JE VEUX VOIR MIOUSSOV
de Valentin Kataïev
Dans une mise en scène de Robert Maurac
assisté de Françoise Tremblay. Avec: Jeannette
Myles, Daniel Boudrias, Nathalie Labbé, Gérald
Morin, Élisabeth Rivest, François Lesieur, Diane
Leprohon, Paule Gilbert, Dominic Tremblay,
Michaël Cartier, Mike Muchnik. Une production
d'Art neuf, présentée le 5 juin 2006 dans le cadre
du 22e Festival montréalais de théâtre amateur.
MARIE-ANDRÉE MORACHE
« Le repos, au début, ça énerve »! En effet, dans
la maison de repos Les Tournesols, c'est à coups
de bains forcés, de détours labyrinthiques, de
chocs émotifs et au besoin d'ultrasons que l'on
soigne la nervosité. La spécialité de la maison est
qu'une fois entré l'on n'y comprend plus rien, et
c'est à se demander qui, des employés ou des
clients, a le plus besoin de soins. Valentin
Kataïev nous présente un univers où des
individus sont confrontés aux règlements
arbitraires d'une bureaucratie paralysante: un
fonctionnaire zélé du nom de Zaïtsev doit se
mettre dans des situations incroyables afin
d'obtenir la signature d'un certain Mioussov.
L'U.R.S.S. avait un idéal d'ordre et d'efficacité,
mais ici règnent la confusion et l'absurdité, ce
que symbolise bien le décor de Sylvie
Archambault : avec son étoile soviétique en
étoile filante, tel un rêve qui retombe; et cette
autre étoile qui domine la scène, cette rose des
vents pointant dans toutes les directions sans
pour autant pouvoir servir de guide.
Mais qu'on ne s'y trompe pas, « Je veux voir
Mioussov » est une pièce très drôle et Robert
Maurac à la mise en scène l'a bien compris. Le
secret de cette comédie réside dans les divers
malentendus et quiproquos qu'elle génère: tel
personnage ne sait plus de quelle femme il est
censé être le mari, un autre, pensant qu'on veut le
tuer, passe sa journée de repos caché dans un
placard à balais, une femme est accusée d'avoir
commis l'adultère avec son propre mari, etc. Ces
personnages troublés exposent leur étrange
système de valorisation, ce qui provoque un
autre effet comique: par exemple, la femme la
plus désirable est une excellente tractoriste et on
lui fait la cour en lui offrant du ciment et des
agglomérés!
Cette pièce exige des comédiens de la troupe
d'Art neuf, un grand effort cardio-vasculaire.
Pour réussir ce tour de force de retenir l'attention
du public pendant deux heures sans interruption,
les comédiens doivent maintenir un rythme
effréné tant au niveau du débit que de l'intensité
du jeu. La grandeur de la salle du Festival ne les
a pas aidés : ils ont dû accélérer les déplacements
et fournir encore plus d'énergie pour habiter ce
grand espace. Mickaël Carlier en Kostia, par son
tonus soutenu, est sans doute celui qui a le mieux
réussi à imposer sa présence sur scène. Elizabeth
Rivest a également déployé une grande énergie
pour interpréter l'« incurable mais charmante »
Doudkina. Ses apparitions que je qualifierais
d'hystérie vaporeuse étaient très réussies.
Saluons également la performance de Daniel
Boudrias dans le rôle du vieux Zaïtsev, de toute
évidence un rôle de composition. Enfin, dans le
rôle du fameux Vladimir Mioussov, Gérald
Morin a su rendre toute la couardise et la vanité
du personnage. Son Mioussov était insignifiant à
souhait!
Les scènes qui fonctionnent le mieux sont celles
où les personnages semblent suspendre un
instant leur course folle entre deux portes, le
temps d'un nouveau malentendu, lorsqu'ils
semblent n'être que de passage sur scène. Aussi,
les moments les moins dynamiques de la pièce
sont quelques dialogues où les acteurs
s'installent un peu trop, ces moments où le
rythme s'essouffle, par baisse du tonus, du débit
et, pour quelques comédiennes, du volume de la
voix et de la diction. Mais avec ces douze
personnages qui courent dans tous les sens, il y a
de quoi s'essouffler! À ce propos, je m'interroge
sur la pertinence des effets d'éclairage et des
effets sonores. Certes, tous ces effets sont bien
recherchés et bien exécutés. Les effets sonores
sont particulièrement originaux. Cependant, je
me demande si plutôt que de renforcer la
dynamique de la pièce, ils ne viennent pas freiner
son envolée. On dirait parfois que les acteurs
figent le temps de l'effet technique. Or, le texte
est déjà riche en rebondissements et en effets de
surprise, l'humour intelligent de Valentin Kataïev
est bien servi par la mise en scène et par le jeu
des acteurs. Bref, le charme opère déjà, était-ce
nécessaire d'en rajouter?
Je profite de cette dernière ligne pour saluer le
travail de Jeannette Myles et de Gérald Morin
aux costumes et accessoires : ces uniformes avec
leurs tournesols, ces pyjamas assortis et toutes
ces perruques étaient à la fois beaux et efficaces.