Antibiorésistance :
c'est quoi ?
C
ertaines bactéries ont
une résistance innée à
des antibiotiques. Ce qui
est préoccupant, c'est la résis-
tance acquise à un ou plusieurs
antibiotiques qui arrive subite-
ment alors que la bactérie y
était avant sensible. Elle est due
soit à un échange de gènes
résistants avec une autre bacté-
rie (80 % des cas), soit à une
mutation génétique au niveau
du chromosome de la bactérie.
La résistance concerne tous les
antimicrobiens, c'est-à-dire les
antibiotiques mais aussi les
antibactériens, antifongiques,
antiviraux, antipaludéens, etc.
Des prévisions
alarmistes
Quelque 700 DOO personnes
meurent chaque année des sui-
tes de la résistance aux antimi-
crobiens (RAM). Si rien n'est
fait, la RAM causera IO millions
de décès d'ici à 2050, soit plus
que le cancer, selon le rapport
britannique O'Neill publié en
mai. Celui-ci précise que des
procédures comme les césa-
riennes, les poses de prothèses
et les chimiothérapies pour-
raient être « remises en cause ».
Sur le plan économique, les
pertes de production s'élève-
raient à 100000 milliards de
dollars. « Le monde s'achemine
vers une ère postantiobiotiques
où des infections courantes et
des blessures mineures qui ont
été soignées depuis des décen-
nies pourraient à nouveau
tuer », s'alarme l'Organisation
mondiale de la santé (OMS).
Face à ces risques, l'ONU a
organisé hier une réunion de
haut niveau en marge de son
Assemblée générale à New-
York. C'est seulement la 4e fois
que les Nations-Unies s'empa-
rent d'un sujet de santé.
Pourquoi cette
résistance ?
Découvreur de la pénicilline
en 1928, Alexander Fleming
avait prévenu qu'une utilisation
irraisonnée entraînerait des
résistances... En vain. Car la
surconsommation en médecine
humaine est bien l'une des cau-
ses de l'antibiorésistance. Au
plan mondial, la consomma-
tion a augmente de 30 %
entre 2000 et 2010. Et même si
les Français savent que « les
antibiotiques, c'est pas auto-
matique », leur consommation
reste en hausse.
L'utilisation des antibiotiques
pour booster la croissance des
animaux est aussi une cause
majeure de l'antibiorésistance.
Si la pratique est interdite en
Europe depuis 2006, elle reste
systématique aux États-Unis.
Selon l'OMS, au moins 50 % de
la production des antibiotiques
est destinée aux animaux et
cette consommation vétérinaire
devrait augmenter de 66 % d'ici
2030, selon des prévisions
américaines.
Fabriques
de superbactéries
Enfin, sur le banc des accusés
figure également la délocalisa-
tion de la production de médi-
caments dans les pays à bas
coûts en particulier la Chine,
qui produit désormais 80 % à
90 % des principes actifs des
antibiotiques, et l'Inde, numéro
un du conditionnement.
Plusieurs ONG ont constaté
des violations des réglementa-
tions environnementales et des
rejets massifs d'effluents des
usines. Un chercheur suédois a
ainsi prélevé 44 kilos de cipro-
floxacine, un antibiotique à
large spectre, dans les eaux
d'Hyderadad, le plus gros cen-
tre pharmaceutique indien.
44 kilos, c'est l'équivalent de la
consommation de toute la
Suède pendant 5 jours. Cette
« soupe génétique » favorise les
mutations et les résistances. La
superbactérie NOM-1 de New-
Delhi a par exemple été retrou-
vée dans plusieurs sites de trai-
tement des eaux usées du Nord
de la Chine.
Des bactéries
voyageuses
Avec la mondialisation, les
bactéries résistantes peuvent se
retrouver dans les lieux les plus
reculés de la planète. Car elles
voyagent très bien : un voya-
geur sur deux en zone tropicale
ramène dans son tube digestif
des entérobactéries multirésis-
tantes, selon une étude de
l'AP-HP. Si 95 % les éliminent
spontanément en 3 mois, la
déclaration d'une infection
dans cet intervalle peut donc
s'avérer risquée. L'étude précise
que les adeptes des « séjours
fermés en hôtels-clubs » ont
moins de risques de ramener ce
type de souvenirs que les rou-
tards...
Sylvie MONTARON.
LES ANTIBIOTIQUES EN FRANCE
158000
- En France, 158000 person-
nes contractent chaque année
une infection à bactérie multiré-
sistante et 12 500 en meurent.
30%
- La France consomme 30 %
de plus d'antibiotiques que la
moyenne européenne. C'est le
deuxième pays européen le plus
consommateur derrière la
Grèce.
71 millions d'euros
- Cette surconsommation
entraîne une dépense injustifiée
de 7l millions d'euros par rap-
port à la moyenne européenne.
7%
- En 2014, la consommation
était supérieure de 7 % à celle
de 2004. La tendance reste à la
hausse malgré une baisse des
consommations en ville en
2014 (due à une incidence fai-
ble des pathologies hivernales).
- Cette augmentation est pré-
occupante pour l'amoxicilline-
acide clavulanique, les cépha-
losporines de 3e génération
(dont la ceftriaxone) et, en sec-
teur hospitalier, les carbapénè-
mes.
Source : Consommation
d'antibiotiques et
résistances aux
antibiotiques en France,
Jean Carlet, Invs,
novembre
2015