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profession pédiatre
Éthique de la pédiatrie - I
Balbutiements pédiatriques
Status questionis
Deux femmes sont convoquées, il y a quelque trois
mille ans. Se disputant un même enfant, elles exposent au roi Salomon leur différend. Le roi ne sait
pas encore utiliser les empreintes génétiques.
On connaît la suite : « Soyons équitable, tranchons
l’enfant en deux et que chacune d’entre vous en ait
la moitié. » « Faites ainsi », dit l’une. « Non, non, dit
l’autre, je préfère cet enfant vivant quitte à le
perdre… » Le subterfuge de Salomon fait apparaître
la vraie mère, sous-entendu la mère biologique. La
voie du sang est seule reconnue. L’enfant est cet
être donné par la nature.
Dans un laboratoire sophistiqué, un spécialiste en
néonatologie tient cet étrange discours à deux
femmes venues le consulter. L’érudit, s’adressant à
la première, dit ainsi : « Vous, Madame, vous n’avez
pas d’ovules susceptibles de procréer. Nous procéderons à une fécondation artificielle à partir d’œufs
que nous avons en réserve. Dans quelques semaines
après l’implantation de plusieurs embryons, vous
devrez énoncer clairement le nombre d’enfants que
vous souhaitez garder. »
L’homme instruit, se tournant vers la seconde
femme, dit encore : « Vous, Madame, votre mari ne
dispose pas de semences fertiles capables d’engendrer la vie. Un donneur anonyme pourra pallier cette
carence. À vous de choisir maintenant. »
La réalité biologique invite à reconsidérer une position qui semblait alors aller de soi. La procréation
artificielle, dans les cas rapportés, impose le recours à un patrimoine biologique étranger au couple. L’enfant devient un être de relation.
En rapprochant les problématiques contemporaines de l’enfant du jugement de Salomon, le
risque serait de ne percevoir qu’une continuité
de l’histoire du lien maternel. Dans le récit de Salomon, l’amour maternel prime. La vraie mère est
celle qui a accouché. Seule la mère qui a donné
la vie est capable de renoncer à son enfant pour
qu’il vive. L’actualité la plus immédiate contredit la
priorité donnée au lien charnel, affirmant de fait la
dominance de l’attache affective entre une mère
et son enfant. Une mère est prête à faire le deuil
de toute filiation biologique afin d’accorder la vie
et d’offrir l’amour le plus absolu. La « vraie mère »
peut être une autre mère que celle qui a donné la vie.
Pourquoi ce choix ? La légende du jugement de
Salomon, comme aurait pu l’être un récit tiré d’un
corpus grec, nous propose un lien entre les acteurs
de notre temps et ceux d’une autre époque.
Étrange dialogue qui pose la question de l’utilité de
l’Histoire. Au-delà de la division traditionnelle du
temps, les questions sont multiples. Quand commence véritablement l’histoire de la pédiatrie ?
Se confond-elle avec l’histoire de l’enfant et de
l’éthique ?
Les noms eux-mêmes de « pédiatre » et d’ « éthique »,
de par leur étymologie grecque, prouvent un
enracinement dans l’Antiquité. Il est habituel de
définir la pédiatrie (du grec : paidos (éducation) +
iatros (médecin)) comme une pratique médicale
s’étendant de la naissance à l’âge de la puberté
accomplie. Chaque origine renvoie à une autre
origine qui la précède. Le Traité des diagnostics et
des pronostics, le plus vieux livre de médecine du
monde, est ouvrage de pédiatrie. Paradoxe des
temps modernes, la pédiatrie qui est une des plus
anciennes spécialités sinon la plus ancienne, est
aujourd’hui remise en cause. Étrange évolution
qui laisserait l’esprit interrogatif sur le devenir de
la pédiatrie et de l’éthique si les lueurs de l’aube
n’offraient quelques lumières sur le futur. Cet
avenir qui s’énonce dans l’ombre ne signifie pas
seulement le caractère éphémère des valeurs et
des institutions, mais permet un jugement sur le
niveau éthique d’une civilisation
Quant à l’éthique, peu reconnue jusqu’alors,
elle était peu enseignée dans les universités. La
référence à une éthique évoque depuis Aristote
une double étiologie. « La vertu morale (êthikhè)
est le produit de l’habitude (ex éthous) d’où lui est
venu aussi son nom par une légère modification
de éthos. »
Pour être exhaustive, un traité sur l’éthique de la
pédiatrie supposerait non seulement un recensement de toutes les situations où l’enfant est impliqué dans une situation de soins et une étude les
différents champs couverts par le mot « éthique »
dans chacune de ces situations. Travail aporétique,
gordien, utopique si l’on songe qu’il existe autant
d’éthiques que de philosophes, de situations que
d’enfants réels ou encore présents en chaque adulte.
