1 Résumé On a longtemps mis l‟accent sur l‟accumulation

Repères et Perspectives - Numéro 6 1
M. Mohamed Abouch
Professeur à l’Université Mohammed V
-Agdal
M. Elhadj Ezzahid
Professeur Assistant à l’Université
Mohammed V-Agdal
Rabat/Agdal
ezzahidelhadj@yahoo.fr
Résumé
On a longtemps mis l‟accent sur l‟accumulation des ressources en
tant que principal facteur de croissance économique. Or, cette
conception présente des limites quant à l‟explication des différentiels
de croissance entre pays. La littérature empirique valide la thèse
selon laquelle c‟est la productivité des ressources, mesurée par la
productivité totale des facteurs (le résidu de Solow), qui explique
l‟essentiel de la croissance. Ces résultats ont contribué à l‟émergence
d‟une vision moins mécaniste de la croissance. Celle-ci défend la
thèse selon laquelle la croissance est la résultante de deux éléments :
l‟assimilation des changements technologiques et organisationnels
d‟une part, et le développement des capacités entrepreneuriales des
populations d‟autre part.
Pour ce qui concerne le Maroc, le rythme de croissance économique
s‟avère faible, insuffisant et aléatoire. A ce rythme de croissance
économique, le pays ne pourra pas faire converger le niveau de vie
de sa population vers ceux atteints par les pays développés. Cette
situation s‟explique aussi bien par l‟insuffisance de l‟accumulation
des facteurs productifs que par la faiblesse de leur productivité. Ce
constat a été vérifié aussi bien au niveau macroéconomique qu‟au
niveau sectoriel. Le pourquoi de cette situation dépend du climat
d‟investissement qui demeure, malgré les progrès enregistrés
récemment, peu propice aux activités à fort potentiel de croissance
et à la réalisation d‟une efficacité supérieure dans l‟utilisation des
ressources.
Investissement et croissance économique au Maroc :
Insuffisance de l’accumulation et faiblesse de la productivité
Mots clés
Maroc,
Accumulation,
Investissement,
Assimilation,
Productivité,
Croissance
économique,
Climat
d‟investissement
Repères et Perspectives - Numéro 6 2
1. Introduction1
La croissance économique a toujours été considérée comme objectif final de la politique économique.
Sans croissance économique, il est difficile, en effet, de prétendre améliorer le niveau de vie d‟une
population à moyen et à long termes. De ce fait l‟étude des sources, des mécanismes et des entraves à la
croissance économique est d‟une importance capitale.
Les théories de croissance économique qui ont foncièrement pour objectif d‟expliquer l‟évolution de long
terme du revenu par tête dans chaque pays, s‟inscrivent grosso modo dans deux perspectives. La première
part de la vision néo-classique d‟une manière directe (Solow, 1957) ou s‟y rattache d‟une manière indirecte
en opérant des changements dans la structure des modèles pour rendre compte des anomalies observées
(Mankiw et al., 1992). La deuxième perspective se détache partiellement des hypothèses néoclassiques
pour adopter des hypothèses ajustées dans le but d‟endogéneïser le progrès technique ou le résidu dit de
Solow (Romer, 1986 ; Lucas, 1988 ; McCallum, 1996).
Ces deux perspectives constituent, ensemble, le courant dominant (mainstream) en matière des recherches
sur les sources de croissance économique. Parallèlement se développe un courant qui est d‟affiliation
schumpetèrienne (Schumpeter, 1935 ; Nelson and Philips, 1966; Hofer and Polt, 1998). Ce dernier courant
se distingue surtout par l‟importance analytique qu‟il accorde aux processus technologiques, à l‟innovation,
à l‟entreprenariat et aux conditions d‟apprentissage industriel (Nelson and Pack, 1999).
Par ailleurs, les travaux empiriques ont permis, quant à eux, d‟approfondir notre savoir sur les processus
de croissance économique. Deux résultats attirent notre attention. Le premier est celui de Levine et Renelt
(1992) qui ont montré que l‟investissement est le seul facteur qui reste lié au taux de croissance
économique quels que soit la spécification, les périodes ou les pays étudiés. Le second résultat est celui
qu‟ont obtenu Easterly et Levine (2001). Selon ces deux derniers auteurs, la croissance est loin d‟être une
simple affaire d‟accumulation (Solow, 1957 ; Easterly and Levine, 2001, p.178). Cet article s‟inspire
largement de ces travaux et nous allons désigner la contradiction manifeste qui existe entre ces deux
résultats : le paradoxe de l‟accumulation ou le paradoxe Easterly-Levine-Renelt.
