Lenfant maigrichon et difficile : bras de fer autour des repas !
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L’
ÂGE PRÉSCOLAIRE
vient avec de nouveaux fis. En
effet, lenfant acquiert une autonomie à la table,
son appétit diminue et varie d’un repas à lautre et son
corps perd progressivement sa « graisse de bébé ». Il y
a de quoi inquiéter les parents. Selon des données
récentes, 25 % des enfants présentent des difficultés
d’alimentation
1
et 4,1 % de ceux de 2 à 6 ans souf-
frent dun retard pondéral
2
, les deux probmes pou-
vant coexister chez un même enfant. Comme nous le
verrons, le decin doit porter une attention parti-
culière à l’anémie ferriprive, une conséquence cli-
nique fréquente du retard pondéral et des difficul-
tés d’alimentation chez l’enfant.
À la recherche dindices cliniques
Il n’existe pas de consensus sur la définition d’un
retard de croissance ou d’un retard ponral. Géné -
ra lement, une stagnation ou un ralentissement de
la courbe de poids en comparaison des normes re-
connues pour l’âge constitue un retard pondéral. Il ne
faut pas oublier que lenfant est en pleine croissance.
Il faut donc tenir compte de l’évolution dans le temps
plut que d’une donnée ponctuelle. Dans la pratique,
on distingue les chutes pondérales abruptes cassure
de la courbe de poids »), qui orientent vers une mala-
die organique, d’un ralentissement de la croissance
(toujours de la courbe de poids en premier lieu), fai-
sant pencher davantage pour un apport nutritionnel
inadéquat. Une insuffisance pondérale chez l’enfant
de 2 à 19 ans est définie comme un poids se situant
sous le troisième centile (qui correspond à un écart-
type de 2) tandis qu’une insuffisance pondérale
grave se trouve sous le 0,1
er
centile cart-type de 3).
Il faut être conscient que les centiles illustrés sont dif-
férents sur les nouvelles courbes de croissance de
lOMS. Ainsi, les courbes de croissance du Centers for
Disease Control indiquent les 90
e
, 75
e
, 50
e
, 25
e
, 10
e
et
5
e
centiles tandis que les cour bes de lOMS montrent
plut les 99,9
e
; 97
e
; 85
e
; 50
e
; 15
e
; 3
e
et 0,1
er
centiles)
(voir larticle des D
rs
Raymond et Brunet intitulé : « À
la mesure des petits : unfi de taille », dans ce nu-
ro). Il ne faut donc pas attendre que la courbe de
croissance de l’enfant traverse deux courbes de cen-
tile pour s’inquiéter. Le médecin interprète aussi les
courbes de croissance en fonction du potentiel gé-
tique de la famille (voir l’article de la D
re
Alos sur le
calcul de la taille cible dans larticle intitu : « Petit un
jour, petit toujours ? », dans ce numéro) et de l’origine
ethnique du patient.
L’anamnèse et l’examen physique constituent les
meil leurs outils pour aborder un retard pondéral.
Pendant linterrogatoire clinique, le médecin tente déli-
miner des causes scifiques de retard ponral (ta-
bleau I)
3
. Parmi les antécédents personnels de l’enfant,
on notera les ancédents rinataux (prématuri, pe-
Lenfant maigrichon et difficile
bras de fer autour des repas !
Julie Baïlon-Poujol et Élisabeth Rousseau
Annie, 2 ans et demi, fréquente un centre de la petite enfance depuis l’âge de 1 an. Jusquà présent, elle
a fait une bronchiolite et deux otites. Depuis un an, elle na pas d’appétit. Ses parents doivent se battre
avec elle à tous les repas pour lui faire manger des légumes, de la viande et même des fruits. Elle pré-
fère nettement les jus de fruits et ses deux biberons de lait du matin et du soir. Très intelligente pour son
âge, elle sait comment faire céder ses parents. Ces derniers sinquiètent de sa santé, dautant plus quelle
est maigrichonne (figure). Elle est toutefois toujours bien active. Que faire ?
Le retard de croissance chez l’enfant
La D
re
Julie Baïlon-Poujol, pédiatre, exerce notamment
au Centre hospitalier Sainte-Justine, à Montréal. La
D
re
Élisabeth Rousseau est pédiatre et fondatrice de la
Clinique de nutrition du même pital. Elle est égale-
ment professeure émérite à la Faculté dedecine de
l’Université de Montréal.
tit poids à la naissance), lévolution pondérale durant
la premre année de vie, les maladies anrieures, les
dicaments rus et les allergies. Une bonne revue
des appareils et des systèmes permet de rechercher entre
autres des signes de troubles gastro-intestinaux et res-
piratoires (dont le ronflement nocturne évocateur
dune obstruction respiratoire haute) ou encore de re-
tard psychomoteur pouvant nuire à l’alimentation.
