Transplantation hépatique pour maladie alcoolique : question

Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIII - n° 2 - avril-mai-juin 2013 65
Dossier thématique
Alcool
Résumé
Summary
»
La cirrhose alcoolique, responsable d’environ 10 000 décès/an en
France, est la première cause de transplantation hépatique (TH), avec
27 % des indications de greffe. La maladie alcoolique est systémique”,
avec des atteintes extrahépatiques qu’il convient de rechercher lors
de l’évaluation avant la greffe. Moins de 10 % des patients présentant
une cirrhose alcoolique décompensée sont adressés à un centre de
transplantation et seuls 3 % bénéficieront d’une TH. Selon des critères
objectifs, tels que le rejet, le taux d’infection et la survie après la greffe,
la cirrhose alcoolique décompensée est une excellente indication
de TH, avec une survie à 1 et 5 ans de 84 % et 73 %, respectivement.
La reprise d’une consommation d’alcool après TH, qui survient dans
moins de 25 % des cas, doit être dépistée et prise en charge par
une équipe spécialisée en addictologie. La “règle des 6 mois ne
doit plus être une condition intangible à la TH, et même l’hépatite
alcoolique aiguë grave corticorésistante peut s’avérer être une
indication pertinente de TH.
Mots-clés : Maladie alcoolique du foie – Transplantation hépatique –
Hépatite alcoolique aiguë – Règle des 6 mois – Rechute.
Alcoholic liver disease, responsible for 10,000 deaths/year
in France, is the first indication for liver transplantation
and represents 27% of all indications. Alcoholic disease is
a systemic disease causing extra hepatic damages, which
require exploration before liver transplantation (LT). Less than
10% of the patients with an alcoholic cirrhosis are referred to
a transplant center and only 3% of them will benefit from a LT.
Considering objective parameters such as rejection, infection
and survival after LT, decompensated alcoholic cirrhosis is an
excellent indication for LT with survival rates at 1 and 5 years
representing respectively 84% and 73%. Relapse after LT, which
occurs in less than 25% of cases, should be screened and
referred to a substance abuse specialist. The “6-months-rule”
must no longer be, and even acute alcoholic hepatitis could
be a valuable indication for LT.
Keywords: Alcoholic liver disease – Liver transplantation –
Acute alcoolic hepatitis – The “6 months rule” – Relapse.
Transplantation hépatique
pour maladie alcoolique : question
scientifique ou question morale ?
Liver transplantation in alcoholic liver disease:
ethical or scientific issue?
S. Faure*, G.P. Pageaux*
E
n France, 2 millions de personnes sont
dépendantes de l’alcool et 6 millions ont
une consommation à risque. La Haute
Autorité de santé (HAS) estime à 15 % le nombre de
buveurs excessifs d’alcool. L’alcool est la troisième
cause de décès prématurés et évitables après le
tabac et l’hypertension artérielle (HTA).
La cirrhose alcoolique est responsable de 9 000 à
10 000 décès par an en France et représente la pre-
mière cause de mortalité imputable à l’alcool. Elle est la
première indication de transplantation hépatique (TH)
en France et la deuxième en Europe et aux États-Unis.
Selon l’Agence française de biomédecine, on
dénombre, en 2011, 1 164 greffes hépatiques dont
27 % pour maladie alcoolique du foie. Selon le Registre
européen de transplantation hépatique (European
Liver Transplant Registry [ELTR]), sur la période allant
de 1988 à 2010, 33 % des greffes pour cirrhose et 21 %
des greffes toutes causes confondues avaient pour
indication principale la cirrhose alcoolique (figure 1,
page 66). Ces chiffres révèlent l’évolution des menta-
lités, puisque la cirrhose alcoolique représentait seu-
lement 4,6 % des indications en 1983. Cette évolution
a été possible grâce aux résultats probants de la TH
dans cette indication. Pourtant, les patients porteurs
d’une cirrhose alcoolique sont encore sous-référencés
auprès des centres de greffe et la durée d’abstinence
nécessaire avant la greffe reste débattue.
* Service d’hépato-
gastroentérologie
et de transplantation
hépatique, hôpital Saint-
Éloi, CHU de Montpellier.
