onpeutentendrecomme«jene saisriendemonexistencepuisquejenesaispasmenommer»,maisaussi«jenesais rien de cette chose, la chose sexuelle». Grâce à l’espace scénique, il semble qu’Aldric exprimeetévacuesespulsionsquiseconfondent:lespulsionsdevieetdemortsont commefusionnées.ThanatosetErosneseconfrontentplus,maiss’associentdansune sortedejouissancecrueetviolente,telunalliagedepulsiondevie-et-de-mort(Reznik, 2009).Ilpartdupostulatquedanslaperversion,«lapulsionn'atteintjamaissonobjet mais le contourne: l'alliage pulsion de vie-et-de-mort sous-tend ce mouvement de contournement.»(Reznik,2009:33).Parlejeu,Aldriccontournel'objetdejouissance, puisqu'ilnel'atteintpas.IlnedégustepasChocolola,maisJeanCéquedalfuitdevantsa présence. Undispositifthérapeutiquepervers Leretourdelapsychologueàlaséancesuivanten’enrayeenrienleglissement perversdel’atelierthéâtre;aucontraire,ilseconfirme. D’abord, il est impossible pour Lola d’évoquer la séance précédente. Aldric l’arrêtenet,etlapsychologuelaissepasser,sanssesouciercequiesticivoilé.Ellene reprendpasnonplusdetempsavecLolapourévoquerlaséanceensonabsenceetLola malàl’aisen’insistepas.C’estcommesilaséancen’avaitpasexisté. 3 Chocololaestunprénominventéparl’auteurepourressemblerauplusprochedelaréellecontraction inventéparAldricaveclemotChocolatetleréelprénomdeLola. Page 14 sur 20 Ensuite,lejeusuivantillustrequ’AldricetLolacontinuentàutiliserlejeucomme unobjetetnonplusunmédiateur,sousleregardnaïfdelapsychologue. Jeu5 Aldricdécidequ’iljoueraun«magicienraté»,etqueLolaserasa spectatrice et admiratrice. Mais, au moment de jouer, il choisit subitementd’inverserlesrôles.IlpréfèrequeLolaincarnelamagicienne et lui le spectateur. La psychologue lui explique qu’il s’agit de faire semblant,etquecommeilachoisid’interpréterun«magicienraté»,il n’apaslapressiond’avoiràréussirsestours.Malgrécela,ilneveutplus jouer le magicien mais souhaite que Lola soit la magicienne. La psychologue insiste en lui signifiant qu’il doit assumer son choix de départ:lesrôlesserontéchangésdansundeuxièmetemps. Le jeu commence, mais Aldric reste caché dans les coulisses et refuse d’entrer sur scène. Il envoie des objets à Lola comme si le magicien les faisait apparaître. Le personnage de Lola déclare alors qu’elle est déçue du spectacle car le magicien est absent. Elle rentre doncchezelle.Lascèneseterminealors. Comme il avait été annoncé à Aldric, la scène est rejouée en inversantlesrôles.Lolaestdoncla«magicienneratée»quivientfaire son numéro devant le spectateur. La magicienne se met à pleurer sur scène car elle voudrait un chapiteau, et non «ce vieux théâtre». À ce moment Aldric décide de redonner la dimension de magicien à son personnage, et le fait claquer des doigts en disant «le voici, ton chapiteau!». Ainsi il utilise son pouvoir pour que la magicienne réussisse son tour. Puis il fait un nouveau claquement de doigts et déclare «danse la Salsa! ». La magicienne utilise alors un contrepouvoir, ce qui lui permet de ne pas danser pour le magicien. Il lance alors de nouveaux sorts, tels «cours!» ou «assieds-toi!». La magicienne utilise ses contre-pouvoirs pour ne pas devenir l’objet du magicien.Aldricmetalorsunpointfinalàlascèneparl’autodestruction desonpersonnage. Le jeu terminé, Aldric sort de la salle pour éviter le temps