Expériences avec les forfaits par cas (DRG) en Allemagne

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« L’entretien d’actualité » :
avec Ursula Biermann, auteur et journaliste
scientifique
A compter de 2012, tous les hôpitaux de Suisse factureront sur la base de
forfaits par cas (DRG). Ce nouveau système tarifaire homogène devrait
permettre de comparer les coûts et la qualité des hôpitaux. L’Allemagne a
déjà adopté le système des forfaits par cas depuis 2003. Quelles sont les
expériences des patients allemands avec ce nouveau système? La rédaction
de «MedTech – nous aidons la guérison» en a parlé avec la journaliste
scientifique Ursula Biermann, dont les articles dénoncent les dérives
quotidiennes du système de santé chez nos voisins.
Mme Biermann, comment les patients allemands vivent-ils le système de forfaits par
cas?
Les hôpitaux doit faire face à une pression énorme. Tout doit être fait rapidement et à moindre
coût, souvent aux dépens des patients. Brutalement, les patients se voient refuser des prestations
qui, autrefois, étaient tout naturellement pris en charge par la caisse maladie. L’hôpital perçoit un
forfait déterminé pour les prestations médicales par cas de traitement. Une fois cette somme
dépensée, l’hôpital a tout intérêt à ce que le patient quitte l’établissement le plus vite possible.
On assiste donc de plus en plus à des sorties précoces.
Pouvez-vous donner un exemple?
Je pourrais vous citer des quantités d’exemples. Prenons, par exemple, le cas de ce patient de
55 ans qui, suite à la pose d’une prothèse de hanche, a été transféré trop tôt dans une clinique
de réadaptation, alors que les plaies n’étaient même pas encore cicatrisées. Il n’a pas vraiment
profité de ses premiers jours en clinique car il était épuisé par l’intervention qui était encore très
récente. Il se sentait fatigué, vidé, si bien qu’il n’a pas pu bénéficier de certaines possibilités que
lui offrait la clinique. A cette fatigue s’ajoutait un énorme hématome qui lui a gâché toute sa
première semaine en réadaptation. Après trois semaines passées à la clinique, la durée
généralement prescrite en Allemagne, il éprouvait toujours des difficultés à se déplacer et à
effectuer les gestes quotidiens de manière autonome.
Qu’en est-il de la capacité d’accueil des cliniques de réadaptation allemandes?
En Allemagne, nous souffrons non seulement d’un manque de personnel, mais aussi et surtout
d’un manque de main d’œuvre qualifiée. Les patients arrivent en clinique de réadaptation six à
huit jours plus tôt qu’autrefois, souvent avec des plaies qui ne sont pas encore cicatrisées.
Il est ainsi de plus en plus fréquent que le personnel soignant doive s’occuper de retirer des points
de suture ou de traiter des infections. Ce transfert des responsabilités, et donc des coûts, est
devenu systématique en Allemagne depuis longtemps. Les maisons de repos sont également
concernées par ce problème. Dans de nombreux établissements, le manque de personnel est
compensé par un usage massif de psychotropes : les personnes âgées, notamment, se voient ainsi
administrer des tranquillisants, pour qu’elles exigent moins de soins. Or, les effets secondaires de
ce type de traitement ne se limitent pas à des troubles mentaux : on constate aussi des problèmes
importants de coordination des mouvements, à l’origine de chutes et de blessures.
Est-ce à dire qu’en Allemagne, ce sont surtout les personnes âgées qui se trouvent
pénalisées par le système des forfaits par cas?
Les sorties précoces de l’hôpital posent principalement problème chez les personnes âgées.
Celles-ci ont généralement besoin d’une période de réadaptation plus longue après l’opération,
sous traitement et suivi médical. On ne peut tout simplement pas les envoyer directement en
maison de convalescence ou chez elles. Pour les patients âgés, la maison de convalescence est
malheureusement souvent le terminus. A partir d’un certain âge, ils se rétablissent plus
difficilement et ne sortent pas de ces centres, où l’on ne stimule guère la mobilité des patients.
Dans le cadre du traitement lui-même, les économies sont-elles aussi principalement
réalisées sur les cas de personnes âgées?
Le fait est que les personnes âgées, tout particulièrement, se voient souvent refuser des
traitements qui seraient nécessaires. Cependant, cela dépend beaucoup du médecin et de son
équipe, qui peuvent déclarer qu’un patient est «trop vieux» pour certaines interventions, par
exemple pour un remplacement de valve cardiaque, et qu’une telle intervention «ne vaut plus la
peine». Un remplacement de valve cardiaque – pour garder cet exemple – n’est de toute façon
possible que si l’implant requis est disponible. En Allemagne, chaque hôpital se voit attribuer un
budget annuel pour une certaine quantité d’implants, tous types confondus. A moins d’avoir une
assurance privée, les patients qui ont besoin de stimulateurs cardiaques, de valves cardiaques ou
de stents jouent donc à la roulette russe. Beaucoup d’entre eux, en effet, sont d’abord mis sur
liste d’attente pendant trois à six mois. Six patients de différents hôpitaux dans plusieurs régions
d’Allemagne m’ont dit qu’ils n’avaient reçu un implant qu’après avoir offert de payer un
supplément.
Ce nouveau système de tarifs a-t-il contribué à renforcer la tendance à une médecine de
seconde classe en Allemagne?
J’irai même plus loin en affirmant qu’il s’est développé aujourd’hui en Allemagne, quasiment à
l’insu du grand public, une médecine de troisième classe. Outre la distinction qui s’établit entre
les patients disposant d’une assurance privée et ceux qui dépendent de la caisse maladie, un
troisième groupe se forme maintenant: celui des patients âgés.
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Ils ne reçoivent plus toujours les soins auxquels ils ont légalement droit. A partir du moment où ils
ne participent plus au processus de production, ils n’ont plus les mêmes droits. Ils ont moins de
valeur que les actifs. Cette mentalité se reflète aussi dans les établissements hospitaliers. Elle ne
discrimine pas uniquement les personnes âgées mais leur cas est particulièrement caractéristique.
Les médecins allemands peuvent-ils seulement proposer encore à leurs patients le
traitement le plus adapté?
Comme je le disais, les hôpitaux doit faire face à une pression énorme. Une enquête, menée
récemment auprès de 1137 cliniques allemandes spécialisées en médecine intensive et en
cardiologie, l’a particulièrement bien montré. Les trois-quarts des médecins ont déclaré que, pour
des questions de coût, ils n’étaient plus en mesure de prodiguer à leurs patients tous les soins
médicaux nécessaires. Cependant, seule une petite partie de ce groupe a indiqué qu’il s’agissait là
d’un phénomène récurrent.
Pourquoi les patients allemands ne protestent-ils pas contre ces dérives manifestes?
Ils n’en ont tout simplement pas la possibilité.
L’auteur et journaliste scientifique Ursula Biermann s’est vu décerner, le
3 octobre 2009 à Stein am Rhein, un prix de la fondation Wolfgang Fichtner Stiftung
pour son livre «Der Alte stirbt doch sowieso!» («De toute façon, les vieux meurent!»),
paru en 2009 aux éditions Herder Verlag.
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