Critiques des pièces présentées dans le cadre du Festival montréalais 2006 de théâtre amateur
LES FEMMES SAVANTES
de Molière
Dans une mise en scène de Stéfan Perreault. Avec :
Vincent Barrat, Sébastien Bougie, Andrée Charbonneau,
Jean-Philippe Denis, Julie Garceau, Frédérique Laliberté,
Jacques Lefebvre, Véronique Raymond et Annie Roy.
Une production de Cadavre exquis, présentée le 6 juin
2006, dans le cadre du 22e Festival montréalais de
théâtre amateur.
JEAN-SÉBASTIEN PILON
7 juin 2006
Mettre en scène Les femmes savantes dont le propos est
solidement attaché au contexte historique qui a vu naître
la pièce, constituait un défi en soi pour les membres de la
troupe du Cadavre exquis qui présentait, mardi soir, la
comédie satirique de Molière. Si le défi n’a été qu’en
parti relevé, l’enthousiasme avec lequel le groupe a
défendu son travail était pour le moins manifeste et
contagieux.
À l’époque, la création des Femmes savantes fut
l’occasion pour Molière de se moquer d’une pédanterie
toute particulière dont certaines femmes faisaient état. À
l’image du personnage central de Philaminte, celles-ci
cherchaient par l’étalage de leur savoir à se sortir de la
basse position sociale où les hommes les confinaient.
L’intrigue de la pièce repose sur le mariage d’Henriette,
la fille de Philaminte, dont le choix d’un époux est
l’occasion d’un débat sur la pertinence et le bien fondé de
la conduite d’un tel groupe de femmes. Or, si ce débat au
sujet de l’éducation et de l’émancipation des femmes tel
que présenté par Molière est bien d’une autre époque,
toute la question du pédantisme, de ses artifices et de son
hypocrisie est encore bien digne d’intérêt. Alors que les
femmes savantes croient s’élever vers les hautes sphères
de la science et de la philosophie, Stéfan Perreault et son
équipe ont bien su exploiter l’humour avec laquelle
Molière démasque les prétentions de ces femmes. Par un
jeu inspiré de la commedia dell’arte qui se prête toujours
bien à l’univers de l’auteur, les comédiens nous ont
proposé une version très burlesque de cette univers
bourgeois, caricaturant parfois à l’excès les désirs cachés
et la détresse de ces femmes aux grandes ambitions.
En accord avec la ligne directrice de la pièce, tout un
travail de parodie a manifestement été fait afin de grossir
le désir de plaire refoulé de ces femmes savantes.
L’utilisation de nombreux lazzis aux penchants grivois et
l’ajout d’une pantomime tout aussi allusive ont bien fait
de montrer le ridicule avec lequel les protagonistes de
cette pièce défendent tout haut les bonnes manières, tout
en manifestant en sourdine leurs instincts des plus
primaires. L’emphase mis sur leurs désirs sexuels fut
malheureusement trop importante. Si le rire était au
rendez-vous, les subtilités du texte et les multiples
facettes des personnages s’en sont vues réduites.
Henriette, par exemple, nous a certes paru plus franche
que les femmes qui l’entouraient et la conseillaient, mais
son intelligence et sa force de retenue n’ont pas été
suffisamment exploitées.
Au plan de l’interprétation, il faut noter l’excellent travail
des comédiens qui ont su casser la rythmique
traditionnelle des vers pour donner à la langue de
Molière un aspect plus familier. Cela a sans doute
contribué au rythme accrocheur de la pièce qui s’est
maintenu jusqu’à la toute fin. La prononciation toutefois
en a peut-être un peu souffert. En plus de cette
accélération de la parole, chaque comédien proposait un
accent vocal qui réussissait en général à mieux camper le
personnage, mais qui nuisait désagréablement chez
certains à la compréhension du texte. Notons à ce sujet
un manque de direction des acteurs. Si certains jeux
vocaux appuyaient de façon très juste la caricature,
d’autre, comme la déclamation de Clitandre, manquaient
de nuances et aplatissaient des personnages dont les
subtilités ne peuvent pas que reposer sur la force du
texte. Chaque comédien paraît posséder un bon potentiel,
mais le travail sur le jeu semble parfois avoir été fait sans
tenir compte des divers enjeux de la pièce.
