Conduite à tenir devant la découverte dPune tumeur abdominale de

Conduite à tenir devant
la découverte dune tumeur
abdominale de lenfant
Sabine Sarnacki
1,4
, Hervé Brisse
2
, Gudrun Schleiermacher
3
,
François Doz
3,4
1
Service de chirurgie pédiatrique, Hôpital Necker Enfants-Malades, 149 rue de Sèvres,
75015 Paris
2
Département dimagerie, Institut Curie, 26 rue dUlm, 75005 Paris
3
Département doncologie pédiatrique, Institut Curie, 26 rue dUlm, 75005 Paris
4
Faculté de Médecine Paris Descartes
Les tumeurs abdominales de lenfant sont souvent de découverte fortuite. Leur
diagnostic étiologique repose sur une évaluation des données cliniques et radio-
logiques. Il est avant tout nécessaire de préciser la topographie exacte de la
tumeur : rétropéritonéale (rénale ou extra-rénale), intrapéritonéale (hépatique ou
extra-hépatique) ou abdomino-pelvienne. Cette localisation qui oriente déjà le
diagnostic est au mieux précisée par une échographie puis souvent par une IRM
ou un scanner abdomino-pelvien. Les autres explorations sont au mieux menées
en centre spécialisé et permettent de poser rapidement le diagnostic étiologique,
deffectuer le bilan dextension et de caractériser les paramètres biologiques de
la tumeur. La prise en charge des tumeurs abdominales de lenfant est une
urgence qui doit être réalisée en concertation pluridisciplinaire, permettant de
planifier les prochaines étapes diagnostiques et thérapeutiques.
Mots clés : diagnostic, tumeur pédiatrique, abdomen, pelvis
La découverte, souvent fortuite,
dune masse abdominale palpable
chez lenfant nécessite un diagnostic
précis et rapide, car elle est le signe
clinique révélateur le plus fréquent
dune tumeur solide maligne. De plus,
certaines tumeurs bénignes peuvent
également se présenter comme une
masse abdominale. Le diagnostic de
fécalome sur constipation doit être
un diagnostic délimination qui ne
peut être retenu chez lenfant que
dans le cadre dune maladie de
Hirschsprung ou dune maladie neu-
rologique centrale ou périphérique.
La découverte dune masse abdomi-
nale chez lenfant doit donc conduire
systématiquement à la réalisation
dune imagerie non invasive de pre-
mière intention. Celle-ci permet de
préciser la topographie de la masse
et ainsi dorienter le diagnostic étiolo-
gique. Les examens complémentaires
radiographiques, biologiques et, selon
les cas, anatomo-pathologiques, sont
au mieux réalisés en milieu spécialisé
pour aboutir rapidement au diagnostic
étiologique et à la mise en route du
traitement spécifique.
Lors de lexamen clinique, la pal-
pation prudente de labdomen précise
la topographie et les mensurations de
la masse, sa consistance dure, ferme
ou molle, laspect de ses contours
ainsi que lexistence ou non dun
contact lombaire. Il est important de
rechercher si la masse peut être mobi-
lisée ou non, car cela signe une loca-
lisation ovarienne ou mésentérique et
restreint le champ des diagnostics pos-
m
t
p
Tirés à part : S. Sarnacki
doi: 10.1684/mtp.2009.0208
mt pédiatrie, vol. 12, n° 1, janvier-février 2009
Dossier
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sibles. Des symptômes digestifs, urinaires, endocriniens
ou neurologiques doivent être recherchés, car ils peuvent
là encore orienter le diagnostic. Une altération de létat
général avec perte pondérale ou des douleurs osseuses
peuvent témoigner dune maladie métastatique. Certains
signes fonctionnels ou complications orientent sur des
diagnostics spécifiques, de même que certains signes cli-
niques associés à des syndromes de prédisposition à la
survenue de tumeurs (tableau 1).
