l'unesco Asimov -fr Thuillier -fr Wickramasinghe Le temps des peuples O TCHAD Porteuses d'eau "De l'eau. Où vais-je la cher¬ cher ? Oh, je mets deux heures chaque fois pour y aller et deux heures pour revenir. Je lé fais deux fois par jour..." Ces propos d'une jeune Soudanaise décrivent une réalité vécue aujourd'hui par une grande partie de la popula¬ tion du globe. Selon les chiffres pour 1980, environ trois person¬ nes sur cinq, dans les pays en développement, plus de deux qui comptent milliards d'habi¬ tants, n'ont pas d'eau salubre à leur portée immédiate. Ainsi les femmes et les enfants des campa¬ gnes, auxquels incombe la plu¬ part du temps cette tâche, font -ils souvent jusqu'à 10 kilomètres par jour pour aller chercher l'eau nécessaire à satisfaire les besoins les plus élémentaires. Les consé¬ quences de cette situation pour la santé, sont pour le développement, catastrophiques. En 1981 l'Assemblée générale des Nations Unies a lancé la Décennie inter¬ nationale de l'eau potable et de l'assainissement, effort concerté à l'échelle mondiale pour mettre "eau salubre et assainissement adéquat à la portée de tous en 1990". Sur notre photo : deux paysannes près du lac Tchad, en Afrique. Courrier pages de l'unesco 5 par Magnus Pyke Une fenêtre ouverte sur le monde MAI 1982 LE HASARD ET LE GÉNIE 35» ANNÉE 12 PUBLIÉ EN 26 LANGUES LES REPONSES DE DARWIN par Isaac Asimov Français Anglais Espagnol Persan Kiswahili Hébreu Croato-Serbe Russe Néerlandais Macédonien Allemand Portugais Serbo- Croate Arabe Turc Slovène Japonais Ourdou Chinois Italien Catalan Bulgare Hindi Malais Tamoul Coréen 13 DES SOURIS ET DES PHALÈNES 19 LE VOYAGE DU "BEAGLE" 24 LES GALAPAGOS : l'origine de "l'Origine" par Jorge Enrique Adoum Une édition trimestrielle en braille est publiée en français, en anglais et en espagnol. 28 L'UNESCO ET LA FONDATION DARWIN Mensuel publié par l'UNESCO Organisation des Nations Unies 29 L'ÉVOLUTION DE L'ÉVOLUTION par Pierre Thuillier pour l'Éducation, ¡a Science et la Culture Ventes et distributions : 30 Unesco, place de Fontenoy, 75700 Paris Belgique : Jean de Lannoy, 202, avenue du Roi, Bruxelles 6 33 ABONNEMENT 1 an : 48 francs français ; deux ans : 84 francs français. Paiement par chèque DARWIN ET LE RACISME L'ORDINATEUR : DARWIN A RAISON par Boris Mednikov bancaire, mandat, ou CCP 3 volets 12598-48, à l'ordre de : Unesco, Librairie de l'Unesco. Retourner 36 à PUB/C, 7, place de Fontenoy - 75700 L'ASTRONOME : ET SI DARWIN AVAIT TORT ? par Chandra Wickramasinghe Paris. Reliure pour une année : 36 francs. 2 Rédacteur en chef : LE TEMPS DES PEUPLES TCHAD : Porteuses d'eau Edouard Glissant h¿¿¿¿¿¿¿ ¿z¿¿ ¿2V¿ tn&tô- CETTE année marque le cente¬ res de son grand livre, a recensé plus naire de la mort de Charles de trente devanciers. Pourquoi donc Darwin, celui dont la théorie revient-il à Darwin, de l'évolution par la sélection natu¬ relle a été sans conteste la plus grande innovation scientifique du 19e siècle. Notre propos, avec ce numéro du Courrier de l'Unesco qui lui est entièrement consacré, est de rendre hommage au grand savant qui a jeté les bases de la biologie moderne. Nous laissons à d'autres le soin d'évaluer les répercussions morales et religieuses d'une, théorie qu'un philosophe moderne a qualifiée de «programme de recherche métaphy¬ sique». A la différence de la théorie créationniste traditionnelle, selon la¬ quelle toutes les formes de vie sont restées pratiquement immuables depuis qu'elles ont été créées à l'aube des temps biologiques, la théorie La réponse est la suivante: alors que les théories précédentes de l'évo¬ lution avaient un caractère spécula¬ tif, Darwin a su rassembler, dans L'origine des espèces, une incroya¬ ble quantité de / preuves pour appuyer l'idée qué s'était produite une évolution des êtres vivants et que la sélection naturelle en était le mécanisme. Devant la force de cette démonstration, Thomas Huxley, qui allait devenir le plus habile défenseur de Darwin, remarqua, admiratif; « Comme c'est bête de ne pas y avoir pensé!». Cependant, la publication de L'o¬ rigine des espèces déclencha une révolution non seulement dans les sciences de la vie mais aussi dans ¡es affirmait que toutes les espèces exis¬ tantes, y compris l'homme, ont évo¬ lué, pendant des millions et des mil¬ lions d'années, à partir d'une seule forme de vie initiale. conceptions philosophiques, mora¬ les et religieuses de l'homme occi¬ dental. Bien que Darwin ait affirmé