pratique pratique démarche qualité La larvothérapie, une nouvelle prise en charge des détersions de plaies En orthopédie-traumatologie, à Poitiers, une équipe infirmière a mis en œuvre les moyens nécessaires pour que les patients concernés par des difficultés de cicatrisation de plaies complexes, avec présence de fibrine ou de nécrose, puissent bénéficier, s’ils le souhaitent, des bienfaits de la technique ancestrale de larvothérapie. Explications. 38 © Zoobiotic Ltd Bridgent L a larvothérapie recouvre l’em- • La détersion. En sécrétant des enzyploi délibéré de la procréation mes protéolytiques, les larves liquéfient la naturelle de la mouche Lucilia nécrose ou la fibrine et éliminent le tissu sericata. En effet, les larves de nécrosé en l’ingérant. La détersion mécacette mouche se nourrissent nique a lieu par grouillement sur le lit de la exclusivement de tissus morts. L’emploi plaie et dilacération mandibulaire. de larves pour nettoyer les plaies est utilisé • L’effet anti-microbien. Les larves depuis des milliers d’années chez les abo- sécrètent des substances anti-bactérienrigènes australiens et en 1557, Ambroise nes (ammoniaque, carbonate de calcium) Paré observe que la présence de larves qui alcalinisent la plaie. Il devient donc d’insectes semblait avoir difficile, voire impossible, empêché la suppuration de pour les bactéries de coloLorsque le patient plaies vieilles de plusieurs niser les tissus. accepte e jours. Au XX siècle, William • Stimulation du tissu un pansement Baer, professeur de chirurde granulation. Les sécrégie orthopédique aux Étatstions produites par les de larves, Unis, soigna deux blessés larves stimulent la croisil devient acteur de guerre atteints de fracsance des fibroblastes chez de son traitement ture ouverte du fémur en l’homme. La prolifération recouvrant leurs plaies cellulaire est accélérée lors étendues de larves1. Bien que supplan- de l’utilisation de larves. tée par l’apparition des antibiotiques, la larvothérapie suscite de nouveau l’intérêt Projet de service pour sa simplicité et son efficacité, mais également du fait de l’augmentation de la C’est dans le cadre d’un congrès “plaies et cicatrisations” que les infirmières du service résistance aux antibiotiques. orthopédie traumatologie du CHU de PoiPrincipes tiers (86) ont découvert la larvothérapie. La de la larvothérapie similitude des plaies présentées avec celles rencontrées dans leur service les ont ameLa détersion, l’activité antimicrobienne et nées à penser que la larvothérapie pouvait la stimulation du tissu de granulation sont être nécessaire à la guérison de certaines les principaux mécanismes de plaies. En effet, des retards ou Notes circulation apportés par la larve difficultés de cicatrisation de 1 Source : www. larvothérapie.com. de mouche Lucilia sericata. plaies complexes, dus à la pré- Le sachet de larves est apposé directement sur la plaie, nettoyée et débarrassée de toute trace de produits précédemment employés. sence de fibrine et/ou de nécrose mais également à la douleur engendrée par les détersions mécaniques, mettaient à mal l’équipe soignante. Avec l’accord du chef de service, le soutien de l’équipe chirurgicale et du cadre de santé, le projet de larvothérapie a pu voir le jour. Jusqu’alors, cinq patients ont pu en bénéficier. Vaincre les réticences Les larves ou asticots sont généralement associés à la pourriture et à la mort. Il est donc nécessaire de communiquer auprès de l’ensemble de l’équipe afin de vaincre les réticences. Sous forme de réunions d’information organisées dans le service, les connaissances ont été partagées avec l’ensemble du personnel. Tenir un discours clair et uniforme est important pour une meilleure prise en charge du patient. La revue de l’infirmière • Octobre 2009 • n° 154 pratique pratique Diminuer le temps de détersion en complément d’un pansement à pression négative Voici une étude de cas dans un contexte d’utilisation d’un sachet de larves chez un patient souffrant d’une plaie post-traumatique fibrineuse. © Service communication CHU de Poitiers cas concret démarche qualité J17 : Plaie avant la larvothérapie. M. X a été admis dans le service orthopédietraumatologie suite à une morsure de chien au niveau du pied droit. Cette morsure a entraîné une fracture du quatrième métatarsien, des plaies multiples sur les faces interne et externe et sur la plante du pied, ainsi qu’une perte de substance au niveau de la face externe du pied. Le traitement a nécessité deux poses et a entraîné une diminution progressive de la fibrine et de la nécrose jusqu’à disparition totale. La plaie devenue bourgeonnante a été retrouvée réduite en largeur et en profondeur. À J26, le patient a pu bénéficier d’une greffe. © Service communication CHU de Poitiers Les soins post-opératoires immédiats concernant la perte de substance cutanée ont été réalisés avec de l’alginate puis par pansement à pression négative et de nouveau de l’alginate. Devant l’absence d’amélioration et à l’apparition de fibrine et de nécrose, il a été décidé à J17 de tenter l’utilisation de larves. J17 : Plaie avant la larvothérapie. © Service communication CHU de Poitiers M. X témoigne : « Quand le chirurgien et l’infirmière m’ont proposé ce traitement avec des larves, j’ai été surpris et intrigué par