Lassemblage du VIH-1 visualisé en temps réel
N. Jouvenet
Laboratory of Retrovirology Aaron
Diamond AIDS Research Center,
455 First Avenue,
New York, NY 10016, USA
Lassemblage de nouvelles particules virales est une étape cruciale de la
réplication des virus. Ce processus, qui consiste en ladressage des différents
composants du virus en un site cellulaire précis, na jamais été observé en
temps réel.
Le virus de limmunodéficience humaine de type 1 (VIH-1) présente des carac-
téristiques attrayantes pour tenter de combler ce manque. Premièrement, son
site dassemblage est connu : il sagit de la membrane plasmique [1]. Deuxiè-
mement, lexpression du composant principal du virus, la protéine Gag, est suf-
fisante pour engendrer la formation de pseudo-particules. Celles-ci ne sont pas
infectieuses car elles ne possèdent ni protéine de lenveloppe ni génome mais
leur morphologie est comparable à celle de particules infectieuses [2]. Troisiè-
mement, grâce à de nombreuses observations de microscopie électronique ainsi
quà des études biochimiques, les étapes de lassemblage sont bien décrites.
Quelques heures seulement après son expression par transfection [1], Gag se
fixe sous la membrane plasmique grâce à son groupe myristyle. Laccumulation
et la multimétrisation des protéines Gag sous la surface cellulaire entraîne la
déformation de celle-ci, jusquàlobtention dune vésicule qui bourgeonne
vers le milieu extérieur, puis se sépare de la cellule. Les pseudo-particules
ainsi engendrées ont un diamètre dune centaine de nanomètres et sont compo-
sées denviron 3 000 à 5 000 copies de la protéine Gag [2]. Enfin, Gag peut être
fusionnée à une protéine fluorescente sans que cela ne perturbe la morphologie
des pseudo-particules, ce qui permet la détection des particules virales au micro-
scope à fluorescence [2].
Le microscope à onde évanescente, qui permet de visualiser avec une grande
précision les événements qui ont lieu à la membrane plasmique, sest révélé
être un outil parfaitement adapté à notre projet. Cette technique de microscopie
a été développée dans les années 1980 et elle est largement utilisée en biologie
cellulaire pour étudier, par exemple, les mécanismes dendocytose et dexo-
cytose à la surface cellulaire. Son principe est dilluminer léchantillon avec
un rayon laser dont langle dincidence est tel que la lumière va être entièrement
réfléchie à linterface cellule/support en verre. Cela produit une onde évanes-
cente faible qui illumine la cellule sur une profondeur dune centaine de nano-
mètres seulement, ce qui réduit considérablement le rapport signal/bruit de fond
(figure 1A).
En observant des cellules exprimant Gag fusionnée à la protéine GFP (Green
Fluorescent Protein) avec un microscope à onde évanescente, nous avons pu
détecter avec une grande précision de nombreuses pseudo-particules fluorescen-
tes à la surface cellulaire (figure 1A). En photographiant à un intervalle de
5 secondes pendant 45 à 60 minutes des dizaines de cellules fluorescentes qui
avaient produit un petit nombre de particules virales (nous pensions que dans
ces cellules, Gag avait atteint une concentration favorable à lassemblage de nou-
velles particules), nous avons pu détecter lapparition de milliers de particules
virales à la membrane plasmique (figure 1B et vidéo). En suivant lévolution du
signal fluorescent émis par ces particules pendant leur apparition, nous avons
déterminé que lintensité de leur fluorescence augmentait régulièrement pendant
plusieurs minutes puis se stabilisait (figure 1C) [3]. Nous suspections que ces
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doi: 10.1684/vir.2009.0229
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apparitions représentaient lassemblage de nouvelles parti-
cules virales et que lintensification du signal fluorescent
représentait le recrutement et laccumulation des protéines
Gag pendant lassemblage.
Pour confirmer lhypothèse du recrutement de nouvelles
protéines Gag pendant lapparition des particules virales,
nous avons utilisé la technique du FRAP (Fluorescence
Recovery after Photobleaching). Nous avons soumis des
centaines de particules virales à une intense application
laser afin de détruire irréversiblement leur fluorescence.
Si cette application laser était produite pendant la phase
dintensification du signal, le signal réapparaissait toujours
Champ large
0
20
40
60
80
100
120
140
Temps (minute)
Intensite fluorescente
A B
C
-0:05
0:00
3:40
6:50
11:20
17:20
Onde évanescente
0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60
Figure 1. Visualisation en temps réel de lassemblage du VIH-1 au microscope à onde évanescente. Des cellules HeLa vivantes expri-
mant les protéines Gag et Gag-GFP sont photographiées avec un microscope à onde évanescente. A. Les cellules sont photographiées
en utilisant soit une lampe à epifluorescence qui produit un champ large (à gauche), soit avec un rayon-laser qui produit une onde éva-
nescente (à droite). La mise au point est inchangée entre les 2 prises de vues. B. Les cellules sont photographiées toutes les 5 secondes
pendant 60 minutes. La suite dimages acquises montre lapparition dun virus fluorescent à la membrane plasmique. Le temps est
indiqué en minutes : secondes. C. Suivi de lintensité du signal fluorescent émis par Gag-GFP pendant lassemblage du virus montré en
B. Lintensité du signal est calculée par le logiciel Metamorph ; elle est donnée en unité arbitraire.
La vidéo, qui est 150 fois plus rapide quen réalité, montre une cellule HeLa exprimant les protéines Gag et Gag-GFP photographiées tou-
tes les 5 secondes pendant 40 minutes avec un microscope à onde évanescente.