qu 'il ne « voyait aucune raison vala¬ ble pour que les opinions exprimées Toutefois, quand parut L'origine des espèces, en 1859, la théorie de l'évolution avait déjà une longue his¬ dans ce livre heurtent les sentiments Darwin de qu 'aient connu les sciences de la vie ? l'évolution toire; darwinienne et à lui seul, l'honneur d'être le symbole mê¬ me du plus grand bouleversement lui-même, dans la notice historique qu'il a ajoutée comme préface aux éditions ultérieu religieux de quiconque», son mes¬ sage menaçait tout l'édifice de la pensée chrétienne rationnelle, repré¬ de finalité inhérents à l'évolution et introduisait le spectre du hasard. Samuel Wilberforce, évêque d'Oxford, dénonça «l'idée infaman¬ te de l'origine bestiale de celui qui a été créé à l'image de Dieu». Moins excessif, mais tout à fait révélateur de l'attitude de rejet que suscita cette attaque des valeurs bien pensantes et conformistes de la société victo¬ rienne, fut ce commentaire de l'épouse de l'évêque de Worcester: «Descendre du singe! Cher, espé¬ rons qu'il n'en est rien, mais si c'était vrai, de grâce, que cela ne se sache pas ! ». La comparaison avec la révolution copernicienne est inévitable. Comme l'a dit Freud: «Au cours des temps, la science a infligé deux affronts au naïf amour-propre de l'humanité. Le premier, quand on a compris que la Terre n 'était pas le centre de l'uni¬ vers, mais seulement un point dans un système aux dimensions à peine concevables (...). Le second, lorsque la science de la vie a retiré à l'homme son statut privilégié de créature par¬ ticulière et l'a relégué au simple rang de descendant du monde animal». Sur notre couverture : détail de la couverture d'un album offert par des savants à Darwin à l'occasion de son 77e anniversaire. sentée par la théologie naturelle, Photo © Down House et le Royal College puisqu 'il niait la notion de progrès et of Surgeons of England (maiEs mKMK 1809-1882 LE HASARD ET LE GÉNIE par Magnus Pyke A27 ans Charles Darwin avait déjà en sa possession tête et dans c'est-à-dire dans sa ses carnets toute et de contemplation au bord de l'étang ou de la rivière. A cette époque, personne n'aurait deviné l'information concernant les végétaux et les qu'il animaux sur laquelle il devait plus tard édi¬ Quand il eut fier la théorie de l'évolution et deviendrait un homme neuf ans on de science. l'envoya à la fonder sa "grande école de M. Butler à Shrewsbury" conception de l'origine des espèces, idées où il resta sept ans, jusqu'en 1825. Cet éta¬ qui ont bouleversé son siècle. Tous les hom¬ blissement où l'on enseignait le latin et le mes qui ont vécu après lui ont su que le grec, avec un peu de géographie et d'histoire monde n'est pas celui auquel leurs pères ancienne, ne lui apprit rien qui pût lui servir avaient cru. dans la vie. D'ailleurs il en sortit avec des notes ni bonnes ni mauvaises ; on le consi¬ Il arrive que d'importantes conséquences sociales et éthiques suivent les dérait en général comme assez médiocre. travaux Son père, qui pourtant l'aimait bien, lui dit d'auteurs dont les activités paraissent sans un jour : "Tu ne t'intéresses à rien, qu'à avenir, voire sans intérêt : c'est ce que mon¬ tre la vie de Darwin. Jeune homme, il tirer des coups de fusil et attraper des chiens et des rats. Tu seras la honte de la famille". n'avait rien de bien prometteur, et ses préoc¬ cupations n'annonçaient pas de grandes En Jugement sévère, sans doute. Quand le jeune Darwin, pourvu découvrit la géométrie découvertes scientifiques. 1876, à l'âge- de 67 ans, il écrivit à d'un -précepteur, d'Euclide, il fut émerveillé par la limpidité des démonstra¬ l'intention de ses enfants un charmant petit livre, Souvenir du développement de mon tions:- intelligence et de mon caractère, dont il ne meilleure opinion de ses aptitudes que son pensa jamais qu'il pût être publié. Il y Et c'est avec le même ravissement qu'il écouta un jour son oncle (qui avait une père) lui expliquer le principe du vernier raconte qu'à ses débuts à l'école il apprenait beaucoup moins vite que sa s cadette, d'un Catherine, et qu'à bien des égards il était, c'est une passion qu'il garda longtemps. Il est vrai que durant toute sa scolarité il conti¬ croyait-il, un vilain petit garçon. baromètre. Toutefois à seize ans il s'enthousiasmait surtout pour la chasse et, nua à collectionner des minéraux, encore En même temps il avait la passion du col¬ lectionneur, et engrangeait d'objets, des