Revue généraliste des travaux de recherches en éducation et en

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Numéro 3 –Septembre 2010
Revue généraliste des travaux de recherches en
éducation et en formation
SANTE ET EDUCATION
Processus d’altérité entre le personnel de santé et le malade
dans la relation éducative en santé
REVILLOT Jean-Marie, EYMARD Chantal,
Numéro 3– Année 2010
pp.173-196
ISSN Format électronique : 1760-7760
PERMALIEN
http://rechercheseducations.revues.org/563
POUR CITER CET ARTICLE
REVILLOT Jean-Marie, EYMARD Chantal, « Processus d’altérité entre le personnel de
santé et le malade dans la relation éducative en santé », Recherches & Educations, n°3,
septembre 2010, pp.173-196, [en ligne], http://rechercheseducations.revues.org/563 (consulté le
...)
© Recherches et Educations . Tous droits réservé.
Paris- France- 2013
Numéro 3 –Septembre 2010
Processus d’altérité entre le personnel de santé et le malade
dans la relation éducative en santé
Jean-Marie Révillot
Doctorant en Sciences de l’éducation, Université Aix-Marseille
Chantal Eymard
Maître de conférences HDR en Sciences de l’éducation, Université Aix-Marseille ; UMR
ADEF
pp.173-196
Cet article développe les résultats d’une recherche sur le processus d’altérité dans la
relation éducative qui se construit entre le personnel de santé et le patient hospitalisé.
L’altérité est définie dans ce qui échappe toujours de Soi et de l’Autre et dont on peut
appréhender la dimension dans la rencontre, dimension de l’Autre en Soi et entre Soi et
Autrui (Lacan, 1966, Vasse, 1977, Ricœur, 1990). Permettre à l’autre d’advenir mais aussi de
devenir autonome (Ardoino, 1993) en découvrant ses potentialités est une difficulté que le
soignant rencontre face à un patient aliéné par la maladie ancré dans un contexte de fragilité,
de souffrance, de révolte, qui a perdu parfois toute notion de devenir. Et pourtant, c’est bien
avec de telles finalités que le soin dans sa fonction éducative prend sens et permet au sujet
d’exister dans ses choix de santé et ses appréhensions de la maladie. La fragilité de nos vies,
que révèle la maladie, est épreuve de l’altérité. La relation éducative nécessite donc la
participation active du patient facilitant une transformation en profondeur de la relation
soignant-patient. (Tableau n° 1 et 3)
Problématique
Pendant trop longtemps, « l’éducation à la santé » (Deschamps, 1984), a été restreinte à
une information visant l’instruction du patient dont on espérait, sans doute naïvement, qu’elle
suffirait à engendrer des modifications de comportement. La santé a été enseignée par la
transmission d’un savoir plus ou moins technique à ceux qui étaient censés être ignorants. Les
limites de cette approche ont été mises en évidence (Billon, 2000, Develay, 2000, SandrinBerthon, 2000, Deccache, 2004, Eymard, 2004, Gagnayre et D’Ivernois, 2004).
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Tableau 1 : modèles d’éducation en lien avec la santé
Modèle de
(béhaviorisme)
l’instruction
Centré sur la transmission
d’information, de savoirs
savants, objectivité
Savoirs définis par des
experts
Relation : activité/passivité
ou direction/coopération
Responsabilité :
rendre
compte
Intérêt : continuité sociale
Intérêt éducation et santé :
Pose
diagnostic,
informations
maladie
et
traitement
Modèle
du
développement singulier
(constructivisme)
Centré
sur
les
potentialités du sujet, la
connaissance de soi, la
relation, subjectivité
Savoirs d’expériences
Relation : participation
mutuelle
Responsabilité :
être
capable de…
Intérêt :
adaptation
sociale
Intérêt éducation et
santé :
Potentiel de croissance
et créativité du sujet
Modèle du développement
social (socioconstructivisme)
Centré sur les interactions
sociales, Développement des
conditions de vie individuelles
et collectives.
Savoirs contextualisés
Relation :
interactions
sociales
Responsabilité : collective
Intérêt : production sociale
Intérêt éducation et santé :
patient reconnu dans son
unicité et sa culture
Les données actuelles en santé publique redimensionnent l’éducation en santé en intégrant
les demandes et les choix du patient. Le Haut Comité de Santé Publique (HCSP, rapport
2002) met l’accent sur la dimension d’altérité : « dans cette approche, c’est la personne, dans
sa singularité et sa globalité, qui est l’objet d’attention des soignants et non seulement
l’organe atteint » (ibid., p. 335). L’objectif est de rendre au patient une part d’autonomie et
« de construire avec lui un espace où il décide de ce qu’il désire être » (Gagnayre et
d’Ivernois, 2004).