Pour ce faire, nous allons examiner le phénomène de croissance économique au Maroc. Nous essayerons
de voir si la faiblesse de la croissance de l‟économie marocaine est due à l‟insuffisance de l‟accumulation
des ressources ou à la faiblesse de leur productivité, i.e. la faiblesse de l‟efficacité avec laquelle elles sont
utilisées. Autrement dit, au Maroc l‟investissement est-il faible, mal utilisé ou les deux à la fois.
A cet effet, nous consacrerons la deuxième section au cadre d‟analyse qui nous aidera à mieux développer
la réflexion. Dans la troisième section, nous présenterons quelques repères pour appréhender l‟expérience
de croissance au Maroc durant la période 1970-2000. La quatrième section permettra de voir dans quelle
mesure l‟insuffisance de l‟accumulation des ressources explique-t-elle la faiblesse de la croissance. Au
niveau de la cinquième section, nous discuterons du problème de la faiblesse de la productivité au Maroc.
Au niveau de la sixième section nous tenterons de répertorier les facteurs explicatifs de l‟insuffisance de
l‟accumulation et de la faiblesse de la productivité des ressources au Maroc. La dernière section, quant à
elle, servira à conclure et à formuler des propositions.
2. Accumulation des ressources, assimilation des changements technologiques et
croissance économique
L‟analyse économique en général et les théories du développement en particulier ont beaucoup insisté sur
l‟investissement ou l‟accumulation des ressources comme facteur incontournable pour la réalisation de la
croissance économique. En effet, les premiers modèles de croissance ont mis en relief une relation directe
et automatique entre l‟effort d‟investissement (I) et le taux de croissance du produit intérieur brut (Y).
Ainsi, le modèle de Harrod-Domar stipule que le taux de croissance g de Y est égal au produit du taux
d‟investissement (∆K/Y ou I/Y), que l‟on note α, et de l‟inverse de l‟incremental capital-output ratio
(ICOR): g = α/ ICOR (Thirlwall, 2001). Cette vision mécaniste du développement et de la croissance s‟est
avérée erronée aussi bien sur le plan théorique qu‟empirique (Adelman, 1999 ; Nelson and Pack, 1999).
1 Une version préliminaire de cette contribution a été présentée lors de la deuxième université de printemps des économies
méditerranéennes et du monde arabe à Fès les 3 et 4 juin 2003.
Repères et Perspectives - Numéro 6 3
L‟analyse économique du retard et de la stagnation économiques a fourni, depuis les années 1940 et 1950,
des explications pertinentes à ces phénomènes (Krugman, 1992). Néanmoins, c‟est la vision mécaniste qui
a dominé la littérature portant sur les problèmes de croissance et de développement. Ainsi, si
l‟introduction d‟autres facteurs explicatifs, comme le capital humain, a permis d‟améliorer analytiquement
la compréhension des vrais ressorts du processus de croissance économique, les attitudes et les schémas
interprétatifs demeurent fondamentalement mécanistes en supposant qu‟une fois ces facteurs en place la
croissance et la prospérité seront aux bouts des doigts. Cette vision, qualifiée d‟accumulationniste,
constitue encore le paradigme dominant dans le domaine des études portant sur le développement ou
l‟analyse des différentes expériences de croissance économique (Nelson and Pack, 1999).
Les théories accumulationnistes tiennent pour suffisante l‟accumulation ou l‟acquisition des actifs
matériels et immatériels pour le déclenchement du cercle vertueux de la croissance économique.
L‟hypothèse centrale dans ces théories est le fait que pour produire, il suffit d‟utiliser les inputs selon les
meilleures pratiques et technologies disponibles sans coût et sans effort (Lall, 1990, 1994). En fait, ces
théories tiennent pour donnée et accessible la fonction de production la plus efficace dans le monde
(Nelson and Pack, 1999). Toutefois, l‟examen approfondi des expériences d‟industrialisation2 montre
qu‟elle se fait à travers des efforts épuisants d‟apprentissage en vue de s‟approprier des capacités
technologiques (Nelson and Pack, 1999 ; Lall, 1990, 1994 ; Wade, 1992 ; Sid Ahmed, 1996, Banque
mondiale, 1993).