plantes, des s toute sorte des coquil¬ lages, des minéraux et aussi des pièces de monnaie et des sceaux-à-cacheter. En outre, il essayait d'apprendre les noms des plantes. Il aimait la pêche à la ligne, qui l'aidait peutêtre à compléter ses collections et qui en tout qu'il s'y prît sans aucune méthode scientifi¬ que, en cherchant simplement à ajouter des spécimens à d'autres spécimens. Les coléop¬ tères aussi attirèrent son attention, pour leurs belles couleurs, et après des vacances au Pays de Galles à l'âge de dix ans il faillit prendre la décision de commencer une col¬ lection d'insectes. cas lui procurait de longs moments de calme MAGNUS PYKE, homme de science et vulgari¬ sateur scientifique anglais, fut Secrétaire de l'Association britannique pour l'avancement des Sciences et président de son Conseil de 1973 à 1977. Cet article est l'adaptation d'un chapitre écrit par Magnus Pyke dans un livre publié ce mois- ci par l'Unesco et le Mendelianum du Musée morave ¡Tchécoslovaquie) : From Biology to Biotechnology, édité par Colette Alexandre Kholodilin et Viteslav Orel. Kinnon, Mais c'est peut-être un embryon de curio¬ sité scientifique qui le poussa à servir d'assistant à son frère, qui étudiait la chimie et s'était installé un laboratoire de fortune dans la cabane à outils au fond du jardin. Plongés dans leurs expériences, les deux gar¬ çons y travaillaient souvent fort tard le soir, ce que condamna publiquement le redoutable M. Butler, quand il apprit la . chose, en accusant le pauvre Charles de "perdre son temps à des matières inutiles". 5 En octobre 1825 Darwin père, constatant Il est d'ailleurs remarquable qu'en 1826, que son fils ne faisait rien à l'école, l'envoya à l'Université d'Edimbourg pour y étudier la au bout d'un an d'université, Darwin ait médecine. Ce n'est pas que l'on songeât ainsi à développer d'éventuels dons scientifi¬ ques, ni à encourager l'initiative et l'origina¬ publié deux petits articles sur les observa¬ tions qu'il avait faites en ramassant des ani¬ maux marins sur les plages de Newhaven. ment que la médecine était, pour un jeune Ainsi peut-on dire qu'avec une grande sim¬ plicité, et en dépit de la désapprobation de ses maîtres, il commençait sa carrière scien¬ homme de bonne famille, une occupation tifique. lité intellectuelle. Non, on estimait seule¬ Pour devenir pasteur anglican, il fallait alors obtenir au préalable un diplôme de l'université d'Oxford et de celle de Cam¬ bridge. Nous retrouvons donc Darwin à l'école, apparemment occupé à faire des étu¬ des qui ne l'intéressent en aucune façon. Mais un jour où il assistait par hasard à une conférence du botaniste John Henslow, il fut ravi de la clarté de l'exposé et des beaux utile et honorable. Charles ne profita guère dessins qui l'illustraient. Bientôt, avec le ou pas du tout des cours magistraux de l'école d'Edimbourg, qui l'ennuyaient pro¬ En tout cas, après deux semestres à Edim¬ même ravissement, il se joignit aux excur¬ bourg, M. Darwin père dut se rendre à l'évi¬ fondément, mais la fréquentation de quel¬ dence : ques condisciples intelligents et curieux éveilla son intérêt pour les sciences. L'un de n'avait pas envie de devenir médecin. Mais ne pouvant admettre que le garçon passe sa vie dans l'oisiveté, il lui proposa la carrière sions qu'Henslow organisait à pied, en voi¬ ture ou quelquefois en péniche sur la rivière. Cependant, son occupation préférée, à Cambridge, était la chasse aux coléoptères, qui ne faisait pas partie non plus de la prépa¬ géologie, un autre dans la zoologie, un troi¬ sième allait devenir botaniste quand il mou¬ rut prématurément en Inde. De même l'ami¬ tié de Darwin pour un certain M. Grant, de ecclésiastique. Charles examina soigneuse¬ ration à l'état ecclésiastique. En revanche, ment cette proposition et décida qu'il serait en inventant deux méthodes pour collecter bien agréable d'être curé de campagne. A cette époque il croyait à la vérité littérale de ces insectes (dans la mousse des arbres qu'il plusieurs années son aîné, qui allait devenir professeur de zoologie à l'université, semble indiquer un intérêt croissant pour les scien¬ chaque mot de la Bible et n'imaginait même ces jeunes gens deyait se distinguer dans la ses filles avaient raison, Charles pas qu'on pût faire autrement. Après avoir faisait gratter par un man en hiver et dans le terreau au fond de barques utilisées pour charrier des joncs) il annonçait les pra¬ tiques d'une tout autre