Le relevé alimentaire est sans conteste le meilleur in-
dice de risque nutritionnel. Il repose ialement sur
un journal alimentaire de 72 heures, mais des ques-
tions sur lalimentation de la journée précédente peu-
vent tout de même donner une bonne idée au méde-
cin. Il existe un risque nutritionnel si l’enfant:
O
consomme plus de 16 à 20 onces (environ 600 ml)
de lait ou de jus par jour ;
O
a plus de 2 ans et boit encore au biberon ;
O
consomme moins de cinq portions par semaine de
chacun des groupes alimentaires suivants : viandes,
gumes, fruits et réales
4
;
Dun point de vue physiologique, l’aptit de l’en-
fant dâge préscolaire sera beaucoup plus variable que
celui du nourrisson. Cette réalité saccompagne dune
croissance moins rapide à partir de la deuxme an-
e. Les besoins caloriques sont donc moindres que
pendant les douze premiers mois, période où l’en-
fant acceptait tout et ouvrait la bouche avec bonheur
à toute sollicitation gustative. Les anes préscolaires
sont aussi celles où l’enfant paraîtra le plus mince
depuis sa naissance. Par conquent, les parents doi-
vent shabituer à cette nouvelle silhouette.
Vers 2 ans, le repas devient un événement social
en soi et une responsabilipartagée entre le parent
et l’enfant. Le médecin doit donc sinresser au dé-
roulement complet du repas, car certains indices peu-
vent l’aider à repérer une cause davantage comporte-
mentale qu’organique (tableau II)
1,5
. L’im pres sion
Le Médecin du Québec, volume 46, numéro 8, août 2011
4
Causes scifiques de retard pondéral
chez les enfants dâge préscolaire3
OFibrose kystique
OHypertrophie des amygdales et des adénoïdes
OInfections récurrentes
OIntolérances ou allergies alimentaires
OMaladie cœliaque
ONégligence
OParasitose intestinale
ORetard psychomoteur, dont paralysie cérébrale
OTrouble du comportement, trouble envahissant
du développement
Tableau I
49
Indices de trouble alimentaire d’allure comportementale1,5
Événements déclenchants repérables
OÉtouffement important
OReflux gastro-œsophagien en bas âge maintenant résolu
OPerturbation du milieu familial
LNaissance d’un autre enfant dans la famille
LSéparation des parents
Pratiques alimentaires particulières
OAlimentation pendant que l’enfant est partiellement endormi
OAlimentation forcée
ODistraction nécessaire durant le repas (jeu, télévision)
OAlimentation à des heures prédéterminées sans tenir compte
des signaux de faim de l’enfant
OIntolérance aux dégâts et aux taches
ORepas prolongés (plus de 30 minutes)
Comportements de l’enfant
ORefus de certains aliments spécifiques
OEnfant qui détourne la tête
OFixation alimentaire
OEnfant qui garde les aliments dans sa bouche
OHaut-le-cœur anticipatoire
Tableau II
subjective des parents d’avoir un enfant maigrichon
ou qui s’alimente mal est un facteur clenchant im-
portant de certaines pratiques alimentaires, dont le
non-respect des signes de satté du petit et l’alimen-
tation forcée. De telles méthodes entraînent à leur
tour un refus de manger chez l’enfant et entretien-
nent la boucle de rétroaction gative
6
.
Les enfants de cette tranche d’âge présentent aussi
souvent des comportements alimentaires qui peu-
vent inquiéter les parents, mais qui ne sont pas tou-
jours liés à un retard pondéral. En effet, l’enfant pos-
sède instinctivement la capacité de réguler la quantité
totale de calories quil inre chaque semaine malgré
une variation de son appétit d’un repas à un autre.
La fixation est un comportement fréquent, l’enfant
n’acceptant de manger qu’une catégorie d’aliments
Lenfant maigrichon et difficile : bras de fer autour des repas !
Courbes de croissance dAnnie
Figure
Source : Normes de croissance de l’enfant (2006) et normes de référence (2007) de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) adaptées au Canada par
Les Diététistes du Canada, la Soc canadienne de pédiatrie, le Collège des médecins de famille du Canada et les Infirmres et infirmiers en san com-
munautaire du Canada. Site Internet : www.dietitians.ca/secondary-pages/public/who-growth-charts.aspx (Date de consultation : le 21 avril 2011).
Reproduction autorie.