Le rapprochement entre la santé et l’éducation dans un rapport existentiel entre l’homme et
la maladie soulève un conflit entre le désir d’exister du malade et sa souffrance qui révèle une
crise de l’altérité (Bouretz, 1996) et une difficulté de choix. Ceci nous conduit à travailler
d’autres articulations entre la chair et les mots, le corps et la parole, la maladie, la souffrance,
le pâtir et les niveaux d’atteintes de l’homme dans ses capacités d’agir. C’est ce que travaille
l’approche théorique (tableaux 1-2-3). Des liens se tissent entre la chair (le corps) et la parole
(le langage) quand ils passent par la souffrance, le pathos. L’homme agissant est le pendant de
l’homme parlant (Ricœur, 1996). Entre les deux se glisse l’homme souffrant – car empêché
d’agir ou de dire. Dans l’identité narrative (ibid.), ce peut être l’incapacité ou le refus de
raconter des phénomènes qui vont au-delà de la péripétie. Avec la diminution du pouvoir
d’agir et de dire, ressentie comme une diminution de l’effort pour exister, commence pour
Ricœur (1995) le règne de la souffrance qui facilite la perte du pouvoir sur le monde avec le
sentiment d’être à la merci d’autrui. Cette atteinte de la personne dans ses capacités d’agir
traduite par une impuissance à dire, fait qu’elle se présente souvent dépendante, objet de
soins ; elle devient dans l’univers soignant, ce « visage déchiré d’où vient la plainte arrachée à
soi et tournée vers l’autre » (ibid.). Comment accommoder alors des soins techniques estimés
nécessaires et le facteur humain : rythme, besoin, désir et demande (Lacan, 1966) de la
personne (en partie) malade ?
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Numéro 3 –Septembre 2010
Tableau 2 : modèles de la santé, besoins en santé, demande de soins, désir ( à
partir du tableau d’Eymard, Revillot, 2004, p. 39)
Modèle biomédical
Centré
sur
l’organe
malade, le diagnostic et le
traitement
La santé, c’est l’absence
de maladie
Besoins primaires : (boire,
manger,
éliminer,
se
mouvoir…)
Demande de réparation et
d’indépendance par rapport
aux besoins primaires
Désir de guérir de la
maladie
Modèle
global
(biopsychosocial)
Centré sur le bien être et
l’harmonie, l’équilibre, la
qualité de vie, la promotion
de la santé, la prise en
compte de l’individu dans
son environnement et ses
projets
Besoins
primaires,
d’appartenance, d’estime de
soi, de réalisation (Maslow,
1972)
Demande de bien-être
individuel et d’harmonie
Désir d’être heureux
Modèle de l’existence du
sujet fragile et responsable
Centré sur la décision du
patient et l’ouverture sur le
monde
La santé est indissociable
de
la
maladie,
la
responsabilité du patient est
liée à sa fragilité
Besoins plus singuliers
nécessitant un travail aux
limites
individuelles
et
collectives
Demande d’autonomie
Liberté
de
choix
individuel et collectif
Désir d’exister avec les
autres
Toute expérience de la maladie et de la prise en charge qu’elle nécessite, oblige ainsi à
reconsidérer les liens, toujours problématiques, entre la technique et la relation, entre le corps
et l’esprit : le corps en tant que siège de la douleur, au niveau du ressenti ; l’esprit comme lieu
de la souffrance, l’accompagnant et débouchant sur son expression. Ce passage liant l’interne
à l’externe, la chair et les mots (Royal, 1996) est souvent conflictuel, sinon contradictoire.
C’est là qu’entre en jeu la relation éducative comme rencontre avec une conception de la santé
qui associerait la maladie à l’histoire du sujet dans son altérité comme ipséité (Tableau 3,
Ricœur, 1990) afin de resituer chaque malade dans sa dignité et sa fragile humanité.
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Numéro 3 –Septembre 2010
Tableau 3 : Critères du choix du sujet et processus d’altérité
Critères
du
choix du malade
Choix du sujet
par rapport à luimême
Choix du sujet
par rapport à autrui
Place de la
maladie (le pâtir, le
subie,
la
souffrance) dans le
choix du sujet
Indicateurs du processus d’altérité (Ricoeur, 1990)
Mêmeté
Ipséité
Structure
Désirs croyances impressions
Permanence
Evénement
Continuité
Changement
Caractère
Promesse
Objectivité
Subjectivité
Identité
Diversité
Repérable à partir du récit de vie du sujet, la façon dont il conduit sa
vie en se centrant sur ses choix. La trace des événements, des
péripéties : comment contribuent-ils à l’avancée du récit ? Ce niveau
temporel est lié à l’histoire de la personne qui facilite la compréhension
et la reconnaissance de l’altérité
Soi
Autrui
Etre
enjoint,
fond
d’être,
Assignation à responsabilité
narcissisme originaire
(Me voici)
Attestation de Soi
Injonction de l’autre
Estime de Soi (souhait d’une vie
Sollicitude (aimer l’autre en
bonne)
tant que ce qu’il est)
Approfondissement, Intériorisation
Elargissement,
Extériorisation
L’injonction de l’autre et solidaire de l’attestation de Soi, la
médiation se réalise par l’éducation (Ricœur, 1990).
Repérable à partir de la rencontre entre deux sujets, avec recherche
du choix approprié à la situation en se reconnaissant enjoint à vivre bien
avec et pour les autres.