En effet, il s‟avère que le développement et la croissance ne sont pas de simples corollaires de
l‟accumulation des capitaux physiques et humains (Nelson and Pack, 1999). Dans le processus de
développement, ce qui est important c‟est plutôt l‟assimilation des procédures et des capacités innovatrices
en matière des changements technologiques, d‟organisation, de marketing et de préparation des décisions
(Hirshman, 1958 ; Nelson and Pack, 1999, Hoff and Stiglitz, 2000). L‟accumulation des capitaux sera de
peu d‟utilité si l‟économie manque de capacités d‟absorption et d‟assimilation des technologies qui sous-
tendent les processus productifs les plus compétitifs (Nelson and Pack, 1999).
Vu de cette perspective, l‟investissement dans le capital humain et le capital physique est nécessaire mais
risque d‟être sans effet en l‟absence d‟un environnement propice à « l‟entreprenariat, à l‟innovation et à
l‟apprentissage » (Nelson and Pack, 1999, p. 418). Ainsi, la seconde vision qualifiée d‟assimilationniste par
R. Nelson et H. Pack (1999) contraste avec la première en supposant que l‟existence d‟un environnement
adéquat et la mise en place de politiques intelligentes susceptibles de faciliter l‟apprentissage, par toutes les
voies possibles, sont plus importantes que la simple accumulation des ressources. Cet environnement et
ces politiques favoriseront l‟émergence de compétences technologiques dynamiques et permettront, en
conséquence, d‟exploiter les ressources accumulées d‟une manière efficace et compétitive.
La seconde vision est fort utile pour l‟étude et l‟élaboration de politiques de croissance et de
développement. Ainsi, pour atteindre un rythme de croissance économique élevé, il faut à la fois
l‟accumulation des capitaux et l‟existence d‟un environnement incitatif pour l‟apprentissage et
l‟assimilation des technologies de production les plus efficaces (Sala-i-Martin, 2001).
En concordance avec ces éléments analytiques, les recherches empiriques ont permis de revoir les priorités
en matière des sources d‟impulsion de la croissance économique3. En effet, la plupart des travaux
empiriques ont montré que le facteur déterminant de la croissance économique n‟est pas l‟accumulation
des capitaux physiques (Easterly and Levine, 2001 ; Solow, 2001). Pour mieux explorer ce sujet, les
chercheurs utilisent la technique de la comptabilité de la croissance4. Ils partent du fait que la croissance
2 Techniquement, nous tenons pour équivalents le processus de développement et le processus d‟industrialisation. Pour se rendre
compte de cette équivalence, il suffit de remarquer que seule l‟industrialisation s‟accompagne de la maîtrise des capacités
technologiques et des savoir-faire y afférents et de l‟appropriation de l‟esprit rationnel.
3 Le lecteur peut consulter avec intérêt le numéro 2 du volume 15 (2001) de The World Bank Economic Review sont publiés
les travaux du colloque “ What we have learned from a decade of empirical research on growth?”
4 La comptabilité de la croissance (growth accounting) permet de repérer les parts de chacune des deux sources de
croissance économique. Ainsi, le taux de croissance économique g est expliqué par l‟accroissement du stock du
capital productif gK, l‟accroissement de la quantité utilisée du travail gL et l‟amélioration du progrès technique. Les
chercheurs qui ont contribué à élaborer cette comptabilité de la croissance (Solow, Jorgensen, Denison …) ont
désigné la part qui n‟est expliquée ni par le capital ni par le travail par l‟expression : productivité totale des facteurs
Repères et Perspectives - Numéro 6 4
d‟une économie a deux sources: la première est l‟accroissement du volume des facteurs utilisés (le capital
K et le travail L) ; la seconde est l‟amélioration de la productivité avec laquelle ces facteurs sont utilisés.
Cette seconde source est appelée le résidu de Solow ou la productivité totale des facteurs (Solow, 1957 ;
Nadiri, 1970 ; Bouhia, 2001). Depuis la publication du travail pionnier dans ce domaine par de R. Solow
(1957), on admet que cette seconde source explique la part la plus importante de la croissance des pays
industrialisés.
L‟utilisation de la technique de la comptabilité de la croissance, rendue possible par la constitution de
séries statistiques longues pour des pays tant développés qu‟en voie de développement, a permis
d‟examiner les déterminants de la performance des économies dans le but d‟élaborer les politiques
adéquates. Nous utiliserons ce cadre pour analyser le profil de la croissance économique au Maroc et
répondre à la question principale que nous avons posée dans l‟introduction.
