Revue généraliste des travaux de recherches en éducation et en

Numéro 3 Septembre 2010
Revue généraliste des travaux de recherches en
éducation et en formation
SANTE ET EDUCATION
Processus daltérité entre le personnel de santé et le malade
dans la relation éducative en santé
REVILLOT Jean-Marie, EYMARD Chantal,
Numéro 3 Année 2010
pp.173-196
ISSN Format électronique : 1760-7760
© Recherches et Educations . Tous droits réservé.
Paris- France- 2013
PERMALIEN
http://rechercheseducations.revues.org/563
POUR CITER CET ARTICLE
REVILLOT Jean-Marie, EYMARD Chantal, « Processus d’altérité entre le personnel de
santé et le malade dans la relation éducative en santé », Recherches & Educations, n°3,
septembre 2010, pp.173-196, [en ligne], http://rechercheseducations.revues.org/563 (consulté le
...)
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Numéro 3 Septembre 2010
Processus d’altérité entre le personnel de santé et le malade
dans la relation éducative en santé
Jean-Marie Révillot
Doctorant en Sciences de l’éducation, Université Aix-Marseille
Chantal Eymard
Maître de conférences HDR en Sciences de l’éducation, Université Aix-Marseille ; UMR
ADEF
pp.173-196
Cet article développe les résultats d’une recherche sur le processus d’altérité dans la
relation éducative qui se construit entre le personnel de santé et le patient hospitalisé.
L’altérité est définie dans ce qui échappe toujours de Soi et de l’Autre et dont on peut
appréhender la dimension dans la rencontre, dimension de l’Autre en Soi et entre Soi et
Autrui (Lacan, 1966, Vasse, 1977, Ricœur, 1990). Permettre à l’autre d’advenir mais aussi de
devenir autonome (Ardoino, 1993) en découvrant ses potentialités est une difficulté que le
soignant rencontre face à un patient aliéné par la maladie ancré dans un contexte de fragilité,
de souffrance, de révolte, qui a perdu parfois toute notion de devenir. Et pourtant, c’est bien
avec de telles finalités que le soin dans sa fonction éducative prend sens et permet au sujet
d’exister dans ses choix de santé et ses appréhensions de la maladie. La fragilité de nos vies,
que révèle la maladie, est épreuve de l’altérité. La relation éducative nécessite donc la
participation active du patient facilitant une transformation en profondeur de la relation
soignant-patient. (Tableau n° 1 et 3)
Problématique
Pendant trop longtemps, « l’éducation à la santé » (Deschamps, 1984), a é restreinte à
une information visant l’instruction du patient dont on espérait, sans doute naïvement, qu’elle
suffirait à engendrer des modifications de comportement. La santé a été enseignée par la
transmission d’un savoir plus ou moins technique à ceux qui étaient censés être ignorants. Les
limites de cette approche ont été mises en évidence (Billon, 2000, Develay, 2000, Sandrin-
Berthon, 2000, Deccache, 2004, Eymard, 2004, Gagnayre et D’Ivernois, 2004).
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Tableau 1 : modèles d’éducation en lien avec la santé
Modèle de l’instruction
(béhaviorisme)
Modèle du
développement singulier
(constructivisme)
Modèle du développement
social (socioconstructivisme)
Centré sur la transmission
d’information, de savoirs
savants, objectivité
Savoirs définis par des
experts
Relation : activité/passivité
ou direction/coopération
Responsabilité : rendre
compte
Intérêt : continuité sociale
Intérêt éducation et santé :
Pose diagnostic,
informations maladie et
traitement
Centré sur les
potentialités du sujet, la
connaissance de soi, la
relation, subjectivité
Savoirs d’expériences
Relation : participation
mutuelle
Responsabilité : être
capable de…
Intérêt : adaptation
sociale
Intérêt éducation et
santé :
Potentiel de croissance
et créativité du sujet
Centré sur les interactions
sociales, Développement des
conditions de vie individuelles
et collectives.
Savoirs contextualisés
Relation : interactions
sociales
Responsabilité : collective
Intérêt : production sociale
Intérêt éducation et santé :
patient reconnu dans son
unicité et sa culture
Les données actuelles en santé publique redimensionnent l’éducation en santé en intégrant
les demandes et les choix du patient. Le Haut Comité de Santé Publique (HCSP, rapport
2002) met l’accent sur la dimension d’altérité : « dans cette approche, c’est la personne, dans
sa singularité et sa globalité, qui est l’objet d’attention des soignants et non seulement
l’organe atteint » (ibid., p. 335). L’objectif est de rendre au patient une part d’autonomie et
« de construire avec lui un espace il décide de ce qu’il désire être » (Gagnayre et
d’Ivernois, 2004).