Fragilité
Responsabilité
Incapacités, blessures
Parole tenue
Pâtir, subir, souffrir
Auteur, atteste des ses actes
La maladie empêche d’agir, crise
La maladie révèle l’altérité
de l’altérité (Bouretz, 1996)
(Ricœur, 1990, Pontalis,
2002)
Attestation, affirmation de soi comme être agissant et souffrant
Lien fragilité, responsabilité toujours à cultiver, à acquérir par
l’éducation (Ricœur, 1996)
L’aveu de fragilité ouvre à l’éveil de responsabilité (Abel, 2000)
Ainsi fluctuent l’aliénation à la maladie quand le corps est traité comme objet avec
l’altérité du sujet quand il est accueilli dans la prise en compte d’une plus grande santé.
L’enjeu apparaît comme paradoxal pourtant l’étude des résultats révèlera que des échanges
« éducatifs » entre personnes souffrantes et soignantes facilitent une dynamique nécessaire
des conceptions de l’éducation et de la santé à partir desquelles le « processus d’altérité » est
prégnant. La dialectisation entre Soi et Autrui, entre la responsabilité et la fragilité du sujet est
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Numéro 3 –Septembre 2010
une ouverture éducative et de soins et une possibilité d’altérité du malade « alors qu’affaibli
par la maladie et le contexte hospitalier dans lequel il se soigne, il peut être davantage témoin
de sa fragilité plutôt que de sa responsabilité » (Revillot, 2006).
Dispositif de terrain
Le patient occupe une place centrale dans le dispositif, non pas comme objet d’études mais
en tant que sujet participant à la co-construction de sens dans l’interprétation des données.
Cette perspective revêt une place indéniable dans les choix méthodologiques opérés.
Le site de la recherche
La recherche a été conduite dans quatre centres hospitaliers de Franche-Comté. Les
services ont été choisis, en concertation avec la direction des soins, et le médecin chef de
service, en fonction de trois critères :



- Une durée de soins longue nous orientant vers les services qui accueillent des pathologies
chroniques : le recueil de données s’est déroulé sur une année (entre 4 et 7 mois selon les
patients) ;
- Un projet de soins intégrant l’éducation thérapeutique ;
- L’accord explicite de l’institution et du cadre du service.
Trois critères ont participé au choix des patients :



- La possibilité de vivre une relation éducative dans la durée
- Son accord explicite
- La variété des problèmes de santé (prothèse de hanche, insuffisance rénale, maladie de
Hodgkin, psychose), et des spécialités des services d’hospitalisation.
La recherche a été centrée sur l’écoute du processus d’altérité dans les conceptions de la
santé et de la maladie de cinq patients en soin dans un contexte de maladie chronique à partir
de leurs récits relatant des démarches éducatives avec des soignants :




- Service de chirurgie : l’éducation, après une intervention pour une prothèse de hanche,
s’appuie sur un protocole précis avec des étapes et une progression.
- Service d’hématologie : la technicité et l’expertise sont valorisées dans l’organisation des
chimiothérapies avec une place privilégiée donnée à l’information du patient sur le diagnostic
et le traitement.
- Centre de dialyse : L’information concernant la fonction rénale, l’hémodialyse et son
déroulement est formalisée dans un livret d’accueil.
- Centre de jour pour psychotiques : il a pour principale visée l’autonomie psychique du
patient. Le soin est basé sur la connaissance psychanalytique approfondie et la synergie entre
soins quotidiens, travail individuel et collectif, travail avec les familles.
Recueil de données
L’entretien non-directif
Les données ont été recueillies et accueillies au chevet du patient par entretiens nondirectifs (Blanchet, 1997). Chaque rencontre a durée entre 40 minutes et 1 heure 30.
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Numéro 3 –Septembre 2010
Tableau 4. Synthèse des séances avec les patients dans la temporalité
2004
Mai
Juin. Juil
Pascal E.1 S1 ;S2 S3
S4
Noémie
E.2
Madeleine
E.3
Tristan
E.4
Hélène
E.5
Sept Oct
Nov
S1
S2
S3
S1
S2
S1
S2
S1
Déc
2005
Janv Févr Mars Avr. Mai
S4
S5
S3
S4
S5
S2
S3
S6
S4
S5
S6
Deux niveaux d’altérité retenus (Amorin, 1996) :


- la rencontre entre le chercheur et le sujet malade
- la relation éducative en santé entre un soignant et un patient hospitalisé.
La rencontre entre le chercheur et le sujet malade est identifiée comme expérience
intérieure vécue dans la situation de recherche. Là où l’autre m’altère et laisse sa trace, peut se
produire un savoir sur l’altérité comme le note Amorim (1996) avec deux caractéristiques :
l’altérité absolue des expériences ou situations difficiles qui rendent impossible toute parole
dont la seule trace possible serait celle qui se produit sous la forme d’un silence, et l’altérité
reconnue par celui qui l’éprouve et repéré par celui qui lit. C’est l’altérité proche, au cœur de
la vie qui nous dépayse de l’existence quotidienne.
Aussi s’agit-il de résoudre le problème méthodologique que pose l’entretien de recherche,
le face à face avec l’autre, la fiabilité de ses propos. Le discours traité est comparable à un
matériau idéal-type et non comme un cas en situation. « Telle est la limite et la spécificité de
la valeur heuristique de l’entretien non-directif » (ibid., p. 177). Cependant il favorise la
production d’un récit de l’interviewé à partir du thème défini dans le cadre de la recherche.