cette technique. Après des explications claires et un délai de réflexion, j’ai accepté cette aventure. J’ai été très attentif à ces “demoiselles chirurgiens” et à chaque surveillance, je suivais l’évolution de la plaie. Au bout de deux jours, j’ai vu diminuer la fibrine. Je n’ai ressenti aucune douleur ni aucune gêne. Ma seule préoccupation était de faire attention à ne pas les écraser ! Au bout de sept jours, ma plaie était bien rouge, débarrassée de la fibrine. J’ai pu bénéficier d’une greffe et sortir dans les jours suivants. » J26 : La larvothérapie a réduit les plaies en largeur et en profondeur. Le patient peut bénéficier d’une greffe. Mise en place d’un classeur référentiel Un document de référence a été rédigé en interne pour le service de soins bénéficiaire de la nouvelle technique ainsi que pour la pharmacie où une personne était chargée du suivi du projet. Des éléments La revue de l’infirmière • Octobre 2009 • n° 154 utiles pour la commande, l’application et la surveillance ont été réunis dans un classeur référentiel qui a évolué avec la mise en place de la technique dans le service (tableau). La réévaluation du système a engendré la création d’unités de mesure de la plaie (réglettes), la création de gabarits pour les sachets de larves ainsi que l’ajout d’une feuille comprenant un code couleur pour évaluer celle de la plaie. Un classeur nominatif pour chaque patient bénéficiant de ce pansement a été créé. 39 pratique pratique démarche qualité Préparation de la plaie Il convient de nettoyer la plaie à l’eau et au savon 24 à 48 h avant la pose de larves. Il est important de ne laisser aucune trace ni résidu des produits précédemment employés. Lors de la pause du sachet de larves, le pourtour de la plaie est protégé avec une pâte à l’eau (car l’exsudat produit par les larves peut être “corrosif” pour la peau saine). Limites Les troubles de la coagulation peuvent représenter un frein à l’utilisation de la technique de la larvothérapie, ainsi que la localisation de la plaie à proximité d’un orifice ou d’un gros vaisseau. Implication du patient dans son projet thérapeutique Lorsque nous proposons un pansement de larves à un patient, nous lui fournissons évidemment les informaLa détersion Surveillance tions nécessaires, nous Dans le service, a été mise répondons à ses quesmécanique se fait en place une surveillance tions et nous lui laissons par grouillement par équipe trois fois par un temps de réflexion sur le lit de la plaie 24 h, afin d’apprécier la adapté à sa convenance. et dilacération vivacité des larves, la quanCe temps est nécessaire mandibulaire tité d’exsudat et la qualité car son accord l’implique de la peau périlésionnelle. et le responsabilise dans le choix du pansement. Il s’engage alors Évaluation dans cette thérapeutique en signant un L’évalutation porte sur : document de consentement. De ce fait, mais également parce qu’il – la superficie de la plaie ; doit être attentif aux larves qui sont des – l’amélioration de l’état de la plaie, grâce êtres vivants, son implication dans l’évoà une grille colorielle ; lution de la plaie s’en trouve renforcée. – l’appréciation de la douleur au moyen Entre le soignant et le patient se crée une d’une échelle numérique ; relation de partage beaucoup plus mar– et la reconduction éventuelle du traitequée et le patient est acteur de sa prise ment par le chirurgien. en charge. Procédure avant la larvothérapie Protocole d’utilisation des larves Autorisation temporaire d’utilisation délivrée par l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) Préparation de la plaie (nettoyage, protection du pourtour) Information et autorisation écrite du patient (création d’un formulaire) Pose du sachet de larves Information à la famille Surveillance (mesure des plaies, évolution de la nécrose, présence de fibrine…) Prescription médicale Évaluation témoignage Protocole d’utilisation Une expérience réalisée grâce à la persévérance des infirmières « L’expérience du service de chirurgie orthopédique et traumatologique du CHU de Poitiers dans l’utilisation de la larvothérapie a été très convaincante depuis sa mise en place. La cible de cette thérapeutique était axée sur les plaies atones et fibrineuses ne répondant pas rapidement aux traitements habituels utilisés selon les protocoles du service. L’expérience a été tout à fait concluante en améliorant rapidement la phase de détersion et en raccourcissant la prise en charge de ces patients. Elle a été possible grâce au dynamisme et à la persévérance de l’équipe infirmière du service. Cette nouvelle technique prendra rapidement sa place dans notre arsenal des protocoles thérapeutiques de prise en charge des plaies et cicatrisations. » Hamid Hamcha, praticien hospitalier, CHU de Poitiers Conclusion Cette technique qui semble prometteuse en orthopédie-traumatologie n’a malheureusement pas encore fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché ni d’un remboursement par la Sécurité sociale. • Myriam Hardy-Rocher infirmière, titulaire du DU plaies et cicatrisations, et l’équipe infirmière du service d’orthopédie-traumatologie, CHU de Poitiers (86) [email protected] Tableau Évaluation par le service et le laboratoire fournissant les pansements 40 La revue de l’infirmière • Octobre 2009 • n° 154