cas image Virologie 2009, 13 (1) : 53-5 L’assemblage du VIH-1 visualisé en temps réel N. Jouvenet doi: 10.1684/vir.2009.0229 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Laboratory of Retrovirology Aaron Diamond AIDS Research Center, 455 First Avenue, New York, NY 10016, USA <[email protected]> Virologie, Vol. 13, no 1, janvier-février 2009 L’assemblage de nouvelles particules virales est une étape cruciale de la réplication des virus. Ce processus, qui consiste en l’adressage des différents composants du virus en un site cellulaire précis, n’a jamais été observé en temps réel. Le virus de l’immunodéficience humaine de type 1 (VIH-1) présente des caractéristiques attrayantes pour tenter de combler ce manque. Premièrement, son site d’assemblage est connu : il s’agit de la membrane plasmique [1]. Deuxièmement, l’expression du composant principal du virus, la protéine Gag, est suffisante pour engendrer la formation de pseudo-particules. Celles-ci ne sont pas infectieuses car elles ne possèdent ni protéine de l’enveloppe ni génome mais leur morphologie est comparable à celle de particules infectieuses [2]. Troisièmement, grâce à de nombreuses observations de microscopie électronique ainsi qu’à des études biochimiques, les étapes de l’assemblage sont bien décrites. Quelques heures seulement après son expression par transfection [1], Gag se fixe sous la membrane plasmique grâce à son groupe myristyle. L’accumulation et la multimétrisation des protéines Gag sous la surface cellulaire entraîne la déformation de celle-ci, jusqu’à l’obtention d’une vésicule qui bourgeonne vers le milieu extérieur, puis se sépare de la cellule. Les pseudo-particules ainsi engendrées ont un diamètre d’une centaine de nanomètres et sont composées d’environ 3 000 à 5 000 copies de la protéine Gag [2]. Enfin, Gag peut être fusionnée à une protéine fluorescente sans que cela ne perturbe la morphologie des pseudo-particules, ce qui permet la détection des particules virales au microscope à fluorescence [2]. Le microscope à onde évanescente, qui permet de visualiser avec une grande précision les événements qui ont lieu à la membrane plasmique, s’est révélé être un outil parfaitement adapté à notre projet. Cette technique de microscopie a été développée dans les années 1980 et elle est largement utilisée en biologie cellulaire pour étudier, par exemple, les mécanismes d’endocytose et d’exocytose à la surface cellulaire. Son principe est d’illuminer l’échantillon avec un rayon laser dont l’angle d’incidence est tel que la lumière va être entièrement réfléchie à l’interface cellule/support en verre. Cela produit une onde évanescente faible qui illumine la cellule sur une profondeur d’une centaine de nanomètres seulement, ce qui réduit considérablement le rapport signal/bruit de fond (figure 1A). En observant des cellules exprimant Gag fusionnée à la protéine GFP (Green Fluorescent Protein) avec un microscope à onde évanescente, nous avons pu détecter avec une grande précision de nombreuses pseudo-particules fluorescentes à la surface cellulaire (figure 1A). En photographiant à un intervalle de 5 secondes pendant 45 à 60 minutes des dizaines de cellules fluorescentes qui avaient produit un petit nombre de particules virales (nous pensions que dans ces cellules, Gag avait atteint une concentration favorable à l’assemblage de nouvelles particules), nous avons pu détecter l’apparition de milliers de particules virales à la membrane plasmique (figure 1B et vidéo). En suivant l’évolution du signal fluorescent émis par ces particules pendant leur apparition, nous avons déterminé que l’intensité de leur fluorescence augmentait régulièrement pendant plusieurs minutes puis se stabilisait (figure 1C) [3]. Nous suspections que ces 53 cas image A B 0:00 Onde évanescente Champ large C 3:40 140 120 Intensite fluorescente Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. -0:05 100 6:50 80 60 40 11:20 20 0 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 Temps (minute) 17:20 Figure 1. Visualisation en temps réel de l’assemblage du VIH-1 au microscope à onde évanescente. Des cellules HeLa vivantes exprimant les protéines Gag et Gag-GFP sont photographiées avec un microscope à onde évanescente. A. Les cellules sont photographiées en utilisant soit une lampe à epifluorescence qui produit un champ large (à gauche), soit avec un rayon-laser qui produit une onde évanescente (à droite). La mise au point est inchangée entre les 2 prises de vues. B. Les cellules sont photographiées toutes les 5 secondes pendant 60 minutes. La suite d’images acquises montre l’apparition d’un virus fluorescent à la membrane plasmique. Le temps est indiqué en minutes : secondes. C. Suivi de l’intensité du signal fluorescent émis par Gag-GFP pendant l’assemblage du virus montré en B. L’intensité du signal est calculée par le logiciel Metamorph ; elle est donnée en unité arbitraire. La vidéo, qui est 150 fois plus rapide qu’en réalité, montre une cellule HeLa exprimant les protéines Gag et Gag-GFP photographiées toutes les 5 secondes pendant 40 minutes avec