Pour rendre le récit fiable et valide (Blanchet, Bézille, Revault-d’Allones, 1997, Devereux,
1980), la rigueur méthodologique est construite autour de trois axes (ibid.) :




- L’entretien focalisé
- Les modalités d’intervention
- La supervision du chercheur entre chaque séance
Les données sont ensuite confrontées à la matrice théorique.
Le choix de l’entretien focalisé
L’entretien a été conduit de manière non-directive autour du canevas suivant :






- Récit de l’expérience (de la maladie),
- Exploration des thèmes du guide (santé, maladie, relation éducative en santé),
- Recherche des détails significatifs, de la mise en relation du discours avec l’expérience
vécue, demande de précisions,
- Recherche de la profondeur par une formulation des sentiments implicites exprimés,
- Exploration du contexte personnel, psychologique et social de l’interviewé qui connote la
situation évoquée de significations particulières.
- Processus d’altérité
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Numéro 3 –Septembre 2010
Les modalités d’intervention de l’interviewer
A partir des travaux de Blanchet (1997, p. 87-98), nous retenons deux dimensions qui
situent le sens des interventions par rapport à la position que prend l’interviewer dans la
relation et son effet dans le discours de l’interviewé :


- Le style qui définit la position de l’interviewer (déclaratif, interrogatif et réitératif).
- L’efficace qui se rapporte aux types de contenus visés (thématique, expressif et réflexif).
Leur croisement permet de repérer quinze types d’interventions. Toutes les questions des
différentes séances ont été codées selon le tableau proposé par Blanchet (ibid.) et retravaillées
entre les séances.
La supervision du chercheur
Devereux (1980) invite le chercheur à entreprendre une investigation de sa relation à
l’objet de recherche afin de comprendre les obstacles qui émergent chemin faisant, ces
derniers devenant de réels moyens de connaissance. Construire une relation de confiance avec
des sujets en soins nécessite une supervision parce que l’accompagnement de l’autre
« malade », en souffrance, fait naître des résonances qui d’obstacles peuvent devenir levier
dans la relation (ibid.). L’analyse clinique des entretiens s’est donc appuyée sur l’analyse du
contre-transfert du chercheur définie par l’auteur comme la donnée la plus cruciale de toute
science du comportement. Cette approche a visé à renoncer à « l’invisibilité » du chercheur et
à reconnaître sa place de sujet, tant ses angoisses et son histoire influencent le regard qu’il
pose sur l’autre. La construction s’organise « avec » cet autre et pas « sur » ou « contre » dans
une pratique d’altérité (Cifali 2002). Les supervisions entre chaque séance se sont organisées
avec un psychologue clinicien. Elles ont porté sur la relation entre le sujet et le chercheur, ses
difficultés, ses limites pour permettre l’émergence et/ou le repérage de l’altérité de la
rencontre. Des passages significatifs de supervision ont été référés entre certaines séances.
Types d’analyse utilisés pour traiter le recueil du récit des
sujets rencontrés à l’hôpital.
Une analyse thématique et de l’énonciation (Bardin, 2003) sont réalisées d’abord, en se
centrant sur les passages signifiants à partir desquels une « analyse des relations par
oppositions » (Blanchet, 1997) est proposée en second temps. Les significations de la santé et
de la maladie « forment une chaîne de significations qui va du moins au plus symbolique,
depuis la manifestation d’une qualité jusqu’à l’évocation d’un concept emblématique dont le
sens est donné par les significations qui précèdent » (ibid. : p. 248). Il s’agit d’identifier « la
relation d’opposition entre des signifiants appartenant au système des espaces et de leur
pratique et des signifiés symbolisant ces espaces » (ibid : p. 247), de construire un schéma
conceptuel de l’énoncé (ibid.) qui constitue les axes sémantiques du discours traduit par
l’interprétation. Le récit de chaque patient est donc analysé individuellement à l’aide des
tableaux 1-2 et 31.
A partir des représentations de la situation (au sens de Leplat, 1985) appréhendées par le
sujet de façon schématique, simplifiées et déformées par le but, représentations caractérisées
1 Synthétisés pour le besoin de l’article
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Numéro 3 –Septembre 2010
par le discours du patient au sujet de sa santé et sa maladie, nous proposons de repérer
l’élaboration d’une conceptualisation (Pastré, 1999) dans son récit (Ricœur 1990) à partir de
la relation éducative en santé mise en place par le soignant. Les relations de significations
donnant sens aux concepts sont appréhendées par la rencontre avec le chercheur inscrite dans
la durée.
Résultats
Les résultats donne à comprendre le processus d’altérité par la conceptualisation de la santé et de la maladie,
dans un mouvement, un rythme singulier. Les données des trois patients qui se différencient le plus sont
présentées ici2.
Rencontre avec Noémie
Premières séances
Noémie est une jeune fille de 17 ans atteinte d’une maladie de Hodgkin. Elle se présente
avec une envie de vivre. Cinq séances, représentant 5 heures d’entretien, se sont déroulées sur
sept mois. Cette rencontre touche à la vie et la questionne avec en toile de fond, la santé
comme désir d’exister (Deschamps, 2002, Gadamer, 1998).Les conceptions de la maladie et
de la santé de Noémie font apparaître le corps de besoin qui provoque une dépendance et
demande des sacrifices. Sa conception de la santé, axée sur sa maladie est alors opératoire
(Pastré, 1999) ; elle est tournée vers un but particulier : « si je respecte les consignes, la
maladie, elle guérit plus vite ». La relation éducative s’inscrit dans la direction /coopération.