Claude Valentin,
pédiatre, Eaubonne
responsable du
groupe éthique AFPA,
[email protected]
le pédiatre n° 266 • 2015 - 1 19
Éthique de la pédiatrie - I
profession pédiatre
C’est certainement pour cette raison que l’étude
d’une éthique de la pédiatrie n’a jamais été traitée
dans cette vision d’ensemble à ce jour. Seul a été
dénommé jusqu’ici, l’enfant en regard de situations particulières ou d’une spécialité : l’enfant
en milieu carcéral, l’enfant handicapé en institut,
l’enfant en cancérologie… Étrange segmentation
de l’approche de l’enfant, imposée au nom de la
rationalité dictée par les lois de la connaissance,
qui rappelle le démembrement de la médecine
en spécialités où apparaît l’enfant : la gastropédiatrie, la pneumo-pédiatrie, la dermato-pédiatrie,
…la pédopsychiatrie, la psychanalyse de l’enfant,
la pédagogie…
Étonnante exposition que l’on retrouve dans la
plupart des colloques où chaque spécialiste vient
exprimer son expérience de l’enfant en référence
à sa pratique et dans lesquels un modérateur, accessoirement philosophe, est censé énoncer une
conclusion synthétique des différentes approches
faites de l’enfant.
Il s’agit certainement bien d’expression plurielle
de situations où l’enfant est présent, mais jamais
de l’enfance dans sa globalité, dans sa singularité
et donc jamais d’une approche de l’éthique de la
pédiatrie.
L’éthique de la pédiatrie ne se situe pas en marge
de la morale fondamentale. Elle n’est pas étrangère
à l’éthos aristotélicien. Paul Ricœur, dans De la morale à l’éthique et aux éthiques, affirme l’existence
d’une morale fondamentale, encore dite première
ou antérieure, autoréférentielle, décrite comme « la
vertu consistant pour l’essentiel dans une manière
habituelle d’agir sous la conduite de la référence
raisonnable » ou plus simplement d’une morale
du « vivre bien ». À partir de cette connaissance
théorique nommée morale fondamentale, éditée
en normes, s’est établie une éthique « première »,
base elle-même d’applications pratiques nommées « éthiques postérieures » ou « spéciales »,
auxquelles appartiennent la médecine et le droit
et dont les caractéristiques sont, pour Ricœur, par
la sollicitude « qui demande que secours soit porté
à toute personne en danger.» L’éthique pédiatrique
ne relève pas d’une autre éthique que celle de la
médecine, elle n’est nullement singulière mais
particulière de par sa spécificité qui est celle du
regard porté sur l’enfant.
Ainsi sommes-nous conviés à dénouer l’écheveau
de l’histoire de l’enfance et du médecin, à éclairer
l’aube de la vie afin de découvrir les liens entretenus entre soignant et enfant que le monde actuel
expose en un foisonnement de représentations.
Ainsi nous sommes à l’unisson avec Bachelard
quand il affirme dans La formation de l’esprit scientifique que l’ancien doit être pensé en fonction du
nouveau et inversement, la recherche menée dans
notre passé engage à découvrir les sources de nos
jugements et de nos comportements envers l’enfant.
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Le pédiatre découvre les prémices d’une éthique
de l’enfant en écoutant les narrateurs de l’aurore. À partir de ce regard critique, une étude
épistémologique de l’Histoire de l’enfant peut être
proposée, mettant en dialogue passé et présent.