3. Profil de la croissance économique au Maroc : quelques repères
La croissance économique est un préalable à l‟amélioration des conditions de vie d‟une population donnée.
Au Maroc, le rythme de long terme de cette croissance est plutôt faible et insuffisant. Il a atteint une
moyenne annuelle de 3.9% au cours des 31 années couvrant la période 1970-2000. Faiblesse, insuffisance
et évolution erratique sont les traits qui caractérisent cette croissance.
La faiblesse de la croissance économique est presque une évidence si l‟on compare le niveau du PIB par
tête au Maroc avec ce qui prévaut dans d‟autres pays qui étaient, dans les années cinquante dans une
situation similaire à celle du Maroc (cas de la Corée du Sud). Le tableau suivant donne le revenu national
réel (RNR) par tête en 1999 et le taux de croissance annuelle moyenne du PIB réel par tête au Maroc et
dans un échantillon de pays sur la période 1990-99.
Tableau n° 1 : RNR par tête et taux de croissance annuelle moyenne du PIB par tête (en %)
RNR par tête en 1999 en
dollars des E. U.A (corrigé par
les parités de pouvoir d‟achat)
1990-99
Maroc
3320
0.4
Tunisie
5700
2.9
Turquie
6440
2.2
Corée du Sud
15530
4.7
Chili
8410
5.6
Espagne
17850
2.0
Botswana
6540
1.8
Egypte
3460
2.4
Chine
3550
8.2
Source : World bank , (2001), World development indicators CD-ROM
Il convient de noter que ces pays ont pu améliorer beaucoup plus rapidement les standards de vie de leurs
populations au cours de la décennie 1990-99. Le Maroc qui était dans les années 1980 plus riche que la
Chine ne l‟est plus aujourd‟hui. Actuellement le revenu réel par tête dans ce dernier pays «est environ un
septième plus élevé que celui du Maroc » (Banque mondiale et MIC, 2002, p. 6). La faiblesse de la
croissance transparaît à l‟évidence, aussi, si l‟on compare le taux de croissance économique annuel moyen
au Maroc avec celui réalisé par les pays les plus actifs économiquement sur la période 1975-94.
(PTF). C‟est son taux croissance gPTF qui, s‟ajoutant à gK et gL pondérés respectivement par la productivité
marginale du capital aK et celle du travail aL, donne g de telle sorte que : g = aK gK + aL gL + gPTF. Les travaux
empiriques ont montré que la croissance est loin d‟être une simple affaire d‟accumulation. Ils ont montré que
l‟amélioration de la PTF (gPTF) constitue la source fondamentale de stimulation de cette croissance.
Repères et Perspectives - Numéro 6 5
Tableau n° 2 : Taux de croissance annuelle moyenne durant la période 1975-1994 (en %)
Taux de croissance (en%)
8.9
8.5
8.3
7.8
7.6
7.5
6.9
6.3
4.6
4.0
Source: pour le Maroc : nos calculs ; pour les autres pays: (Hsin, 1999).
Pire encore, observé sur les trois décennies couvrant la période 1970-2000, le rythme de croissance du PIB
réel par tête au Maroc dénote un ralentissement.
Tableau n ° 3 : Taux de croissance composé du produit intérieur brut par habitant (%)
1970/1980
1980/1990
1990/2000
Secteur des services
4.1
2.0
1.4
Secteur industriel
3.3
1.0
1.8
Secteur agricole
-0.9
1.6
-1.8
PIB par habitant (total)
2.7
1.6
0.9
Source : (Banque mondiale, 2000, tableau 1, p. 3)
Ce rythme de croissance économique reste très insuffisant pour améliorer le niveau de vie des populations,
endiguer la pauvreté et offrir de l‟emploi à une population jeune, active et de plus en plus nombreuse5.
Cette situation est d‟autant plus grave que la croissance économique au Maroc marque une tendance
baissière sur la période 1970-2000. En effet, cette dernière tendance apparaît clairement à travers
l‟observation du taux de croissance du PIB lissé par le filtre Hodrick-Prescott (HPTRED01) comme le
montre le graphique n° 1.
5 En 1999, le PNB marocain par habitant a atteint 1250 dollars des E.U.A. En outre, 19% de la population marocaine (l‟équivalent
de 5.3 millions de marocains) « vivaient en 1998 en dessous du seuil de pauvreté ». Le taux de chômage, quant à lui, s‟était fixé aux
alentours de 23% au cours des derniers mois de 1999 (Banque mondiale, 2000, p. 3)
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