Ne passons pas sous silence le jeu de Véronick Raymond
qui a su trouver un équilibre dans la caricature en
interprétant avec justesse et cohérence le personnage
complexe de Philaminte. Accompagnée de Bélise dont
l’alcoolisme était tout à fait approprié et d’Armande,
dont la sottise était à point, Philaminte a contribué
fortement à ne pas laisser la pièce dériver à la
bouffonnerie.
Cela dit, les membres de la troupe du Cadavre exquis ont
démontré une énergie capable de garder facilement
l’attention de leur public. Cette qualité primordiale
devrait les encourager à continuer leur travail sans
craindre de nous ennuyer en jouant de façon retenue.
EMPIRE
de Jocelyn Sioui
Dans une mise en scène de Jocelyn Sioui. Avec :
Valérie Beaulieu, Jessica Blanchet, Mildred
Bois, Pascale Carrère, Éric Desjardins, Diane
Leprohon, Élise Martinez, Jocelyn Sioui et
Marie-Aube St-Amant Duplessis. Une
production de L’École de théâtre Figures de
Style, présentée le 8 juin 2006, dans le cadre du
22e Festival montréalais de théâtre amateur.
JEAN-SÉBASTIEN PILON
9 juin 2006
Hier soir, en me rendant à la représentation
d’Empire qu’on décrivait comme un Shakespeare
revisité, j’avoue avoir douté qu’on puisse y
rencontrer de réelles et intéressantes nouveautés.
Honte est de dire aujourd’hui que je me trompais
royalement. Jocelyn Sioui et son équipe ont mis
en scène un texte bien défendable qui s’inspire
de nombreuses pièces du répertoire sans tomber
dans la redite et dont la construction possède
l’immense qualité de faire confiance en
l’imagination.
De façon anecdotique, Empire est l’histoire de
Roméo et de Juliette dont la guerre entre leurs
deux familles interdit toute union. L’aspect
tragique de leur destin prendra toute son ampleur
lorsque la situation s’inversera. Alors invités et
même forcés à s’unir, les deux amants
apprendront être frère et sœur et verront leur
désir de nouveau contraint par le lourd tabou de
l’inceste. Mais du côté de l’expérience artistique,
Empire est plutôt l’amalgame de plusieurs
espaces fictifs, de la tragédie au conte pour
enfants, dont la traversée oblige le spectateur (et
le critique) à oublier le monde confortable de la
vraisemblance et de la rigueur pour se laisser
prendre au plaisir de la fiction. En cela, l’aspect
le plus solide du texte est de briser le mur entre
la scène et la salle. Par l’insertion d’un narrateur,
par des adresses indirectes aux techniciens afin
qu’on change la nuit en jour ou le jour en nuit,
par l’apparition soudaine d’un quiz télévisé dans
lequel la salle est invitée à influencer le cours du
drame, bref, par l’intervention d’une multitude
de rebondissements saugrenus qui rappellent au
public qu’il est bel et bien au théâtre, Empire
nous entraîne à assumer l’univers de fiction pour
nous permettre de mieux y entrer.
De ce point de vue, tous les médiums de la
représentation théâtrale furent mis à contribution.
Les costumes par exemple, très minimalistes
quoique créatifs, permettaient de voyager avec
peu de moyens et sans confusion d’un lieu ou
d’un personnage à un autre. Ajoutant à cela
l’utilisation de marionnettes, issues d’une
imagination débordante sans jamais tomber dans
la gratuité, la troupe a réussi à nous faire
accepter de façon convaincante des personnages
des plus étrangers à l’univers tragique. Le décor
de son côté, d’une rigidité tout à propos, se
prêtait avec souplesse aux nombreux lieux
évoqués. Au-delà d’une représentation figée, le
metteur en scène a su exploiter toutes les
possibilités du décor en suggérant, avec les
mêmes éléments, une série de différents lieux.
En cela, ne laissons pas en reste la riche trame
sonore et l’éclairage qui contribuèrent tout autant
à la magie suggestive de la scénographie.