Les rites, les références morales, les idéologies
délimitant les notions contemporaines de bien et
de mal qui nous paraissent si naturelles sont les
effets compilés de croyances et de principes philosophiques élaborés durant l’Antiquité. À travers
les similitudes et les différences existant entre les
civilisations qui nous précèdent, une modélisation
des coutumes touchant l’enfant, le médecin et le
milieu de vie peut être esquissée.
L’aurore de la pédiatrie
Mésopotamie, Grèce, Israël sont trois modèles de
culture toujours en débat où les visages de l’enfant
et du médecin se recomposent progressivement
jusqu’à leur représentation contemporaine. Aucune de ces trois cultures n’énonce l’enfance et l’art
de guérir dans une reproduction absolue mais chacune en donne un écho. Les différentes facettes
de l’enfant que nous percevons, issues des strates
de la raison et de la sensibilité déposées au cours
de l’Histoire, exposent l’essence de l’homme non
seulement parce que l’enfant est la part dominante
de nous-mêmes mais aussi parce que cette attention portée à l’enfant révèle autant celui qui est regardé ou écouté que celui qui regarde ou écoute.
Une évolution se dessine au regard de l’éthique.
L’enfant esclave, vendu, ou encore objet de servitude durant l’Antiquité devient sujet d’intérêt
grâce aux premiers médecins mésopotamiens et
grecs. L’enfant malade n’est plus objet de malédiction mais sujet de recherche. Une désacralisation
s’instaure dans l’art de soigner. La Bible en donne le
reflet le plus éloquent, offrant à l’enfant une liberté
en dehors de toute prédestination.
Paradoxalement, traces de temps antédiluviens ou
retour du refoulé ou encore nécessité de désigner
un bouc émissaire, l’enfant d’aujourd’hui continue
d’être objet de servitude.
L’étude de la médecine antique permet de saisir
à l’état naissant à la fois un système d’interprétations de la maladie et un intérêt accordé à l’enfant. Témoin d’un effort constant de rationalité,
l’approche interprétative de la maladie est une
première individualité éthique reconnue à l’enfance. Sensibilité et rationalité se conjuguent au
cœur des questions existentielles gravitant autour
de la vie de l’individu, de son enfant, de son milieu
social et de ses croyances. La réponse diffère selon
les civilisations. La période actuelle récapitule ces
manières de vivre plus qu’elle ne les transcende.
L’attachement aux conduites ancestrales est constant, perfide, incompréhensible, insistant : il est
tout à la fois une richesse et un esclavage.
En Mésopotamie, une première médecine
sacerdotale s’attache à la question du sens de la
maladie. Le rituel effectué par le sorcier sera efficace
sur la maladie dont l’enfant est porteur. Elle n’est
pas une simple guérison du corps, mais le signe
d’une réconciliation avec les dieux qui signifient de
cette manière leur clémence. Un autre art de soigner,
empirique, réalisé par le médecin, énoncera les
étiologies de la maladie en termes de coïncidence d’événements. Le symptôme est confondu
avec la maladie. Parallèlement à cette évolution
technique, des repères éthiques touchant l’enfant
se révèlent. Pour la conscience commune l’enfant
est une entité substituable, comme en témoignent
l’adoption qui est une affaire commerciale permettant un meilleur destin à l’enfant ou encore les
codes tel celui d’Hammourabi qui dit : « si tu tues
un enfant, on tuera le tien.» Pour le médecin, au contraire, l’enfant est un être digne de soins. Première
attestation au bénéfice du thérapeute d’une valeur
morale reconnue à l’enfant1.
En Grèce, Hippocrate réfute toute idée d’influence
religieuse dans l’étiologie des maladies. Les causes
des maladies de l’enfant ne doivent plus être
interprétées comme des châtiments divins,
des fautes que les parents auraient à expier. La
médecine se démarque d’une « pseudo-religion »
ou des rites magiques. En prescrivant qu’« il faut
suivre un régime et prier les dieux2», Hippocrate
associe la thérapeutique rationaliste à la présence
du divin, mais un divin différent des représentations anthropomorphiques traditionnelles.
