L`avenir des offices de commercialisation agricole dans le contexte

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« L’avenir des offices de commercialisation agricole
dans le contexte canadien et québécois »
Mémoire présenté par :
Sylvain Charlebois, DBA
Professeur agrégé en marketing à l’Université de Régina
Devant la :
Commission sur l’avenir de l’agriculture
et de l’agroalimentaire québécois
Audiences nationales (Québec)
28 août 2007
Introduction1
Les travaux de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois,
en particulier en ce qui a trait à l’avenir des offices de commercialisation agricole (aussi
connus sous différents vocables comme les systèmes de quotas, la gestion de l’offre, les
arrangements de commercialisation ordonnée, notamment) permettent de soulever des
questions importantes pour les producteurs agricoles dont la subsistance dépend du commerce
agroalimentaire, non seulement avec les États-Unis ou d’autres pays, mais également pour les
échanges intérieurs (Labrecque et Charlebois, 2006; Moens, 2006).
Le Québec vend à l’extérieur de ses frontières plus de 60 % de sa production intérieure brute
de biens et services, dont les deux tiers à l’international. Toute perturbation commerciale peut
nuire à son bien-être économique. L’industrie agroalimentaire canadienne est présentement
sujette à des pressions internationales sans précédent qui ont provoqué de l’incertitude et des
appels au changement dans la gestion de la chaîne d’approvisionnement agroalimentaire. Ce
mémoire se concentre particulièrement sur le système canadien d’offices de
commercialisation agricole et sur le fait que ce modèle agricole subit de lourdes pressions
pour qu’on lui retire son mandat protectionniste, qu’il cesse de restreindre la production et
qu’il devienne plus ouvert à la concurrence locale et internationale, particulièrement pour des
denrées comme les produits laitiers, les œufs et la volaille.
Avant la réunion de Genève sur le commerce mondial en 2004, les membres de l’Organisation
mondiale du commerce (OMC) ont accepté de lancer un processus de réduction des
subventions agricoles. La rencontre, tenue en août, a isolé le Canada des autres pays membres
à cause de son soutien aux offices de commercialisation agricole, au point où le président de
la Commission canadienne du blé aurait affirmé : « C’était un contre 146. Nous n’avions
absolument aucun allié à la table de négociation, alors il ne fait pas de doute que l’OMC ne
sera une amie ni de la gestion de l’offre ni de la Commission canadienne du blé ».
Pendant les négociations commerciales multilatérales du cycle de Doha en 2005 et 2006, le
Canada a encore dû défendre les quotas de lait dont profitent les producteurs laitiers depuis
40 ans, suite à des plaintes d’autres pays, notamment les États-Unis et la Nouvelle-Zélande
(Corcoran, 2005b; Vieira, 2005, Petkantchin, 2006). L’OMC a averti le Canada qu’il ne
respectait pas ses engagements envers une libéralisation commerciale (Gervais et Larue,
2005; Hart, 2005a; Petkantchin, 2006).
Il est ironique de constater que le Canada ait accepté de limiter ses restrictions à l’importation
de produits laitiers et de la volaille pendant le cycle de l’Uruguay du GATT, en vertu des
dispositions de l’Accord sur l’agriculture entrées en vigueur en janvier 1995, au même
moment que la mise en place de l’OMC. Cependant, les restrictions commerciales sont
passées de quotas non tarifaires à l’importation (c’est-à-dire des limites quantitatives) à des
quotas tarifaires pour les importations de produits agricoles sous l’égide de la gestion de
l’offre (Veeman, 1997). Ces tarifs élevés s’appliquent au-delà d’une quantité plutôt faible de
biens importés et ils seront progressivement réduits avec le temps.
Les tarifs à l’importation se situent présentement à des niveaux de l’ordre de 299 % pour le
beurre, 246 % pour le fromage, 238 % pour le poulet et 168 % pour les œufs, des taux presque
1
Note : le présent mémoire est une version remaniée d’un article paru récemment dans le British Food Journal
(Robert D. Tamilia et Sylvain Charlebois, « The importance of marketing boards in Canada: a twenty-first
century perspective », British Food Journal, Vol. 109, No. 2, 2007, pp. 119-144).
2
obscènes pour des denrées aussi communes (Hart, 2005a). L’Organisation de coopération et
de développement économiques (OCDE) a estimé que les prix canadiens du lait ont été de
deux à trois fois plus élevés que les prix mondiaux depuis 1986 (Petkantchin, 2005). Il faut
noter que les comparaisons de prix de l’OCDE ne sont pas au détail, mais à la sortie de la
ferme, ce qu’on appelle les prix industriels du lait (Lippert, 2001). De plus, dans les dix
dernières années, les prix du lait au Canada ont augmenté de près de 50 % et d’un peu plus de
10 % dans les deux dernières années de la période, alors que la consommation de lait par
habitant a diminué de près de 15 % entre 1986 et 2003 (Corcoran, 2005b; Petkantchin, 2005).
Après près de huit décennies d’existence des offices de commercialisation au Canada et de
longs débats provoqués par des économistes agricoles préconisant des réformes depuis
longtemps nécessaires, le Canada doit maintenant faire face à des pressions mondiales
sérieuses qui demandent la modification de son système de gestion de l’offre.
Objectif de ce mémoire
Depuis les années 1930, l’industrie agricole canadienne a répondu assez bien aux
changements politiques, économiques et technologiques. En particulier, les offices de
commercialisation agricole ont fonctionné plus ou moins comme prévu, du moins du côté de
l’offre (c’est-à-dire du point de vue des fermiers ou producteurs) ainsi que d’après les
objectifs du gouvernement. Malgré la diversité des produits impliqués (blé, poulet, lait, etc.)
et la compétence partagée du Parlement fédéral et des provinces en agriculture, cette industrie
n’est pas bien connue des consommateurs. L’agriculture évoque souvent une image bucolique
et même romantique de la ferme familiale où les fermiers, « pris d’un amour profond pour la
Terre et pour l’archarnement salutaire du travail agricole, luttent pour gagner leur pitance
grâce à leur dévouement héroïque » (Corcoran, 2005a). Pourtant, seulement 18 500
producteurs laitiers possèdent l’autorisation légale de produire du lait au Canada. Même si
nous incluons leur famille immédiate, cela ne représente que 0,26 % de la population
canadienne (Stanbury, 2002; Hart, 2005a, p. FP15). De plus, il devient de plus en plus
difficile d’accepter leur statu quo étant donné « le nombre décroissant de producteurs laitiers
et de volaille qui constituent moins de 1 % de l’économie canadienne qui continuent à résister
aux pressions tant locales qu’internationales » (Hart, 2005b, p. FP23).
Ce mémoire se concentre sur l’importance des offices de commercialisation dans le marché
mondial actuel en constante évolution et de la nécessité de les réformer en fonction de
l’économie de marché. Premièrement, nous traitons des différentes façons de définir les
offices de commercialisation agricole. Ensuite, nous présentons une courte histoire de leur
mise en place ainsi que leurs objectifs et leur importance pour l’économie canadienne. La
nature politique et juridique de ces organismes est aussi traitée puisqu’ils posent des questions
de droit civil et constitutionnel qui sont relativement peu connues et rarement discutées. Nous
présentons une analyse expliquant comment ont été déréglementées certaines agences de
gestion de l’offre dans certains pays, notamment les offices de commercialisation du lait en
Australie, en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni. La façon dont la libéralisation des
marchés a été amenée dans ces pays est très pertinente pour le contexte agricole canadien
actuel. Finalement, nous effectuons quelques recommandations pour rendre le secteur agricole
plus adapté à l’économie d’aujourd’hui afin que le Québec et le Canada puissent faire face à
la concurrence locale et mondiale.
