Revue Médicale Suisse
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16 février 2011 393
préjugés qui pourraient infiltrer notre culture médicale et
notre éthique du soin.
Sur ce point, il devient difficile d’ignorer le paradoxe
suivant : alors que de nouvelles opportunités s’ouvrent ac-
tuellement à la prise en charge des patients borderline,
nous assistons parallèlement à la montée en puissance du
pessimisme thérapeutique et de la déconsidération des
efforts d’amélioration des services dans ce domaine cru-
cial de notre pratique. On s’apprête même à «retirer du
marché» le produit «trouble borderline», car la place que
celui-ci occupait depuis 1980 dans la classification DSM
(l’unique qui en admet la présence) est remise en ques-
tion.11 Pourtant, ce désordre jouit, malgré les attitudes ambi-
valentes rappelées plus haut, d’une énorme écoute dans
le monde de la clinique et de la recherche (le congrès euro-
péen qui s’est penché l’année dernière sur le traitement
du trouble borderline a réuni 2000 participants à Berlin).
Le prototype diagnostique remplit d’ailleurs tous les cri-
tères classiques permettant d’asseoir la reconnaissance d’un
désordre sur de solides bases empiriques : fiabilité diag-
nostique, validité clinique, bon rapport bénéfices/incon-
vénients.
Le patient borderline sera-t-il la première victime du
retour des guerres idéologiques en psychiatrie ? Si seule-
ment la cause était si noble… Nous craignons que ce sym-
pathique empêcheur de tourner en rond de tout savoir
psychologique ne gêne, d’autant plus qu’un traitement
simple et efficace de sa profonde souffrance est enfin à
notre portée. Il fait les frais, et depuis longtemps, d’une
stigmatisation dont le film «Vol au-dessus d’un nid de cou-
cou» a donné une image saisissante que tout le monde
connaît. Qui dit stigmatisation dit évitement, indifférence
ou rejet, en somme toutes les contre-attitudes recouver-
tes jusqu’ici par une impuissance thérapeutique qui avait
le mérite de donner à tout le monde une espèce de bonne
conscience.
conclusion
Bonne nouvelle, le trouble borderline répond bien au
traitement et son issue, s’il est soigné, est comparable à
celle de toute autre affection médicale traitable.2 Mais
sommes-nous prêts à relever le défi ? Tout semble indi-
quer qu’il faudra, dorénavant, s’occuper vraiment de ces
patients et donc partager leur besoin exaspéré d’authen-
ticité et leur man que de retenue face aux passions. En
apercevant la distance qui sépare les mots de J. Gunderson
(voir la citation au début de cet article) et le discours de la
Task Force DSM-V, on se surprend à penser que la méde-
cine peut cohabiter sous le même toit (fût-ce celui de ses
traitements ou de ses manuels diagnostiques) avec ce
sympathique trouble-fête à la condition de pratiquer tout
autant la rigueur scientifique et l’art de la rencontre.
Implications pratiques
Contrairement à un préjugé très répandu, le trouble border-
line n’est pas, le plus souvent, une maladie chronique et il
existe des traitements simples et efficaces pour soigner les
patients qui souffrent de ce désordre
Le DSM-IV et les guidelines d’experts de l’APA (American
psychiatric association) fournissent des critères valables per-
mettant au médecin non psychiatre de diagnostiquer le
trouble borderline et de prescrire un traitement adéquat
par le spécialiste
Les patients qui remplissent les critères pour trouble de la
personnalité (TP) borderline sont exposés à des crises émo-
tionnelles graves dont l’issue est cependant favorable dans
une écrasante majorité des cas. Il s’agit donc de considérer
avec optimisme le pronostic de ces patients
Une minorité de patients borderline, résistant au traitement,
remplissent généralement les critères pour d’autres diagnos-
tics de TP. La prise en compte des spécificités cliniques de
ces derniers joue un rôle déterminant dans l’issue des crises
et du risque suicidaire associé
Le TP bordeline souffre d’une stigmatisation sociale et le pra-
ticien doit prendre garde à ses propres réactions de rejet,
celles-ci pouvant biaiser gravement son évaluation du pro-
nostic et du choix du traitement
L’exclusion du trouble borderline des classifications inter-
nationales se solderait par des difficultés sérieuses sur le plan
des politiques de soins, en raison de la fréquence et des coûts
élevés de santé liés au traitement inadéquat de ce désordre
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Dr Aurora Venturini
Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent
Département de l’enfant et de l’adolescent
Dr Solenn Lorillard
Laura Frambati et Pilar Ohlendorf
Psychologues
Service de liaison et d’intervention de crise
Département de psychiatrie
HUG, 1211 Genève 14
Pr Antonio Andreoli
Ancien médecin-chef
du Service de psychiatrie de liaison et d’intervention
de crise des HUG
Membre formateur de la Société suisse de psychanalyse
Boulevard des Philosophes 23
1205 Genève
Yvonne Burnand
Psychologue FSP
Av. Adrien-Jeandin 22, 1226 Thônex
Adresses
1 * Gunderson J. Borderline personality disorder. A
clinical guide. Washington : APP, 2001;p.XVI.
2 * Paris J. Treatment of borderline personality disor-
der. A guide to evidence-based practice. New York :
The Guilford Press, 2008.
3 * Mc Glashan T. The Chestnut Lodge follow-up
study : III. Long-term outcome of borderline persona-
lities. Arch Gen Psychiat 1985;43:2-30.
4 Paris J. Borderline personality disorder : A multi-
dimensional approach. Washington : APP, 1994.
5 ** Zanarini MC, Frankenburg FR, Hennen J, Silk KR.
The longitudinal course of borderline psychopathology :
Bibliographie
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