Au plan de l’interprétation qui fut dans
l’ensemble bien travaillée, notons les bonnes
performances de Diane Leprohon dans le rôle de
Capulet et de Mildred Bois dans les rôles de
Salomé et de Simbad. Quant aux manipulateurs
de marionnettes, ils furent en grande majorité à
la hauteur si ce n’est qu’il manquait à Roméo
une touche supplémentaire de finesse qui aurait
pu nous enlever tout soupçon sur la pertinence de
sa marionnette. Le couple Roméo-Juliette est
d’ailleurs celui qui nous a laissés le plus en
appétit. Ils portaient à eux deux une grande part
de la dimension tragique de la pièce et la tâche,
en cela très exigeante, n’a pas toujours été bien
remplie. Cela dit, la faute de cette faiblesse doit
aussi être attribuée au texte.
Le texte de Sioui joue sur plusieurs registres très
différents. S’il a le mérite de faire cohabiter entre
les personnages des niveaux de langage à la fois
familier et littéraire sans que cela n’accroche, la
chose est moins vraie lorsque la langue passe
d’un niveau à l’autre au sein des mêmes
répliques. Le collage de certains passages du
répertoire classique à l’écriture de Sioui détonne
souvent et nous fait décrocher. Parfois utilisés
dans des contextes plus ou moins pertinents (je
pense ici à une reprise de la plus célèbre réplique
de Hamlet), ces passages nuisent à la création
d’une tension tragique.
Une pièce réussie reste pour moi une pièce qui
unit une salle et une scène dans une force
d’implication mutuelle autour d’un sujet
déroutant. Si le côté tragique dEmpire était un
peu émietté à travers les récits d’aventures, force
est d’avouer que l’essentiel était au rendez-vous.
IL / ELLE
collage création
Dans une mise en scène de Patrick Rozon,
assisté de Martin Lafrenière. Avec: Émilie
Brunet, Marie-Ève Bryant, Olivier Demers-
Dubé, Stéphanie Denault-Sauvé, Patrice Joubert,
Gabrielle Laprise-Laberge, Andrée-Anne Léger,
Rebecca Milette, Maxime Nadon, Valérie
Ouellet et Karine Plouffe. Une production de la
Troupe de théâtre du Collège Gérald-Godin,
présentée le 9 juin 2006, dans le cadre du 22e
Festival montréalais de théâtre amateur.
MARIE-ANDRÉE MORACHE
Le spectacle il / elle réunit des extraits de
plusieurs textes relativement récents écrits par de
jeunes dramaturges québécois. Les jeunes de 18
à 20 ans composant la troupe de théâtre du
Collège Gérald-Godin pouvaient donc facilement
s'identifier aux personnages et se sentir
interpellés par les thèmes abordés. Ces thèmes
touchent, comme le titre du spectacle l'indique,
les rapports homme - femme, le sujet le plus
récurrent étant les problèmes de communication
qui persistent toujours aujourd'hui entre homme
et femme, surtout concernant la sexualité. De
plus, le spectacle comprend une part de création
collective, des numéros, muets ou non, dont cette
scène où un jeune homme lit la lettre que lui a
écrite son ami avant de se suicider, et qui est
issue d'un travail collectif d'écriture.
Le public du Festival a semblé très touché par la
représentation. À la sortie, beaucoup de parents
se disaient émus par les propos tenus par leurs
jeunes sur scène. Pour ma part, je dois avouer ne
pas avoir été très touchée par les textes choisis,
qui m'ont semblés prévisibles et contenir de
nombreux clichés, à l'exception de la scène de
Frédéric Blanchette, où un homme parfait à tous
les niveaux se révèle finalement être sans pénis,
ce qui constitue une surprise rafraîchissante.
Aussi ai-je de beaucoup préféré les nombreux
tableaux sans texte où le metteur en scène
exploite au maximum la charge émotive de la
musique, et où les acteurs font preuve d'une
grande rigueur dans l'exécution de
chorégraphies. Les onze acteurs bougent avec
aisance et précision, ils sont habiles à
synchroniser leurs mouvements et à équilibrer le
plateau. Et dans les scènes parlantes, c'est encore
le travail corporel qui m'impressionne le plus :
dans leur jeu physique, les acteurs se sont jetés à
l'eau avec générosité et audace, faisant montre,
notamment dans la sensualité, d'une impudeur
sans gratuité aucune.
