Bac blanc Théâtre : la dissertation Rappel du sujet : En vous

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Bac blanc Théâtre : la dissertation
Rappel du sujet : En vous appuyant sur le corpus, vos lectures et éventuellement votre expérience de
spectateur, vous direz si la représentation du pouvoir (politique, social, sentimental, familial, etc.) au
théâtre est seulement un divertissement, ou si cela peut présenter d’autres fonctions.
Proposition d’introduction
a) Le théâtre est à la fois texte, spectacle, fiction et représentation des réalités. Il est donc d’abord
« mimesis », c’est-à-dire imitation de la vie. D’autre part, il procure des émotions fortes, nous vivons
par procuration des situations impossibles à rencontrer dans nos vies réelles ordinaires, mais comme il
présente aussi des émotions que nous sommes capables d’éprouver, ou d’imaginer, ou de comprendre,
il est donc aussi « catharsis », c’est-à-dire qu’il est « purgation des passions », selon Aristote.
b) Les situations de pouvoir sont nombreuses dans la vie réelle, on l’a vu dans ce corpus aussi : des rois
ou des tyrans face à leurs peuples, des maris face à des épouses, des pères face à leurs enfants. Quel
sens peut donc prendre la représentation de ces pouvoirs ? Puisque le théâtre est un lieu où l’on va se
détendre, ou s’instruire, ou se cultiver, ou se désennuyer, mais pas un lieu où l’on va voir la vie réelle,
on est bien obligé de se poser la question de cette manière : il faut trouver ce qui peut être purement
récréatif, ou occasion de divertissement sans importance intellectuelle profonde, et ce qui peut nous
faire penser, nous faire prendre des décisions, nous faire remettre en question nos opinions.
c) On essaiera donc d’analyser d’abord dans quelles conditions la représentation du pouvoir peut être
risible, et ce qui peut en découler : le simple amusement, l’indignation ; puis on essaiera de comprendre
si le théâtre peut avoir une portée plus longue ou plus morale : la représentation des excès de pouvoir
est peut-être un moyen de nous faire révolter, ou de nous ouvrir les yeux sur des réalités que nous ne
savons pas décrypter alors même qu’elles nous sont coutumières. On arrivera peut-être alors à montrer
une caractéristique importante du théâtre : sa polyvalence.
Proposition de première partie (arguments simplifiés) : mimesis
Le théâtre représente en imitant, en exagérant/déformant pour faire rire, et en montrant des
défauts, (comique de caractère ou de situation, irrespect)
a) Les marionnettes du théâtre de Guignol, avec le personnage éponyme et celui de Gnafron, en
montrent le degré zéro : un gendarme méchant et bête veut arrêter les deux compères, mais reçoit les
coups de bâton. Comique pour enfants ? Ceux-ci crient de toutes leurs forces pour prévenir Guignol et
lui dire de se cacher, le gendarme est battu et ridiculisé, et pourtant il représente le pouvoir. Les enfants
apprendraient-ils l’anarchie ou l’insoumission sans s’en rendre compte ?
Dans L’Avare, Harpagon est ridicule lorsqu’il demande à son intendant de lui faire voir ses mains, puis
« les autres ». celui-ci lu montre une deuxième fois ses mains, Harpagon est content, le public aussi : sa
bêtise est avérée, c’est un maître qui ne mérite pas de l’être.
Dom Juan ridiculise les deux filles, Charlotte et Mathurine, lorsqu’il leur dit à chacune les mêmes
promesses, dans ce cas on admire inconsciemment son pouvoir mais on rit de la bêtise de ses victimes,
tout comme lorsqu’il séduit Charlotte en lui faisant hausser le col, montrer ses dents, ses mains, et
cetera. Quand Dom Juan frappe son domestique en voulant frapper Pierrot, le fiancé de Charlotte,
encore une fois la victime est ridicule, le maître ne semble pas odieux.