Courbe de croissance d’Annie
de 0 à 2 ans Courbe de croissance d’Annie
de 2 ans à 19 ans
Il existe un risque nutritionnel si l’enfant consomme plus de 16 à 20 onces (environ 600 ml) de lait ou de
jus par jour, surtout s’il a plus de 2 ans et qu’il boit encore un biberon, et moins de cinq portions par se-
maine de chacun des groupes alimentaires suivants : viandes, légumes, fruits et céréales.
Rere
50
en particulier (les pâtes alimentaires, par exemple). Il
peut du même coup rejeter de manre spécifique cer-
tains aliments ou toute une famille daliments qui ont
une caractéristique commune (couleur, texture, odeur,
apparence). Les parents disent souvent que leur en-
fant est difficile ou mauvais mangeur (picky eater).
Les études qui se sont inreses au comportement
alimentaire des jeunes ont montré que les préférences
s’installent dès 18 mois et continuent à évoluer au-
de de l’âge de 6 à 8 ans. Il est donc cessaire d’of-
frir t (avant 2 ans) et souvent (en moyenne une di-
zaine de fois) une varié daliments de goûts différents
afin de les faire accepter et de franchir la ophobie
naturelle des enfants
7
.
Tout en tentant de définir le contexte socicono-
mique de la famille, le decin doit se faire une ie
du climat qui règne autour de la table à manger. Le
manque d’encadrement pendant le repas (tévision
allumée, enfant qui se ve de table, environnement
chaotique) peut miner sérieusement l’alimentation
dun petit.Une mère monoparentale munie pourra
avoir de la difficulà rer le comportement de ses
enfants à table. Il faut aussi se rappeler que la mal -
nutrition et le retard pondéral peuvent être des symp-
mes de gligence ou de maltraitance.
Une fois les courbes de croissance dûment rem-
plies, l’examen physique poursuit plusieurs buts dif-
férents (tableau III)
8
. Il s’agit de trouver des indices
Le Médecin du Québec, volume 46, numéro 8, août 2011
51
Formation continue
Courbe de périmètre crânien
et de rapport poids taille d’Annie de 0 à 2 ans Courbe d’indice de masse corporelle
d’Annie de 2 ans à 19 ans
de maladies organiques. L’examen sert aussi à tec-
ter la gravité de la malnutrition (ex. : pâleur, cilite,
glossite, ecchymoses faciles). Une évaluation du dé-
veloppement de l’enfant est importante, car elle per-
met de dépister un retard psychomoteur qui peut
constituer une cause, voire une conséquence du re-
tard pondéral.
Doit-on jouer les vampires ?
Après une anamse dicale, un relevé alimen-
taire minutieux et un bon examen physique, vous au-
rez probablement une bonne idée du probme.
Il est important de se rappeler que plus de 80 % des
enfants n’auront pas de problème de santé impor-
Lenfant maigrichon et difficile : bras de fer autour des repas !
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Indices cliniques dune maladie chez les enfants de 2 à 5 ans ayant un retard staturopondéral8
Anomalie Causes possibles
Signes vitaux Hypertension OMaladie rénale
OCardiopathie (coarctation de l’aorte)
Tachypnée, tachycardie OAugmentation des besoins métaboliques (respiratoires, cardiaques, etc.)
Peau Pâleur OAnémie
Mauvaise hygiène ONégligence
Ecchymoses douteuses OAbus physiques
Eczéma grave OAllergies alimentaires
Tête et cou Phénotype particulier OAnomalie génétique
Otites chroniques OInfections à répétition (correspondant souvent à l’entrée à la garderie)
Respiration buccale OAugmentation du volume des amygdales et adénoïdes
(causant parfois des apnées obstructives)
Hypotonie buccofaciale ODysphagie
Hypersialorrhée
Thorax Respiration sifflante, tirage, OAsthme
augmentation du diamètre OFibrose kystique
antéropostérieur
Souffle cardiaque OCardiopathie congénitale
Diminution des pouls fémoraux OCoarctation de l’aorte
Abdomen Distension OMalabsorption (surtout maladie cœliaque)
Hépatosplénomégalie OMaladie hépatique
Masse abdominale OMaladie métabolique
OCancer
Sphère Anomalies des organes OAnomalie de l’appareil urinaire associée
génito-urinaire génitaux externes
Rectum Marisque anale OMaladie intestinale inflammatoire
Prolapsus rectal OFibrose kystique
Extrémités Œdème OHypoalbuminémie (dont entéropathie exsudative)
Fonte de la masse musculaire OMalnutrition chronique
Hippocratisme digital (clubbing)OMaladie pulmonaire chronique (dont fibrose kystique)
Système Spasticité des membres OInfirmité motrice d’origine cérébrale (ou paralysie cérébrale)
nerveux central Retard de développement OManque de stimulation et carence en fer
Tableau III
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