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Transplantation hépatique pour maladie alcoolique du foie
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66
Dossier thématique
Alcool
Quels sont les candidats
à une transplantation hépatique
pourcirrhose alcoolique ?
Lors de la conférence, en 1983, des NIH (National
Institutes of Health), la cirrhose alcoolique a été reconnue
pour la première fois comme une indication acceptable
de TH chez des patients abstinents et présentant des
critères cliniques péjoratifs. La survie à 5 ans chez les
patients atteints de cirrhose alcoolique décompensée
est inférieure à 20 % en l’absence de TH et supérieure
à 70 % s’ils sont transplantés.
En 1999, l’étude de T. Poynard et al. a montré que la
cirrhose alcoolique décompensée (Child-Pugh C allant
de 11 à 15) était une indication justifiée de TH, avec un
bénéfice en termes de survie, alors qu’elle n’apportait
aucun gain de survie pour les patients Child-Pugh A (1).
Une étude prospective multicentrique française pilotée
par le centre de Besançon a suggéré que la TH était
délétère en cas de cirrhose du foie compensée Child-
Pugh B, avec une surmortalité liée à l’augmentation du
risque carcinologique de novo (2).
Le score de MELD (Model for End-stage Liver Disease) a
remplacé depuis le score de Child-Pugh, trop imprécis
du fait de 2 variables cliniques et subjectives. Le score de
MELD a initialement été élaboré pour prédire la morta-
lité à 3 mois après pose de TIPS (Transjugular Intrahepatic
Portosystemic Shunt) chez des patients cirrhotiques. Il se
calcule à partir de 3 variables biologiques : la bilirubine,
la créatinine et l’International Normalised Ratio (INR)
selon la formule qui suit :
MELD = 3,78 × ln bilirubine (mg/dl) + 11,2 × ln INR +
9,57 × ln créatinine (mg/dl) + 6,43 ;
Il a ensuite été démontré que la mortalité sur liste
d’attente de TH était directement corrélée au MELD
(par exemple, pour les patients avec MELD = 40, la
mortalité sur liste est 300 fois supérieure à celle des
patients de MELD compris entre 6 et 11) [3]. Le béné-
fice de la TH en termes de survie est évident au-delà
de 18, mais chez les patients avec un score en deçà
de 18, la mortalité est plus élevée en cas de greffe (4).
Cependant, une récente étude rétrospective de la
base de données UNOS (United Network for Organ
Sharing) a retrouvé un bénéfice en termes de mor-
talité sur liste et de survie post-transplantation chez
des patients avec cirrhose alcoolique “pure” ayant un
score de MELD plus bas (5).
Ainsi, le MELD est utilisé aux États-Unis depuis 2002
pour déterminer l’ordre d’attribution des greffons
selon la politique du “sickest first”. En France, la règle
d’attribution des greffons hépatiques a changé en mars
2007, elle est désormais fondée sur le score Foie, dont
la principale composante est le score MELD.
En donnant la priorité aux patients les plus graves,
l’égalité des chances pour l’obtention d’un greffon a
été optimisée, avec une réduction du délai et, surtout,
de la mortalité sur liste d’attente.
La TH est la meilleure option thérapeutique chez les
patients atteints de cirrhose alcoolique décompensée.
Il existe cependant des contre-indications générales à
la TH : une atteinte viscérale grave, un antécédent de
cancer (datant de moins de 5 ans) et, a fortiori, un cancer
évolutif (hormis un carcinome hépatocellulaire [CHC]),
et un âge physiologique avancé. Pour cela, un bilan
approfondi, prenant en compte le terrain spécifique
de ces patients, est nécessaire avant la greffe.
Un bilan exhaustif avant la greffe
Chez les patients ayant une cirrhose alcoolique, l’intoxi-
cation alcoolique chronique peut entraîner des atteintes
organiques extrahépatiques qui doivent être recher-
chées au cours du bilan avant la greffe. Linscription
de ces malades en liste d’attente nécessite, comme
spécifié par la conférence de consensus de 2005, “un
bilan prégreffe parti culièrement attentif à la recherche
des lésions liées à une toxicité alcoolique, voire alcoo-
lotabagique, extrahépatique, tels les cancers et états
précancéreux ORL, bronchiques, œsophagiens, une
pathologie cardiovasculaire et respiratoire”.