3
Qu’est-ce qu’un office de commercialisation agricole?
Les offices de commercialisation agricole ne sont pas uniques au Canada, mais existent aussi
en Europe et ailleurs. Cependant, on n’en trouve aucun aux États-Unis (Green, 1982).
Plusieurs définitions ont été proposées pour décrire la nature et la fonction d’un office de
commercialisation. En vertu de l’argument des industries naissantes, ils sont aussi plus
présents dans les pays en voie de développement que dans les pays développés. Les offices de
commercialisation canadiens peuvent être de nature fédérale, provinciale, interprovinciale ou
peuvent même être des sociétés d’État comme la Commission canadienne du blé. On les
classifie souvent selon leurs fonctions de commercialisation (c’est-à-dire les services
commerciaux qui doivent être rendus pour amener les produits de la ferme aux marchés),
dépendamment de leur implication dans le processus. Bien qu’il existe plusieurs types
d’offices de commercialisation (par exemple les régies, les organismes de stabilisation des
prix et les commissions détenant un monopole des exportations), les organismes de gestion de
l’offre sont le centre d’attention principal de ce mémoire. Nous étudions aussi brièvement la
nature des organismes de promotion ci-après.
Les organismes de promotion peuvent mener des études de marché, promouvoir les ventes et
même prélever des droits de la part des producteurs pour effectuer ces tâches. Cependant, les
organismes de promotion ne sont pas impliqués dans les opérations de commercialisation en
tant que telles (par exemple acheter et vendre des produits ou autres tâches transactionnelles).
Ils agissent davantage comme la branche publicitaire et promotionnelle d’une denrée agricole
et sont donc impliqués dans la stimulation de la demande générique (même si l’organisme
peut promouvoir la demande d’une marque particulière s’il en possède). De tels organismes
ne sont pas ceux qui donnent une mauvaise réputation aux offices de commercialisation, du
moins au Canada.
Les organismes de gestion de l’offre sont les plus problématiques d’un point de vue de
politiques publiques, puisqu’ils contrôlent l’approvisionnement en accordant des quotas de
production individuels à des producteurs. De tels organismes de gestion de l’offre ressemblent
à un cartel et fonctionnent comme un monopole autoréglementé (Loyns, 1980). Ils contrôlent
la production de chaque producteur, mais aussi l’accès à l’industrie et fixent les prix payés par
les acheteurs. Il n’est pas surprenant qu’ils aient été la principale question traitée dans la
littérature agricole canadienne. Plusieurs pays développés (comme le Canada, l’Australie et le
Royaume-Uni) et la plupart des pays en voie de développement ont présentement ou ont eu
par le passé de tels organismes.
Nous préférons employer la définition des offices de commercialisation donnée par Forbes
(1982) puisqu’elle est plus adéquate pour les organismes de gestion de l’offre : « une
organisation obligatoire de commercialisation horizontale de produits agricoles primaires ou
transformés agissant en vertu d’une autorité déléguée par le gouvernement » (p. 2). Son aspect
obligatoire signifie que toutes les fermes produisant une certaine denrée dans une région
spécifique (une province par exemple) doivent respecter les règles imposées par l’office et
accepter son plan de commercialisation. Le statut de membre est non seulement obligatoire,
mais on empêche aussi les autres de le devenir à moins que certaines conditions d’accès au
marché soient remplies, comme la capacité d’acheter un quota déjà existant. L’aspect
horizontal signifie que l’office possède le contrôle direct et indirect de toute l’offre agrégée de
la denrée grâce à son contrôle de la production de toutes les fermes participant au processus
de commercialisation. En d’autres mots, l’office fixe des limites à la production. L’aspect
délégation signifie que le gouvernement a confié des pouvoirs juridiques aux offices en ce qui
4
concerne le prix, la production et d’autres domaines économiques ou non influençant les
opérations de l’office. En pratique, l’office fonctionne comme un agent de facto pour les
différents ordres de gouvernement. C’est pourquoi Lippert (2001) préfère les appeler des
« cartels supervisés par le gouvernement ».
Les États-Unis n’ont pas d’offices de commercialisation agricole, mais ont des programmes
volontaires de soutien de prix, des accords de commercialisation et des ordres de
commercialisation qui sont aussi présents dans plusieurs autres pays, même ceux qui
possèdent des offices de commercialisation pour des denrées qui ne sont pas sous l’autorité de
la gestion de l’offre (par exemple le Canada). Selon Hoos (1979), les États-Unis ont déjà
réfléchi à la possibilité de mettre en place des offices de commercialisation. Toutefois, les
pouvoirs monopolistiques dont ils auraient profité, notamment sous forme de quotas, seraient
allés à l’encontre de l’idéologie de libéralisation des marchés adoptée par la Federal Trade
Commission, le ministère de la Justice et plusieurs autres intervenants, même au niveau des
États. Leur création aux États-Unis aurait certainement été contestée devant les tribunaux et
ils auraient sans doute été jugés illégaux.
La structure organisationnelle des offices de commercialisation
Il existe essentiellement autant de structures organisationnelles qu’il existe d’offices de
commercialisation. Chaque office est organisé de manière à refléter les sources de conditions
d’approvisionnement particulières à la denrée en cause. La plupart des offices de
commercialisation canadiens ont un dirigeant (directeur) élu par les producteurs membres
eux-mêmes (Lippert, 2001). Les deux ordres de gouvernement nomment d’autres personnes
pour diriger l’office. Des consommateurs peuvent aussi être membres mais comme Forbes
(1982) l’expliqua, ils sont trop souvent des représentants symboliques, non familiers avec la
commercialisation agricole, plus susceptibles d’être des femmes ou des épouses dont le mari
est un puissant fermier. En d’autres mots, la composition des offices de commercialisation est
lourdement axée en faveur des intérêts des producteurs.
Tous les offices de commercialisation établissent des plans afin de coordonner et de contrôler
les activités d’achat et de vente de leur denrée. La collecte d’information, la fixation des prix
et la gestion de l’offre pour les marchés intérieur et d’exportation sont quelques-unes des
activités dont s’occupent les offices de commercialisation. Le budget d’exploitation de la
Commission canadienne du lait, par exemple, est d’environ 6 millions $ par année. D’autres
offices ont des budgets plus importants, mais incluent aussi leurs activités de promotion. Les
coûts administratifs comme les frais de bureau, les salaires, les dépenses juridiques et de
comptabilité, les voyages, les coûts d’élections, de même que les coûts de gestion des
programmes d’aide et l’accomplissement de certaines fonctions de commercialisation (par
exemple les fonctions d’accumulation, de tri, d’allocation et d’assortiment) qui nécessitent des
infrastructures à forte intensité en capital et la notation, l’étiquetage, la promotion et les
relations publiques – font qu’elles sont une solution de rechange coûteuse à un mécanisme de
marché ou même à des coopératives agricoles.