Supervision du chercheur (extrait)
Nous discernons le risque pour les prochaines séances de voir Noémie s’investir comme
objet de soins pour la recherche avec une perte du discours singulier tant elle vit peu de
choses en dehors de sa maladie. L’objectif de la séance est de l’inviter à faire le pas de la
parole, d’interroger le sens de sa retenue. Je l’encouragerai, si elle est d’accord, à partager des
choses plus personnelles en laissant tomber les défenses (au moins temporairement) liées à la
posture du chercheur pour qu’elle s’autorise à prendre davantage une place comme sujet. Le
style d’intervention se propose d’être plus réflexif avec une orientation harmonieuse offerte à
l’aspect déclaratif pour manifester le positionnement de l’interviewer (Blanchet, 1997).
Séances 3 à 5
A partir de concepts opératoires, Noémie construit des savoirs d’expériences par exemple
dans la gestion de sa santé :
« Pourtant, le lendemain de ma chimio, je me sentais bien, mais ma mère elle ne
voulait pas trop me laisser y aller [à l’école]. J’ai dit, je me sens bien, j’y vais.
Pourtant j’ai tenu toute la matinée sans problème. Et lundi matin, j’ai senti que je
2 Le parcours de Pascal est proche de celui de Madeleine mais le cas clinique de Madeleine va au-delà dans
les apprentissages sur la relation éducative. Le parcours de Tristan est proche de celui d’Hélène mais il n’a été vu
qu’une seule fois à sa demande.
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Numéro 3 –Septembre 2010
n’étais pas bien, je me suis dit : « il faut que je reste » et je suis resté chez moi. C’est
moi qui gère ». « Quand je fais de la chimio, il y a une semaine où je suis fatiguée
mais après il y a une semaine et demie que je suis tranquille. C’est presque la forme,
c’est le cas de le dire ».
Elle repère les périodes d’aplasie où elle ne doit pas sortir. Elle nomme quelques
rencontres éducatives qui se situent dans la responsabilisation et l’autorisation : « Quand tu te
sens bien, tu peux aller à l’école ». Ces rencontres, relayées par un professeur de lycée
ouvrent sur le monde et stimulent une autre conception de la santé : construire des projets,
exister, retourner à l’école. Un imprévu (voyage à Paris) fait événement. Il touche au Soi, à
l’ipséité (Ricœur, 1990, 1996). Noémie s’est autorisée à « s’évader », « changer d’air ». Des
caractéristiques de l’éducation en santé comme développement du sujet singulier, apparaissent
pour lui permettre de se reconnaître responsable et fragile et découvrir ses potentialités. Elle
donne du sens à son besoin d’un ailleurs : « Du permis qui donne de l’autonomie, de la
liberté » car même si elle parle du permis de conduire, nous pouvons entendre au niveau
symbolique, ce qui est permis. « Et là, je ne suis plus chez moi, quand je suis chez moi je
tourne en rond ». A travers l’expérience de la maladie, elle a mis en exergue son besoin
d’un « ailleurs », un ailleurs à l’école, en voyage, mais aussi un certain ailleurs possible en
elle, et sa rencontre avec le chercheur s’est inscrite dans cette visée.
« Une belle expérience, participer à votre projet », « m’exprimer avec ce que j’ai
à dire », « la personne qui lira cela, elle peut se dire : eh bien, si cette personne a
tenu le coup, a réussi à être soignée, pourquoi moi je ne le ferai pas », « Vous avez
participé à mon chemin ».
Tableau 5 : conceptualisation de la santé et de la maladie par Noémie à partir
de la relation éducative en santé
Santé : exister
Maladie : résister, combattre
Relation éducative en santé : ↓
instruction puis rencontre et Normes draconiennes, sacrifices, dépendance
↓
autorisation →
Respect des normes, santé axée sur la maladie
↓
Savoirs d’expériences
↓
Evénement : « évasion » à Paris
↓
Santé : Responsable et fragile, autonome et ouverte sur le
monde
Construction du cas clinique
Une dimension d’altérité émerge en même temps que Noémie décolle d’un certain statut de
malade, traduite par un événement [l’évasion, S.3 (tableau 4) : son voyage à Paris] qui facilite
une mise en tension entre la Mêmeté et l’Ipseité (tableau 3), entre la fragilité et la
responsabilité (Ricœur, 1996, Abel, 2000). La maladie ne bloque plus le processus d’altérité,
mais le révèle permettant l’émergence d’un « être nouveau » (Canguilhem, 1966). La relation
éducative avec les soignants, narrée par Noémie, stimule une conception de la santé (existence
du sujet, tableau 2) qui était déjà là. L’identité narrative (Ricœur, 1990) permet de rendre le
récit intelligible par une mise en intrigue des différents épisodes autorisant ainsi Noémie à
décider en révélant son désir d’un ailleurs (S.5, tableau 4). La place des autres (mère, frère et
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Numéro 3 –Septembre 2010
sœur, professeurs) dans son récit est inattendue dans ce qu’ils participent aux soins soit
comme porteurs des normes médicales soit dans une dimension de rencontre et d’altérité.
