Synthèse
Aspects cliniques
de la dépression du sujet âgé
PATRICK FRÉMONT
Centre Hospitalier de Lagny,
Marne-la-Vallée
Résumé. La dépression est la pathologie psychiatrique la plus fréquente du sujet âgé. Elle
représente une cause importante de dépendance. Son pronostic spontané est marqué par
une importante morbidité physique, le risque suicidaire et la chronicité. La dépression
retentit de manière importante sur la qualité de vie des patients. Elle représente aussi un
facteur important de coût en matière de dépense de santé. En effet, les patients déprimés
sont plus souvent hospitalisés et recourent plus souvent aux services médicaux que les
autres, sans toutefois être mieux traités pour leur dépression. Tous les auteurs insistent sur
la nécessité d’améliorer son diagnostic afin de proposer une prise en charge adaptée. Une
des causes du sous-diagnostic actuel tient moins à la spécificité de la dépression du sujet âgé
qu’à l’attitude des cliniciens face au vieillissement. Si les différents guidelines récents
insistent tous sur le caractère indépendant de l’âge des critères diagnostiques de la dépres-
sion, sa présentation chez le sujet âgé et des facteurs propres au vieillissement interfèrent
avec sa reconnaissance. Parmi ces facteurs, il faut souligner l’importance des plaintes
somatiques, des troubles cognitifs et des troubles anxieux. Enfin, si la dépression ne fait pas
partie du processus normal de vieillissement, vieillir s’accompagne de situations favorisant
sa survenue comme, en particulier, le deuil. La distinction entre ce qui relève du deuil et ce
qui est de l’ordre d’une dépression nécessite une approche clinique rigoureuse.
Mots clés : sujet âgé, dépression, guideline, deuil pathologique
Summary. Depression is the most frequent psychiatric disorder in the aged and a major
cause of dependence. Its prognosis is poor on account of its consequences on physical
health, the risk of suicide and of chronic evolution. It severely impairs the quality of life of the
patients and makes a major contribution to the cost of public health since depressed subjects
are hospitalized and use medical care more frequently than non depressed patients. Howe-
ver, they do not receive proper treatment for their depression. There is a large agreement on
the necessity to improve the diagnosis of depression in the aged and to provide its adequate
management. The difficulty of its diagnosis is not related to some specificity of depression
but to the attitude of physicians toward aging. The recent guidelines for the diagnosis of
depression insist on the indepency of the criteria regarding to age. The specificity of
depression in the aged is only related to some clinical aspects and factors related to aging
which interfer with its recognition, especially significant somatic complaints, cognitive
disturbances and anxiety. Depression is no part of normal aging, but many risk factors are
associated with aging, especially bereavement. A close clinical approach is required to
distinguish depression from bereavement.
Key words: elderly, depression, guideline, patholgical bereavement
Les troubles cognitifs interviennent pour une
large part dans la dépendance des sujets âgés,
d’où l’intérêt actuel qui leur est porté. Mais
au-delà des troubles cognitifs, les symptômes psychia-
triques représentent eux aussi un poids extrêmement
important et constituent un des facteurs principaux mo-
tivant l’entrée en institution. Ils sont également un motif
fréquent de demande de soins et d’intervention spécia-
lisée. Dans ce contexte, la dépression est la pathologie
psychiatrique la plus fréquemment rencontrée. Elle est
pourtant largement sous-diagnostiquée et sous-traitée
comme le confirme l’ensemble des études [1, 2].
La dépression retentit de manière importante sur la
qualité de vie. La personne âgée déprimée tend à s’iso-
ler, à éviter les contacts sociaux, ce qui ne fait qu’aggra-
ver ses troubles. Le pronostic de la dépression,
lorsqu’elle n’est pas traitée, est mauvais. Il est marqué
par le risque important de passage à l’acte suicidaire,
l’augmentation de la morbidité physique et une évolu-
tion associée à une grande fréquence de chronicité ou
de rechutes [3, 4].
La méconnaissance de la dépression doit également
être mise en parallèle avec son poids économique et ses
conséquences. Les patients déprimés sont en effet plus
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souvent hospitalisés et ils utilisent plus fréquemment
les services médicaux que les autres, mais ils ne sont
pas mieux traités pour leur dépression pour cela [5].
Ces dernières années, une importante littérature et
plusieurs guidelines [6, 7] ont été consacrés à ce sujet.
Par exemple, un article récent y consacre une revue de
295 publications [4]. Les questions posées par la dé-
pression du sujet âgé, en dehors du traitement, portent
essentiellement sur sa définition clinique et sur sa spé-
cificité. Il est à noter que la nouvelle édition révisée du
DSM-IV, le DSM-IV-TR [8], tient compte de cette évolu-
tion et introduit des remarques particulières concernant
le sujet âgé.