En général, les offices de commercialisation ont tous les attributs d’une organisation
commerciale qui opère dans un environnement sans marché. Quelques offices de
commercialisation agissent tout au long d’une longue chaîne d’approvisionnement, par
exemple pour les produits laitiers, les œufs, la dinde, le poulet ou le tabac. Dans ces cas, les
offices de commercialisation s’enorgueillissent d’un grand contrôle et de beaucoup de pouvoir
au sein de l’industrie, partout au pays. Les facteurs qui différencient un office de
5
commercialisation d’un autre influencent leur impact sur le réseau commercial de la denrée et
ultimement sur les prix du marché.
Les offices de commercialisation ont influencé la mise en marché des produits agricoles non
seulement au pays, mais également à l’international. La plupart des offices de
commercialisation financent leurs opérations grâce à des frais de licence ou à des paiements
sur le rendement des producteurs. À cause de la nature transactionnelle du secteur
agroalimentaire, il est difficile d’estimer si les offices de commercialisation ont été
financièrement viables pour les producteurs agricoles depuis leur mise en place dans les
années 1930.
Le développement des offices de commercialisation agricole au Canada
Les offices de commercialisation agricole canadiens ont été mis en place à une époque où
notre compréhension des marchés était bien moins avancée qu’aujourd’hui. Par ailleurs, il
existait beaucoup plus de producteurs agricoles et la taille moyenne de chacun était bien plus
petite qu’aujourd’hui. Les offices de commercialisation agricole ont acquis leur notoriété dans
les années 1930 au moment de la Grande Dépression, à une époque où l’économie canadienne
était significativement moins industrialisée qu’aujourd’hui. Le secteur agroalimentaire
comptait pour une portion plus importante de l’activité économique du pays, non seulement
en termes d’emplois, mais aussi en proportion de la taille de l’économie canadienne. Le
secteur des produits laitiers et de la volaille ne compte plus que pour moins de 1 % de
l’économie canadienne (Hart, 2005b).
Aujourd’hui, l’industrie est moins fragmentée : moins du tiers des fermes comptent pour plus
de 80 % de la production agricole. Le secteur agricole canadien, en plus d’être souvent
l’affaire de grandes entreprises, est également profitable. La ferme laitière moyenne génère un
profit d’exploitation de 25 %, le double de la moyenne des fermes et le triple de la moyenne
des entreprises non agricoles, bien qu’elle n’offre qu’un rendement faible sur l’investissement
en raison de la valeur élevée des quotas (Hart, 2005a). Les fermes laitières ont en moyenne
une valeur nette neuf fois plus élevée que la valeur nette médiane des familles canadiennes
(Stanbury, 2002).
Les efforts pour mettre en place des structures contrôlées visant à hausser les prix et à
stabiliser les revenus des fermiers ont débuté en 1872. Le premier office de commercialisation
canadien fut institué en Colombie-Britannique en 1927, lorsque la législature de cette
province adopta le Produce and Marketing Act. Cette loi fut déclarée inconstitutionnelle en
1931 parce qu’elle interférait avec le commerce interprovincial et que les frais imposés aux
membres constituaient une forme de taxation indirecte, qui est une compétence fédérale
exclusive (Drummond, 1960). Ainsi, on ne peut comprendre l’actuelle structure
interorganisationnelle du secteur agricole canadien sans retracer les nombreuses lois qui l’ont
façonnée au cours des années (Perkin, 1951; Drummond, 1960; Green, 1982). Par exemple,
l’adoption de lois telles que le Natural Products Marketing Act (1934), le Agricultural
Products Marketing Act (1949), le Canada Agricultural Products Standard Act (1970) et le
Farm Products Marketing Agencies Act (1972) ont toutes contribué au système actuel.
Une loi importante adoptée par le Parlement est la Loi sur la Commission canadienne du lait
en 1966, qui n’entra en vigueur qu’en 1970. La loi fut conçue pour profiter aux producteurs
laitiers et on accorda à la CCL le pouvoir de fixer les prix du lait industriel partout au pays,
qui historiquement comptait pour 60 % de tout le lait produit. Elle assurait aux producteurs
6
laitiers un revenu stable et les protégeait des risques du marché, notamment des importations à
plus faible prix. Un comité spécial créé par la Loi, appelé le Comité canadien de gestion des
approvisionnements de lait, prévoit l’approvisionnement de lait industriel et assigne à chaque
office de commercialisation provincial son quota pour l’année (Lippert, 2001; Charlebois,
Lagenbacher, Tamilia, 2007).
Le mode d’organisation unique des offices de commercialisation agricole a été conçu pour
faire cesser les conflits de compétences fédérales et provinciales, qu’on considérait néfastes
pour l’unité canadienne (Green, 1982, 1983). Le Parlement, en espérant obtenir l’appui des
provinces, accorda des pouvoirs constitutionnels d’offices de commercialisation agricole à des
groupes d’intérêts œuvrant dans une province afin qu’ils puissent contrôler la
commercialisation de certains produits agricoles. Par exemple, la Commission canadienne du
lait est bien plus importante pour les fermiers de l’Est que pour ceux de l’Ouest puisque plus
de 80 % de la production laitière se situe en Ontario et au Québec, et que le Québec compte
pour plus de 40 % de la production laitière du pays. Il n’est pas difficile de comprendre
qu’une réforme serait susceptible de causer des problèmes politiques significatifs.
Les objectifs des offices de commercialisation agricole
L’agriculture a été une composante centrale du développement commercial dans l’économie
canadienne avant même la Confédération. La structure du marché agricole canadien est assez
particulière, comportant un grand nombre de producteurs, éparpillés sur une vaste surface
géographique, de même que peu d’intermédiaires et de transformateurs agroalimentaires qui
approvisionnent un grand nombre de consommateurs. Le secteur agroalimentaire fait face à
des conditions météorologiques changeantes et souvent extrêmes et à des saisons de
croissance courtes.
La gestion de l’offre est la raison principale ayant justifié la création des offices de
commercialisation agricole. Ces derniers ont aussi diminué le pouvoir économique que les
transformateurs agroalimentaires et d’autres intermédiaires avaient sur les producteurs,
puisque l’office pouvait servir de porte-parole représentant l’ensemble des producteurs d’une
denrée. Par exemple, trois transformateurs laitiers (Agropur, Saputo et Parmalat) achètent
environ 70 % du lait produit au Canada (Commission canadienne du lait, 2005).
À l’origine, les offices de commercialisation ont été mis en place pour protéger et soutenir les
producteurs pendant des périodes financières difficiles (la Grande Dépression). Les produits
laitiers et la volaille sont les produits agricoles qui ont été les plus protégés des fluctuations
des prix du marché. Certains offices de commercialisation agricole sont administrés à
l’échelle fédérale et d’autres à l’échelle provinciale. Aujourd’hui, on trouve plus de cent
offices de commercialisation agricole au pays, dont vingt en Ontario et plus de vingt-cinq au
Québec. Le nombre exact est difficile à obtenir étant donné le peu d’information disponible et
le fait que certains offices ne sont peut-être pas en activité.
Les offices de commercialisation agricole ont été créés à cause de la nécessité d’accorder aux
producteurs agricoles un pouvoir économique et politique comparable au pouvoir acquis par
les grandes compagnies (McInnis, 1958). Plusieurs pays ont cherché à améliorer le sort de
leurs propres producteurs agricoles en mettant en place des offices de commercialisation
agricole. Certains organismes de gestion de l’offre sont uniques au Canada et ont contribué à
préserver la viabilité du secteur agricole dans l’économie. Certains auteurs reconnaissent
7
qu’historiquement, les offices de commercialisation agricole ont joué un rôle important dans
l’industrialisation de l’agriculture canadienne (McInnis, 1958; Troughton, 1989).