On l'aura compris, si quelque chose m'a dérangée
dans cette pièce, c'est dans le « parler », dans la
façon dont les acteurs disent le texte. J'essaie de
cibler ce petit quelque chose qui à mon oreille
sonne faux : ce n'est pas que les acteurs jouent
trop gros, ils ne déclament pas, ne chantent pas
leur texte et les intentions sont correctes; et
pourtant, on n'y croit pas tout à fait parce que ça
s'entend que c'est un texte appris par cœur. Pour
le dire autrement, on sent les virgules passer;
c'est léger, mais c'est partout et ça donne un effet
figé. L'acteur a beau bénéficier d'une belle
sensibilité, d'une belle sincérité, quand la parole
n'est pas fluide l'émotion semble plaquée sur le
texte. À mon avis, il n'y a que Gabrielle Laprise-
Laberge qui sache dire son texte sans que jamais
on ait l'impression qu'elle est en train de le lire
dans sa tête.
Certes, ce sont de jeunes acteurs, certains en sont
à leur première expérience sur scène, mais je me
serais attendue à plus de naturel dans
l'interprétation de rôles qui n'étaient pas si loin
d'eux. D'autant plus que ce naturel, ils
l'atteignent dans la scène finale, quand chacun
vient s'adresser directement au public. Dans ces
derniers instants, tous les acteurs ont une
présence exceptionnelle sur scène et s'adressent
vraiment à quelqu'un. Si seulement ils pouvaient
saisir cette présence, cette ouverture à l'autre,
cette spontanéité apparente dans la réplique qui
apparaît soudain, sans doute causée par la
détente générale de fin de spectacle, et aborder
avec cette attitude leurs prochains personnages...
car bien sûr, je leur souhaite de remonter sur
scène encore et encore, de revivre cette
expérience de groupe dont ils nous ont fait
partager la magie.
Notons finalement que il / elle passe rapidement
et qu'on ne s'y ennuie pas. Le décor, par ses
allusions au monde du cirque et du cabaret,
soutient le spectacle dans ses moments les plus
animés (je pense entre autres aux symboles du
féminin et du masculin enfermés dans des cages,
tels des animaux de foire). Enfin, la trame sonore
réalisée par le metteur en scène Patrick Rozon
est certainement une des meilleures conceptions
sonores pour une pièce de théâtre que j'ai
entendues ces dernières années.
JE VEUX VOIR MIOUSSOV
de Valentin Kataïev
Dans une mise en scène de Robert Maurac
assisté de Françoise Tremblay. Avec: Jeannette
Myles, Daniel Boudrias, Nathalie Labbé, Gérald
Morin, Élisabeth Rivest, François Lesieur, Diane
Leprohon, Paule Gilbert, Dominic Tremblay,
Michaël Cartier, Mike Muchnik. Une production
d'Art neuf, présentée le 5 juin 2006 dans le cadre
du 22e Festival montréalais de théâtre amateur.
MARIE-ANDRÉE MORACHE
« Le repos, au début, ça énerve »! En effet, dans
la maison de repos Les Tournesols, c'est à coups
de bains forcés, de détours labyrinthiques, de
chocs émotifs et au besoin d'ultrasons que l'on
soigne la nervosité. La spécialité de la maison est
qu'une fois entré l'on n'y comprend plus rien, et
c'est à se demander qui, des employés ou des
clients, a le plus besoin de soins. Valentin
Kataïev nous présente un univers où des
individus sont confrontés aux règlements
arbitraires d'une bureaucratie paralysante: un
fonctionnaire zélé du nom de Zaïtsev doit se
mettre dans des situations incroyables afin
d'obtenir la signature d'un certain Mioussov.
L'U.R.S.S. avait un idéal d'ordre et d'efficacité,
mais ici règnent la confusion et l'absurdité, ce
que symbolise bien le décor de Sylvie
Archambault : avec son étoile soviétique en
étoile filante, tel un rêve qui retombe; et cette
autre étoile qui domine la scène, cette rose des
vents pointant dans toutes les directions sans
pour autant pouvoir servir de guide.