Dans ces situations, pas de morale réelle, le spectateur est même du côté de l’injustice ou de la
méchanceté, ou alors il se moque ouvertement des pouvoirs, sans que cela n’engage sa conscience
profonde dans des réflexions sur la place des gendarmes, le statut des serviteurs, ou le féminisme.
b) Lorsque le Père Ubu est grossier, menace les paysans, se montre à la fois grotesque et violent, le
comique de situation est plus ambigu. L’exagération est si forte qu’on ne croit pas que cela puisse avoir
lieu dans la réalité, et pourtant …
Dans Le soldat fanfaron, Artotrogus joue habilement de la soumission qui le lie à Pyrgopolinice, en
obtenant de la nourriture contre ses flatteries, donc en lui faisant croire à un pouvoir sur lui. Idem pour
Clindor et Matamore dans L’Illusion comique de Corneille. Les apartés sont dans ce cas un procédé
facile de faire comprendre l’insoumission.
Les rapports maître-valet dans Fin de partie, de Becket, montrent un serviteur complètement soumis à
un maître qui détient la combinaison de l’armoire aux provisions, qui l’humilie, et qui lui demande s’il
n’a jamais eu envie de le tuer : la provocation est ici mentale, le pouvoir du maître/père sur le serviteur
n’est pas politique, il n’y a que quatre personnages sur scène, et le valet joue aussi avec le chantage à la
désobéissance car le maître est paralysé et aveugle. Le jeu de scène de Clov, qui a visiblement envie de
tuer Hamm, montre bien ses hésitations : il manipule le fauteuil à roulettes violemment, ment à son
maître, lui jette le chien en peluche sur le visage.
c) Le théâtre représente aussi le pouvoir en le déformant, pour faire peur, et il exhibe des monstres.
Caligula est un pervers cruel qui joue à faire sentir et admettre son pouvoir capricieux à ses hôtes, amis,
sujets. Les comportements de ceux-ci sont l’illustration de l’abaissement humain, et peuvent nous
montrer les limites de l’honneur ou de la politesse, ou de la soumission. La didascalie qui indique que
les personnages « pourront jouer comme des marionnettes » en est la meilleure preuve.
Orgon, dans Tartuffe, devient tyrannique en imposant à sa famille un faux dévot, en lui donnant sa fille,
et son argent, et la monstruosité de Tartuffe fait peur, d’autant qu’il n’est démasqué que par un tour de
passe-passe, le deus ex machina, l’intervention peu crédible du roi. La dénonciation de l’hypocrisie
s’accompagne ici d’une critique des pouvoirs absolus des pères sur leurs enfants, qui leur imposent un
mari ou une épouse, les déshéritent pour un rien.
Agamemnon, dans Iphigénie, sacrifie sa fille pour conserver son pouvoir sur les chefs de la Grèce,
impose ainsi à son épouse une autorité masculine, tout en se montrant soumis aux dieux qui exigent ce
sacrifice. Ici la monstruosité est tragique, comme chez Camus, alors que dans Tartuffe elle s’apparente
au comique dit sérieux.
d) Autres pistes à exploiter : le théâtre montre des situations connues de tous mais que l'on n'a pas
l'habitude de considérer comme des relations de pouvoir.
L’amour passion et possessif, la jalousie, qui fait souffrir un partenaire, une épouse, ou qui oblige à
fuir : Phèdre empêche Hippolyte d’épouser Aricie, elle le dénonce comme incestueux parce qu’il n’a
pas voulu céder à ses avances, et Thésée, le père, punit son fils sans vérifier si les dires de Phèdre sont
sincères.
La jalousie d’Alceste, dans Le Misanthrope, s’exerce comme un pouvoir malsain sur Célimène, qui
finit par refuser son amour. Caprice de coquette, désespoir de misanthrope, couple mal assorti, mais
tentative d’exercer un pouvoir de séduction pour l’une, un pouvoir de sincérité pour l’autre.
La maternité et/ou la paternité abusive peut aussi être un sujet montrant le pouvoir, comme chez
Molière où les pères refusent de donner de l’argent de poche à leurs enfants, et où les serviteurs sont
contraints d’aider les jeunes gens, quitte ensuite à ne pas en recevoir de reconnaissance : dans Les
Fourberies de Scapin, celui-ci bat le chef de famille, l’escroque, mais est battu à son tour. Il n’empêche
que le fils aura triomphé indirectement du pouvoir abusif de son père.