Outre sa toxicité hépatique, l’alcool est reconnu comme
un facteur de risque pour diverses pathologies, telles
que les maladies cardiovasculaires et les cancers.
Figure 1. Répartition des scores DASH du module général selon le statut professionnel de janvier 1998
à décembre 2012 en Europe.
Alcoolique
16 284 – 33 %
Virale + alcoolique
2 205 – 4 %
Auto-immune
2 019 – 4 %
Biliaire secondaire
590 – 1 %
Biliaire
primitive
4 702 – 9 %
Autres
970 – 2 %
De causes
inconnues
3 793 – 8 %
Virale
19 646 – 39 %
Cirrhoses
Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIII - n° 2 - avril-mai-juin 2013 67
La consommation d’alcool peut être responsable de
3 maladies cardiovasculaires : l’HTA, les troubles du
rythme cardiaque et les myocardiopathies avec sur-
venue d’une insuffisance cardiaque pouvant, en fonction
de la fraction d’éjection résiduelle, contre-indiquer la
greffe hépatique.
Par ailleurs, le tabagisme est plus fréquent chez les
patients atteints d’une cirrhose alcoolique (6). Au vu
de l’effet synergique du tabac et de l’alcool en termes
de carcinogenèse, il est impératif de réaliser chez ces
patients un dépistage approfondi, avant la greffe,
des tumeurs pulmonaires et des voies aérodigestives
supérieures (VADS), qui sont une contre-indication
absolue à la TH.
Leffet délétère de l’alcool sur le rein a été maintes fois
décrit. Le retentissement tubulaire rénal de l’alcool est
réversible en cas d’abstinence. À l’inverse, une néphro-
pathie à immunoglobulines A (IgA) est responsable de
lésions glomérulaires irréversibles. Une double greffe
foie-rein est alors nécessaire.
La consommation d’alcool entraîne, outre la
dénutrition liée à la cirrhose, une malnutrition
avec carence protéique et vitaminique. Un état
de dénutrition est corrélé à des complications
infectieuses plus fréquentes et à un séjour en réa-
nimation prolongé.
Le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) hémor-
ragique apparait au-delà de 60 g/jour d’éthanol
et augmente de manière dose-dépendante.
Lencéphalopathie hépatique est souvent responsable
d’un état confusionnel. Cela peut parfois masquer cer-
taines atteintes neurologiques telles que le syndrome
de Korsakoff ou l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke,
en général irréversibles.
Les dommages psychiques de l’alcool, tels que l’anxiété
ou la dépression, peuvent également se décompenser
après la greffe. Des symptômes dépressifs sont pré-
sents chez plus de la moitié des malades avec cirrhose
alcoolique et l’anxiété généralisée en concerne plus
d’un tiers. Après la greffe, les patients présentant un
état dépressif persistant ont un risque de mortalité
multiplié par 2 (7).
Enfin, l’évaluation addictologique est un élément
clé avant transplantation pour maladie alcoolique
du foie. Il semble indispensable que la prise en
charge addictologique avant et après la greffe
soit réalisée de façon indépendante du médecin
transplanteur.
Au total, la maladie alcoolique du foie est véritablement
une “maladie systémique, dans laquelle une prise en
charge multidisciplinaire est nécessaire quant à la fai-
sabilité d’une greffe hépatique.
Résultats probants
de la transplantation hépatique
Si l’on considère les critères usuels de succès pour la TH
que sont la survie, l’absence de rejet et le taux d’infection,
la cirrhose alcoolique est une bonne indication de TH.