carrière. Et, comme ces de la vie. C'est ainsi qu'il accompagna lu un livre de théologie ou deux, il ne vit pas la moindre difficulté à accepter les dogmes ses amis au bord de la mer pour recueillir des de l'Eglise d'Angleterre et, par voie de con¬ animaux dans les mares des grèves à marée séquence, les suggestions paternelles. Quand basse, ce qui n'avait rien à voir avec les études de médecine. Du moins y. avait-il là on pense à certaines déductions que l'on devait tirer plus tard de sa future théorie de un trait de caractère très important pour un l'origine des espèces, on peut juger assez futur chercheur : la disposition à apprendre paradoxal jeune chose, chez cet étudiant en théologie si peu auprès des camarades et condisciples au moins autant qu'auprès des professeurs. homme de 19 ans à entrer dans les voies de zélé, pour attirer l'attention d'un homme comme Henslow et le distinguer du tout l'empressement de la religion. ce à Edimbourg naguère, son nom figurait dans des publications scientifiques : on pou¬ vait lire en effet ces mots magiques : "Cap¬ turé par C. Darwin", dans les Illustrations of British Insects, de Stephen. Sans nul doute il devait y avoir quelque Photo © Down House et le Royal College of Surgeons of England Microscope démontable, pistolet, poire â poudre et moule â balles que Darwin emporta avec lui sur le Beagle. venant. Le professeur Henslow recevait chez d'un compa¬ qu'un certain capitaine Fitzroy, chargé par lui, un jour par semaine, les universitaires s'intéressant à telle ou telle discipline scienti¬ gnons. Les vacances d'été, il les passait à chercher des coléoptères ; l'automne était le gouvernement d'une croisière scientifique autour du monde, envisageait d'emmener fique. Il invita lejeune Darwin et manifeste¬ ment le prit en amitié. Le maître et l'élève réservé à la chasse. Il aurait pu avec une un naturaliste faire le relevé des végétaux et grande facilité se faire à l'existence bour¬ des animaux qu'on découvrirait en cours de geoise la plus conventionnelle. Il aurait pu tout aussi facilement devenir pasteur campa¬ route. prirent bientôt l'habitude de faire de gran¬ des promenades ensemble, en conversant de botanique et d'entomologie, de chimie, de groupe musical de joyeux et même de reli¬ gnard en gardant l'entomologie pour violon d'Ingres. Mais il était encore à Cambridge gion. Chez Henslow, Darwin appréciait les quand deux incidents modifièrent radicale¬ vastes connaissances et aussi la saine habi¬ ment ces perspectives. C'était en tude d'observer très longuement avant de avait alors vingt-deux ans. minéralogie, de géologie, tirer des conclusions. Il devait le définir plus tard comme un homme dont "le jugement était excellent et l'esprit très équilibré", en ajoutant : "Mais je ne pense pas qu'on puisse dire qu'il avait un génie bien original." De son côté 1' Encyclopaedia Bri¬ tannica note qu'il fut avec Sedgwick un fon¬ dateur de la Société Philosophique de Cam¬ bridge et que autre motif de célébrité "c'est à lui en grande partie que Darwin a dû de se consacrer à l'histoire naturelle et d'être présenté au Capitaine Fitzroy, com¬ mandant du Beagle" . Darwin devait parler de ses trois années à Cambridge comme d'une des plus heureuses périodes de sa vie. La chasse au fusil, la chasse à courre lui plaisaient 1831, il s'agissait d'un travail bénévole fut immédiatement séduit et fort désireux d'accepter l'invitation. Dès qu'il eut obtenu l'autorisation de son père, il alla voir Henslow à Cambridge, littératures reçut de lui de plus amples instructions et se anciennes, il n'avait pu commencer ses étu¬ des à Cambridge à la date voulue. Les auto¬ rendit aussitôt à Londres pour se présenter à Fitzroy, chef de l'expédition et commandant rités universitaires lui demandèrent donc de du navire. Là, il faillit bien être refusé, et il rester au collège deux semestres de plus. Pour l'aider à employer son temps utile¬ ne sut que plus tard à quel point il l'avait ment, Henslow le présenta à son collègue alors un fervent disciple du mystique suisse Trop faible en langues et échappée belle. Le capitaine Fitzroy était Sedgwick qui organisait une expédition géo¬ Johann Kaspar Lavater, célèbre pour son logique au Pays de Galles. Darwin sauta sur l'occasion, et c'est au cours de ce voyage invention de la "physiognomonie", pseudo¬ science qui prétendait analyser le caractère qu'il comprit qu'une collection de spéci¬ des gens d'après les traits de leurs