Le rapprochement entre la santé et l’éducation dans un rapport existentiel entre l’homme et
la maladie soulève un conflit entre le désir d’exister du malade et sa souffrance qui révèle une
crise de l’altérité (Bouretz, 1996) et une difficulté de choix. Ceci nous conduit à travailler
d’autres articulations entre la chair et les mots, le corps et la parole, la maladie, la souffrance,
le pâtir et les niveaux d’atteintes de l’homme dans ses capacités d’agir. C’est ce que travaille
l’approche théorique (tableaux 1-2-3). Des liens se tissent entre la chair (le corps) et la parole
(le langage) quand ils passent par la souffrance, le pathos. L’homme agissant est le pendant de
l’homme parlant (Ricœur, 1996). Entre les deux se glisse l’homme souffrant car empêché
d’agir ou de dire. Dans l’identité narrative (ibid.), ce peut être l’incapacité ou le refus de
raconter des phénomènes qui vont au-delà de la péripétie. Avec la diminution du pouvoir
d’agir et de dire, ressentie comme une diminution de l’effort pour exister, commence pour
Ricœur (1995) le règne de la souffrance qui facilite la perte du pouvoir sur le monde avec le
sentiment d’être à la merci d’autrui. Cette atteinte de la personne dans ses capacités d’agir
traduite par une impuissance à dire, fait qu’elle se présente souvent dépendante, objet de
soins ; elle devient dans l’univers soignant, ce « visage déchiré d’où vient la plainte arrachée à
soi et tournée vers l’autre » (ibid.). Comment accommoder alors des soins techniques estimés
nécessaires et le facteur humain : rythme, besoin, désir et demande (Lacan, 1966) de la
personne (en partie) malade ?
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Tableau 2 : modèles de la santé, besoins en santé, demande de soins, désir ( à
partir du tableau d’Eymard, Revillot, 2004, p. 39)
Modèle global
(biopsychosocial)
Centré sur le bien être et
l’harmonie, l’équilibre, la
qualité de vie, la promotion
de la santé, la prise en
compte de l’individu dans
son environnement et ses
projets
Besoins primaires,
d’appartenance, d’estime de
soi, de réalisation (Maslow,
1972)
Demande de bien-être
individuel et d’harmonie
Désir d’être heureux
Toute expérience de la maladie et de la prise en charge qu’elle nécessite, oblige ainsi à
reconsidérer les liens, toujours problématiques, entre la technique et la relation, entre le corps
et l’esprit : le corps en tant que siège de la douleur, au niveau du ressenti ; l’esprit comme lieu
de la souffrance, l’accompagnant et débouchant sur son expression. Ce passage liant l’interne
à l’externe, la chair et les mots (Royal, 1996) est souvent conflictuel, sinon contradictoire.
C’est là qu’entre en jeu la relation éducative comme rencontre avec une conception de la santé
qui associerait la maladie à l’histoire du sujet dans son altérité comme ipséité (Tableau 3,
Ricœur, 1990) afin de resituer chaque malade dans sa dignité et sa fragile humanité.
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Tableau 3 : Critères du choix du sujet et processus d’altérité
Critères du
choix du malade
Indicateurs du processus d’altérité (Ricoeur, 1990)
Choix du sujet
par rapport à lui-
même
Mêmeté
Structure
Permanence
Continuité
Caractère
Objectivité
Identité
Ipséité
Désirs croyances impressions
Evénement
Changement
Promesse
Subjectivité
Diversité
Repérable à partir du récit de vie du sujet, la façon dont il conduit sa
vie en se centrant sur ses choix. La trace des événements, des
péripéties : comment contribuent-ils à l’avancée du récit ? Ce niveau
temporel est lié à l’histoire de la personne qui facilite la compréhension
et la reconnaissance de l’altérité
Choix du sujet
par rapport à autrui
Soi
Etre enjoint, fond d’être,
narcissisme originaire
Attestation de Soi
Estime de Soi (souhait d’une vie
bonne)
Approfondissement, Intériorisation
Autrui
Assignation à responsabilité
(Me voici)
Injonction de l’autre
Sollicitude (aimer l’autre en
tant que ce qu’il est)
Elargissement,
Extériorisation
L’injonction de l’autre et solidaire de l’attestation de Soi, la
médiation se réalise par l’éducation (Ricœur, 1990).
Repérable à partir de la rencontre entre deux sujets, avec recherche
du choix approprié à la situation en se reconnaissant enjoint à vivre bien
avec et pour les autres.
Place de la
maladie (le pâtir, le
subie, la
souffrance) dans le
choix du sujet
Fragilité
Incapacités, blessures
Pâtir, subir, souffrir
La maladie empêche d’agir, crise
de l’altérité (Bouretz, 1996)
Responsabilité
Parole tenue
Auteur, atteste des ses actes
La maladie révèle l’altérité
(Ricœur, 1990, Pontalis,
2002)
Attestation, affirmation de soi comme être agissant et souffrant
Lien fragilité, responsabilité toujours à cultiver, à acquérir par
l’éducation (Ricœur, 1996)
L’aveu de fragilité ouvre à l’éveil de responsabilité (Abel, 2000)
Ainsi fluctuent l’aliénation à la maladie quand le corps est traité comme objet avec
l’altérité du sujet quand il est accueilli dans la prise en compte d’une plus grande santé.
L’enjeu apparaît comme paradoxal pourtant l’étude des résultats révèlera que des échanges
« éducatifs » entre personnes souffrantes et soignantes facilitent une dynamique nécessaire
des conceptions de l’éducation et de la santé à partir desquelles le « processus d’altérité » est
prégnant. La dialectisation entre Soi et Autrui, entre la responsabilité et la fragilité du sujet est
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