Dès 1988, T.E. Starzl et al. ont montré que les survies à 1
et 3 ans des patients greffés pour cirrhose alcoolique du
foie étaient comparables à celles des greffés pour cirrhose
non alcoolique (8). Cela a été confirmé à maintes reprises
et étendu à la survie à 5 ans. La survie chez les patients
transplantés pour cirrhose alcoolique est respectivement
de 84 % à 1 an, de 73 % à 5 ans, et de 58 % à 10 ans, soit
significativement meilleure que dans la cirrhose virale ou
cryptogénique (figure 2) [9]. La conférence de consensus
de Lyon, en 2005, a d’ailleurs validé “la cirrhose alcoolique
comme une indication de la TH au même titre que les
autres cirrhoses”. Malgré ces données, il existe encore des
réticences à proposer une TH pour cirrhose alcoolique.
Réticences à adresser les patients
ayantunecirrhose alcoolique aux centres
de greffe
Peu d’entre tous les patients porteurs d’une cirrhose
alcoolique décompensée accèdent effectivement à la TH.
Figure 2. Survie des patients ayant pour première indication une cirrhose.
210
0
20
40
60
80
86
82
83 80
75 71
79
74
73
69 64
63
59
58
100
4
Années
Survie (%)
3 65 8
7109
Cirrhose virale : 19 574
Cirrhose alcoolique : 16 260
Cirrhose biliaire primitive : 4 697
p log-rank :
Cause virale versus alcoolique : 0,01
Cause virale versus cirrhose biliaire primitive : 0,0001
Cause alcoolique versus cirrhose biliaire primitive : 0,0001
TH pour maladie alcoolique : question scientifique ou question “morale?
Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIII - n° 2 - avril-mai-juin 2013
68
Dossier thématique
Alcool
Plusieurs études menées auprès de l’opinion
publique, des patients et des professionnels de santé
montrent que les patients porteurs d’une cirrhose
alcoolique sont considérés comme les moins priori-
taires pour bénéficier d’une TH, et ce quelle que soit
la pertinence de l’indication de transplantation (10).
La TH nest pas envisagée pour de nombreux malades.
Tout d’abord, certains présentent une complication
inaugurale de la cirrhose, entraînant si rapidement
le décès que le patient ne peut être évalué. D’autres
présentent une complication de la cirrhose mais sont
ensuite perdus de vue. Enfin, parfois, la TH n’est pas pro-
posée aux patients dont l’alcoolodépendance majeure
laisse prévoir une faible compliance.
Du fait de leur mauvaise image dans la société, les
patients ayant une cirrhose alcoolique sont moins souvent
adressés aux centres de transplantation. Dans le cadre
d’une étude portant sur 199 candidats potentiels à une
TH pour cirrhose alcoolique décompensée, seuls 41 (21 %)
ont été adressés à un centre référent et seuls 15 (8 %)
ont eu une évaluation complète avec un bilan avant la
greffe finalisé (11). De plus, suivant l’association de cri-
tères médicaux, chirurgicaux et psychiatriques, certains
programmes récusent plus de 50 % des cirrhotiques alcoo-
liques adressés pour TH (12). Au final, seule une petite
proportion, estimée à 6 %, des malades susceptibles de
décéder d’une cirrhose alcoolique sont transplantés (13).
Une étude française (14) qui a analysé le devenir des
patients 3 ans après une première hospitalisation pour
cirrhose alcoolique rapporte que 7 % étaient décédés
et que seuls 3 % avaient été transplantés. Il y a beau-
coup de candidats potentiels à une TH pour maladie
alcoolique du foie mais il y a finalement peu d’élus :
9 000 décès par an, et seulement 300 TH !
Lenjeu de la rechute
Selon l’HAS, le seul objectif dans l’alcoolodépendance
est l’abstinence.
La singularité de la transplantation pour maladie
alcoolique du foie repose sur le risque de reprise d’une
consommation d’alcool après la greffe, considérée, à
tort ou à raison, comme inacceptable.
Les données de la littérature retrouvent des taux de
reprise de la consommation d’alcool très différents
après TH, allant de 7 % à 95 % à 3 ans chez les greffés
pour maladie alcoolique du foie. Il est cependant très
difficile de comparer ces études entre elles. En effet, la
définition de la rechute varie selon les études : la plupart
utilisent une définition absolutiste qui considère toute
consommation après la greffe comme une rechute, quelle
que soit la fréquence ou la quantité (15).