un microscope à onde évanescente. apparitions représentaient l’assemblage de nouvelles particules virales et que l’intensification du signal fluorescent représentait le recrutement et l’accumulation des protéines Gag pendant l’assemblage. Pour confirmer l’hypothèse du recrutement de nouvelles protéines Gag pendant l’apparition des particules virales, 54 nous avons utilisé la technique du FRAP (Fluorescence Recovery after Photobleaching). Nous avons soumis des centaines de particules virales à une intense application laser afin de détruire irréversiblement leur fluorescence. Si cette application laser était produite pendant la phase d’intensification du signal, le signal réapparaissait toujours Virologie, Vol. 13, no 1, janvier-février 2009 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. cas image [3], indiquant que de nouvelles protéines Gag sont activement recrutées durant l’apparition des particules virales. En revanche, il n’y avait pas de réapparition de fluorescence pour les particules virales dont la fluorescence était stable avant le photo-blanchiment [3], indiquant que la stabilité du signal fluorescent correspond à un arrêt du recrutement des protéines. Pour confirmer l’hypothèse du rapprochement des protéines Gag pendant l’apparition des particules virales, nous avons utilisé la technique du FRET (Fluorescence Resonnance Energy Transfer). Le couple de fluorophores GFP/ mCherry étant compatible avec les études FRET, nous avons transfecté nos cellules avec un mélange de protéines Gag-GFP et Gag-mCherry et avons suivi l’évolution du niveau de FRET au sein de centaines de particules virales pendant leur apparition à la membrane plasmique. Nous avons ainsi montré que pendant ces apparitions, le niveau de FRET augmente [3], indiquant que les protéines Gag deviennent de plus en plus proches les unes des autres. Après quelques minutes, le niveau de FRET au sein de chaque virus se stabilise, jusqu’à atteindre un niveau comparable à celui mesuré dans les virus libérés dans le surnageant de culture, indiquant que, durant l’apparition des virus à la membrane plasmique, les protéines Gag deviennent aussi compactées que celles des virus complètement assemblés. Les résultats des expériences de FRET et de FRAP nous ont convaincus que les événements que nous visualisions étaient de véritables événements d’assemblage. La phase d’intensification du signal correspond bien à un recrutement et à un rapprochement de protéines virales à la membrane plasmique. Nous avons alors évalué, grâce à l’observation de centaines d’événements d’assemblage, que la biogenèse du VIH-1 nécessite en moyenne 5 à 6 minutes. En utilisant un clone qui exprime la totalité des protéines virales, nous avons montré que la cinétique d’assemblage n’était pas modifiée par la présence des autres composants du virus [3]. Pour finir, il était important de montrer que les particules virales nouvellement assemblées étaient capables de com- Virologie, Vol. 13, no 1, janvier-février 2009 pléter la dernière étape de l’assemblage : le bourgeonnement. Pour cela, nous avons fusionné Gag à la protéine Phluorin, une protéine dérivée de la GFP dont l’intensité d’émission est optimale à pH 7,5 et diminue avec l’acidification [4]. En variant le pH du cytoplasme des cellules exprimant Gag-Phluorin avec une application de CO2, nous avons montré qu’une population de virus était aussi sensible aux variations de pH que les protéines Gag diffuses dans le cytosol. Une deuxième population de virus était aussi peu sensible aux variations de pH que les virus libérés dans le surnageant de culture. Les virus sensibles aux variations de pH sont certainement encore attachés à la membrane plasmique, probablement en cours d’assemblage. En revanche, les virus qui sont moins sensibles aux variations de pH ne sont plus en contact avec la cellule ; ceux-là ont bourgeonné. L’utilisation du microscope à onde évanescente peut s’appliquer à l’étude de la biogenèse de tous les virus dont l’assemblage à lieu à la membrane plasmique. La visualisation simultanée de plusieurs composants de ces virus pendant l’assemblage devrait permettre d’approfondir nos connaissances sur la morphogenèse et le bourgeonnement des virus. Remerciements. Ce travail a été financé en partie par une bourse post-doctorale Mathilde Krim attribuée par l’Amfar (Foundation for AIDS Research). Je remercie Paul Bieniasz et Sanford Simon de l’avoir supervisé. Références 1. Jouvenet N, Neil SJ, Bess C, Johnson MC, Virgen CA, Simon SM, Bieniasz PD. Plasma membrane is the site of productive HIV-1 particle assembly. PLoS Biol 2006 ; 4 : e435. 2. Larson DR, Johnson MC, Webb WW, Vogt VM. Visualisation of retrovirus budding with correlated light and electron microscopy. Proc Natl Acad Sci USA 2005 ; 102 : 15453-8. 3. Jouvenet N, Bieniasz PD, Simon SM. Imaging the biogenesis of individual HIV-1 virions in live cells. Nature 2008 ; 454 : 236-40. 4. Miesenbock G, De Angelis DA, Rothman JE. Visualizing secretion and synaptic transmission with pH-sensitive green fluorescent proteins. Nature 1998 ; 394 : 192-5. 55