
Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIII - n° 2 - avril-mai-juin 2013
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Dossier thématique
Alcool
Plusieurs études menées auprès de l’opinion
publique, des patients et des professionnels de santé
montrent que les patients porteurs d’une cirrhose
alcoolique sont considérés comme les moins priori-
taires pour bénéficier d’une TH, et ce quelle que soit
la pertinence de l’indication de transplantation (10).
La TH n’est pas envisagée pour de nombreux malades.
Tout d’abord, certains présentent une complication
inaugurale de la cirrhose, entraînant si rapidement
le décès que le patient ne peut être évalué. D’autres
présentent une complication de la cirrhose mais sont
ensuite perdus de vue. Enfin, parfois, la TH n’est pas pro-
posée aux patients dont l’alcoolodépendance majeure
laisse prévoir une faible compliance.
Du fait de leur mauvaise image dans la société, les
patients ayant une cirrhose alcoolique sont moins souvent
adressés aux centres de transplantation. Dans le cadre
d’une étude portant sur 199 candidats potentiels à une
TH pour cirrhose alcoolique décompensée, seuls 41 (21 %)
ont été adressés à un centre référent et seuls 15 (8 %)
ont eu une évaluation complète avec un bilan avant la
greffe finalisé (11). De plus, suivant l’association de cri-
tères médicaux, chirurgicaux et psychiatriques, certains
programmes récusent plus de 50 % des cirrhotiques alcoo-
liques adressés pour TH (12). Au final, seule une petite
proportion, estimée à 6 %, des malades susceptibles de
décéder d’une cirrhose alcoolique sont transplantés (13).
Une étude française (14) qui a analysé le devenir des
patients 3 ans après une première hospitalisation pour
cirrhose alcoolique rapporte que 7 % étaient décédés
et que seuls 3 % avaient été transplantés. Il y a beau-
coup de candidats potentiels à une TH pour maladie
alcoolique du foie mais il y a finalement peu d’élus :
9 000 décès par an, et seulement 300 TH !
L’enjeu de la rechute
Selon l’HAS, le seul objectif dans l’alcoolodépendance
est l’abstinence.
La singularité de la transplantation pour maladie
alcoolique du foie repose sur le risque de reprise d’une
consommation d’alcool après la greffe, considérée, à
tort ou à raison, comme inacceptable.
Les données de la littérature retrouvent des taux de
reprise de la consommation d’alcool très différents
après TH, allant de 7 % à 95 % à 3 ans chez les greffés
pour maladie alcoolique du foie. Il est cependant très
difficile de comparer ces études entre elles. En effet, la
définition de la rechute varie selon les études : la plupart
utilisent une définition absolutiste qui considère toute
consommation après la greffe comme une rechute, quelle
que soit la fréquence ou la quantité (15).
D’autres utilisent une définition différenciée qui consiste à
séparer ce qui relève de l’alcoolodépendance telle qu’elle
est définie dans le DSM-IV de la reprise d’une consom-
mation d’alcool caractérisée par sa fréquence et sa quan-
tité. Cette définition distingue ainsi 3 situations cliniques
concernant la consommation d’alcool après la greffe :
l’abstinence, la rechute modérée, et la rechute sévère (16).
La rechute sévère concerne les patients présentant des
critères d’alcoolodépendance, et/ou une consommation
d’alcool supérieure à 210 g par semaine pour les hommes
et 140 g par semaine pour les femmes (critères OMS), et/
ou une consommation d’alcool supérieure à 50 g les jours
de consommation. Certaines études ne considèrent que
la rechute excessive, c’est-à-dire supérieure à 30 g par
jour, ou 40 g par jour, selon les études (17-19).
Enfin, le “slip”, qui est une prise d’alcool isolée ou lors
d’un événement avec poursuite de l’abstinence, est
un concept récent qui n’est pas considéré comme
une rechute dans la définition différenciée. Il n’y a
d’ailleurs aucune différence de survie significative
dans la littérature entre les patients présentant un
épisode de “slip” après la greffe et les abstinents (17).
Le diagnostic précoce de la rechute est difficile, car
toutes les méthodes de détection, analysées de façon
individuelle, sont imparfaites (20). Certaines études
utilisent l’interrogatoire du patient et de son entourage,
d’autres, le questionnaire anonyme, d’autres encore,
l’interrogatoire téléphonique, avec parfois mise en cor-
rélation avec les résultats des tests biochimiques (21). Le
diagnostic de rechute est aussi difficile avant la greffe,
les patients pouvant cacher leur consommation alcoo-
lique afin de ne pas être exclus de la liste d’attente (22).
Enfin, toutes les études citées n’ont pas le même suivi
moyen et plusieurs d’entre elles montrent que le taux
de rechute augmente avec la durée du suivi.
Au final, en tenant compte de toutes ces études, la
rechute alcoolique à 5 ans après la TH est estimée entre
11 et 54 %, avec 7 à 26 % de récidive de consommation
excessive (23).
En dehors du champ de la transplantation, il existe
peu de facteurs prédictifs de rechute chez les patients
alcooliques. La greffe peut être ressentie comme une
expérience traumatique par certains patients et prévenir
la rechute. La culpabilité ressentie par certains patients
vis-à-vis du donneur peut exercer le même effet. Le
facteur prédictif de rechute après TH le plus souvent
rapporté est la durée d’abstinence avant l’inscription
sur liste. Les autres variables identifiées comme facteurs
prédictifs de rechute sont le jeune âge, les antécédents
familiaux d’alcoolisme, les antécédents personnels de
toxicomanie, un contexte dépressif avec idées suici-
daires et des conditions sociales précaires.