visages. mens n'a aucun intérêt scientifique en soi, alors qu'elle est précieuse si elle contribue à nez, c'est sur elles qu'il jugeait les candidats. Fitzroy croyait en particulier aux formes du soutenir une hypothèse expliquant de façon Or, en examinant Darwin, il hésita beau¬ cohérente pourquoi tel et tel type de roches coup devant un nez où il ne lisait pas l'éner¬ se trouvent là où ils sont. gie et l'endurance nécessaires au voyage. toujours Mais finalement il écarta ses doutes, autant. Il fréquentait des amateurs de chasse Le second incident suivit celui-ci de très et de cheval qui se réunissaient pour dîner, près. En revenant du Pays de Galles, Darwin trouva une lettre de Henslow qui l'informait boire et jouer aux cartes. Il fit partie aussi Il mais qui devait évidemment intéresser une personne aimant ce genre d'activité. Darwin et il dut admettre que le nez de Darwin était heu¬ reusement trompeur. Ainsi c'est presque par hasard que Darwin embarqua en qualité de biologiste pour recueillir l'information dont il devait tirer de quoi bouleverser la pensée dans les généra¬ tions qui ont suivi. "Le voyage du Beagle a été de loin l'événement le plus important de ma vie, écrivait-il plus tard ; il a déterminé toute ma carrière." Ce fut un long voyage : de décembre 1831 à octobre 1836. Parti à 22 ans, Darwin en aurait 27 à son retour. Le Beagle traversa l'Atlantique en visitant plusieurs îles, en particulier l'archipel du Cap Vert, longea les côtes d'Amérique du sud, la Terre de Feu, puis la côte ouest du continent, dans le Pacifique, pour s'arrêter longuement aux îles Galapagos. Cet archi¬ pel, qui comprend douze grandes îles et plu¬ sieurs centaines d'îlots, à près de 1 000 kilo¬ mètres du littoral equatorial, doit son nom aux Espagnols qui le découvrirent au 16e siè¬ cle et s'étonnèrent des tortues géantes (galᬠpagos) qui, entre autres animaux étranges, y vivent en très grand nombre. La faune de ces îles eut beaucoup d'importance pour la thèse de Darwin en raison de l'isolement qui l'avait mise à l'abri des influences extérieu¬ res, de celles de l'homme surtout. Poursuivant vers l'ouest, le Beagle visita Tahiti, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et la Tasmanie, puis les Maldives dans l'Océan Indien, l'Ile Maurice, Sainte-Hélène, l'Ile de l'Ascension et enfin le Brésil. Après quoi le navire remit le cap vers les Açores et l'Angleterre. Quelle que fût la réputation de sportif ou d'étudiant plus ou moins travail¬ que Charles Darwin s'était faite à leur l'école et à l'université, il fit preuve d'une Cette gravure de l'ornithologue et artiste John Gould représente un Rhea Darwinii, une espèce rare et aptère de la famille des autruches qu'on trouve dans le sud de la Patagonie. Darwin l'identifia en 1834 au cours d'une expédition près de Port Désir. 7 activité débordante au cours de cette croi¬ sière. Il prenait des notes détaillées sur tout ce qui pouvait avoir un intérêt scientifique ^ «4* ¿UM ' :LÍJ t>U.\^ dans les domaines de la géologie, de la bota¬ nique et de la zoologie ; et en outre, avec une satisfaction gourmande, il décrivait les Bas Kapital. ¿M*. populations rencontrées ainsi que les mille incidents du voyage. Une fois rentré, en octobre 1836, et pen¬ Kritik der politischen Oekonomie. dant six ans jusqu'en septembre 1842 il vécut à Cambridge et à Londres et se con¬ sacra entièrement à dépouiller et classer les masses d'informations qu'il avait recueillies. Karl M a r x. Kister Hand. Page de titre de Il fit paraître un compte-rendu de la croi¬ l'exemplaire du Capital sière en 1839 et l'année suivante commença dédicacé par Karl Marx à la publication de cinq volumes de Zoologie Darwin. On lit : du "M. Charles Darwin, de presque jusqu'à la fin de ses jours il ne cessa la part de son admirateur sincère, Karl Marx, Biicti I: her Prudtiktioiisitrocexs des Kapitals. Londres 16 juin 1873". Voyage de H. M.S. Beagle. D'ailleurs d'écrire et de publier. Il est certain qu'il tra¬ vaillait dur et méditait beaucoup, bien que ses idées se développassent lentement. II avait aussi une santé assez précaire. Zweite verbesserte Auflage. Avant de s'embarquer, inquiet de quitter sa famille et ses amis, il pensa qu'il avait une maladie de csur et se plaignit plus d'une Du K.cltt i».. Pl1»wili«a «tri vort..h»lt.n. fois de "palpitations". Ensuite, après son mariage avec sa cousine Emma Wegwood en 1839, il eut "des malaises fréquents ainsi qu'une longue et grave maladie". Il