d’échange.Lapsychologuedéclarealorsquel’onpeutleverlaséance,et retournedanssonbureau.Lolaresteseuledanslethéâtrequelquepeu ébranléeparlaséanceetlemanquedereculdetoutunchacun. La demande initiale d’Aldric, que Lola incarne un personnage qui le regarde, répond à son besoin d’expression d’une pulsion exhibitionniste. Pourtant lorsqu’il a l’occasiond’assouvircettepulsion,ilenestincapableetrefuselejeu.Laperspectivede Page 15 sur 20 se donner en spectacle devant la psychologue et Lola l’effraie probablement. Sa demande est alors de passer à une position plus passive, plus facilement acceptable pourlui.Unenouvellefois,lapulsioncontournel'objet.Danscepassaged’unepulsion active dans l’exhibitionnisme à une pulsion passive de voyeurisme, il faut entendre l’impossibilitéd’Aldricdeconvoquersonimaginaire.IlesttellementenvahiparleRéel qu’ilnepeutplusrépondreàlarègledebasededuthéâtre:«fairecommesi».Aldric n’estpasencapacitédejouer.L’absencevisuelledel’incarnationd’unpersonnagepar lapostureducorpsconfirmequ’Aldricn’accèdepasaujeu.Ilutiliselascènepourtenter de réaliser ses fantasmes, de manière plus ou moins consciente. Il est dans la manipulation du cadre et ne laisse pas libre court à son inconscient. Aldric donne l’illusiondejouermaisilnejouepas.Sondiscourscorrespondàcequ’onpeutattendre d’une improvisation, comme lorsqu’il fait apparaître un chapiteau par exemple, mais rien dans son corps n’indique qu’il joue. Lola a la sensation qu’Aldric la regarde sur scène: ce n’est pas le magicien qui regarde la magicienne. Dans la perversion «l'imaginaire s'est rabattu sur le réel, et seul fonctionne le corps réel de l'autre» (Reznik,2009:34).Lorsdecetteséance,iltentedefairedeLolasonobjetdejouissance avec le filtre des personnages. Prise dans son contre-transfert, elle refuse qu’Aldric la metteenscène.LolaetAldricfontalorsl’unetl’autresemblantderesterdanslejeu. Lolatenteuneparadeenserecentrantsursonpersonnage:lamagicienne.Entantque magicienneelle a des pouvoirs, et peut donc déjouer les sorts lancés par le magicien. Remarquons que c’est Aldric lui-même qui a donné ces, ou devrions nous écrire ses, pouvoirsensouhaitantinverserleurspersonnages.Ententantderéintroduireainside l’Imaginaire,LolapensedansunpremiertempsaccompagnerAldricànepasquitterle jeu.Toutefois,forceestdeconstaterquecetteattituden’afaitquel’inciteràcontinuer àmanipulerlejeutoutcommeellelefaisaitelle-même.Parsonrefusd’entrerdansle jeu, il ne peut pas accéder à l’assouvissement de ses pulsions scopiques. Son positionnement l’entrave dans son accession à la jouissance ce qui provoque son anéantissement.Lolanelelaissepluscontournerl'objetdesespulsions,maisprovoque unescissiondanssespulsionsquiseconfrontentets'associentsurl'espacescénique.En Page 16 sur 20 effet,ilsembleraitqueladéliaisondel’alliagepulsiondevie-et-de-mort«peutconduire danslescasextrêmesàlamort,commedanslesuicidemélancolique.»