Le bilan radiologique de première intention doit com-
porter un cliché dabdomen sans préparation (ASP) et une
échographie abdomino-pelvienne. LASP peut orienter le
diagnostic par laspect du refoulement des clartés gazeu-
ses digestives, déventuelles calcifications, des plages
graisseuses, ou une atteinte osseuse (rachidienne, pel-
vienne ou costale). Léchographie est lexamen de pre-
mière intention le plus contributif. Elle permet de :
confirmer le diagnostic de masse ;
affirmer son siège sous-diaphragmatique : certaines
masses médiastinales inférieures comme les neuroblastomes
se présentent parfois comme une masse « abdominale » ;
préciser le plus souvent son origine rétropéritonéale
ou intrapéritonéale,
mettre éventuellement en évidence lorgane dorigine ;
préciser sa nature solide et/ou kystique et/ou calcifiée ;
analyser sa vascularisation (en mode Doppler) ;
mesurer ses trois dimensions ;
apprécier ses rapports avec les organes et vaisseaux
adjacents ;
évaluer lextension locorégionale (vasculaire, gan-
glionnaire, péritonéale) voire métastatique (foie, surrénales).
Ces explorations cliniques et radiologiques simples
conduisent le plus souvent à un premier diagnostic topo-
graphique de la tumeur intra-abdominale :
rétropéritonéale : rénale ou extra-rénale (surrénale,
notamment) ;
intrapéritonéale : hépatique ou extra-hépatique
(mésentère, péritoine, ovaires) ;
abdomino-pelvienne : à point de départ pelvien
(appareil génito-urinaire, sacrum, espace présacré).
Certaines tumeurs sont rares et ne seront décrites que
dans le tableau 2.
Après cette première orientation, des examens radio-
logiques (scanner ou IRM) et biologiques plus ciblés sont
réalisés, permettant le plus souvent de faire le diagnostic
étiologique. Dans le cas contraire, il peut être indiqué de
réaliser une cytoponction et/ou une ponction-biopsie de
la masse tumorale. Lobtention de matériel tumoral peut
également être nécessaire pour certaines tumeurs dont les
modalités de traitement, et en particulier la chimiothéra-
pie, sont conditionnées par les résultats de lanalyse bio-
logique de la tumeur. Ces prélèvements tumoraux sont
réalisés en milieu spécialisé sous contrôle échographique
ou scanner, le plus souvent sous anesthésie générale. Il est
Tableau 1. Circonstances de découverte dune tumeur abdominale chez lenfant
Signes cliniques Diagnostic évoqué
1. Découverte fortuite dune masse abdominale
2. Douleurs abdominales et/ou fièvre
3. Complications latrices :
Hémorragie interne par rupture tumorale T rénale : néphroblastome
Hypertension artérielle T rétropéritonéale avec compression du pédicule rénal. Phéochromocytome
(rare)
Compression médullaire Neuroblastome avec extension intra-rachidienne en sablier
Retentissement sur le haut appareil urinaire T abdomino-pelviennes
4. Symptômes associés à la tumeur pouvant orienter le diagnostic
étiologique :
Altération de létat général ± douleurs osseuses Neuroblastome métastatique ; Lymphome
Hématurie T nale ; T abdomino-pelvienne avec envahissement vésical
Syndrome opsomyoclonique (rare) Neuroblastome
Diarrhée acqueuse (rare) Neuroblastome avec hypersecrétion de VIP
Hypercalcémie (rare) T rhabdoïde rénale, lymphome
Signes endocriniens (rares) : virilisation, féminisation, puberté précoce Corticosurrénalome ; T des cordons sexuels
5. Syndromes prédisposants à la tumeur :
WAGR, Denys-Drash, hémihypertrophie Nephroblastome
Wiedemann-Beckwith Néphroblastome, Hépatoblastome, Rhabdomyosarcome
Neurofibromatose de type I (débattu) Neuroblastome, Phéochromocytome, Rhabdomyosarcome, neurofibromes
plexiformes