Les offices de commercialisation diminuent le pouvoir exercé par les distributeurs et les
transformateurs agroalimentaires. La possibilité de contrôler l’offre, de restreindre l’accès à
l’industrie et d’agir comme contre-pouvoir face à un nombre limité d’acheteurs a été favorisée
par le gouvernement, qui accorda aux offices de commercialisation le droit d’intervenir sur le
marché, c’est-à-dire de remplacer le marché libre par la fixation directe des prix.
Le secteur agroalimentaire est constitué d’un grand nombre de groupes et d’individus
interdépendants ayant tant des intérêts communs qu’opposés. Certains producteurs sont des
petites fermes familiales alors que d’autres fermes sont très grosses. Les intérêts divergents de
ces groupes, leur hétérogénéité et les produits impliqués les poussent à se tourner vers les
politiciens pour résoudre certains des problèmes de leur marché. Historiquement, des forces
politiques tant au niveau provincial que fédéral ont joué un rôle significatif dans la mise en
place des offices de commercialisation agricole. Divers gouvernements par le passé ont été
notoirement actifs et le sont encore aujourd’hui dans leur appui aux vertus et à l’efficacité
présumées des offices de commercialisation agricole. De tels mécanismes représentaient la
manière canadienne de gérer l’économie, ou du moins un de ses secteurs. Par exemple, le
gouvernement Trudeau (à la fin des années 1960 et au début des années 1970) était reconnu
comme un ardent défenseur et supporteur des offices de commercialisation agricole (Loyns,
1980). Conséquemment, il n’est pas surprenant que les politiques agricoles fondées sur les
offices de commercialisation ont reçu un appui considérable tant d’Ottawa que des
gouvernements provinciaux, y compris du Québec.
En bref, trois arguments principaux expliquent la création des offices de commercialisation
agricole. D’abord, la volonté de réduire l’instabilité dans le rendement des producteurs
agricoles afin de leur procurer un revenu stable et en croissance. Deuxièmement, les offices
de commercialisation agricole peuvent compenser la position désavantageuse des producteurs
agricoles sur le plan de la négociation face aux transformateurs et aux distributeurs (c’est-àdire de nombreux vendeurs face à un nombre limité d’acheteurs). Cependant, ce prétendu
manque de pouvoir de négociation des fermiers suppose que tous les producteurs sont
économiquement semblables, partagent les mêmes intérêts, possèdent les mêmes aptitudes de
gestion et les mêmes aspirations entrepreneuriales, et ainsi de suite, ce qui n’est évidemment
pas le cas. En réalité, les fermiers les plus productifs ne peuvent pas profiter de leur avantage
comparatif (Frontier Centre for Public Policy, 2000). Ce deuxième argument explique en
partie pourquoi les coopératives agricoles n’ont jamais été populaires au Canada
comparativement aux États-Unis, sauf avec Agropur au Québec. On doit noter que c’est la
nature volontaire des coopératives agricoles, un sujet dont nous discuterons brièvement plus
loin, qui a conduit à la mise en place des offices de commercialisation parce que certains
producteurs (qu’on qualifiait de resquilleurs) refusaient de coopérer (Drummond, 1960). Les
offices de commercialisation agricole sont ainsi devenus une proposition de type « tout ou
rien » pour les producteurs agricoles.
Troisièmement, la mise en place des offices de commercialisation visait alors à réduire les
marges de profit considérées élevées des transformateurs et distributeurs en aval de la chaîne
d’approvisionnement, au soi-disant détriment des producteurs agricoles. Évidemment, les
fermiers et d’autres intervenants oublient trop souvent que les fonctions de commercialisation,
ces services économiques intangibles qui doivent être rendus tout au long de la chaîne
d’approvisionnement jusqu’à l’achat par le consommateur. De tels services, comme le
8
transport, la manutention, la disponibilité dans un délai opportun, l’emballage et l’étalage, qui
ne sont que des exemples parmi d’autres, peuvent constituer une portion significative du prix
final.
La nature politique des offices de commercialisation agricole
Les gouvernements fédéral et provinciaux voient les offices de commercialisation agricole en
tant qu’instruments politiques et juridiques qui garantissent l’élimination des surplus agricoles
sur le marché intérieur et offre aux consommateurs la disponibilité des denrées alimentaires
ainsi que leur variété. Historiquement, les producteurs agricoles au Canada ont valorisé la
nature des offices de commercialisation, suggérant même que ces organismes ont gardé le
prix des denrées à un niveau acceptable pour les consommateurs (Throughton, 1989).
Plusieurs intervenants prétendent que les offices de commercialisation ont amélioré la
productivité et l’efficacité du secteur agricole canadien, ont contribué à la sauvegarde de
l’approvisionnement alimentaire en général, ont assuré l’autosuffisance agricole,
particulièrement en temps de crises politiques ou économiques (McInnis, 1958), ont amélioré
la qualité des produits et ainsi ont contribué au bien-être économique du Canada et à l’intérêt
des consommateurs. Ces nobles affirmations sont difficiles à démontrer et à contredire
puisque les solutions de rechange sont rarement considérées et discutées : on ignore ce qui
serait arrivé sans la création des offices de commercialisation agricole.
Les offices de commercialisation agricole ne sont pas seulement des institutions
économiques : ils sont des agences intrinsèquement politiques également. Ils sont de plus en
plus devenus des instruments politiques visant à opérer un transfert de revenus des autres
secteurs vers les fermiers et à assurer une balance de pouvoir plus favorable pour le secteur
agricole. Une volonté politique s’est formée au fil du temps afin de protéger les fermiers des
« forces concurrentielles destructrices », une expression souvent employée pour dénoter la
« cruauté » du mécanisme du marché libre envers les petits producteurs. On prétend ainsi que
la mise en place des offices de commercialisation agricole se fit dans l’intérêt général. En
réalité, la protection réglementaire que reçoivent les offices de commercialisation agricole
génère des bénéfices pour leurs membres au détriment de la société en général (Green, 1982)
grâce à des hausses des prix payés par tous les consommateurs, qui nuisent particulièrement
aux plus pauvres.
Depuis plusieurs décennies maintenant, les économistes agricoles ont exigé davantage
d’imputabilité, de transparence et de mesures objectives de l’efficacité des offices de
commercialisation agricole, si ce n’est pas leur élimination (Abbott, 1967; Green, 1982;
Forbes, 1982; Veeman, 1982, 1987, 1997; Hart, 2005a). Les offices de commercialisation ont
été critiqués pour leur manque d’innovation et d’imagination dans leur offre de produits,
protégés de la concurrence des importations par des droits de douane élevés. Plus important
encore, alors que la productivité agricole est en croissance depuis des décennies, ces gains ont
été gaspillés par une gestion de l’offre conduisant à des prix inefficacement élevés.
Il est surprenant de constater que les offices de commercialisation agricole ne sont ni bien
connus ni compris par la vaste majorité du public canadien. Pourtant, ils ont des conséquences
économiques, constitutionnelles et administratives absolument hors proportion de leur
obscurité relative (Green, 1982). Certains offices de commercialisation ont redistribué des
revenus importants des consommateurs vers les producteurs et ont substantiellement
augmenté la richesse d’un nombre relativement petit de personnes. Forbes (1982) est plus
direct en ajoutant que : « L’objectif général de presque tous les offices de commercialisation
9
est d’assurer des revenus plus importants pour les producteurs et dans plusieurs cas de
canaliser des paiements de transfert du gouvernement et des consommateurs vers les fermiers
lorsqu’ils considèrent que le marché ne récompense pas suffisamment les fermiers pour leurs
efforts » (p. 28).