allait vivre pourtant jusqu'à 73 ans, dans la mai¬ son qu'il acheta en septembre 1842 à Haiulmr? Verlag roa Otto Metamer. Downe, dans le Kent, menant une existence uta. calme et réglée, vouée tout entière à la réflexion. Mais sa santé le préoccupa tou¬ jours : aussi réceptions et évitait-il soigneusement les les dîners qui "l'excitaient trop" et lui causaient "des accès de fièvre et de vomissements". Emma Darwin En janvier 1839, deux années environ après le retour du Beagle en Angleterre, Charles Darwin épousa sa cousine Emma Wedg¬ wood que l'on voit, âgée de 32 ans, sur ce portrait de Charles Rich¬ mond. Le mariage fut heureux, bien qu'Emma souffrît de voir Darwin perdre progressivement la foi. Sur une lettre qu'elle lui avait adressée, Darwin avait écrit : "Lorsque je serai mort, sachez que maintes fois j'ai couvert cette lettre de larmes et de baisers. CD." "...L'état d'esprit que je souhaite conserver à votre égard est la conviction que, tant que vous agissez en conscience et tant que vous espérez fermement apprendre la vérité et que vous vous y appliquez, vous ne pouvez pas avoir tort, mais certaines raisons s'imposent à moi et m 'ôtent la possibilité de jouir de ce réconfort. Sans doute y avez-vous déjà souvent pensé, mais je veux écrire ce qui m 'est venu à l'esprit, sachant que mon bien-aimé sera indulgent envers moi. Votre esprit et vos journées sont remplis par les sujets les plus intéressants et les réflexions les plus absorbantes, à savoir la poursuite de vos propres découvertes. Mais vos préoccupations vous mettent devant une double difficulté : éviter et rejeter des réflexions d'une autre sorte qui sont autant d'interruptions, sans aucun rapport avec ce que vous recherchez -*-, ou accorder toute votre attention à ces deux aspects de la question. N'est-il pas possible que l'habitude, propre à la recherche scientifique, de ne croire en rien qui ne soit prouvé, ne prévienne trop votre esprit con¬ tre d'autres choses où la preuve ne peut être apportée de la même manière, et qui, si elles sont vraies, sont probablement au-delà de notre compréhension ?... Je ne souhaite pas de réponse à tout cela c'est une satisfaction de l'avoir écrit car lorsque j'en discute avec vous, je ne peux pas dire exactement ce que je veux, et je sais que vous serez indulgent avec votre femme bien-aimée. Ne pensez pas que cela ne me regarde pas et que cela ne signifie pas grand chose pour moi. Tout ce qui vous concerne me concerne aussi et je serais bien plus malheureuse si je pensais que nous ne soyons pas l'un à l'autre pour toujours..." La véritable réponse à l'énigme si débattue, à savoir pourquoi Darwin retarda si longtemps la publication de L 'origine des espè¬ ces, est peut-être qu'il ne voulait pas offenser les croyances religieu¬ Photo © Down House et le Royal College of Surgeons of England ses de son épouse. C'est aussi en 1842 qu'il se donna licence de rédiger (mais au crayon seulement !) l'esquisse d'une théorie expliquant l'appari¬ tion de nouvelles espèces d'êtres vivants à partir d'espèces précédentes. C'était une idée qu'il avait en tête depuis quatre ans. "En octobre 1838, devait-il raconter, donc quinze mois après avoir commencé mon enquête systématique, je lus pour me dis¬ traire le livre de Malthus sur la Population, et comme j'étais bien préparé, pour avoir longuement observé les habitudes des ani¬ maux et des plantes, à voir l'importance de la lutte pour la vie, il me vint aussitôt à l'esprit que dans ces circonstances les varia¬ tions favorables tendraient à se conserver, et les défavorables à être éliminées. Le résultat serait la formation d'une espèce nouvelle. J'avais donc là enfin une théorie d'après laquelle travailler ; mais j'étais si désireux d'éviter les idées préconçues, que je résolus de m'abstenir un certain temps d'en écrire même la plus brève ébauche." Ainsi d'année en année une lente rumina¬ tion lui permit d'affiner et de perfectionner ses idées sur l'évolution et l'origine des espè¬ ces. Au début, ses intuitions n'expliquaient pas pourquoi des espèces biologiques prove¬ nant d'une même souche devraient diverger de manière caractéristique en se modifiant peu à peu. Il aboutit à la conclusion que "la descendance modifiée de toutes formes dominantes et en expansion tend à s'adapter à un grand nombre de lieux hautement diversifiés dans l'économie de la nature." Plus tard il raconta comment cette hypo¬ "Je me rappelle exactement l'endroit où je