Von Hippel Lindau (type 2) Phéochromocytome, adénocarcinome rénal, angiomyolipome rénal
Li-Fraumeni Corticosurrénalome, sarcomes
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Tableau 2. Étiologie des masses abdominales chez lenfant
Masses rétropéritonéales Clinique Examens complémentaires
1) Tumeurs rénales
Tumeurs rénales malignes Contact lombaire, hématurie
Néphroblastome Âge 2-5 ans, syndrome de prédisposition Biologie moléculaire
Adénocarcinome juvénile Âge > 10 ans
Tumeur rhabdoïde Hypercalcémie
Sarcome à cellules claires Métastases osseuses
Lymphome Autres localisations
Masses solides bénignes du rein
Néphrome mésoblastique < 6 mois
Cystadénome multiloculaire
Adénome métanéphrique Polyglobulie
Angiomyolipome
Pyélonéphrite chronique, abcès Contexte infectieux
Masses kystiques du rein
Hydronéphrose
Dysplasie multikystique
Polykystose familiale Antécédents familiaux
2) Tumeurs rétropéritonéales extra-rénales
Neuroblastome Envahissement médullaire
Extension endocanalaire en sablier
Syndrome opsomyoclonique
Catécholamines urinaires
Scintigraphie MIBG
Ganglioneuroblastome
Ganglioneurome
Phéochromocytome HTA sévère Catécholamines urinaires
Tumeur germinale maligne AFP, bêtaHCG
Tératomes matures
Sarcomes
Corticoïsurrénalome Signes endocriniens Dosages endocriniens
Adénome surrénalien
Masses intrapéritonéales Clinique Examens complémentaires
1. Tumeurs hépatiques
Tumeurs primitives malignes du foie
Hépatoblastome Syndrome prédisposant AFP
Hépatocarcinome Hépatopathie chronique préexistante AFP
Carcinome fibrolamellaire
(suite)
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Tableau 2 (suite)
Sarcome, rhabdomyosarcome
Hémangiosarcome
Tumeurs bénignes du foie
Adénome Glycogénoses (type 1 ou 3)
Hyperplasie nodulaire focale
Hamartome mésenchymateux
Kyste hydatique Sérologies
Hémangioendothéliome infantile Rétentissement cardiaque Thrombonie
Tumeurs secondaires du foie
Neuroblastome (Pepper)
Hémopathies malignes
2. Autres tumeurs malignes
3. Tumeurs intra-péritonéales extra-
hépatiques
Autres localisations, signes digestifs
Lymphome malin non hodgkinien
Carcinoïde
Lymphangiome kystique
Duplication digestive
Masses pariétales digestives (polype juvénile,
hématome)
Tumeurs peritonéales (mésothéliome, tumeur
desmoplastique)
Tumeurs spléniques (lymphangiome, kyste
épidermoide, lymphome)
Tumeurs myofibroblastiques inflammatoires
4. Tumeurs abdomino-pelviennes Clinique Examens complémentaires
Tumeurs ovariennes
Tumeurs germinales malignes ± signes endocriniens AFP, bêtaHCG
Tumeur des cordons sexuels signes endocriniens Oestradiol, testosterone, AMH, inhibine B
Lymphome, Leucose
Tératome bénin Ossifications organoïdes
Kyste fonctionnel
Tumeurs du sinus urogénital
Rhabdomyosarcome
Tumeur germinale maligne (vaginale) AFP, bêtaHCG
Tumeurs pelviennes
Tumeurs germinales malignes (sacrococcygienne) AFP, bêtaHCG
Neuroblastome pelvien Catécholamines urinaires, MIBG
(suite)
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important de discuter au préalable avec les oncologues
qui vont avoir en charge lenfant de lopportunité de
réaliser dans le même temps un bilan dextension (myélo-
gramme, biopsie médullaire, ponction lombaire) et/ou de
poser une voie dabord centrale. Il est en outre fondamen-
tal de sassurer de la représentativité des prélèvements
effectués par un examen extemporané (cellules non nécro-
sées) et de réaliser la congélation dune partie des prélève-
ments pour une étude en biologie moléculaire. Certaines
tumeurs nécessitent en outre dêtre transmises à létat frais
au laboratoire pour mise en culture (lymphomes).