Les offices de commercialisation agricoles sont devenus un symbole du protectionnisme
économique, limitant la concurrence des importations et la concurrence intérieure. Grâce à
eux, la fixation du prix des denrées agricoles est devenue une affaire moins controversée
politiquement pour les gouvernements. Les offices de commercialisation agricole reçoivent
peu ou pas de paiements de transfert directs de l’État. Après tout, les gouvernements ont
renoncé à leur rôle de garants des processus de concurrence dans la détermination des prix au
profit des offices de commercialisation et ne peuvent donc plus être directement blâmés pour
les augmentations de prix des denrées agricoles, peu importe à quel point elles peuvent être
importantes et injustifiées. Les pouvoirs de fixation des prix sont détenus par les producteurs
agricoles et ces derniers sont responsables d’établir l’équilibre entre l’offre et la demande des
denrées agricoles.
Même si on les appelle « offices de commercialisation », le terme n’est pas vraiment
approprié. La commercialisation est habituellement associée à un système de marché où la
détermination des prix est effectuée librement. Pourtant, les offices de commercialisation
peuvent faire cesser les efforts de mise en marché entrepris par les producteurs agricoles
individuellement. La vente de produits agricoles n’est pas la principale préoccupation de ces
organismes de gestion de l’offre (Loyns, 1980). En fait, les offices de commercialisation
canadiens sont souvent plus impliqués dans des pratiques anticompétitives comme le contrôle
des prix, l’imposition de restrictions à l’importation, du lobbying en faveur du
protectionnisme, des manifestations organisées pour sensibiliser la population à leur détresse
et la mise en place de barrières commerciales pour se protéger de la concurrence étrangère. En
réalité, comme le démontre la citation suivante, le Ontario Milk Act, qui a créé l’office de
commercialisation du lait de cette province, ne se préoccupe apparemment pas d’efficacité du
marché : « Le Ontario Milk Act ne mentionne aucunement l’efficience ni n’invoque un
quelconque échec du marché. Aucun préambule à la loi ne suggère qu’une réglementation est
nécessaire pour équilibrer les fluctuations de revenus ou pour établir une mise en marché
ordonnée. À la place, l’offre de lait ou d’œufs est limitée par une formule extrêmement lourde
et complexe. L’office de commercialisation des œufs a même tenté d’aller aussi loin que
d’empêcher les détaillants de vendre des œufs comme produit d’appel » (Trebilcock et al.,
1978, p. 27).
Conséquemment, des occasions d’affaires sont sans doute perdues dans le marché
agroalimentaire et les producteurs ne peuvent pas optimiser le potentiel de leur entreprise. Les
stratégies de mise en marché visent à aider les entreprises à vendre leurs biens et services, et
les organisations agroalimentaires ne sont pas une exception à cette règle. Pourtant, les offices
de commercialisation réglementent et confinent leurs membres, restreignent et même
punissent ceux qui ne respectent pas le mode de comportement prescrit. Le fermier membre
d’un office de commercialisation ne peut pas vendre à qui il veut. Un nouveau joueur typique
doit d’abord acheter un quota, ce qui constitue un coût d’accès rigide et décourageant, peu
importe à quel point son modèle commercial est efficace ou ses nouveaux produits et services
innovateurs. Les offices de commercialisation peuvent même imposer des sanctions et
recommander le bannissement d’un producteur s’il ne suit pas les directives et les procédures
fixées par l’organisme.
10
Par exemple, un producteur de poulet québécois a été traîné devant les tribunaux en 1999 par
son office de commercialisation pour avoir vendu davantage que son quota. Le fermier s’est
rendu jusqu’en Cour suprême pour des motifs constitutionnels afin d’en appeler de sa
condamnation lorsque sa fédération a réduit son quota à zéro et lui a imposé une amende de
plus de 2,4 millions $ pour avoir vendu 29 fois plus que son quota autorisé. Le plus haut
tribunal du pays a rejeté son appel en décembre 2005 (André Pelland v. Fédération des
producteurs de volailles du Québec).
Le cas le plus étrange de l’histoire agricole canadienne est probablement celui de la
margarine. Peu après qu’elle ait été inventée en France, le lobby des producteurs laitiers a
réussi à faire adopter une réglementation rendant illégale la production ou la vente de
margarine au Canada. Quelque 120 ans plus tard, le Québec est le seul endroit au monde à
bannir la margarine colorée. Les producteurs laitiers québécois ont prétendu que les ventes de
beurre diminueraient et que des milliers d’emplois seraient perdus si le gouvernement
permettait que la margarine ressemble davantage au beurre. Unilever Canada affirme qu’il lui
en coûte au moins 100 000 $ par mois pour manufacturer, emballer et vendre sa marque Becel
pour le marché québécois seulement. La marque a la couleur du beurre dans tous les marchés
sauf au Québec, où elle est blanche comme du saindoux. La compagnie a invoqué non
seulement qu’il s’agissait d’une violation de l’Accord de libre-échange nord-américain
(ALENA), mais aussi de l’Accord sur le commerce intérieur et de la Constitution canadienne
(Frontier Centre for Public Policy, 2005). En mars 2005, la Cour suprême du Canada a
confirmé le pouvoir de l’office de commercialisation du lait du Québec, de la Fédération des
producteurs de lait, d’obliger que la margarine vendue au Québec soit d’une couleur
différente que le beurre. Finalement, Green (1982, pp. 36-37) traite du cas d’un fermier
manitobain qui s’était opposé à l’origine à la mise en place d’un office de commercialisation
pour les légumes et qui a ensuite été harcelé par l’office au point où le juge en chef, qui a
adopté son point de vue, s’est dit préoccupé du fait que les offices de commercialisation
pourraient être une menace envers les libertés civiles au Canada.
Les consommateurs et les offices de commercialisation agricole
Tout comme on l’observe dans d’autres industries, les consommateurs ont été les partenaires
les moins organisés et les plus vulnérables du secteur agroalimentaire. Depuis que les offices
de commercialisation ont été mis en place, il semble plutôt étrange que les consommateurs et
les producteurs agroalimentaires n’aient pas pris le temps de pleinement apprécier la position
de chacun d’eux par rapport à la commercialisation des produits agricoles. Ce n’est pourtant
pas parce que les consommateurs ont refusé de participé au processus de gestion de l’offre
(Canadian Consumer Council, 1974). Les producteurs ne voyaient pas l’intérêt d’inclure les
consommateurs dans le processus de gestion des offices de commercialisation, puisqu’ils
croyaient que ces derniers ne comprenaient pas le fonctionnement de l’industrie agricole.
Pourtant, les offices de commercialisation sont une partie intégrante de l’appareil étatique,
qu’on appelle industries réglementées, à l’image d’autres industries comme la téléphonie,
l’essence ou l’électricité. La présence de consommateurs, même dans un rôle purement
consultatif, aurait aidé l’industrie. Hart (2005a, p. 8) remarqua qu’« en l’absence d’un
puissant lobby de consommateurs, les politiciens agissent dans l’intérêt des producteurs plutôt
que dans l’intérêt général ». Ainsi, il n’est pas surprenant que trop de producteurs agricoles
restent « engagés en faveur du système et investissent davantage en activités politiques que
dans leur modernisation » (Hart, 2005a, pp. 7-8).
