LIBÉRALE OGM Bras de fer mondial pour le principe de précaution Fin janvier 2000, 130 pays se réunissaient à Montréal pour conclure un protocole sur la biosécurité. Enjeu : comment s’assurer que les rapides progrès de la biotechnologie ne produiront pas de risques sanitaires ou écologiques importants. Ce protocole devait établir des règles internationales pour les échanges d’organismes vivants et de produits ayant subi des modifications génétiques. L a négociation sur ces organismes génétiquement modifiés (OGM) dure depuis cinq ans. Il y a un an, les négociateurs réunis à Carthagène, en Colombie, s’étaient séparés sur un échec retentissant. Un petit groupe de pays exportateurs de céréales et de soja y avait bloqué tout accord. Surnommé “groupe de Miami”, il ne compte que cinq pays (Argentine, Australie, Canada, Chili et Uruguay), mais il est soutenu par la première puissance biotechnologique et commerciale de la planète, les États-Unis. Paradoxalement, les Américains sont maîtres du jeu, alors qu’ils n’ont le droit de participer directement ni aux discussions, ni au vote. En effet, le Sénat américain n’a jamais ratifié la Convention sur la biodiversité de 1992, le traité international dont le Protocole sur la biosécurité sera un des éléments. Les États-Unis restent “absolument opposés” aux exigences avancées par les pays africains, selon David Sandalow, secrétaire d’État adjoint aux Affaires scientifiques et à l’Environnement. Ces exigences sont les suivantes : – imposer à tout exportateur de produits agricoles génétiquement modifiés de prévenir au préalable les pays importateurs ; – obtenir le droit de bloquer l’entrée des OGM s’ils estiment qu’ils représentent un danger pour I’environnement ou pour la santé. Ces exigences, selon David Sandalow, “déstabiliseraient le commerce mondial des denrées alimentaires”, ouvrant la porte au protectionnisme. Le secrétaire d’État rejette aussi l’ensemble des “priorités absolues” avancées par les Européens : l’étiquetage et la traçabilité, non seulement des bactéries, animaux ou plantes génétiquement 44 modifiés, mais aussi des produits agricoles ou alimentaires tels que le maïs, le soja ou le coton. De plus en plus de pays manifestent toutefois une prudence croissante dans ce domaine. Que sait-on des OGM ? Dans le maïs manipulé, par exemple, on introduit un gène de résistance à la pyrale du maïs, insecte ravageur. Pour vérifier la réussite de la manipulation génétique, on y a joint un gène “marqueur”, qui est résistant aux antibiotiques. On n’a guère, faute d’études suffisantes, de preuve des risques éventuels. Mais des infectiologues craignent que l’ingestion du gène “marqueur” favorise chez l’homme une résistance aux antibiotiques, laquelle a déjà pris une proportion inquiétante, rendant certaines maladies infectieuses difficiles à juguler et pouvant laisser craindre la réapparition de grandes épidémies. En outre, la possibilité de recombinaisons génétiques à l’intérieur des plantes est évoquée. Ces recombinaisons pourraient susciter l’apparition de molécules toxiques, cancérigènes ou allergisantes. Par ailleurs, les risques environnementaux sont soulignés : diffusion de gènes impossible à contrôler, modification de la faune microbiologique des sols, développement de virus émergents. Les Américains ne veulent surtout pas d’un protocole qui, fondé sur davantage de prudence, prendrait le pas sur l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’OMC interdit toujours de bloquer l’importation de produits dont la nocivité n’a pas été totalement prouvée par “une science solide”. Faute de telles études ou dans l’attente de leurs résultats, tous les risques sont permis. Au contraire, le Protocole sur la biosécu- rité fait du “principe de précaution” la base de la réglementation, ce qui autoriserait le blocage des OGM – comme le fait l’actuel moratoire de l’Union européenne – même si leur toxicité n’a pas été établie. La situation évolue pourtant depuis le fiasco de Carthagène. La méfiance à l’encontre des OGM touche le Mexique, le Japon et d’autres pays, qui ont imposé chez eux l’étiquetage de ces produits. Aux États-Unis, l’opinion s’est saisie du débat. La très notable Food and Drugs Administration (FDA) a dû organiser des réunions publiques. L’EPA (Environmental Protection Agency) vient d’imposer de nouvelles normes pour la culture de maïs Bt (une semence qui produit son propre insecticide), afin d’éviter la destruction d’espèces animales. Des multinationales comme Gerber et Heinz ont fait savoir, en réponse aux inquiétudes des consommateurs, qu’elles n’utiliseront plus d’OGM dans leurs aliments pour bébés. Les agriculteurs eux-mêmes sont de plus en plus réticents à planter des semences OGM, car ils craignent de ne plus pouvoir vendre leur maïs ou leur soja. Aux États-Unis, plus de la moitié du maïs et plus du tiers du soja sont issus de semences modifiées. Selon la Corn Growers Association, les surfaces plantées en maïs Bt pourraient diminuer cette année de 25 %. Rien n’est joué. Des intérêts financiers considérables pourraient peser plus lourd, au bout du compte, que les inquiétudes des consommateurs. Vigilance et rigueur scientifique s’imposent d’autant plus. Marc Blin 45