Rencontre avec Madeleine
Premières séances
Madeleine est une personne de 81 ans en dialyse depuis trois ans suite à une
dégénérescence des reins. Elle incarne quelque chose de vivant dans son récit avec un besoin
très présent de parler d’elle. Six séances sur sept mois, représentant 7 heures d’entretiens.
Les trois premières séances permettent de rendre intelligible les liens entre le modèle
d’éducation à la santé (maîtrise de la non-maladie) et le processus d’altérité. La conception
biomédicale de la santé de Madeleine est reliée à une conception de la relation centrée sur le
savoir savant. En donnant plus qu’elle ne reçoit, elle bloque le processus d’altérité par une
confusion de la Mêmeté et de l’Ipseité (Ricœur, 1990) conditionnée par sa peur du
changement qui trouve son aboutissement dans la peur de vieillir. Madeleine n’accueille la
relation éducative qu’en rapport à la maladie, aux traitements et aux normes « scientifiques ».
Ainsi la relation éducative est centrée sur le savoir académique. Parce qu’elle incarne la
jouissance (Lacan, 1966) dans le fait de savoir, Madeleine montre aussi les limites du champ
de la médecine en termes de savoirs et le risque d’un enfermement dans la maladie.
Supervision du chercheur (extrait)
Lors des prochaines séances, il est convenu de l’orienter vers les autres et ce qu’ils lui
apprennent d’autres que le savoir. Est-ce que l’autre peut lui permettre de révéler ses
faiblesses, ses manques ? Comment accepter sa situation de malade ? Est-ce qu’elle se sent
plus faible, plus vulnérable ? L’objectif est d’essayer de comprendre la place de la relation
éducative dans ses soins et si la maladie peut lui permettre d’accéder à quelque chose d’autre
en elle.
Dernières séances
La confrontation de Madeleine au delà du savoir académique ouvre à l’altérité par une
prise de conscience du peu d’imprévu dans sa vie. Face au manque et à la solitude, elle remet
en place des défenses, l’invariant relationnel qui conditionne la permanence dans le temps,
l’identité « mêmeté » (Ricoeur, 1990).
Tableau 6 : conceptualisation de la santé et de la maladie par Madeleine à
partir de la relation éducative en santé
Santé : richesse
Maladie : subir
↓
Relation éducative en santé :
Je me suis faite toute seule
↓
questionnement et confrontation
Relation avec les autres : ne pas se compliquer la vie
de soignants et du chercheur →
↓
Relation basée sur le savoir
↓
Altérité dans la rencontre
↓
11
Numéro 3 –Septembre 2010
Prise de conscience de sa vulnérabilité→ Défenses
Construction du cas clinique
La maladie dans une conception biomédicale permet ici de renforcer la « Mêmeté »
(Ricœur, 1990) traduit par la soif de savoir de Madeleine alors que le traitement curatif
rappelle constamment la vie dans ce qu’il la maintient. La maladie, si elle n’est pas dans la
Mêmeté ouvre à l’absence, la vieillesse, la vulnérabilité, l’altérité Ipseité (ibid.), la mort
possible. Cette mise en tension entre Mêmeté et Ipseité, entre maladie et santé semble être le
préalable au processus d’altérité dans la relation éducative en santé. Son récit s’inscrit alors
dans la temporalité et l’altérité (Ricœur, ibid., Bergson, 1941) liées à la singularité de l’unité
de sa vie. « Le désir (d’exister) naît et croît dans la mesure où se révèle le vide du besoin (de
savoir) » (Vasse, 1977). Madeleine se fixe d’autres normes : vieillir lucide pour discuter avec
les autres, vivre chaque minute qui passe, se rapprocher de Dieu. La relation éducative permet
la conceptualisation progressive de son désir de vivre et introduit une conception de
l’existence du sujet comme être fragile et responsable. Il y a cette dimension d’ouverture (S5
et S6, tableau 4) avec l’altérité possible dans quelque chose d’infra langagier.
Rencontre avec Hélène
Premières séances (1 et 2)
Hélène est une jeune fille de 22 ans présentant un état psychotique depuis plusieurs années.
Elle s’est proposée pour la recherche parmi douze personnes en soin. Sa demande est à relier
avec son désir actuel de se développer. Six séances, représentant 6 heures d’entretien, se
déroulent sur sept mois.
Le récit d’Hélène se situe sur deux niveaux constamment en lien entre son expérience du
soin dans le centre et son passé. L’expérience de sa maladie traduit sa difficulté d’être en
relation qui l’oblige à se cacher derrière les apparences : apparences physiques (paraître par la
coiffure, les tenues vestimentaires) et psychiques (les mensonges, les mutilations). Le signe
majeur de son mal-être est exprimé par l’angoisse. C’est la fragilité du sujet qui domine. La
tentation pour Hélène est de demander une résorption du symptôme (l’angoisse intense) par le
traitement dans une quête de bien-être absolu. La parole a peu d’impact. Les modèles
d’éducation centrés sur le changement de comportement, sont les seuls accessibles pour
Hélène. La maladie révèle l’aliénation comme moment nécessaire pour ouvrir à autre chose.
