20 - le pédiatre n° 266 • 2015 - 1
Éthique de la pédiatrie - I
profession pédiatre
C’est certainement pour cette raison que l’étude
d’une éthique de la pédiatrie n’a jamais été traitée
dans cette vision d’ensemble à ce jour. Seul a été
dénommé jusqu’ici, l’enfant en regard de situa-
tions particulières ou d’une spécialité : l’enfant
en milieu carcéral, l’enfant handicapé en institut,
l’enfant en cancérologie… Étrange segmentation
de l’approche de l’enfant, imposée au nom de la
rationalité dictée par les lois de la connaissance,
qui rappelle le démembrement de la médecine
en spécialités où apparaît l’enfant : la gastro-
pédiatrie, la pneumo-pédiatrie, la dermato-pédiatrie
,
…la pédopsychiatrie, la psychanalyse de l’enfant,
la pédagogie…
Étonnante exposition que l’on retrouve dans la
plupart des colloques où chaque spécialiste vient
exprimer son expérience de l’enfant en référence
à sa pratique et dans lesquels un modérateur, ac-
cessoirement philosophe, est censé énoncer une
conclusion synthétique des diérentes approches
faites de l’enfant.
Il s’agit certainement bien d’expression plurielle
de situations où l’enfant est présent, mais jamais
de l’enfance dans sa globalité, dans sa singularité
et donc jamais d’une approche de l’éthique de la
pédiatrie.
L’éthique de la pédiatrie ne se situe pas en marge
de la morale fondamentale. Elle n’est pas étrangère
à l’éthos aristotélicien. Paul Ricœur, dans De la mo-
rale à l’éthique et aux éthiques, arme l’existence
d’une morale fondamentale, encore dite première
ou antérieure, autoréférentielle, décrite comme « la
vertu consistant pour l’essentiel dans une manière
habituelle d’agir sous la conduite de la référence
raisonnable » ou plus simplement d’une morale
du « vivre bien ». À partir de cette connaissance
théorique nommée morale fondamentale, éditée
en normes, s’est établie une éthique « première »,
base elle-même d’applications pratiques nom-
mées « éthiques postérieures » ou « spéciales »,
auxquelles appartiennent la médecine et le droit
et dont les caractéristiques sont, pour Ricœur, par
la sollicitude « qui demande que secours soit porté
à toute personne en danger.» L’éthique pédiatrique
ne relève pas d’une autre éthique que celle de la
médecine, elle n’est nullement singulière mais
particulière de par sa spécicité qui est celle du
regard porté sur l’enfant.
Ainsi sommes-nous conviés à dénouer l’écheveau
de l’histoire de l’enfance et du médecin, à éclairer
l’aube de la vie an de découvrir les liens entre-
tenus entre soignant et enfant que le monde actuel
expose en un foisonnement de représentations.
Ainsi nous sommes à l’unisson avec Bachelard
quand il arme dans La formation de l’esprit scien-
tifique que l’ancien doit être pensé en fonction du
nouveau et inversement, la recherche menée dans
notre passé engage à découvrir les sources de nos
jugements et de nos comportements envers l’enfant.
Le pédiatre découvre les prémices d’une éthique
de l’enfant en écoutant les narrateurs de l’au-
rore. À partir de ce regard critique, une étude
épistémologique de l’Histoire de l’enfant peut être
proposée, mettant en dialogue passé et présent.
Les rites, les références morales, les idéologies
délimitant les notions contemporaines de bien et
de mal qui nous paraissent si naturelles sont les
eets compilés de croyances et de principes phi-
losophiques élaborés durant l’Antiquité. À travers
les similitudes et les diérences existant entre les
civilisations qui nous précèdent, une modélisation
des coutumes touchant l’enfant, le médecin et le
milieu de vie peut être esquissée.
L’aurore de la pédiatrie
Mésopotamie, Grèce, Israël sont trois modèles de
culture toujours en débat où les visages de l’enfant
et du médecin se recomposent progressivement
jusqu’à leur représentation contemporaine. Au-
cune de ces trois cultures n’énonce l’enfance et l’art
de guérir dans une reproduction absolue mais cha-
cune en donne un écho. Les diérentes facettes
de l’enfant que nous percevons, issues des strates
de la raison et de la sensibilité déposées au cours
de l’Histoire, exposent l’essence de l’homme non
seulement parce que l’enfant est la part dominante
de nous-mêmes mais aussi parce que cette atten-
tion portée à l’enfant révèle autant celui qui est re-
gardé ou écouté que celui qui regarde ou écoute.
Une évolution se dessine au regard de l’éthique.
L’enfant esclave, vendu, ou encore objet de ser-
vitude durant l’Antiquité devient sujet d’intérêt
grâce aux premiers médecins mésopotamiens et
grecs. L’enfant malade n’est plus objet de malédic-
tion mais sujet de recherche. Une désacralisation
s’instaure dans l’art de soigner. La Bible en donne le
reet le plus éloquent, orant à l’enfant une liberté
en dehors de toute prédestination.
Paradoxalement, traces de temps antédiluviens ou
retour du refoulé ou encore nécessité de désigner
un bouc émissaire, l’enfant d’aujourd’hui continue
d’être objet de servitude.
L’étude de la médecine antique permet de saisir
à l’état naissant à la fois un système d’interpréta-
tions de la maladie et un intérêt accordé à l’en-
fant. Témoin d’un eort constant de rationalité,
l’approche interprétative de la maladie est une
première individualité éthique reconnue à l’en-
fance. Sensibilité et rationalité se conjuguent au
cœur des questions existentielles gravitant autour
de la vie de l’individu, de son enfant, de son milieu
social et de ses croyances. La réponse dière selon
les civilisations. La période actuelle récapitule ces
manières de vivre plus qu’elle ne les transcende.
L’attachement aux conduites ancestrales est con-
stant, perde, incompréhensible, insistant : il est
tout à la fois une richesse et un esclavage.