D’autres utilisent une définition différenciée qui consiste à
séparer ce qui relève de l’alcoolodépendance telle qu’elle
est définie dans le DSM-IV de la reprise d’une consom-
mation d’alcool caractérisée par sa fréquence et sa quan-
tité. Cette définition distingue ainsi 3 situations cliniques
concernant la consommation d’alcool après la greffe :
l’abstinence, la rechute modérée, et la rechute sévère (16).
La rechute sévère concerne les patients présentant des
critères d’alcoolodépendance, et/ou une consommation
d’alcool supérieure à 210 g par semaine pour les hommes
et 140 g par semaine pour les femmes (critères OMS), et/
ou une consommation d’alcool supérieure à 50 g les jours
de consommation. Certaines études ne considèrent que
la rechute excessive, c’est-à-dire supérieure à 30 g par
jour, ou 40 g par jour, selon les études (17-19).
Enfin, le “slip, qui est une prise d’alcool isolée ou lors
d’un événement avec poursuite de l’abstinence, est
un concept récent qui nest pas considéré comme
une rechute dans la définition différenciée. Il n’y a
d’ailleurs aucune différence de survie significative
dans la littérature entre les patients présentant un
épisode de “slip après la greffe et les abstinents (17).
Le diagnostic précoce de la rechute est difficile, car
toutes les méthodes de détection, analysées de façon
individuelle, sont imparfaites (20). Certaines études
utilisent l’interrogatoire du patient et de son entourage,
d’autres, le questionnaire anonyme, d’autres encore,
l’interrogatoire téléphonique, avec parfois mise en cor-
rélation avec les résultats des tests biochimiques (21). Le
diagnostic de rechute est aussi difficile avant la greffe,
les patients pouvant cacher leur consommation alcoo-
lique afin de ne pas être exclus de la liste d’attente (22).
Enfin, toutes les études citées nont pas le même suivi
moyen et plusieurs d’entre elles montrent que le taux
de rechute augmente avec la durée du suivi.
Au final, en tenant compte de toutes ces études, la
rechute alcoolique à 5 ans après la TH est estimée entre
11 et 54 %, avec 7 à 26 % de récidive de consommation
excessive (23).
En dehors du champ de la transplantation, il existe
peu de facteurs prédictifs de rechute chez les patients
alcooliques. La greffe peut être ressentie comme une
expérience traumatique par certains patients et prévenir
la rechute. La culpabilité ressentie par certains patients
vis-à-vis du donneur peut exercer le même effet. Le
facteur prédictif de rechute après TH le plus souvent
rapporté est la durée d’abstinence avant l’inscription
sur liste. Les autres variables identifiées comme facteurs
prédictifs de rechute sont le jeune âge, les antécédents
familiaux d’alcoolisme, les antécédents personnels de
toxicomanie, un contexte dépressif avec idées suici-
daires et des conditions sociales précaires.
Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIII - n° 2 - avril-mai-juin 2013 69
D’autres éléments tels que l’environnement familial et
social et l’absence de pathologie ou de troubles psy-
chiatriques sont des facteurs prédictifs d’abstinence,
selon une méta-analyse récente (24).
Au-delà du questionnement moral posé par la rechute
d’un patient transplanté pour maladie alcoolique du
foie, se pose la question des conséquences en termes
de survie du greffon et du greffé.
La reprise d’une consommation d’alcool ne semble pas
affecter la survie du greffon ni celle du patient à 5 ans,
lorsqu’on la compare à celle des patients abstinents (20, 21).
En revanche, la reprise d’une consommation alcoo-
lique excessive a des conséquences sur la survie du
patient à long terme. Initialement, une première étude
a suggéré une diminution significative de la survie à
10 ans chez les patients qui rechutent, comparativement
aux patients abstinents (19).