Hélène se représente la santé dans une approche globale de bien-être complet : se sentir bien
tous les jours.
Supervision du chercheur (extrait)
Pour les prochaines séances, il paraît important de resituer mon objectif de chercheur afin
qu’Hélène ne me surinvestisse pas sur un plan essentiellement thérapeutique. Le discours se
centre sur la manière dont la santé est vécue dans ce lieu, sur son quotidien, ses prises en
charge, sur ses relations avec les autres, en quoi cela l’aide. L’entretien privilégiera le niveau
réflexif pour intervenir sur le contenu du discours, son sens avec des demandes de
développement et d’approfondissement facilitant l’interprétation (Blanchet, 1997).
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Numéro 3 –Septembre 2010
Dernières séances (3 à 6)
Des périodes de fort investissement pour elle-même facilite son besoin de vérité, sa prise
de conscience de l’existence des autres qu’elle veut laisser entrer dans sa vie. La parole relaye
les mutilations et les silences et ouvre au Soi (au sens de Ricœur, 1990). La responsabilité
reconnue par Hélène, confronte ses fragilités et les articule. Sa conception de la santé se
construit avec son expérience de la relation éducative singulière et collective au centre. Elle
chemine dans sa demande, prend conscience des autres qu’elle désire laisser entrer dans sa vie
et en même temps son développement lui renvoie de l’angoisse, de la tristesse, de la
culpabilité avec une tentation à se refermer sur elle-même. L’oscillation entre sa fragilité et sa
responsabilité, entre les mutilations et la parole, entre la solitude intérieure et l’ouverture aux
autres, entre son moi et son Soi se perçoit dans son récit. Le soin singulier et collectif lui
permet de tenir et de chercher son propre équilibre entre les relations aux autres, l’ouverture
sur le monde, le développement de son potentiel et le retrait, le besoin de souffler, les limites
qu’elle peut poser. Ce va-et-vient lui permet de se construire une conception de la santé qui
reste encore en projets : l’équilibre entre ses responsabilités et ses fragilités, son désir de vivre
dans la conscience qu’elle peut vivre de très bons moments et d’autres moins bien. Les
épisodes (mutilations, apparences, murée dans son silence) prennent sens de son apprentissage
de la relation où il s’agit maintenant de poser ses limites et de s’autoriser à vivre ce qu’elle
désire : les relations, la chorale, le développement de ses potentialités, un autre type de
relation avec sa famille, des moments de retrait, des moments de mieux-être, la gestion de ses
émotions, l’expérience de vie individuelle et collective.
Tableau 7 : conceptualisation de la santé et de la maladie par Hélène à partir
de la relation éducative en santé
Santé : Bien être
Maladie : souffrance, fragilité,
Relation
éducative
en apparence
↓
santé rencontre, développement Angoisse
↓
singulier
et
social
et Murer dans son silence
↓
autorisation →
Automutilations
↓
Soins : liberté de la parole
↓
Prend conscience des autres par la relation éducative,
culpabilité → puis désir de vivre Santé : mieux être
Construction du cas clinique
Par la relation éducative en santé, Hélène passe d’une conception globale de la santé
caractérisée par une demande de bien être dépourvu d’inquiétude (S1, tableau 4), à celle de
l’existence d’un sujet ouvert sur le monde (S5 et S6, tableau 4). Dans ces propos, les
expériences de la relation éducative en santé mettent en tension de la tristesse et de la
culpabilité avec une prise de conscience de l’existence des autres (S2 à S6, tableau 4).
L’altérité est signifiée par ses choix, son rythme, ses projets, son ouverture par la relation, la
reconnaissance de ses capacités et de ses limites (Illich, 1999, Ricœur, 1996, Abel, 2000).
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Numéro 3 –Septembre 2010
Tout au long des séances, Hélène montre que sa psychose ne l’a pas déconnectée de ses
potentialités, elle a mis beaucoup d’énergie à retrouver quelque chose de sain en elle. Elle
s’ouvre à la vie ou la vie s’ouvre à elle. Le va et vient perpétuel dans son questionnement fait
altérité (Ricœur, 1990). En effet, elle a conscience qu’elle ne peut parler du bonheur sans
rapport avec sa souffrance, elle ne cherche pas à dire que tout est rentré dans l’ordre
contrairement à Noémie. Ce qu’elle a vécu, elle en garde la trace, c’est à ce prix là qu’elle se
sent vivante et heureuse. Hélène illustre le lien entre maladie et santé par la relation éducative
en santé et témoigne comment la maladie peut permettre autre chose, un être nouveau
(Canguilhem, 1966) qui s’éveille aux autres.
Discussion des résultats
Quatre apprentissages viennent nourrir cette recherche :
- L’identification du processus d’altérité se manifeste de façon singulière dans le récit de
chaque sujet.
- Si la conception de la santé reste ancrée dans une approche biomédicale tant chez le
soignant que chez le patient, la conséquence pour le patient est un retour à l’identique. Il
manifeste son pouvoir par la négatricité3 (Ardoino, 1995), la volonté de s’en sortir seul, la
centration sur le savoir académique. L’altérité est révélée dans le manque ou la souffrance.


