C’est aussi la montée des luttes de libération anticoloniales, antiségrégationnistes, féministes,
gays et lesbiennes. qui va conduire un certain nombre de philosophes politiques, outre-
Atlantique d’abord (Charles Taylor), puis européens (Axel Honneth) à engager une réflexion
sur les « politiques de la reconnaissance », et pour certains sur le multiculturalisme.
Pour résumer,
la question de l’autre est inséparable d’un monde mouvant, de l’entrée dans l’incertitude, et ne
peut être posée qu’en situation, dans des rapports de pouvoir, et à partir d’un point de vue
spécifique, celui du locuteur (individuel ou collectif).
Et l’ouverture à l’autre ne va pas de soi.
Réalités et enjeux d’une démarche de réflexion sur l’altérité
Cette question de l’altérité se pose aujourd’hui autour de deux axes : le social et le politique
d’une part, l’éducatif de l’autre.
Des enjeux socio-politiques
Dans la société traditionnelle, celle des castes (voir les travaux de Louis Dumont) comme
celle des ordres sous l’Ancien régime, la logique est celle de la division, de la hiérarchisation.
Mais tant que cette société est acceptée comme allant de soi, chacun est à sa place légitime,
les autres sont là, différents, inégaux, mais pas menaçants.
C’est l’entrée dans la modernité démocratique, avec « l’égalité des conditions » (Alexis de
Tocqueville) que le brouillage s’opère, que l’inquiétude s’installe ; mouvement qui
s’accélèrera quand les mobilités sociales et géographiques s’amplifieront.
Ajoutons aussi que les conflits armés exacerbent la tension identitaire ; ainsi de part et d’autre
du Rhin, à la fin du XIXème siècle et dans la première moitié du XXème siècle, vont se
développer des discours sur l’irréductibilité de « l’âme française » et de « l’âme allemande »
qui nous paraissent aujourd’hui bien lointains.
Peut-être pourrait-on faire l’hypothèse que c’est quand les signes de différence s’estompent
que se manifeste le plus le besoin de les affirmer.
Ainsi Hannah Arendt explique-t-elle que c’est quand les juifs sortent des ghettos, perdent de
la visibilité de leurs pratiques, qu’ils sont assimilés, que se développe (comme en Allemagne
ou en France) un discours antisémite visant à affirmer leur différence radicale - et le fantasme,
qu’ils se cachent, se dissimulent… et qu’il faut bien sûr les débusquer.
Abdelmalek Sayad montre de la même manière que l’immigré maghrébin d’autrefois, venant
travailler en France, vivant dans l’entre-soi, est finalement plus accepté (dans les limites d’un
contexte et de relations coloniales) que les jeunes à qui l’on rappelle en permanence qu’ils
sont « issus de l’immigration », alors qu’ils sont nés en France, de parents souvent nés en
France, qu’ils ont connu l’école de tous, écoutent les mêmes musiques que leurs pairs… Et le
discours tenu à et sur ces jeunes, c’est qu’ils ne sont jamais assez intégrés, qu’ils doivent en
permanence prouver qu’ils le sont, toujours suspects, toujours « illégitimes » pour reprendre
les termes de Sayad.
On pourrait aussi gloser sur le fait que les pratiques communautaires de certains groupes sont
plus acceptées que celles d’autres groupes, que l’on reste longtemps « issu de l’immigration »
ou non en fonction de son origine nationale, que des confusions sont fréquentes - et
inquiétantes - entre « communautaire » et « communautariste »…