
Evelyne Rogue
Langageetesthétique:Wittgensteinoul’ordredesraisons
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principe, il n’a pour raison d’être que le souci d’éviter un langage qui ferait croire que l’on
dispose de réponses, alors qu’en fait nous ne possédons que de questions. Un tel langage,
comprenons un langage dans lequel nous ne serions en présence que de questions se révèlerait
n’être in fine qu’un pseudo-langage; puisqu’il nous est impossible d’avoir des questions sans
posséder en même temps la faculté d’y répondre - à supposer évidemment qu’il s’agisse
réellement de questions14.
Dès lors, le critère de signification ne peut plus se soutenir de lui-même, et il le pourra
d’autant moins que la proposition selon laquelle “la signification est la vérification” est elle-
même invérifiable, donc absurde. De plus, dans la mesure où l’absence de fonction
problématologique n’a pas permis aux auteurs de ce critère de voir à quoi ce dernier répondait,
il en résulte une autojustification inassumable. A cela, il faudrait ajouter que le critère est
erroné, puisqu’il est de nature propositionnaliste, justificationnelle. Ainsi en négligeant son
origine, laquelle réside dans le fait d’établir un rapport question-réponse, il refoule toutes les
autres modalités possibles d’un tel rapport. Ce qui est cohérent puisque ce rapport n’est pas
posé comme tel, mais se trouve représenté au travers d’une particularisation possible, loin
d’être exemplaire bien qu’elle puisse apparaître comme plus évidente. En outre, il y est
supposé qu’on possède la réponse; de telle sorte qu’il n’y a plus qu’à vérifier l’ajustement,
l’adéquation -; ce qui est justement bien trop se donner par rapport à la réalité de l’intellection
et du sens. Dès lors, le critère de signification laisse échapper le phénomène du sens pris dans
sa globalité, et cela essentiellement parce qu’il le partialise au sein même du modèle
propositionnel. En effet, il ne peut que vouloir se justifier par soi-même, sans le pouvoir, car
ce qui serait susceptible de l’exliquer va à l’encontre du paradigme justificatoire, et à ce titre
se trouverait rejeté. Partant, de ce fait, le positivisme se trouve contraint d’ériger la
justification comme seule signification possible, et comme allant de soi, via l’alternative de
l’expérience et de la logique selon le type de discours à adopter. Par le refoulement de la
raison d’être problématologique de la démarche, le positivisme s’est donc érigé en doctrine
réductrice logico-linguistique, faisant tout naturellement premier ce logico-linguistique, et
tuant par là-même toute racine problématologique, dans le seul but de pouvoir se poser, ou
s’autoposer, en conception autonome de la science et du langage, avec le questionnement
comme dérivé parmi d’autres15. Carnap fut alors obligé d’accepter l’idée qu’une question pût
être totalement externe par rapport à un cadre de désignation, de référence, de résolution, tout
en ayant du sens ; et nous en tenons pour preuve le fait qu’il affirme lui-même qu’ : « une
question externe est de nature problématique et requiert à ce titre un examen plus
approfondi ». Un paradoxe inévitable demeure alors : comment prouver que l’on répond à une
question en montrant qu’on ne peut pas y répondre ? Sans doute, faut-il voir dans ce fait une
conséquence du critère de signification, puisque rien ne se vérifie comme réponse pour les
questions dépourvues de sens. Faute de faire accéder alors la différence problématologique au
concept, il ne se présente plus devant nous qu’une formule pour le moins étrange. En
14La vérification est l’alignement du sens sur la science. En réalité, il s’agit encore d’un critère propositionnaliste, car on ramène une fois de
plus le problématique à l’assertorique lequel le définit.
15Le critère de la vérification n’a plus été qu’une guillotine logico-épistémique, une norme et un critère de jugement au sens le plus terroriste
du terme. Carnap survécut bien à la mort du mouvement qu’il contribua à articuler.