(Reznik,2009: 33). Conclusion Lejeudevraitpermettreaupatientd’exprimersonInconscient,dejoueravecses pulsionssansjugementdevaleurnidiscoursmoralisateur.L’utilisationdujeuauraitdû permettred’accueillircequ’Aldricavaitbesoindefairesortirdesonêtre.Ilétaitcensé êtreautoriséàlaisserjaillirsespulsionsdansleRéeldelascènesanspasseràl’actedans laréalité.Toutefoisl’absencededistanceavecsespersonnagessignifiequeledispositif n’étaitpasopérant.Aulieuderencontrerunespacedeparolelibre,saparolen’apas été accueillie tout en étant incitée à s’exprimer. Par ce positionnement, à la fois l’expressiondel’inconscientd’Aldricetlavaleursymboliquedujeuontéténiéeset,par conséquent, également la valeur thérapeutique de l’Atelier théâtre. Force est de constater que ce positionnement contradictoire, qui place le patient dans une confusion,aentraînéAldricdansunfonctionnementperversauseinmêmedel’atelier. Eneffet,nouspouvonsconsidérerquelerecoursàlaperversionseraitunmécanismede défensefaceàuneangoissedenéantisation(Balier,1996).Ceconstatestd’autantplus préoccupant qu’Aldric est un adolescent, un sujet en construction. La thérapie ne devrait en aucun cas l’amener vers une construction perverse de sa personnalité en légitimant un positionnement pervers et en lui montrant que c’est le seul moyen d’accéder à la jouissance. D’autant plus si l’on considère le postulat que la perversion seraitunestructurequis'organiseraitpendantl'adolescence(Eiguer,2006).Ils'agitdonc d'êtreparticulièrementprudentdanscettephasedudéveloppementlorsdesthérapies. Dufaitdesaplacedestagiaire,Lolaaquittélastructureàlafindesonstage.Elle n’aaucunenouvellenid’Aldricnidel’atelierthéâtre.Laseulecertitudequiluiresteest que cette expérience qu’elle qualifie de malheureuse lui a fait prendre conscience de l’urgence vitale de toujours rester en questionnement face à sa pratique. C’est dans Page 17 sur 20 cettedynamiquequ’ilestindispensabled’enanalyserlesraisonspouréloigneruntant soitpeulaperversiondesespacesdesoinpsychique. Premièrement, il semble évident ici qu’il y a eu un problème de cadre. Toute médiation thérapeutique doit faire l’objet d’une vigilance extrême quant aux objectifs recherchésetauxeffetsproduits.Unminimumdecadreetsurtoutunebonnetenueet uneévaluationconstantedececadresontprimordiauxdanstoutespacethérapeutique. Le cadre tel qu’il avait été pensé initialement ne permettait pas d’accompagner le patientàtrouverlajustedistance.D’unepart,l’expériencemontrequelefaitd’élaborer un scénario sans préparation du corps au jeu et recherche d’un personnage, entrave l’accès à l’Inconscient. Il est en effet plus difficile de se laisser surprendre par le jeu lorsque l’on a tout élaboré à l’avance. Dans le cadre d’ateliers théâtre utilisant l’improvisation comme médiation, il est préférable d’élaborer le scénario à partir d’un personnage trouvé grâce à la posture du corps. Par exemple, les comédiens se préparent au jeu grâce à un éveil corporel, puis sont arrêtés dans leurs mouvements dansunepostureinattendue.Cettepostureleurévoqueunpersonnage,lepersonnage permettant de trouver une idée de situation qui entraine l’élaboration d’un scénario4. D’autrepart,lemanquededistanceaveclepersonnageestrenforcéparl’absenced’un tempsd’échangepost-jeuquioffrelapossibilitéd’élaborerlesvécusetressentislorsde l’improvisation. Dans le cas de l’atelier théâtre ici présenté, il a été impossible pour Aldric de créer une distanciation entre son personnage et sa personne. Au contraire, nousavonsobservéqu’enlelaissantseuldanslapréparationdujeuetsansrienendire unefoismisenscène,illuiaétédonnélescartespourutiliserlejeuenélaborantson scénariosanspouvoircréerdedistanceentrelui-mêmeetsonpersonnage. Deuxièmement, il