Nous présenterons d’abord les grands cadres dia-
gnostiques en nous référant essentiellement au DSM-IV
et aux guidelines parus sur le sujet [6, 7]. Nous aborde-
rons ensuite la clinique de la dépression et ses particu-
larités chez le sujet âgé.
Les cadres diagnostiques
de la dépression
La dépression majeure
La plupart des auteurs soulignent actuellement le
caractère indépendant de l’âge des critères de la dé-
pression majeure (ou caractérisée). Les guidelines sont
affirmatifs : « La dépression majeure est le même trou-
ble à tous les moments de la vie, les critères sont donc
identiques » [6, 7]. Ils renforcent le propos en affirmant :
« Il y a peu d’arguments pour l’existence d’un sous-type
de dépression majeure spécifique du sujet âgé ».
La nuance porte plus sur les facteurs susceptibles
d’interférer avec la présentation clinique comme l’ex-
pression moins spontanée de la tristesse, la place des
plaintes somatiques, l’importance de l’anxiété associée,
l’apathie et la démotivation ainsi que les troubles cogni-
tifs.
La définition de la dépression majeure reste donc la
même (encadré 1), nécessitant l’existence de deux
symptômes de premier rang et de quatre symptômes
de deuxième rang persistant pendant au moins deux
semaines. La qualification en modérée ou sévère est
indépendante de l’âge, si le sujet âgé n’a pas de patho-
logie somatique associée susceptible d’interférer.
Le DSM-IV-TR [8] souligne toutefois : « Il semble que
les caractéristiques mélancoliques soient plus fréquen-
tes chez le sujet âgé. » Cette propension à délirer du
sujet âgé et l’association fréquente du délire avec la
dépression ont été rapportées dans de nombreuses
études [4]. La dépression délirante serait présente chez
20 à 45 % des sujets âgés déprimés hospitalisés et 3,6 %
des patients déprimés ambulatoires [9]. La question
reste néanmoins entière de savoir si le délire doit être
considéré comme un critère de gravité, comme chez le
sujet plus jeune.
Dépression mineure,
dépression sub-syndromique
La dépression mineure ne fait pas, à proprement
parler, partie des critères diagnostiques du DSM-IV. Elle
est intégrée dans les critères utiles pour la recherche et
dans la catégorie « trouble dépressif non spécifié ». Le
trouble dépressif mineur est défini par l’existence de
moins de cinq symptômes de la dépression majeure,
mais exige la présence d’au moins deux d’entre eux et
une durée d’au moins deux semaines.
Cette notion de dépression mineure a été reprise par
la plupart des auteurs et par tous les guidelines [4, 6, 7],
car elle est considérée comme particulièrement perti-
nente en ce qui concerne le sujet âgé. Elle serait la forme
la plus fréquente des dépressions du sujet âgé (2 fois
sur 3). Elle connaît les mêmes facteurs de risque et le
même retentissement négatif que la dépression ma-
jeure et entraîne les mêmes complications. Elle est
fréquemment associée à des pathologies somatiques.
Toutefois, elle peut présenter des symptômes particu-
liers au sujet âgé comme la démotivation, les troubles
de la concentration et les difficultés cognitives.
Dépression majeure et dépression mineure ne cons-
titueraient pas deux sous-types différents, mais feraient
partie d’un continuum. Certains auteurs [10] ont pro-
posé la notion de dépression sub-syndromique, qui est
plus floue puisqu’il s’agit de distinguer des situations
cliniques dans lesquelles les symptômes dépressifs ne
remplissent pas les critères DSM-IV de dépression ma-
Points clés
+Les critères diagnostiques de dépression majeure
(ou caractérisée) sont indépendants de l’âge. En re-
vanche, les présentations mélancoliques et déliran-
tes sont beaucoup plus fréquentes chez le sujet âgé.
+La notion de trouble dépressif mineur (défini par
l’existence de moins de cinq symptômes de la dé-
pression majeure) semble particulièrement perti-
nente chez le sujet âgé.
+Contrairement à une idée trop largement répan-
due, l’obstacle principal au diagnostic de la dépres-
sion tient probablement moins à ses particularités
cliniques qu’à l’attitude des médecins face au vieillis-
sement, surtout après 80 ans.
P. Frémont
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jeure ou de dysthymie. En maison de retraite, ces situa-
tions auraient une prévalence de 50 %. Ces dépressions
sub-syndromiques sont associées à un risque impor-
tant d’évolution vers une dépression majeure, une dé-
pendance physique, une maladie somatique et une uti-
lisation importante des services de santé. Elles
comportent également le risque d’évoluer vers la chro-
nicité.