11
On peut affirmer que les consommateurs canadiens sont pénalisés par l’existence des offices
de commercialisation. On a estimé que, pour la gestion de l’offre des produits laitiers, il en
coûte 2,5 milliards $ par année aux consommateurs canadiens (Stanbury, 2002). Par habitant,
cela représente environ 80 $ par année (un coût en croissance) ou 320 $ pour une famille de
quatre personnes. Ce montant représente beaucoup d’argent pour les familles pauvres et
constitue un fardeau inéquitable qu’on leur impose. Ainsi, une conséquence inattendue de
l’existence d’office de commercialisation du lait est qu’il rend la nutrition de base plus
coûteuse, surtout pour les pauvres (Frontier Center for Public Policy, 2001). En fait, le lait
coûte désormais plus cher qu’une bouteille de boisson gazeuse.
Les prix élevés du lait payés par les consommateurs représentent une forme de « taxation
collective ». Les montants substantiels transférés aux producteurs laitiers sont une taxe
indirecte payée par tous les consommateurs de lait canadiens. Malgré les coûts importants du
maintien des offices de commercialisation du lait pour l’économie canadienne, les
consommateurs et les groupes qui les défendent semblent ignorer comment ces organismes
fonctionnent de même que la manière dont ils établissent les prix. Par exemple, Hart (2005a,
p. 4) rapporte que des sondages d’opinion publique (commandités par la Commission
canadienne du lait) montrent invariablement que 90 % des consommateurs canadiens croient
que les prix du lait sont équitables et justes et « qu’ils seraient prêts à payer encore plus pour
assurer une production canadienne soutenue ». Évidemment, les offices de commercialisation
ont peu ou pas du tout à voir avec le maintien d’un approvisionnement agricole local qui
empêche les consommateurs canadiens de mourir de faim; ils visent plutôt à garantir aux
producteurs agricoles des revenus stables et en croissance.
Plus important encore, le maintien de leur existence reflète une forte volonté politique tant à
l’échelle fédérale que provinciale de préserver le statu quo malgré les pressions mondiales
exigeants du changement. Tel que mentionné précédemment, à la conférence ministérielle de
l’OMC en décembre 2005, les représentants canadiens ont été catégoriquement opposés à tout
changement dans les offices de commercialisation (Vieira, 2005). Mais tôt ou tard, les
réformes agricoles depuis longtemps attendues devront être mises en place peu importe
l’opinion du Canada. Le vieil argument selon lequel les États-Unis ou l’Union européenne ont
des subventions agricoles ne tient simplement pas la route sur la scène internationale.
Les réformes internationales des marchés agricoles
Les offices de commercialisation agricole fondés sur la gestion de l’offre ont protégé les
industries agricoles de plusieurs pays industrialisés. Toutefois, ils ont aussi empêché les pays
pauvres de vendre leurs denrées aux pays riches. Il est surprenant qu’au XXIe siècle le Canada
possède encore des offices de commercialisation pour plusieurs produits agricoles alors que
plusieurs autres économies développées qui en ont déjà eu les ont depuis démantelés. Par
exemple, les offices de commercialisation du lait ont été éliminés ou déréglementés en faveur
de mécanismes plus concurrentiels, entre autres en Australie, en Nouvelle-Zélande, au
Royaume-Uni et en Corée du Sud (Bates et Pattisson, 1997; Franks, 2001; Petkantchin, 2005,
2006).
La déréglementation des prix du lait au Royaume-Uni est entrée en vigueur en 1994 lorsque
les différents UK Milk Marketing Boards (Angleterre, Pays de Galles, Écosse et Irlande du
Nord), en fonction depuis 1933, ont été démantelés (Alcock, 1994). Cette évolution reflétait la
politique du gouvernement britannique visant à accroître la concurrence et à favoriser la libre
détermination des prix. Ainsi, on autorisa les producteurs à vendre leur lait librement. À
12
l’époque, environ deux tiers des producteurs laitiers se sont joints à une coopérative
volontaire, appelée Milk Marque (Bates et Pattisson, 1997) mais l’existence de cette
coopérative fut de courte durée.
Le cas britannique est intéressant pour le Canada parce que les « resquilleurs » (c’est-à-dire
les non-membres de la coopérative) obtenaient une prime sur le prix de vente, ce qui a
provoqué une diminution précipitée du nombre de membres de la coopérative à environ 50 %
en 1999. La majorité des membres de la coopérative étaient alors de petits producteurs à coûts
élevés, alors que les membres plus gros et plus efficaces s’en retiraient. Malgré sa position
affaiblie sur le marché, Milk Marque a investi massivement non seulement dans la production
laitière, mais aussi dans la transformation, un modèle d’intégration verticale qui a influencé sa
capacité à offrir des revenus stables à ses membres.
La création d’une coopérative agricole n’est pas seulement bénéfique pour les petites fermes.
Elle peut établir une entreprise agroalimentaire bien gérée, guidée par le marché et
verticalement intégrée au profit des fermiers-propriétaires. Par exemple, les Dairy Farmers of
America, une coopérative formée en 1998 suite à l’amalgamation de plusieurs coopératives
régionales de partout aux États-Unis, a plus de 20 000 membres produisant environ le quart
du lait de ce pays. Même si cette entreprise appartient à des propriétaires de fermes familiales,
elle est néanmoins une compagnie d’envergure internationale qui vend ses produits et services
partout dans le monde.
De même, les années 1990 ont été caractérisées par une consolidation parmi les producteurs
laitiers dans l’industrie canadienne. La coopérative Agropur au Québec s’est positionnée
comme chef de file avec 4000 fermes laitières membres parmi un total de 18 000 au pays.
Cependant, cette coopérative n’est pas aussi intégrée verticalement que son équivalente
américaine, en partie à cause de la non-transférabilité des quotas de lait au-delà des frontières
provinciales et de l’absence d’un système d’approvisionnement logistique efficace pour
répondre aux demandes du marché d’un océan à l’autre. Contrairement au modèle américain
ou britannique, Agropur, de même que les autres coopératives canadiennes, est aussi
responsable du respect des quotas d’offre obligatoires et doit travailler étroitement avec la
Commission canadienne du lait et avec les différents offices de commercialisation du lait
provinciaux et autres agences. Il ne fait pas de doute que l’approche des coopératives, plus
conforme au libre marché, entre en conflit avec les restrictions commerciales de la gestion de
l’offre. En conséquence, certains fermiers sont devenus mécontents et ont démontré une
volonté de renoncer à la gestion de l’offre pour pouvoir saisir des occasions d’exportation. La
Georgian Bay Milk Company est un exemple classique de cette situation. L’entreprise fut
incapable d’obtenir des quotas et vendait son lait aux États-Unis à un prix inférieur que ce
qu’elle aurait pu obtenir au Canada. Cependant, le coût d’achat élevé des quotas aurait rendu
ces ventes non profitables. Comme on pouvait s’y attendre, l’organisme Dairy Farmers of
Ontario a entrepris des procédures juridiques pour faire cesser les agissements de cette
entreprise et les tribunaux doivent encore trancher le litige (Corcoran, 2005a; Stoneman,
2005).