Dans tous les cas, le message qui va être délivré à
lenfant et surtout aux parents au moment de la décou-
verte de la masse abdominale est essentiel car il va sim-
primer pour plusieurs mois, voire plusieurs années, dans
lesprit de la famille, quel que soit le discours qui sera
tenu par la suite par les spécialistes de la tumeur. Il est
donc impératif de mesurer ses propos, de rester très pru-
dent sur le diagnostic précis et surtout sur le pronostic tant
que le bilan complet na pas été réalisé. La meilleure stra-
tégie est probablement de contacter demblée léquipe
médicale qui aura en charge lenfant afin de convenir
avec elle de linformation qui peut être donnée à cette
étape du diagnostic. Les équipes habilitées à prendre en
charge les tumeurs pédiatriques sont le plus souvent orga-
nisées en réseaux locorégionaux et affiliées à la Société
Française de Lutte contre les Cancers de lEnfant et de
lAdolescent (SFCE)
1
.Cest au sein de cette société
savante que les stratégies thérapeutiques sont établies et
les résultats évalués et discutés au niveau européen et
international.
Masses rétropéritonéales
(environ 2/3 des cas)
Léchographie abdominale qui est réalisée devant la
découverte dune masse abdominale permet le plus sou-
vent de déterminer si la tumeur est rétro ou intrapérito-
néale. Ceci pourra être précisé sur le scanner ou lIRM
qui est le plus souvent réalisé pour préciser le diagnostic
et faire le bilan dextension. Lorsque la topographie rétro-
péritonéale de la masse est affirmée, on sattache alors à
savoir si elle est intra- ou extrarénale.
Tumeurs rénales
La tumeur rénale la plus fréquente de lenfant est le
néphroblastome, aussi appelé tumeur de Wilms. Elle
représente 5,9 % des cancers observés chez les enfants
de moins de 15 ans. Lincidence annuelle est estimée à
7,8 nouveaux cas par an et par million dhabitants de
moins de 15 ans en France [1]. Il sagit dune tumeur déri-
vée de cellules précurseurs rénales embryonnaires pluri-
potentes. Elle survient classiquement entre 2 et 5 ans et est
le plus souvent découverte à loccasion dun examen sys-
tématique fait par le pédiatre. Elle peut également être
révélée par une hématurie ou un syndrome douloureux
abdominal qui doit faire craindre une hémorragie intratu-
morale, rétropéritonéale, voire une rupture intrapérito-
néale. Dans tous les cas, il faut rechercher une hyperten-
sion artérielle associée (dorigine vasculorénale) pour
pouvoir rapidement la traiter. Léchographie retrouve
généralement une masse rétropéritonéale volumineuse,
bien limitée, souvent hétérogène, avec des zones liqui-
diennes et tissulaires, bordée par un éperon de paren-
chyme rénal sain confirmant son siège intrarénal. Le rein
controlatéral doit être exploré à la recherche dune
tumeur bilatérale ou de lésions de néphroblastomatose
Tableau 2 (suite)
Rhabdomyosarcome
Tumeurs mesenchymateuses malignes
Masses kystiques médianes (chez une fille)
hydro ou hématométrocolpos (duplication
mullerienne, atrésie vaginale)
Période prépubaire
Imperforation hyménéale
5. Tumeurs de la paroi abdominale
Rhabdomyosarcome
Tumeurs mesenchymateuses malignes
Sarcome dEwing
PNET
1
http://www.sfpediatrie.com/fr/groupes-de-specialites/sfcancerenfant.
html.
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