Dépression sub-syndromique et dépression mi-
neure recouvrent les mêmes réalités, mais il faut se
garder d’une approche trop extensive. Certains auteurs
évoquent ainsi une dépression sans tristesse associant
uniquement apathie, retrait et perte d’énergie [4].
La question de l’intérêt et de la pertinence de ce type
d’approche repose sur la mise en route et le choix d’un
traitement. Par ailleurs, il existe un risque important de
confusion, notamment avec l’apathie des affections dé-
mentielles.
La dysthymie
La dysthymie est à mettre à part : elle est caractéri-
sée dans le DSM-IV par sa durée, au moins deux ans, et
par la présence de deux des symptômes caractérisant la
dépression majeure. La définition insiste sur son carac-
tère de trouble chronique au long cours. Il était habituel
de considérer qu’elle débutait rarement chez le sujet
âgé, mais plutôt chez un sujet d’âge mûr et évoluant de
manière chronique lors de son vieillissement [11].
Cette notion doit cependant être révisée [4]. La dys-
thymie serait, en fait, plus fréquemment observée chez
les patients âgés avec comme caractéristiques : l’âge
avancé, le sexe masculin, le tabagisme, un bas niveau
d’éducation, une consommation de plus de deux médi-
caments et un niveau de fonctionnement affaibli. La
grande majorité des sujets dysthymiques se présentent
au médecin généraliste avec des symptômes anxio-
dépressifs et sont donc vus en priorité par celui-ci et non
par le spécialiste.
D Les symptômes ne sont pas imputables aux ef-
fets physiologiques d’une substance (par exemple,
une substance donnant lieu à abus, un médicament)
ou d’une affection médicale générale (par exemple,
hypothyroïdie).
E – Les symptômes ne sont pas mieux expliqués par
un deuil, c’est-à-dire après la mort d’un être cher, les
symptômes persistent pendant plus de deux mois ou
s’accompagnent d’une altération marquée du fonc-
tionnement, de préoccupations morbides, de dévalo-
risation, d’idées suicidaires, de symptômes psycho-
tiques ou de ralentissement psychomoteur.
Encadré 1
Critères de diagnostic de l’épisode dépressif
majeur [8]
A – Au moins cinq des symptômes suivants doivent
être présents pendant une période d’une durée de
deux semaines et avoir représenté un changement
par rapport au fonctionnement antérieur ; au moins
un des symptômes est soit (1) une humeur dépres-
sive, soit (2) une perte d’intérêt ou de plaisir.
NB : ne pas inclure des symptômes qui sont imputa-
bles à une affection médicale générale, à des idées
délirantes ou à des hallucinations non congruentes à
l’humeur.
1. Humeur dépressive présente pratiquement toute
la journée, presque tous les jours, signalée par le
sujet (par exemple, se sent triste ou vide) ou obser-
vée par les autres (par exemple, pleurs).
2. Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour
toutes ou presque toutes les activités pratiquement
toute la journée, presque tous les jours (signalée par
le sujet ou observée par les autres).
3. Perte ou gain de poids significatifs en l’absence de
régime ou diminution ou augmentation de l’appétit
presque tous les jours.
4. Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours.
5. Agitation ou ralentissement psychomoteur pres-
que tous les jours (constaté par les autres, non limité
à un sentiment subjectif de fébrilité ou de ralentisse-
ment intérieur).
6. Fatigue ou perte d’énergie presque tous les jours.
7. Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité ex-
cessive ou inappropriée (qui peut être délirante)
presque tous les jours. (Pas seulement se faire grief
ou se sentir coupable d’être malade).
8. Diminution de l’aptitude à penser ou à se concen-
trer ou indécision presque tous les jours (signalée
par le sujet ou observée par les autres).
9. Pensées de mort récurrentes (pas seulement une
peur de mourir), idées suicidaires récurrentes sans
plan précis ou tentative de suicide ou plan précis
pour se suicider.
B Les symptômes ne répondent pas aux critères
d’épisodes mixtes.
C Les symptômes induisent une souffrance clini-
quement significative ou une altération du fonction-
nement social, professionnel ou dans d’autres do-
maines importants.
Aspects cliniques de la dépression
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La dysthymie constitue un facteur de risque impor-
tant de dépression majeure [6, 7] et est fréquemment
associée aux pathologies somatiques.
Dépression et trouble bipolaire
La pathologie bipolaire débute rarement chez le su-
jet âgé. La dépression s’inscrit le plus souvent dans une
pathologie connue et évoluant depuis plusieurs années.
