b) Lorsque le Père Ubu est grossier, menace les paysans, se montre à la fois grotesque et violent, le
comique de situation est plus ambigu. L’exagération est si forte qu’on ne croit pas que cela puisse avoir
lieu dans la réalité, et pourtant …
Dans Le soldat fanfaron, Artotrogus joue habilement de la soumission qui le lie à Pyrgopolinice, en
obtenant de la nourriture contre ses flatteries, donc en lui faisant croire à un pouvoir sur lui. Idem pour
Clindor et Matamore dans L’Illusion comique de Corneille. Les apartés sont dans ce cas un procédé
facile de faire comprendre l’insoumission.
Les rapports maître-valet dans Fin de partie, de Becket, montrent un serviteur complètement soumis à
un maître qui détient la combinaison de l’armoire aux provisions, qui l’humilie, et qui lui demande s’il
n’a jamais eu envie de le tuer : la provocation est ici mentale, le pouvoir du maître/père sur le serviteur
n’est pas politique, il n’y a que quatre personnages sur scène, et le valet joue aussi avec le chantage à la
désobéissance car le maître est paralysé et aveugle. Le jeu de scène de Clov, qui a visiblement envie de
tuer Hamm, montre bien ses hésitations : il manipule le fauteuil à roulettes violemment, ment à son
maître, lui jette le chien en peluche sur le visage.
c) Le théâtre représente aussi le pouvoir en le déformant, pour faire peur, et il exhibe des monstres.
Caligula est un pervers cruel qui joue à faire sentir et admettre son pouvoir capricieux à ses hôtes, amis,
sujets. Les comportements de ceux-ci sont l’illustration de l’abaissement humain, et peuvent nous
montrer les limites de l’honneur ou de la politesse, ou de la soumission. La didascalie qui indique que
les personnages « pourront jouer comme des marionnettes » en est la meilleure preuve.
Orgon, dans Tartuffe, devient tyrannique en imposant à sa famille un faux dévot, en lui donnant sa fille,
et son argent, et la monstruosité de Tartuffe fait peur, d’autant qu’il n’est démasqué que par un tour de
passe-passe, le deus ex machina, l’intervention peu crédible du roi. La dénonciation de l’hypocrisie
s’accompagne ici d’une critique des pouvoirs absolus des pères sur leurs enfants, qui leur imposent un
mari ou une épouse, les déshéritent pour un rien.
Agamemnon, dans Iphigénie, sacrifie sa fille pour conserver son pouvoir sur les chefs de la Grèce,
impose ainsi à son épouse une autorité masculine, tout en se montrant soumis aux dieux qui exigent ce
sacrifice. Ici la monstruosité est tragique, comme chez Camus, alors que dans Tartuffe elle s’apparente
au comique dit sérieux.
d) Autres pistes à exploiter : le théâtre montre des situations connues de tous mais que l'on n'a pas
l'habitude de considérer comme des relations de pouvoir.
L’amour passion et possessif, la jalousie, qui fait souffrir un partenaire, une épouse, ou qui oblige à
fuir : Phèdre empêche Hippolyte d’épouser Aricie, elle le dénonce comme incestueux parce qu’il n’a
pas voulu céder à ses avances, et Thésée, le père, punit son fils sans vérifier si les dires de Phèdre sont
sincères.
La jalousie d’Alceste, dans Le Misanthrope, s’exerce comme un pouvoir malsain sur Célimène, qui
finit par refuser son amour. Caprice de coquette, désespoir de misanthrope, couple mal assorti, mais
tentative d’exercer un pouvoir de séduction pour l’une, un pouvoir de sincérité pour l’autre.
La maternité et/ou la paternité abusive peut aussi être un sujet montrant le pouvoir, comme chez
Molière où les pères refusent de donner de l’argent de poche à leurs enfants, et où les serviteurs sont
contraints d’aider les jeunes gens, quitte ensuite à ne pas en recevoir de reconnaissance : dans Les
Fourberies de Scapin, celui-ci bat le chef de famille, l’escroque, mais est battu à son tour. Il n’empêche
que le fils aura triomphé indirectement du pouvoir abusif de son père.
La relation professeur/élève peut être aussi à la limite du comique et du tragique : dans La Leçon,
Ionesco nous montre une élève qui domine le professeur, temporairement, par sa jeunesse, sa prestance,
son bagout, puis devient peu à peu une loque, un jouet, aux mains d’un pervers qui finit par la tuer
après l’avoir dominée, humiliée intellectuellement, et cetera. Le « couteau invisible » avec lequel joue
le professeur, devant les yeux de sa victime, est une représentation paradoxale d’un pouvoir purement
mental, d’une acceptation passive de la jeune fille.
e) Tous ces monstres qui abusent de leur pouvoir peuvent nous laisser seulement une impression
mélangée de comique et de dégoût, sans nous pousser à une réflexion politique, sociale, ou
philosophique. Mais parfois …