La relation professeur/élève peut être aussi à la limite du comique et du tragique : dans La Leçon,
Ionesco nous montre une élève qui domine le professeur, temporairement, par sa jeunesse, sa prestance,
son bagout, puis devient peu à peu une loque, un jouet, aux mains d’un pervers qui finit par la tuer
après l’avoir dominée, humiliée intellectuellement, et cetera. Le « couteau invisible » avec lequel joue
le professeur, devant les yeux de sa victime, est une représentation paradoxale d’un pouvoir purement
mental, d’une acceptation passive de la jeune fille.
e) Tous ces monstres qui abusent de leur pouvoir peuvent nous laisser seulement une impression
mélangée de comique et de dégoût, sans nous pousser à une réflexion politique, sociale, ou
philosophique. Mais parfois …
Proposition de seconde partie (arguments très simplifiés, exemples rapides) : catharsis
Le théâtre provoque des émotions réactives (révolutionnaires éventuellement), ou fait se défouler
le spectateur, en montrant le tragique du pouvoir mal assumé, le tragique des conséquences de
l'abus de pouvoir, ou les limites théoriques, morales, de tout pouvoir absolu sur autrui. La
dimension spectaculaire reste, mais le contenu est plus riche, ou simplement il provoque des
résonances plus fortes.
a) Brecht, dans La résistible ascension d’Arturo Ui, montre un tyran politique qui règne parce qu’on le
laisse régner (ressemblance de l’argumentation avec La Boétie !). Le Caligula de Camus offre la même
situation : dans un monde où l’assassinat semble très facile, l’empereur se rit de se sujets en leur
rappelant qu’il peut les faire tuer quand il veut. Il les provoque, les fait danser, leur fait dire qu’ils sont
heureux.
L’exemple caricatural a pour fonction ( ?) et pour résultat de faire réfléchir au sens du pouvoir, car les
personnages se posent ces questions sur scène.
b) Dans Huis clos, alors même que les personnages sont morts, ils cherchent à avoir une domination les
uns sur les autres, et leurs confessions rappellent aussi que dans leur vie antérieure, ils le faisaient :
Estelle par sa beauté et son immoralité, Inès par la pression exercée sur Florence, Garcin par son
machisme. En enfer, l’enjeu est différent, mais il s’agit tout de même de s’assurer un ou une allié(e)
contre le troisième personnage, et on en vient à se demander si cela vaut la peine de tant chercher le
pouvoir sur terre, puisque dans la mort il est aboli et devient ridicule, tout en gardant ses aspects
méchants. La scène où Estelle demande à Garcin de l’aider à jeter Inès à la porte est révélatrice.
Même dans Fin de partie, les deux personnages se posent ce genre de questions, et la dimension
philosophique ou métaphysique est alors très forte : pourquoi obéit-on alors qu’on pourrait désobéir ?
Pourquoi reste-t-on attaché à quelqu’un qu’on déteste et qui nous domine ? Clov reste silencieux, à la
fin, et laisse son maître croire qu’il est parti.
Les situations décrites ici sont purement familiales, ou restent dans des cercles éloignés du pouvoir
traditionnel, mais ces deux pièces sont bien orientées vers une réflexion sérieuse.
c) Les Antigone sont nombreuses, de l’antiquité à Anouilh : dans tous les cas, le roi Créon utilise son
pouvoir pour interdire l’inhumation d’un de ses neveux, et Antigone refuse cette loi en justifiant son
acte par des lois d’un niveau plus élevé, les « lois non écrites », celles de la piété fraternelle par
exemple.
Ubu Roi, dans son outrance, offre une figure royale facile à décrypter : derrière l’apparence grotesque
du personnage éponyme, c’est un tyran, et même si « finances » s’écrit « phynances », au théâtre on
n’entend pas la différence. Même si les métaphores violentes de l’abus de pouvoir sont ridicules,
« sinon ces messieurs te couperont les oneilles », le spectateur en retire la haine du pouvoir injuste. La
gestuelle bruyante, l’enfoncement d’une porte, l’entrée sur scène d’hommes de main au service d’Ubu,
sont autant de preuves de cette dénonciation implicite, mais visible et spectaculaire.
