optiques. Les efforts pour atteindre une connaissance plus exacte et plus étendue de ces faits tiennent une place
significative dans les comptes-rendus d’expériences ou d’observations scientifiques. Bien souvent, ils ont entraîné la
mise au point d’un appareillage spécial et complexe dont l’invention, la construction et la mise en œuvre ont
demandé un talent exceptionnel, beaucoup de temps et des ressources financières considérables. Les synchrotrons et
les radiotélescopes ne sont que les exemples les plus récents du chemin qui peut être parcouru par les chercheurs si
un paradigme leur assure que ce qu’ils recherchent est important. De Tycho Brahé à E. O. Lawrence, certains
hommes de science ont acquis une grande réputation, non en raison de la découverte d’une nouveauté quelconque,
mais parce que les méthodes qu’ils ont mises au point pour redéterminer une catégorie de faits préalablement connue
étaient précises, sûres et de conception large. Une seconde catégorie, fréquente mais plus restreinte, de faits à
déterminer concerne les phénomènes qui, bien que sans grand intérêt intrinsèque, ont l’avantage d’être directement
comparables aux résultats prédits par la théorie du paradigme. Comme nous le verrons sous peu, quand
j’abandonnerai les problèmes expérimentaux pour aborder les problèmes théoriques de la science normale, il est rare
que les domaines dans lesquels une théorie scientifique peut se comparer directement à la nature soient nombreux, en
particulier si elle s’exprime principalement sous forme mathématique. Jusqu’à présent, trois groupes de faits
seulement ont pu être mis en rapport avec la théorie générale de la relativité d’Einstein2.
Et encore, même quand une application est possible, il est souvent nécessaire d’avoir recours à des approximations
théoriques et expérimentales qui limitent énormément la concordance que l’on peut attendre. Améliorer cette
concordance, découvrir de nouveaux domaines où l’on puisse la vérifier constitue un défi constant à l’habileté et à
l’imagination des expérimentateurs et observateurs. Les télescopes spéciaux pour démontrer la parallaxe annuelle
prédite par Copernic; la machine d’Atwood inventée près d’un siècle après les Principia pour fournir la première
démonstration indiscutable de la seconde loi de Newton; l’appareillage de Foucault pour montrer que la vitesse de la
lumière est plus grande dans l’air que dans l’eau; ou le gigantesque compteur à scintillation mis au point pour
démontrer l’existence du neutrino - ces éléments d’appareillage spécialisé et bien d’autres du même genre illustrent
l’immense effort et l’ingéniosité qui ont été nécessaires pour établir entre la nature et la théorie une concordance de
plus en plus étroite3. Cette démonstration de la concordance, seconde catégorie du travail expérimental normal,
dépend du paradigme encore plus étroitement que la première. L’existence du paradigme pose le problème à
résoudre. La théorie du paradigme est souvent directement impliquée dans la conception de l’appareillage susceptible
2 Le seul indice vérifiable connu depuis longtemps et encore généralement admis est la précession du périhélie de Mercure. La
fuite vers lc rouge dans le spectre lumineux provenant des étoiles éloignées peut s’expliquer par des considérations plus
élémentaires que celles de la relativité, et il en est de même pour la courbure des rayons lumineux autour du Soleil, question
actuellement discutée. De toute manière, les mesures faites sur ce dernier phénomène demeurent équivoques. II a eté possible, très
récemment, d'établir un indice vérifiable supplémentaire: le déplacement gravitationnel de la radiation de Mossbauer. II y en aura
peut-être d'autres dans ce domaine aujourd'hui actif, mais qui était resté longtemps endormi. Pour un résumé des données les plus
récentes de ce problème, voir L.I. Shiff « A Report on the NASA conference on experimental tests of theories of relativity »,
Physics Today, (1961).
3 Au sujet des deux télescopes de la parallaxe, voir Abraham Wolf, A history of science, technology and philosophy in the
Eithteenth Century, (2' éd.; Londres, 1952) pp. 103-105. Au sujet de la machine d’Atwwood, voir N.R. Hanson, Patterns of
discovery, (Cambridge, 1958) pp. 100-102, 207-8. Au sujet des deux derniers appareils spéciaux, voir M.L. Foucault, « Méthode
générale pour mesurer la vitesse de la lumière dans l’air et les milieux transparents. Vitesses relatives de la lumière dans l’air et
dans l'eau... » ' Comptes-rendus... de l'Académie des Sciences, XXX (1850), 551-60; et C.L. Cowan, Jr. et al. « Detection of the
free neutrino: a confirmation », Science, (1956) pp. 103-4.