Elle a, le plus souvent, les caractéristiques d’un épisode
dépressif majeur. La plupart des auteurs soulignent sa
gravité en termes de morbidité associée et de pronostic
[4, 6, 7].
Clinique de la dépression et
ses particularités chez le sujet âgé
Les obstacles au diagnostic de la dépression
chez le sujet âgé
Contrairement à une idée trop largement répandue
[12], l’obstacle principal au diagnostic de la dépression
chez le sujet âgé tient probablement moins à ses parti-
cularités cliniques qu’à l’attitude des médecins face au
vieillissement qui ont tendance à assimiler tristesse à
vieillesse, surtout après 80 ans. C’est pourquoi tous les
guidelines commencent par cette affirmation : « La dé-
pression ne fait pas partie du processus normal de
vieillissement » [6, 7]. L’attitude projective qui tend à
considérer un sentiment de tristesse, voire un désir de
mort, comme normal lorsqu’il est exprimé par un sujet
âgé qui présente par ailleurs des troubles somatiques
ou des conditions de vie difficiles, doit donc être large-
ment remise en question.
D’autres signes cliniques sont aussi souvent mis sur
le compte du vieillissement : ainsi l’asthénie devient
une fatigue largement compréhensible qui explique le
ralentissement, et l’insomnie est considérée comme
une perturbation du sommeil « banale » chez le sujet
âgé. La perte de poids est attribuée au grand âge,
beaucoup de sujets âgés négligeant les courses, per-
dant l’habitude de se faire à manger, n’ayant plus de
plaisir à manger, ayant des problèmes dentaires. Les
plaintes somatiques [13], si elles sont trop importantes,
risquent d’être banalisées et la source de contre-
attitudes négatives. Quant aux plaintes cognitives, elles
sont soit mises sur le compte d’une démence débutante
soit considérées comme normales !
La dépression doit donc faire partie des diagnostics
qui doivent être systématiquement évoqués et recher-
chés [4, 6, 7].
Spécificités cliniques de la dépression
chez le sujet âgé
Le tableau clinique de la dépression majeure après
65 ans est souvent caractéristique. L’humeur est triste
en intensité et en durée, le ralentissement domine, mais
une agitation anxieuse peut apparaître. On observe une
altération de l’appétit, du sommeil et de la libido, des
difficultés de concentration, un vécu pénible et doulou-
reux, une péjoration de l’existence avec une fréquente
idéation suicidaire, une importante anhédonie et une
perte de l’élan vital. Il existe aussi une asthénie intense
dans un contexte de douleur morale. Il faut également
souligner l’importance des fréquentes variations nyc-
thémérales qui constituent une bonne aide au diagnos-
tic. La symptomatologie est plus marquée le matin et
tend à s’améliorer en fin de journée, tout particulière-
ment l’asthénie.
Les deux signes fondamentaux de la dépression, la
douleur morale et le ralentissement, posent cependant
souvent des problèmes de reconnaissance. En effet, le
ralentissement peut être lié au vieillissement et la dou-
leur morale est moins souvent spontanément expri-
mée. Elle est aussi parfois confondue avec des positions
existentielles sur la mort, la vieillesse.
Pour mieux préciser les spécificités de la présenta-
tion clinique de la dépression du sujet âgé, il est habituel
Tableau I. Symptômes de la dépression du sujet âgé.
Table I. Clinical symptoms of depression in the elderly.
Symptômes indépendants de l’âge
Désespoir, pessimisme, perte de l’anticipation
Troubles de l’humeur, anxiété
Mésestime de soi
Anhédonie
Anorexie, amaigrissement, troubles du sommeil
Ralentissement psychomoteur
Symptômes plus souvent présents chez le sujet jeune
Culpabilité
Expression de la douleur morale
Baisse de l’efficacité dans les actes de la vie sociale
et professionnelle
Baisse de la libido
Idéation suicidaire
Symptômes spécifiques à la personne âgée
Instabilité, agressivité, colère
Somatisations, hypocondrie
Démotivation, ennui, sensation douloureuse de vide intérieur
Repli sur soi, isolement
Angoisse matinale
Confusion
Dépendance
Troubles mnésiques allégués
Impression d’inutilité, suicides programmés et réussis
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[14] de séparer les symptômes en trois catégories : ceux
qui sont présents indépendamment de l’âge, ceux qui
sont observés surtout chez les sujets jeunes et ceux qui
sont plus particuliers au sujet âgé. Ces catégories sont
résumées dans le (tableau I).