- Tous les patients rencontrés se décrivent d’abord comme objet de soin avec une attention
portée au diagnostic, aux savoirs savants, à l’observance thérapeutique. Hélène se révolte ;
Noémie est soumise aux normes draconiennes, Madeleine à la machine. Est-ce une étape, un
chemin nécessaire ?
- La dynamique des conceptions de la santé et de la maladie du patient, leurs mises en tensions
par la relation éducative en santé permettent l’émergence de l’altérité. L’évènement prend une
place singulière dans le récit narratif de chacun et ouvre à l’altérité. Noémie et Hélène relatent
des rencontres dans la relation éducative en santé qui facilitent une conception de l’existence
du sujet, fragile et responsable, ouvert sur le monde. La rencontre entre Madeleine et le
chercheur soutient la possibilité d’une ouverture vers l’existence du sujet par la relation
éducative.
Les résultats ne permettent pas de savoir s’il est rassurant pour le sujet d’être confronté
d’abord à l’objectivité scientifique et de se faire objet de soin avec un risque d’aliénation
quand il n’est plus en capacité de vivre sa dimension subjective. Être « objet » est-il un
chemin ? Il ne s’agit pas de s’y perdre comme objet mais de s’y retrouver en tant que sujet.
Hegel (1809) considère l’aliénation comme un moment nécessaire pour retrouver son Soi
essentiel. Doit-on mettre le « sujet » en repos pour qu’il se reconstruise ? L’objectivation du
corps caractérisée par le modèle biomédical de la santé peut se révéler comme une étape (c’est
ce que souligne Masquelet, 2000), d’un mécanisme visible, à condition d’être un chemin et
pas un but. Mais l’auteur ajoute que l’union du corps et de l’âme est éprouvée seulement par
l’expérience au quotidien qui permet de pourvoir à la santé. C’est bien ce à quoi nous invite
Noémie, Madeleine et Hélène. Abel (2000) propose de savoir rétrécir parfois un peu dans le
but de rouvrir pour le patient, la possibilité d’une « gamme interprétative » plus grande. Nous
avons souligné par exemple, combien Noémie a respecté les normes draconiennes en se
faisant objet de soins avant de mobiliser ses capacités à interpréter les évènements pour
« mieux décider pour sa vie ». La relation éducative en santé participe à cette « gamme
interprétative », c’est ce que nous témoignent ces cas.
3 Le pouvoir de dire non en déjouant les stratégies du soignant par des contre-stratégies
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Numéro 3 –Septembre 2010
La dynamique des conceptions de l’éducation en santé, leurs mobilisations par la relation
éducative permet l’altérité des liens entre savoirs et Soi à partir d’un mouvement, d’un rythme
singulier dans les conceptions éducatives nécessitant de développer des compétences à
éduquer.
L’éducation en santé s’avère possible si rien n’est totalement déterminé, totalement
enfermé dans un destin inexorable. C’est dans ce qui échappe aux soignants, ce « non
maîtrisable », que l’éducation et le soin se rejoignent en ce qu’ils sont l’expression d’une
même dimension : « l’éducation à la vie » (Castillo, 1987).
Conclusion
La relation, travaillant le transfert du patient indissociable du contre-transfert du chercheur
(Devereux, 1980), n’a pas été la même avec chaque patient, puisqu’à chaque fois, nous avons
tenté de nous centrer sur le désir des patients d’être là et de se confronter à leurs propres
limites, leurs difficultés. Les sujets rencontrés, d’âges différents présentaient des problèmes
de santé forcément singuliers.
Il a été mis en relief combien la notion d’éducation renvoyait à des domaines divers et
variés qui attestent pour de nombreux auteurs, de la distinction à établir entre deux domaines
fréquemment confondus : l’éducation et l’instruction. Ainsi l’éducation a été posée comme
construction d’un Homme singulier et social nécessitant son accompagnement dans les
processus de changement auxquels il est confronté. Mais si la visée de l’éducation est du côté
de l’émancipation de la personne en jeu, ce qui nécessite une action de l’éducateur sur
l’éduqué empreinte du souci permanent d’émergence de l’altérité, elle ne peut se valoir d’une
conception qui serait « la bonne » ; elle est davantage une possibilité de naviguer entre
différentes conceptions en fonction du malade. La recherche en sciences de l’éducation peut
donc avoir pour projet de proposer et de comprendre des situations éducatives où il est
question d’émergence de l’autre. C’est bien le fondement de ce débat sous-tendue par un
projet avec une intentionnalité (Ardoino, 1997). Plusieurs visées sont déclinées au long de ce
parcours : libération en chaque homme de ce qui l’empêche d’être soi (Reboul, 2001),
émergence de l’altérité (Develay, 2001), éveil à la responsabilité et reconnaissance du sujet
dans sa fragilité (Ricœur, 1996). Même si faire vivre un tel projet dans les pratiques au-delà
des statuts, rôles et fonctions n’est pas aisé, il n’en demeure pas moins au cœur de nos
préoccupations tant en éducation qu’en éducation et santé.
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Numéro 3 –Septembre 2010
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