La Nouvelle-Zélande offre un exemple de déréglementation réussie. Commencé en 1984, elle
a fait de ce pays un chef de file mondial dans l’exportation du lait. Une loi de 1961 créa le
New Zealand Dairy Board, une agence qui possédait le monopole de l’exportation de tous les
produits laitiers. En avril 2001, le monopole du NZDB fut éliminé. Désormais, la NouvelleZélande est un joueur de premier plan dans l’industrie laitière mondiale et exporte plus de
90 % de sa production. En fait, la Nouvelle-Zélande est reconnue comme le point de référence
13
pour les prix mondiaux des produits laitiers. On peut soutenir que l’industrie laitière de la
Nouvelle-Zélande est la plus efficace et la plus productive du monde, comprenant environ
14 700 producteurs possédant en moyenne un troupeau de 200 vaches. Les coûts de
production sont de deux à quatre fois moins élevés que d’autres pays comme le Royaume-Uni
et le Japon (Sankaran et Luxton, 2003).
Une raison principale expliquant que la Nouvelle-Zélande ait atteint un tel niveau d’efficacité
dans sa production fut la mise en place de l’approche verticale de commercialisation grâce à
laquelle la chaîne de production est gérée partout au pays. Essentiellement, le modèle
commercial néo-zélandais a simplement emprunté les pratiques de gestion employées par les
entreprises manufacturières à plusieurs usines dans le but de diminuer leurs coûts de
distribution. Afin de réduire les coûts logistiques et d’obtenir des gains de productivité, on
utilise une approche d’intégration du marché qui combine l’achat, la manufacture, la
conception des horaires, le transport, l’entreposage, l’information et d’autres tâches dans un
système intégré (Sankaran et Luxton, 2003). Une telle approche serait impossible à mettre en
place au Canada, non seulement à cause des restrictions au commerce interprovincial, mais
aussi à cause des quotas accordés à chaque producteur. La position autrefois avantageuse du
Canada sur le plan de la production laitière a chuté : les exportations de produits laitiers ont
été de seulement 315 millions $ sur un total de 11 milliards $ à l’échelle mondiale en 2003. Le
producteur moyen possède un troupeau de 60 vaches, c’est-à-dire trois fois moins que la
moyenne en Nouvelle-Zélande, bien que le Canada ait 4000 producteurs laitiers de plus (Hart,
2005a).
De même, l’Australie a réformé son système de mise en marché collective à partir de 1999.
Auparavant, les producteurs laitiers comptaient sur les systèmes de gestion de l’offre et
insistaient pour qu’on maintienne des mesures protectionnistes afin de les protéger des
importations. Des producteurs laitiers, de concert avec le gouvernement fédéral, ont accepté
de mettre en place un programme d’« ajustement structurel de l’industrie laitière » qui visait à
déréglementer ce secteur au fil du temps de manière à ce qu’il devienne un système davantage
fondé sur le libre marché (Hart, 2005a). Toutefois, les producteurs ont perdu la valeur de leurs
quotas. Pour compenser les fermiers, le gouvernement australien a décidé d’imposer une taxe
temporaire sur le lait jusqu’en 2008 (Petkantchin, 2005). La production laitière n’a pas
diminué avec l’élimination du soutien des prix. Les prix à la sortie de la ferme ont été réduits,
de même que les prix au détail pour le lait de consommation, malgré la taxe temporaire et le
fait que les transformateurs et les détaillants n’aient pas augmenté leur marge de profit. De
plus, les fermiers australiens ont ajouté plus de vaches à leur troupeau, ont agrandi leur ferme,
ont modernisé leur équipement, ont augmenté leurs revenus non agricoles et ont développé
d’autres types de production agricole (Petkantchin, 2006). L’élimination des systèmes de
gestion de l’offre laitière au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande et en Australie ont rendu
l’industrie plus concurrentielle et dynamique, faisant du consommateur le grand gagnant. La
transformation des offices de commercialisation du lait de monopoles restreignant les
importations à des agences sur le marché libre dans ces pays montre que ce processus est
possible, et le Canada ne peut attendre bien plus longtemps pour mettre en place des réformes
grandement nécessaires fondées sur l’économie de marché, entre autres dans l’industrie
laitière.
Abolir ou réformer le système des offices de commercialisation du lait ne sera pas une mince
affaire, étant donné qu’il coûte en moyenne 29 000 $ pour acheter un quota pour une seule
vache (ce montant varie selon les provinces). Sans compter le coût du quota, le coût d’achat
d’une vache laitière peut être encore plus élevé, dépendamment de sa production de lait réelle
14
ou potentielle. Pour un nouveau joueur, cela voudrait dire qu’il faudrait débourser plus de
1,5 million $ simplement pour acheter les quotas d’un troupeau de taille moyenne de
60 vaches laitières. Plus important encore, un investissement presque équivalent est nécessaire
pour la terre, les bâtiments, la machinerie agricole, l’équipement et ainsi de suite. Un prêt
initial peut prendre jusqu’à dix ans à rembourser. La valeur totale des quotas de production
laitière au Canada est estimée à plus de 20 milliards $ (Gifford, 2005). S’ils étaient éliminés
abruptement ou progressivement, les fermiers devraient-ils être compensés pour cette perte?
Qui devrait payer quel montant pour compenser les producteurs laitiers? L’élimination des
quotas causerait des pertes en capital réelles pour leurs propriétaires actuels : environ 1,5
million $ en moyenne par ferme laitière. Évidemment, les fermiers résisteraient et
demanderaient une compensation. Dans une analyse des arguments pour et contre la
compensation, Stanbury (2002) croit fermement que le gouvernement n’a pas d’obligation
morale d’utiliser l’argent des contribuables pour compenser la perte des producteurs laitiers :
« Que le gouvernement paie une compensation ajouterait l’insulte à l’injure du point de vue
des consommateurs de lait et des contribuables. Pendant des décennies, ils ont payé des prix
du lait plus élevés que les consommateurs américains à cause d’une politique mise en place
par le gouvernement à la demande des fermiers afin de hausser leurs revenus. Désormais, on
s’attend à ce que les consommateurs et les contribuables paient encore plus de taxes pour
compenser les producteurs laitiers pour la réduction de la valeur de leurs quotas. Les forcer à
agir ainsi est une façon de légitimer l’idée qu’il est acceptable qu’une minorité déterminée
exploite une majorité grâce à son influence plus grande face au gouvernement » (p. 15).
Après tout, tel qu’expliqué précédemment, les avantages économiques reçus par les
producteurs laitiers ne sont pas défrayés par le gouvernement, mais par les consommateurs,
les transformateurs et d’autres intermédiaires. Par exemple, l’Association canadienne des
restaurateurs et des services alimentaires s’est plainte amèrement des hausses des prix des
produits laitiers et des prix à rabais offerts uniquement aux entreprises qui produisent des
pizzas congelées (Reguly, 2004). En 2006, cette association a même créé un site Web
permettant à ses membres d’exprimer leurs préoccupations face à l’équité des prix des
produits laitiers (www.gotmilked.ca).
Coleman (2001) estime qu’une transition vers un marché plus ouvert signifie que les fermiers
devront recevoir des paiements directs, non des congés fiscaux, et que les producteurs laitiers
n’ont pas besoin d’être compensés pour la pleine valeur de leurs quotas. Le montant de
compensation devra être fixé d’avance, une mesure préventive au cas où les fermiers
exigeraient davantage par la suite à cause de changements dans les conditions du marché.