me trouvais en thèse s'était manifestée : voiture sur la route au moment où, à ma grande joie, j'eus l'idée de la solution." Cette phrase donne un aperçu de certaines caractéristiques de la découverte : les idées peuvent venir d'elles-mêmes à l'esprit qui s'est préparé à les recevoir ; elles peuvent le frapper d'une illumination soudaine et le Ce portrait du naturaliste Alfred Rüssel Wallace fut exécuté à par¬ combler alors d'un immense bonheur. tir d'une photographie prise par Thomas Sims et se trouve actuelle¬ Alfred Rüssel Wallace ment à la National Portrait Gallery de Londres. En 1858, Wallace Réflexions et méditations, examens repris découvrit de son côté le principe de la sélection naturelle et sans cesse des données tirées de ses observa¬ envoyait à Darwin un bref essai, Sur la tendance des variétés à tions ou de celles d'autrui, ce travail se pour¬ s'écarter indéfiniment du type original, dans lequel il exposait le suivit pendant vingt ans, jusqu'au jour principe de la sélection naturelle. Dans une brève note d'accompa¬ au début de 1 856 gnement, où Charles Lyell, le plus Wallace espérait que "cela pourrait apporter l'élément manquant pour expliquer l'origine des espèces" et demandait à grand géologue de l'époque, le persuada de publier ses idées. Darwin se mit aussitôt à la rédaction d'un grand exposé ; deux ans plus tard il n'en était qu'à la moitié. Et c'est alors, un jour de l'été 1858, qu'il reçut une gue Charles Lyell. La lecture de ce manuscrit fit sur Darwin l'effet lettre d'un certain Alfred Wallace, géomètre ce qui devait être l'tuvre de sa vie. "Hélas, combien vous aviez passionné de sciences naturelles, en voyage d'exploration en Malaisie. A la lettre était joint un mémoire "Sur la tendance des frappante. Si Wallace avait eu connaissance de mon manuscrit, qui date de 1842, il n 'en aurait pas fait un meilleur résumé ! Les termes variétés à s'écarter indéfiniment du type ori¬ mêmes qu 'il emploie sont les titres de mes chapitres. " Charles Lyell Darwin s'il le trouvait "assez important" pour l'envoyer au géolo¬ d'une bombe. Depuis des années, Lyell le pressait de publier sa théorie et voilà soudain que Wallace semblait l'avoir devancé dans raison .', écrivit-il à Lyell, je n 'ai jamais vu une coïncidence aussi ginal." Darwin lut, avec une stupéfaction et le botaniste Joseph Hooker trouvèrent une solution élégante et croissante : satisfaisante pour les deux hommes. Ils proposèrent que Darwin et le texte de Wallace contenait une théorie de l'origine des espèces qui était Wallace présentent un mémoire commun sur la sélection naturelle à identique à la sienne. la réunion de la Société linnéenne en juillet 1858. Darwin et Wal¬ lace étaient hommes d'honneur. "J'aurais préféré, dit Darwin à Voilà une autre caractéristique, assez fré¬ Lyell, brûler la totalité de mon livre plutôt que lui (Wallace) ou qui¬ quente, de la découverte scientifique. Les grands esprits à qui l'on doit des découvertes exceptionnelles sont certainement en avance sur leur temps mais, bien souvent, pas de beaucoup. Le savoir grandit et quelquefois conque puisse penser que j'ai agi avec mesquinerie. "A la fin de sa vie, Wallace attribua la priorité de la découverte à Darwin. Dans un discours prononcé en 1908 lors d'une réunion de la Société lin¬ néenne pour célébrer le cinquantième anniversaire du mémoire pré¬ senté par Darwin et Wallace, celui-ci déclara: "Je n'aurais des font aucune raison de me plaindre si les parts respectives de Darwin et jour, mais seulement quand les temps sont mûrs. Jusqu'à Darwin on pensait innovations révolutionnaires se de moi-même dans cette découverte étaient estimées, par rapport généralement més çà et là et à une semaine de l'autre. S'il avait publié sa théorie après six, quinze, voire dix-huit ans d'élaboration, je n'y aurais eu aucune part...". en dépit des doutes expri¬ que les espèces étaient parfai¬ tement distinctes et l'avaient toujours été. D'autre part, la majorité des grandes reli¬ gions enseignaient comme vérité révélée que les différents animaux avaient été créés sépa- au temps que nous lui avons chacun consacré, à vingt ans d'un côté Caricature de Darwin parue dans le Hornet, le 22 mars 1871. Contrairement à une croyance très répandue, Darwin n'a jamais affirmé que l'homme descend du singe, il a seulement dit que tous deux avaient un ancêtre commun. rément doute et différents les géologues fossiles les dès qui l'origine. Sans étudiaient les