Mais qu'on ne s'y trompe pas, « Je veux voir
Mioussov » est une pièce très drôle et Robert
Maurac à la mise en scène l'a bien compris. Le
secret de cette comédie réside dans les divers
malentendus et quiproquos qu'elle génère: tel
personnage ne sait plus de quelle femme il est
censé être le mari, un autre, pensant qu'on veut le
tuer, passe sa journée de repos caché dans un
placard à balais, une femme est accusée d'avoir
commis l'adultère avec son propre mari, etc. Ces
personnages troublés exposent leur étrange
système de valorisation, ce qui provoque un
autre effet comique: par exemple, la femme la
plus désirable est une excellente tractoriste et on
lui fait la cour en lui offrant du ciment et des
agglomérés!
Cette pièce exige des comédiens de la troupe
d'Art neuf, un grand effort cardio-vasculaire.
Pour réussir ce tour de force de retenir l'attention
du public pendant deux heures sans interruption,
les comédiens doivent maintenir un rythme
effréné tant au niveau du débit que de l'intensi
du jeu. La grandeur de la salle du Festival ne les
a pas aidés : ils ont dû accélérer les déplacements
et fournir encore plus d'énergie pour habiter ce
grand espace. Mickaël Carlier en Kostia, par son
tonus soutenu, est sans doute celui qui a le mieux
réussi à imposer sa présence sur scène. Elizabeth
Rivest a également déployé une grande énergie
pour interpréter l'« incurable mais charmante »
Doudkina. Ses apparitions que je qualifierais
d'hystérie vaporeuse étaient très réussies.
Saluons également la performance de Daniel
Boudrias dans le rôle du vieux Zaïtsev, de toute
évidence un rôle de composition. Enfin, dans le
rôle du fameux Vladimir Mioussov, Gérald
Morin a su rendre toute la couardise et la vanité
du personnage. Son Mioussov était insignifiant à
souhait!
Les scènes qui fonctionnent le mieux sont celles
où les personnages semblent suspendre un
instant leur course folle entre deux portes, le
temps d'un nouveau malentendu, lorsqu'ils
semblent n'être que de passage sur scène. Aussi,
les moments les moins dynamiques de la pièce
sont quelques dialogues où les acteurs
s'installent un peu trop, ces moments où le
rythme s'essouffle, par baisse du tonus, du débit
et, pour quelques comédiennes, du volume de la
voix et de la diction. Mais avec ces douze
personnages qui courent dans tous les sens, il y a
de quoi s'essouffler! À ce propos, je m'interroge
sur la pertinence des effets d'éclairage et des
effets sonores. Certes, tous ces effets sont bien
recherchés et bien exécutés. Les effets sonores
sont particulièrement originaux. Cependant, je
me demande si plutôt que de renforcer la
dynamique de la pièce, ils ne viennent pas freiner
son envolée. On dirait parfois que les acteurs
figent le temps de l'effet technique. Or, le texte
est déjà riche en rebondissements et en effets de
surprise, l'humour intelligent de Valentin Kataïev
est bien servi par la mise en scène et par le jeu
des acteurs. Bref, le charme opère déjà, était-ce
nécessaire d'en rajouter?
Je profite de cette dernière ligne pour saluer le
travail de Jeannette Myles et de Gérald Morin
aux costumes et accessoires : ces uniformes avec
leurs tournesols, ces pyjamas assortis et toutes
ces perruques étaient à la fois beaux et efficaces.
LA PETITE PHÈDRE
de Jean Canolle
Dans une mise en scène de Piéwo Filiole. Avec:
Jef, Laurent Cappadocia, Hélène Senechal,
Alexandre Magne, Marcela Molinié, Anne-
Estelle Philippe. Une production de la TRAC
(Troupe Rythme Audace & cie), présentée le 10
juin 2006, dans le cadre du 22e Festival
montréalais de théâtre amateur.
MARIE-ANDRÉE MORACHE
Comment Hercule a-t-il lavé les Écuries
d'Augias? Il a profité d'une inondation. Et le lion
de Némée? Il était vieux et malade. Et le géant?
