Introduction
’expression d’« Alsace-Lorraine » n’est pas neutre. Son origine remonte au 10 mai 1871, lorsque,
par le traité de Francfort, la Prusse victorieuse de la France, s’adjuge l’Alsace et le quart
septentrional de la Lorraine (toute la Lorraine n’est en effet pas concernée : ni Nancy par exemple, ni
Lunéville, ni Toul, ne font partie de la zone annexée, au contraire de Metz, Thionville, Forbach,
Château-Salins et Sarrebourg). C’est le traité de Francfort qui, seul, donne une certaine unité à cette «
Alsace-Lorraine » là, une unité administrative très particulière d’ailleurs, puisqu’elle devient « terre
d’Empire » (Reichsland Elsass-Lothringen), c’est-à-dire dépendance directe du pouvoir central,
sans avoir le statut d’État (Bundestaat). Ce statut ne lui sera accordé qu’aux derniers moments de
l’Empire, en octobre 1918.
Une décision administrative, fut-elle originale, ne pouvait cependant effacer les disparités entre les
deux provinces : l’Alsace et la Lorraine ont d’abord des origines fort différentes. Si la première est
demeurée liée au Saint-Empire germanique jusqu’au traité de Westphalie en 1648, le duché de
Lorraine n’est rattaché à la France qu’en 1766 (encore que Metz, Toul et Verdun soient français
depuis 1552).
Ces différences sont sensibles aujourd’hui encore :
sur le plan linguistique, la francophonie exclusive est largement plus répandue en Lorraine, et
même en Lorraine du Nord, près de la frontière allemande et luxembourgeoise, qu’en Alsace ;
sur le plan religieux, le Bas-Rhin, l’un des deux départements alsaciens, comprend, notamment
dans sa partie nord, une forte minorité protestante, alors que la Lorraine est plus massivement
catholique ;
sur le plan social et économique, puisque l’importance du bassin houiller, des mines de fer et
d’une industrie métallurgique en Lorraine peut être opposée au caractère nettement plus rural de
l’Alsace, moins touchée d’ailleurs que la Lorraine par l’arrivée d’immigrés – Polonais et
Italiens notamment – et donc plus disposée à cultiver son particularisme local.
On peut ajouter à ces différences une plus forte identité culturelle de l’Alsace : la Lorraine est sans
doute aucun une terre d’influence germanique, elle aussi. Mais même dans sa partie septentrionale, la
Moselle, elle est très ouverte à la culture et à la langue française. Ce « morceau de l’ancien duché de
Lorraine coupé en deux par les frontières de 1870 » [1] n’a pas en propre une aussi vieille histoire
que l’ensemble alsacien.
Mais un destin commun de près de cinquante ans (1871-1918) a sans aucun doute rapproché les deux
régions : les lois y étaient semblables, tout comme le rapport (régi par un concordat) entre le pouvoir
politique et les cultes, la nature du système de protection sociale, etc. La conscience d’une certaine
originalité de situation favorisera d’ailleurs en Lorraine et plus encore en Alsace dès le début du
siècle, c’est-à-dire sous domination allemande, le développement, à côté d’un courant
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