Angelo n’est le roi que de lui-même … Egisthe est roi à son corps défendant et le regrette presque :
réflexion sur la saturation du pouvoir, peut-être, ou sur le manque de satisfaction qu’il procure : Ubu
espère toujours augmenter sa richesse, sa domination, tandis que Egisthe n’en attend plus rien. Sa
solitude dans la scène IV le montre bien, comme sa prière à Jupiter.
d) La réflexion de Cléante, le beau-frère d’Orgon, dans Tartuffe, ne porte pas sur le pouvoir politique,
mais l’argumentaire qu’il développe est une prise de position contre les abus de pouvoir familiaux.
Lorsqu’à la fin de la pièce tout le monde remercie le Roi qui a résolu les problèmes, on a une sorte de
définition de la bonne royauté, en contrepoint de la mauvaise paternité : « Nous vivons sous un Roi
ennemi de la fraude … ».
Ces deux manières de proposer au spectateur des leçons in vivo sont bien une des caractéristiques du
jeu théâtral, puisque nous en voyons et entendons les circonstance, les risques (lorsqu’il y a une
menace, lorsque l’on est près de basculer dans le tragique) : le désespoir de Mariane obligée d’épouser
Tartuffe, la prison pour Orgon qui s’est montré imprudent, la maison confisquée et toute la famille à la
porte de chez elle, et les contreparties avantageuses quand le roi est bon : les méchants sont punis, la
propriété est respectée, et cetera.
e) Les dénouements peuvent parfois contenir une sorte de leçon : ainsi Madame Pernelle reproche
bêtement à son fils Orgon d’avoir eu confiance en Tartuffe, Orgon jure qu’il ne fera plus jamais
confiance à personne, et son beau-frère Cléante lui conseille de ne pas être aussi catégorique. Ici les
leçons restent modérées, et la pièce se finit bien.
Mais dans Agamemnon d’Eschyle, ou Electre de Giraudoux, les rois abusifs sont punis. Même si leurs
assassins ont commis un crime aussi horrible que les coupables (le parricide), la punition (voulue par
les dieux) donne du sens à l’analyse politique.
Et lorsque Dom Juan est précipité dans un gouffre, brûlé par une force inconnue, pour avoir défié Dieu,
tout le pouvoir qu’il avait fini par acquérir sur son domestique Sganarelle (en l’obligeant à le servir
malgré lui) ou sur ses beaux-frères (en refusant, sous couvert de piété, de se battre contre eux et en les
empêchant de se venger) ou sur son père (en lui faisant croire qu’il est devenu pieux),ou sur Monsieur
Dimanche (en le flattant pour lui faire oublier qu’il lui doit de l’argent), tout ce pouvoir s’effondre et
Sganarelle en est réduit à constater que son maître est puni, que les victimes sont vengées.
Conclusion possible
Quel que soit le niveau de comique ou de tragique, grotesque bouffon, comique sérieux, théâtre
d’opinion, tragédie mythologique, quelle que soit l’actualité ou l'antiquité de ces situations de pouvoir,
la démonstration sur scène que les tyrans sont démasqué, ou que les victimes ne peuvent leur échapper,
ou que les chefs sont ridicules, procure toujours à la fois du dynamisme, parfois du rire, des larmes,
toujours un regard sur la vraie vie, parfois un regard sur soi, et dans le meilleur des cas, si le théâtre se
volait engagé, il peut amener à une réflexion politique ou sociale, voir à un engagement en retour, une
fois les prises de conscience effectuées.
Donc le théâtre, à la différence de l’argumentation dans l’essai, du roman, s’avère polyvalent, un art
complet, puisqu’il offre une illusion et ramène (si l’on veut) à quantité de réalités, parfois très éloignées
de leur point d’origine.
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