La médecine hippocratique conçoit l’étiologie
en termes de rationalité et la sémiologie en une
dynamique dans laquelle l’avenir n’est pas écrit.
La maladie n’est plus limitée à un signe ou à un
organe, elle est devenue totalisante, donnant
lieu aux prémices des observations qui perdurent
aujourd’hui. Le miracle grec est d’avoir compris la
maladie en signes pluriels, et institué le médecin
en chercheur. La thérapeutique doit d’abord
respecter la nature, l’imiter et inventer quand elle
défaille, en s’inscrivant dans la mesure – ne pas
nuire – et ainsi honorer l’équilibre du cosmos.
À cette référence à la nature est corrélé l’amour
de l’art, lui-même associé à l’amour des hommes,
quels que soient leur condition et leur âge. Les
soins que le médecin hippocratique offre à l’enfant
expriment une reconnaissance de l’enfant comme
entité physique et morale. Le grand médecin grec
octroie à l’enfant un statut éthique en l’instituant comme valeur irremplaçable, à la différence
d’Antigone3 assurant que l’enfant est substituable.
Différence majeure caractérisant le regard du
médecin qui le propulse comme premier défenseur de l’enfant.
Dans le monde biblique, Dieu seul est médecin,
lui seul prend soin des enfants d’Israël. « Le ToutPuissant fait la plaie et la bande4.» Dieu crée le
remède, à l’homme de le découvrir. La première
personne à qui est délégué le pouvoir de soigner
est aussi la première dont l’enfance est contée.
Moïse est le premier élu. À homme d’exception,
enfance d’exception : peu importe qu’elle soit
fictive ou d’emprunts mythiques, elle clame que
l’enfant renouvelle l’Alliance d’un peuple et est
porteur de futur. L’enfant devient un être unique,
essentiel, irremplaçable5.
Dans cette mouvance religieuse et sociale si diversifiée, l’enfant et le médecin jouissent d’une multiplicité de regards que le monde actuel condense
et récapitule à partir de traditions ancestrales et
contemporaines. L’image de l’enfant que la génération présente a construit tient à la persistance des
mythes et des traditions, en marge du temps.
Éthique de la pédiatrie - I
La pédiatrie à l’aube de trois civilisations
(1) Affirmation plus douteuse si l’enfant appartient à une
classe sociale défavorisée.
(2) Hippocrate, Du régime, traduction du grec et notes de
Robert Joly, Paris, Les Belles Lettres, 1967.
(3) Sophocle, Antigone, traduction de Robert Pignarre,
Paris, Flammarion, 1999, p. 81.Je me suis dit que veuve je me
remarierais et que si je perdais mon fils, mon second époux
me rendrait mère à nouveau, mais un frère, […] je n’ai plus
d’espoir qu’il m’en naisse un autre.
(4) Jb 5,18.
(5) Une empathie envers l’enfant transparaît encore avec les
prophètes. Aux prêtres est confié l’art de discerner le pur de
l’impur.
questions sur www.mpedia.fr
Que pensez-vous d’un point de vue médical des
babyphones qui détectent les mouvements
respiratoires des bébés? Sont ils fiables?
Diminuent-ils le risque de mort subite du nourrisson?
Réponse
Dr Béatrice Kugener, pédiatre
L’utilisation des babyphones détecteurs de mouvements,
également souvent appelés “matelas d’apnée”, n’est
pas recommandée par les Centres de Réference “Mort
Subite du Nourrisson”. Si un nourrisson a besoin d’une
surveillance continue pendant son sommeil, c’est un
appareil surveillant le rythme cardiaque et éventuellement l’oxygénation du sang qui est nécessaire.
Les babyphones détecteurs de mouvements apportent
une fausse impression de sécurité et peuvent de façon
paradoxale conduire les parents à être moins vigilants
vis à vis du comportement de leur bébé et des conditions de couchage. Les parents peuvent par exemple
décider de mettre leur enfant sur le ventre en pensant
que leur bébé ne risque rien puisqu’il est “surveillé”…
le pédiatre n° 266 • 2015 - 1 21
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