La surmortalité des patients ayant repris une consom-
mation excessive d’alcool était imputable à l’apparition
de cancers de novo et aux complications cardio-
vasculaires. Cette différence de survie à long terme,
entre patients ayant repris une consommation excessive
et abstinents ou consommateurs occasionnels était
retrouvée plus tard (17). En 2007, l’impact sur la survie
des tumeurs des VADS de novo était mis en évidence,
avec une supériorité de la survie à 10 ans chez les non-
rechuteurs (18). Dernièrement, une étude française,
portant sur 206 transplantés pour maladie alcoolique
du foie, a montré une diminution nette de la survie à
10 ans chez les patients ayant repris une consomma-
tion excessive d’alcool. Les taux de survie à 5 et 10 ans
étaient respectivement de 82 % et 49 % chez les patients
ayant repris une consommation excessive contre 86 %
et 75 %, chez les autres patients (p < 0,05) [25].
Intérêt et limites de la “règle des six mois”
En 1993, la conférence de consensus de Paris prônait
une durée d’abstinence de 3 à 6 mois, voire supérieure
à 6 mois, avant l’inscription sur une liste de greffe.
Le rationnel de la “règle des 6 mois est de permettre
une récupération de la fonction hépatocellulaire avec
le sevrage, afin d’éviter une transplantation inutile, de
mettre en place une prise en charge addictologique avec
renforcement du sevrage et d’instaurer une uniformité
entre les différents centres de greffe (10). En 2005, aux
États-Unis, 85 % des centres de TH continuaient de suivre
cette règle (26).
Cependant, aucune étude n’a prouvé l’intérêt d’une
abstinence de 6 mois sur les complications précoces
avant, pendant ou après la TH (27).
En 2005, la conférence de consensus de Lyon stipu-
lait que “la durée de 6 mois d’abstinence avant la TH
ne devait plus être une règle intangible et ne devait
pas être considérée comme une condition à elle seule
d’accès à la TH”.
En effet, la règle des 6 mois est imparfaite, puisquelle
inclut des patients qui reprendront une consomma-
tion d’alcool après la greffe et, à l’inverse, elle exclut
des patients qui ne reprendront pas de consommation
après la greffe. Dans une étude prospective (14), parmi
les patients ayant une abstinence avant la greffe de
36 mois, seuls 60 % demeuraient abstinents après la
greffe. Une durée d’abstinence de 36 mois avant la greffe
prédisait l’abstinence après greffe avec une sensibilité de
80 % mais une spécificité de 40 %. Certes, chaque mois
supplémentaire d’abstinence avant la greffe diminuait
le risque de rechute après la greffe de 33 %, mais il nétait
cependant pas possible d’identifier une durée d’absti-
nence avant la greffe assurant une abstinence définitive.
En outre, il n’y a pas ou que peu d’amélioration de la
fonction hépatocellulaire après 3 mois d’abstinence (13).
Enfin, il est difficile d’estimer véritablement la durée
d’abstinence prégreffe. Elle repose en effet sur l’inter-
rogatoire du patient et de son entourage, qui souhaite
en général l’intégration du patient dans le projet de
greffe et aura tendance à le protéger.
Situation “extrême” :
l’hépatite alcoolique aiguë
Les formes graves d’hépatite alcoolique aiguë sont
définies par un score de Maddrey supérieur à 32. En
l’absence de traitement, plus de 50 % des patients
atteints d’hépatite alcoolique aiguë grave décèdent
dans les 6 mois qui suivent le diagnostic. Seules les
formes graves nécessitent un traitement par corticosté-
roïdes et/ou pentoxiphylline. Léquipe de Lille a mis en
évidence les facteurs de non-réponse à ce traitement
et a modélisé, à partir de 5 variables indépendantes,
le pronostic de ces patients (28). Ce modèle permet de
prédire près de 80 % des décès à 6 mois. Les patients
non répondeurs à la corticothérapie ont un risque de
décès de 85 % à 6 mois. Il est éthiquement difficile de
ne pas proposer une greffe à ces patients, atteints d’une
hépatite alcoolique aiguë grave et non répondeurs au
traitement médical, dont la mortalité est prévisible dès
le septième jour. La présence d’une hépatite alcoolique
de découverte fortuite, lors de l’analyse histologique du
foie explanté, n’a pas, qui plus est, de conséquence en
termes de survie du greffon et du patient ni de rechute
alcoolique après la TH (16). Cependant, l’association
TH pour maladie alcoolique : question scientifique ou question “morale?
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