semble important de ne pas oublier que les thérapies sont maniéespardessujetsqui,selonleursattitudes,leurscomportementsetleurstructure, agissentsurlesdynamiquesdesmédiations.Lanégligence,oupirelatoute-puissancede 4 La création d’un scénario en amont peut néanmoins être efficace mais dans un cadre bien précis, comme par exemple le psychodrame où il s’agirait de travailler sur un événement précis de la vie du patient. Dans ces dispositifs, le cadre est strict, les règles de jeu évitent tout flottement et un temps d’échangeaprèslejeupermetdereprendrecequiaétévécusurscène. Page 18 sur 20 certainsthérapeutes,peutavoiruneincidenceperversesurlesthérapieselles-mêmes, tout comme la soumission à des injonctions qu’on sait ne pas être justes. L’important est de se questionner dans son travail, et de ne pas évincer le doute, soit par peur d’assumer ses positions, soit par excès de certitudes. Pour garantir une pratique respectueuse du sujet, le thérapeute doit rester humble, à l’écoute du patient et cohérentaveclui-mêmeetlesoutilsutilisés. Thérapeutesanalytiques,imprégnons-nousdespropospresquepoétiquesdeS. Reznik:«la fin de l'analyse, définie de Freud à Lacan par une butée sur le roc de la castration ou par la traversée du fantasme, nous confronte à l'écueil de la perversion. Frêles esquifs ou paquebots, les institutions analytiques risquent toujours de se briser contrecetécueiloùserejoignentl'assujettissementetletarissementdel'imaginaire,ou dejeterl'ancreenselaissantbercerparledouxclapotisd'unconformismeronronnant.» (2009). Enconclusion,ilnoussemblejusted’affirmerquec’estlafaçondontaétéutilisé lethéâtrequiaamenéàdesglissementsperversdanslecasprésentéici,paslethéâtre en lui-même. Comme nous l’avons montré, le jeu permet l’expression des fantasmes, mais préserve du passage dans la réalité, donc de la bascule dans la perversion, car il s’agitdefairesemblant.Toutefois,silecadreetlesrèglesquirégissentlethéâtreetle dispositifthérapeutiquenesontpasrespectés,lerisquedebasculerdanslaperversion estréel.LeThéâtren’estpasunartpervers,aucontraireilpréservedelaperversioncar ilpermetd’exprimer,deselibérerdesesfantasmescommelesoulignaitdéjàAristote dans sa Poétique. Néanmoins, du côté du comédien, et dans le contexte de groupes thérapeutiques il est nécessaire d’ajouter: si et seulement si, le cadre est pensé pour êtreadaptéàlapathologieetaupatient,etsurtout,sietseulementsi,ilestrespecté. Page 19 sur 20 BIBLIOGRAPHIE Aristote.Poétique.Paris:lelivredepoche,1990. Balier,C.,(1996).Psychanalysedescomportementssexuelsviolents.Paris:Puf. CentreNationaldeRessourcesTextuellesetLexicales,http://www.cnrtl.fr/ Clavreul,J.,(1967).Ledésiretlaperversion.Paris:Seuil,1967. Eiguer,A.,(2006).Peut-onparlerdePerversionàl'Adolescence?.Adolescence,57,593601. Freud, S., (1905). Fragments d’une analyse d’hystérie. Cinq psychanalyses. Paris: Puf, 1954,1-91. Freud,S.,(1927).Lefétichisme.LaViesexuelle.Paris:Puf,1973,133-138. Haie. B., (2006). Le statut du fantasme dans la perversion, au travers d'oeuvres de P. Klossowski.Adolescence,57,699-710. Mannoni,O.,(1969).Jesaisbien,maisquandmême.Clefspourl’Imaginaireoul’Autre Scène.Paris:Seuil,9-33. Reznik,S.,(2009).SublimationcontrePerversion.Chevuoi?.Paris:l'Harmattan,32,27- 40. Page 20 sur 20