Finalement, selon lui les contribuables devraient assumer cette aide financière temporaire aux
fermiers, une position que Stanbury (2002) opposerait fermement. Quoi qu’il en soit, si le
gouvernement refuse de compenser les fermiers, peu importe les raisons, il sera pratiquement
impossible d’éliminer le système de gestion de l’offre par quotas, du moins pour le lait.
L’avenir des offices de commercialisation agricole
L’importante question qu’il faut se poser est comment les offices de commercialisation
agricole peuvent-ils être réformés alors que les consommateurs canadiens eux-mêmes ne sont
pas susceptibles de forcer les différents ordres de gouvernement à changer la façon dont les
offices de commercialisation gèrent leurs affaires. Ce type d’organismes, de même que
d’autres programmes de soutien agricole, font maintenant face à des problèmes majeurs dans
une économie du XXIe siècle qui est caractérisée par des conditions rapidement changeantes
15
qui nécessitent de promptes adaptations si les entreprises agroalimentaires veulent survivre et
obtenir du succès (Charlebois, Langenbacher, Tamilia, 2007). Les offices de
commercialisation agricole peuvent avoir été profitables pour les fermiers par le passé et
peuvent avoir aidé le secteur agroalimentaire canadien à se développer et à devenir
concurrentiel (Troughton, 1989). Cependant, la structure actuelle des offices de
commercialisation apparaît désormais périmée et des réformes significatives sont requises
d’urgence.
Les offices de commercialisation agricole ont été une partie intégrante des politiques et des
stratégies agricoles canadiennes depuis longtemps déjà. Cependant, l’incapacité de l’industrie
à répondre rapidement aux changements inattendus entraînés par des incertitudes
économiques et sanitaires a remis en question la raison d’être des offices de
commercialisation et d’autres programmes de soutien agricole. Nous avons tenté de
démontrer que la nature structurelle des offices de commercialisation agricole les a rendus
plutôt inflexibles, moins innovateurs et déficients dans la manière dont ils ont répondu aux
conditions du marché. Après tout, ce secteur est semblable à tous les autres secteurs de
l’économie et il doit être davantage ouvert à la concurrence. L’arrangement de type cartel
parmi les producteurs a empêché l’accès au marché ou la croissance par des entrepreneurs
agricoles qui auraient été en mesure de dépasser les autres fermiers en innovant davantage.
Aucune autre industrie au Canada n’est caractérisée par une telle barrière à l’entrée approuvée
par le gouvernement. En conséquence, plusieurs producteurs agricoles ont profité de
généreuses subventions par le passé dont les coûts économiques et sociaux pour les
consommateurs ont été carrément disproportionnés par rapport à leurs avantages pour la
société.
Pour des raisons obscures, de telles agences réglementées par l’État ont échappé à la
surveillance du public et leur rôle économique n’a pas été sujet au même niveau de
transparence que les autres organismes publics (Veeman, 1997). On peut se demander
pourquoi les producteurs agricoles canadiens ont été si protégés. Peut-être est-ce que cela est
dû en partie à la perspective nostalgique des petites fermes familiales nourrissant un pays
affamé? De nos jours, plusieurs producteurs agricoles sont des grandes entreprises,
contrairement à la ferme familiale d’il y a 50 ou 75 ans. Notre époque de mondialisation et de
dynamique accélérée des marchés rend les offices de commercialisation mûres pour du
changement.
À cause de la nature fractionnaire des différents offices de commercialisation agricole de
chaque province, ces derniers ne peuvent espérer répondre aux besoins d’un consommateur
qui cherche un fournisseur national d’une denrée, en partie à cause du bourbier qui a entravé
le commerce interprovincial tout au long du siècle dernier. Le système actuel des offices de
commercialisation agricole décourage l’efficacité et la performance et contrecarre
l’innovation dans les techniques de gestion. Les quotas sont devenus des barrières à l’entrée
importantes pour les nouveaux venus dans certaines industries agricoles. Comme nous l’avons
vu, les offices de commercialisation limitent l’entrée de nouveaux participants potentiellement
plus innovateurs. De telles restrictions sont désormais rares dans l’économie et elles seraient
en général considérées illégales dans d’autres industries.
Les principaux partenaires commerciaux du Canada ne sont pas ravis de la manière dont les
offices de commercialisation agricole restreignent les importations. D’une part, certains
fermiers se sont affairés à trouver de nouveaux marchés étrangers pour leurs produits, comme
les légumes, lors des dernières années. D’autre part, les offices de commercialisation agricole
16
ont limité les importations agricoles vers le Canada, pour des produits comme la volaille et le
lait. Ce déséquilibre commercial ne peut persister pour toujours.
Conclusion
Les pouvoirs monopolistiques des offices de commercialisation agricole sont sans égal par
rapport aux autres secteurs de l’économie canadienne. Les fermiers doivent se rendre compte
qu’ils font partie de l’économie normale comme les autres. L’agriculture ne possède pas le
monopole des conditions de marché particulières, dont on se sert pour justifier les
interventions et le soutien de l’État. Toutes les autres entreprises dans l’économie opèrent
aussi dans des conditions de marché spécifiques qui doivent recevoir une attention spéciale.
On doit mettre fin au statut de club privé dont jouissent les agriculteurs.
Les gouvernements du Québec et du Canada doivent mettre en place des réformes afin de
libéraliser le secteur de l’agriculture et le plus tôt sera le mieux. Bien que la gestion de l’offre
puisse avoir été établie avec de bonnes intentions par le passé, aujourd’hui elle cause plus de
mal que de bien aux consommateurs, à l’économie en général, mais aussi aux producteurs.
Elle a rendu les fermes canadiennes plus petites, moins en mesure de réaliser une intégration
verticale et incapable de profiter pleinement des outils de gestion modernes et des systèmes
d’information qui ont transformé des industries entières. Ce n’est plus une question de choix,
mais de nécessité afin de nous assurer une économie agricole dynamique. La libéralisation des
marchés, notamment pour les produits laitiers, est une réalité dans plusieurs pays développés
qui possédaient auparavant des offices de commercialisation bien établis. Il n’y a aucune
raison pour laquelle le Canada ne pourrait pas réformer ses propres offices de
commercialisation agricole.
Nous suggérons de s’attaquer en premier lieu à la gestion de l’offre laitière, parce que c’est le
secteur qui a été réformé avec le plus de succès au cours des dernières années. Il est possible
que la réforme des offices de commercialisation du lait accélère les changements dans
d’autres secteurs agricoles. La nature exacte des changements requis demeure davantage une
question politique qu’une question purement commerciale. Les producteurs laitiers du Québec
et de l’Ontario doivent prendre conscience qu’ils ne peuvent plus compter sur la
réglementation fédérale et provinciale pour les protéger de la concurrence intérieure et
étrangère. Peut-être faudra-t-il que plus de petits producteurs joignent des coopératives afin
d’apprécier les bénéfices de la libéralisation commerciale. Une telle décision, du moins au
début, pourrait les aider à voir la nécessité de mettre en place des procédures de gestion plus
modernes telles que l’intégration verticale. Les producteurs doivent redéfinir leur entreprise
non pas comme celle de produire du lait, d’élever des poulets ou de récolter du blé, mais
d’offrir des aliments nutritifs améliorés et innovateurs aux consommateurs locaux et du
monde entier. En d’autres mots, une définition trop étroite de leur entreprise limite leur
potentiel sur le marché. Ils doivent étendre leur modèle commercial afin d’inclure plusieurs
autres occasions d’affaires, produits et marchés.
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