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[3], indiquant que de nouvelles protéines Gag sont active-
ment recrutées durant lapparition des particules virales. En
revanche, il ny avait pas de réapparition de fluorescence
pour les particules virales dont la fluorescence était stable
avant le photo-blanchiment [3], indiquant que la stabilité
du signal fluorescent correspond à un arrêt du recrutement
des protéines.
Pour confirmer lhypothèse du rapprochement des protéi-
nes Gag pendant lapparition des particules virales, nous
avons utilisé la technique du FRET (Fluorescence Reson-
nance Energy Transfer). Le couple de fluorophores GFP/
mCherry étant compatible avec les études FRET, nous
avons transfecté nos cellules avec un mélange de protéines
Gag-GFP et Gag-mCherry et avons suivi lévolution du
niveau de FRET au sein de centaines de particules virales
pendant leur apparition à la membrane plasmique. Nous
avons ainsi montré que pendant ces apparitions, le niveau
de FRET augmente [3], indiquant que les protéines Gag
deviennent de plus en plus proches les unes des autres.
Après quelques minutes, le niveau de FRET au sein de
chaque virus se stabilise, jusquà atteindre un niveau com-
parable à celui mesuré dans les virus libérés dans le surna-
geant de culture, indiquant que, durant lapparition des
virus à la membrane plasmique, les protéines Gag devien-
nent aussi compactées que celles des virus complètement
assemblés.
Les résultats des expériences de FRET et de FRAP nous ont
convaincus que les événements que nous visualisions
étaient de véritables événements dassemblage. La phase
dintensification du signal correspond bien à un recrute-
ment et à un rapprochement de protéines virales à la mem-
brane plasmique. Nous avons alors évalué, grâce à lobser-
vation de centaines dévénements dassemblage, que la
biogenèse du VIH-1 nécessite en moyenne 5 à 6 minutes.
En utilisant un clone qui exprime la totalité des protéines
virales, nous avons montré que la cinétique dassemblage
nétait pas modifiée par la présence des autres composants
du virus [3].
Pour finir, il était important de montrer que les particules
virales nouvellement assemblées étaient capables de com-
pléter la dernière étape de lassemblage : le bourgeonne-
ment. Pour cela, nous avons fusionné Gag à la protéine
Phluorin, une protéine dérivée de la GFP dont lintensité
démission est optimale à pH 7,5 et diminue avec lacidifi-
cation [4]. En variant le pH du cytoplasme des cellules
exprimant Gag-Phluorin avec une application de CO
2
,
nous avons montré quune population de virus était aussi
sensible aux variations de pH que les protéines Gag diffu-
ses dans le cytosol. Une deuxième population de virus était
aussi peu sensible aux variations de pH que les virus libérés
dans le surnageant de culture. Les virus sensibles aux varia-
tions de pH sont certainement encore attachés à la mem-
brane plasmique, probablement en cours dassemblage.
En revanche, les virus qui sont moins sensibles aux varia-
tions de pH ne sont plus en contact avec la cellule ; ceux-là
ont bourgeonné.
Lutilisation du microscope à onde évanescente peut
sappliquer à létude de la biogenèse de tous les virus
dont lassemblage à lieu à la membrane plasmique.
La visualisation simultanée de plusieurs composants de
ces virus pendant lassemblage devrait permettre dappro-
fondir nos connaissances sur la morphogenèse et le bour-
geonnement des virus.
Remerciements. Ce travail a été financé en partie par une
bourse post-doctorale Mathilde Krim attribuée par lAmfar
(Foundation for AIDS Research). Je remercie Paul Bieniasz et
Sanford Simon de lavoir supervisé.
Références
1. Jouvenet N, Neil SJ, Bess C, Johnson MC, Virgen CA, Simon SM,
Bieniasz PD. Plasma membrane is the site of productive HIV-1 particle
assembly. PLoS Biol 2006 ; 4 : e435.
2. Larson DR, Johnson MC, Webb WW, Vogt VM. Visualisation of
retrovirus budding with correlated light and electron microscopy. Proc
Natl Acad Sci USA 2005 ; 102 : 15453-8.
3. Jouvenet N, Bieniasz PD, Simon SM. Imaging the biogenesis of indi-
vidual HIV-1 virions in live cells. Nature 2008 ; 454 : 236-40.
4. Miesenbock G, De Angelis DA, Rothman JE. Visualizing secretion
and synaptic transmission with pH-sensitive green fluorescent proteins.
Nature 1998 ; 394 : 192-5.
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