L’importance des plaintes somatiques
Parmi les symptômes entrant dans le cadre du syn-
drome dépressif chez le sujet âgé, la dimension soma-
tique est à mettre au premier plan. Il existe un consen-
sus [13, 15-17] pour dire que la dépression du sujet âgé
se présente souvent avec une dimension somatique
importante : 60 % des patients âgés déprimés ont des
plaintes somatiques qui peuvent se substituer à l’ex-
pression de la tristesse. La dépression peut, dans cer-
tains cas, prendre le masque d’une pathologie organi-
que et donner lieu à des examens divers. Seules 6 % des
dépressions « masquées » seraient identifiées. Les
plaintes les plus fréquemment rencontrées sont la fati-
gue, les douleurs tenaces, rebelles, diffuses (articulai-
res, digestives, abdominales ou touchant la sphère ano-
génitale), les troubles de la mémoire et du sommeil. On
observe également des symptômes cardiaques et/ou
respiratoires, une constipation, une anorexie. L’absence
d’amélioration durable est la règle, même avec un trai-
tement bien conduit. Cette présentation somatique fré-
quente des états dépressifs a amené les cliniciens à
proposer la notion de « dépression masquée » [18] ou
d’équivalent dépressif pour décrire les situations dans
lesquelles la plainte physique est au premier plan du
tableau clinique.
Cette notion de dépression masquée est néanmoins
fortement remise en cause aujourd’hui. Beaucoup
d’auteurs insistent, en effet, sur le fait que la souffrance
psychologique est plutôt méconnue que masquée chez
le sujet âgé déprimé. Il s’agit plus d’un problème d’atti-
tude que de spécificité clinique. L’interférence avec la
reconnaissance de la dépression se produit dans deux
circonstances : lorsque les symptômes physiques ne
sont accompagnés d’aucun symptôme psychique ou
lorsque l’on hésite à les attribuer à la dépression ou à
une maladie somatique associée.
Par ailleurs, l’expression de la dépression chez le
sujet âgé diffère de celui du sujet plus jeune par la
difficulté que les patients ont à exprimer spontanément
leur souffrance morale. L’effet génération est ici impor-
tant : la culture « psy » a commencé avec le baby-boom.
Pour les générations précédentes, la dépression est
perçue comme folie. On parle donc facilement de son
corps à son médecin, beaucoup moins de ses préoccu-
pations psychiques. Par contre, si les bonnes questions
sont posées, les patients y répondent le plus souvent
sans aucune réticence. L’examen clinique doit donc
rechercher systématiquement les signes de la dépres-
sion : humeur dépressive, douleur morale, trouble du
sommeil et de l’appétit, auto-dépréciation, idées suici-
daires.
La place de l’anxiété
L’anxiété est très fréquemment associée [4, 6, 7],
sous forme d’anxiété généralisée et de troubles phobi-
ques. Elle peut toutefois être masquée et évoquer une
agitation hostile chez un vieillard caractériel ou dément.
Le patient ne tient pas en place, va et vient, s’accroche à
ce qui se passe, cherche en vain une réassurance. Cette
prééminence des signes anxieux ne doit pas être un
obstacle au diagnostic. Trop souvent, le clinicien oublie
de rechercher les signes de la dépression et se contente,
devant un tel tableau clinique, d’une prescription d’an-
xiolytique.
Les présentations cliniques
de la dépression du sujet âgé
La dépression du sujet âgé peut prendre différents
aspects cliniques, dont certains sont particulièrement
caractéristiques.
Dépression mélancolique
Au premier rang des présentations cliniques de la
dépression du sujet âgé, on trouve les dépressions
mélancoliques qui imposent une hospitalisation en ur-
gence. Elles sont caractérisées par une symptomatolo-
gie sévère avec prostration et mutisme pouvant évo-
quer, pour certains, un syndrome de glissement. Elles
peuvent se manifester, au contraire, par une agitation et
des troubles du caractère importants. Elles peuvent
représenter l’évolution d’un trouble bipolaire connu ou
en constituer un épisode inaugural. Elles constituent
une urgence thérapeutique du fait du retentissement
somatique rapide et du risque suicidaire.
Dépression délirante
Il faut également insister sur le fait que les dépres-
sions délirantes peuvent être de diagnostic difficile car
elles sont masquées par le délire. Le risque est d’évo-
quer, à tort, une pathologie délirante tardive et de pres-
crire des neuroleptiques. Les idées délirantes les plus
fréquentes sont les idées d’incurabilité, qui se présen-
tent plutôt comme une perte d’espoir, ou les idées de
ruine. Souvent, le vécu délirant peut être persécutif et
congruent à l’humeur car il a une tonalité triste. Cepen-
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