Il avait un lumbago. Comment triomphe-t-on à
coup sûr d'un monstre? On attend qu'il s'ennuie
assez pour se laisser abattre. C'est également de
cette façon qu'une gamine boudeuse triomphe
d'un roi sanguinaire trop démoralisé pour lui
trancher la tête.
On l'aura compris, cette pièce de Jean Canolle
tourne en dérision la mythologie grecque.
Thésée, qui s'est rendu célèbre par ses exploits
guerriers et sexuels, a maintenant plus de
cinquante ans et règne sur Athènes
confortablement assis dans un Lazy Boy.
L'homme se voit atteint dans sa virilité
lorsqu'une jeunesse de dix-huit ans, la petite
Phèdre qu'il vient tout juste d'enlever, lui préfère
son fils Hippolyte. Ainsi, les grands héros sont
jetés à bas de leur piédestal et nous apparaissent
comme de simples mortels.
Le décor très kitsch de Marie-Mathilde Riffaud
répond bien à cette visée de démythification de
Canolle. Tout y est manifestement faux, peint et
sculpté grossièrement, sans trompe-l'œil : les
colonnes, les balustrades, le lierre un peu partout,
le mini-temple grec en maquette, l'illustration de
Thésée tuant le Minotaure (dont la tête lui sert
maintenant de téléphone!) et celle de Poséidon à
l'arrière-plan, qui donne l'impression d'un
immense aquarium, évoquent pour moi la
décoration de mauvais goût d'un restaurant grec
ou plutôt se voulant grec.
C'est avec grand plaisir que nous retrouvons
cette année encore les comédiens de la TRAC.
Jef vole la vedette avec son interprétation
d'Hippolyte en doux éphèbe. L'acteur est d'une
douceur désarmante dans ce rôle d'adolescent
chaste, plus chérubin que grand chasseur. Il fait
preuve de beaucoup de grâce et d'agilité pour
soutenir du début à la fin un jeu aussi éthéré.
J'ai été étonnée des progrès accomplis en
quelques années seulement par la comédienne
Marcela Molinié. Le rôle de Phèdre (la Phèdre de
Canolle bien sûr!) lui va comme un gant. Il faut
la voir se dandiner sur scène, le corps et la
langue déliés, pour incarner cette séductrice
impudique, cette femme-enfant insouciante qui
joue à être reine. J'ai aimé surtout que Marcela
fasse passer en toute simplicité la complexité de
ce personnage, de cette femme sans méchanceté
et sans amour, franche mais infidèle, intègre
mais inconstante.
Alexandre Magne m'avait impressionnée l'an
dernier en Don Juan. Il campe cette année un
Thésée grisonnant et paillard, donc les
apparitions, accompagnées de musique
folklorique grecque, suscitent irrésistiblement la
bonne humeur. Cependant, avec ses grognements
de porc récurrents et sa manie de se tâter les
couilles pour tout et pour rien, l'acteur frôle le
cabotinage et risque par moments de tomber dans
la facilité.
La performance de Hélène Senechal en Aricie
m'a semblé à première vue beaucoup moins
solide que celle qu'elle nous avait offerte l'an
dernier, mais tout s'explique quand on sait
qu'elle n'a eu que quelques semaines pour
apprendre son texte et composer son personnage.
Les personnages de Théramène et d'Oenone,
respectivement interprétés par Laurent
Cappadocia et Anne-Estelle Philippe, offrent
moins d'attraits que les autres, mais les
comédiens ont su faire quelque chose
d'intéressant des scènes d'affrontement entre ces
deux personnages.
Enfin, le très sympathique Piéwo Filiole a su
réchauffer la salle avec beaucoup d'assurance. Si
je ne peux douter de son talent d'animateur, je
reste toutefois moins convaincue de son talent de
metteur en scène. Je n'ai rien à redire à sa
direction d'acteur, c'est la dynamique du
spectacle comme telle (mise en place,
déplacement, effet d'ensemble, rythme des
entrées et sorties, etc.) qui me laisse... bon, peut-
être pas froide, disons tiède : c'est correct, ça
fonctionne, sans plus. Je dirais donc qu'il s'agit
d'une bonne production, drôle et chaleureuse,
mais certainement pas la meilleure de la TRAC.
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