LA REVUE DU PRATICIEN / 2003 : 53 1969
pays. Ces lois ont clairement déplacé la réflexion
éthique dans le champ politico-juridique et ainsi
s’imposent aux citoyens, médecins, chercheurs;
cependant, cet encadrement juridique ne risque-
t-il pas de stériliser le débat éthique pourtant tou-
jours nécessaire?
«Nos contemporains n’acceptent plus le moindre
risque, pour un peu ils diraient au médecin: encore
un petit effort et nous sommes immortels; il en résulte
des conséquences très fâcheuses dans certains pays, sur
le plan juridique… » écrit Jean Bernard.8
L’implication éthique en médecine au cours des
100 dernières années aura été très chaotique et
s’est largement complexifiée au cours du temps,
compte tenu des nouveaux enjeux;10 présente pen-
dant l’entre-deux-guerres, elle s’effaça un temps
pour renaître au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale. Cette renaissance restera initialement
limitée dans ses conséquences pratiques sur le plan
médical pendant les années d’après-guerre, et cela
se comprend dans la mesure où l’éthique reste
un concept et ne dépend que des propres valeurs
du médecin. Toutefois, à la fin des années 1980,
un tournant majeur s’amorce, correspondant au
passage des contraintes éthiques d’un ordre pure-
ment individuel: moral, éthique ou spirituel à un
ordre politico-juridique induit par l’intervention
du législateur (fig. 3). De ce fait, une grande par-
tie des interrogations qui nourrissaient le débat
éthique se voient vidées de leur sens, dans la
mesure où les questions sont tranchées par la loi.
Cependant, le débat éthique en a-t-il perdu tout
son sens? Loin s’en faut, et ce pour plusieurs rai-
sons: d’une part cette démocratisation éthique
n’est pas atteinte par le phénomène de la mon-
dialisation, et dans de nombreux pays les lois ne
s’appliquent pas ou n’existent pas, et pourtant les
questions éthiques s’y posent comme ailleurs; d’au-
tre part l’homme est pris de vitesse par la science,
il en va de même pour ses lois. Ainsi en est-il
aujourd’hui des débats sur la thérapie génique,
le clonage…; par ailleurs, une évolution des lois
est rendue indispensable, compte tenu des nou-
velles dispositions juridiques imposées notamment
par l’Europe; or, ces modifications de nos lois
ne vont pas sans entraîner d’âpres discussions,
comme en témoignent les récentes prises de posi-
tion du sénateur Claude Huriet sur le projet de
réforme de la loi Huriet-Sérusclat, prévue en
2003.11 Ainsi, le parlementaire s’inquiète des pro-
positions faites par la directive de Bruxelles sur
les essais cliniques de médicaments (2001/20/CE)
qui souhaite rendre obligatoire une autorisation
délivrée par une autorité compétente, modifiant
ainsi la nature des actuels comités consultatifs pour
la protection des personnes dans la recherche bio-
médicale, qui comme leur nom l’indique sont
consultatifs et qui aujourd’hui donnent un avis et
non une autorisation ; par ailleurs, la directive pro-
pose d’abandonner la notion de recherche sans
bénéfice individuel direct, or renoncer à cette notion
entraînerait d’après le sénateur un abandon des
conditions spécifiques de ce type de recherche.
Enfin et surtout, la loi n’est pas une caution
morale. Rappelons-nous le premier bulletin de
l’Ordre des médecins, d’avril 1941, où on lit
page 58: « Les médecins israélites rentrent dans la
règle commune et la loi, actuellement, ne prévoit pas
de limite à l’exercice de la profession ».12 Nous connais-
sons malheureusement les suites…
Après 23 siècles d’existence, le débat éthique
a donc encore de beaux jours devant lui…
Jean-Louis Payen
Service de médecine II, hôpital de Montauban,
BP 765, 82013 Montauban Cedex.
Président de l’association GARONAES
(Groupe d’animation, de réflexion et d’organisation
de nouvelles activités en éthique de la santé).
Remerciements
Je tiens à remercier particulièrement le DrJean-Pierre Marc Vergnes,
responsable du diplôme interuniversitaire d’éthique de la santé de
Toulouse, qui m’a aidé dans la rédaction de ce manuscrit issu d’un
mémoire pour l’obtention de ce diplôme en 2003, intitulé : Expéri-
mentation humaine et éthique au XXes., ainsi que le DrCatherine
Payen pour la relecture attentive et minutieuse de ce texte.
11. Ambroselli C. L’éthique
médicale. Paris: PUF, 1988.
2. Durand G. Histoire de l’éthique
médicale et infirmière.
Montréal: INF, 2000.
3. Russ J. La pensée éthique
contemporaine. Paris: PUF, 1994.
4. Paycheng O, Szerman S. À la
rencontre de l’éthique. Rennes:
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5. Déclaration d’Helsinki de
l’Association médicale
mondiale. Prescrire 2001 ;
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6. Lewis J, Bertil J, Krentz G,
Sampaio C, Van Zwieten-Boot
B. Placebo-controlled trials
and the declaration d’Helsinki.
Lancet 2002; 359: 1337-40.
7. Benasayag M, Comte-
Sponville A, Farhi D
et al.
De Nuremberg à la loi Huriet.
Essais thérapeutiques et
recherche médicale. Paris:
Ellipses, 2001.
8. Tursz T. Dimension éthique des
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pharmaceutiques. La loi sur les
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9. Circulaire du ministère de
l’Intérieur. International Digest
of Health Legislation 1980; 31 :
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10. Cleret de Langavant G.
Bioéthique, méthode et
complexité. Saint-Étienne:
Publications de l’Université de
Saint-Étienne, 2001.
11. Roy P. Recherche biomédicale;
le Pr Huriet inquiet de la
réforme de « sa » loi. Quot
Med 2003 ; 7323 : 16.
12. Bulletin. Bulletin de l’Ordre des
médecins. Paris: Masson, 1941.
RÉFÉRENCES
DE MÉMOIRE DE MÉDECIN / DE LA CIRCULAIRE DE WEIMAR À LA LOI HURIET
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