avaient paléontologues déjà d'autres idées, mais ce n'est qu'à l'épo¬ que de Darwin qu'il devint évident que le temps nécessaire à la formation des roches dont la Terre est composée et des animaux dont elles renferment les fossiles avait été beaucoup plus long que ce qu'en disent les saintes Ecritures. Bref, s'il fallait des hom¬ mes particulièrement doués pour percevoir la signification des données, les conditions étaient réunies pour que cette perception elle-même fût possible. C'est donc ce qui arriva à deux biologistes, Darwin au milieu de ses collections dans la campagne anglaise, et Wallace en Malaisie. Le mémoire de Wallace et le résumé des conclusions de Darwin furent présentés con¬ jointement à la Linnean Society, à Londres, en 1858, et publiés ensemble l'année sui¬ vante. Darwin avait évidemment reçu un choc. Mais, encouragé par ses confrères, poussé aussi par une légitime ambition, il se mit au travail et, malgré les retards que lui infligea comme à l'ordinaire sa mauvaise santé, acheva en treize mois son grand ouvrage, De l'Origine des Espèces, qui parut en novem¬ bre 1859. La première édition fut enlevée en un jour. Ce succès, qui allait être durable, l'auteur devait l'expliquer plus tard : à son avis, les vingt -trois ans écoulés entre la col¬ lecte des données servant de fondement à l'hypothèse et la publication d'un exposé cohérent des conclusions n'avaient pas été alimentaires sur le même terrain que leurs dre d'un singe par son grand-père ou par sa compagnons à nuque courte, auxquels ils grand-mère. La confrontation fut mémora¬ ble. Huxley répliqua que s'il lui fallait reven¬ diquer une parenté soit avec un personnage distingué dans les affaires de l'Eglise et de seraient ainsi capables de survivre dès la pre¬ mière disette." du temps perdu, car le public comme les milieux scientifiques avait pu durant ce quart de siècle se familiariser avec l'idée théorie ait eu tant d'influence sur la pensée d'évolution. de l'époque. Trois grandes raisons expliquent que cette D'abord elle contredisait le sens littéral des Ecritures Saihtes où on lisait En tout cas, une fois rendue publique, la découverte (cette conception neuve de la biologie et de l'origine des espèces) com¬ mença à exercer une influence profonde sur la société. Aujourd'hui, après plus de cent ans, on a du mal à comprendre le boulever¬ sement que la théorie de Wallace et Darwin introduisit dans les idées reçues concernant le monde et les êtres qui y vivent : cette théo¬ rie nous paraît évidente. Son premier prin¬ cipe est aue. selon le mot de Wallace "la vie des animaux en liberté est une lutte pour l'existence". Le second principe est que les variations qui se produisent dans la forme typique d'une espèce (ni Darwin ni Wallace ne précisaient les causes de ces variations) que les animaux et les végétaux avaient été créés immuables et distincts, tels qu'ils sont aujourd'hui. En second lieu il paraissait angoissant d'admettre que si toutes les espè¬ ces de plantes et d'animaux sortaient d'espè¬ ces précédentes moins aptes, l'homme aussi l'homme, parangon des animaux, selon moins Shakespeare, mais animal néan¬ avait évolué à partir d'une forme inférieure. Troisièmement, enfin, la théorie servait, après tant d'autres, à démontrer que pour la connaissance de l'environnement la rationalité objective de la science est supé¬ rieure aux enthousiasmes de la révélation. ont un effet, favorable ou défavorable, sur la capacité de survie de l'espèce en question. blée annuelle de l'Association britannique C'est pour fameuse "survivance des plus qui tournait en dérision des cher¬ cheurs en quête du vrai, soit avec un singe jacassant dans sa cage mais représentant le mystère et les merveilles de la nature, il aurait quelque difficulté à choisir. A la tri¬ bune une dame s'évanouit : on n'avait jamais vu prélat anglican chez lui, dans sa ville épiscopale subir pareille rebuf¬ fade, pareil affront. Appuyée par les observations que Darwin avait faites sur les variations de plusieurs espèces aux Galapagos et par celles qu'avait obtenues parallèlement Wallace dans l'ar¬ chipel malais, l'idée d'évolution était redou¬ table. Wilberforce ne fut pas le seul homme d'Eglise à s'élever contre elle et à croire sin¬ cèrement que "le principe de la sélection naturelle est absolument incompatible avec L,' Origine des Espèces date de 1859. L'année suivante, à Oxford, lors de l'assem¬ la l'Etat l'avancement des sciences, Thomas la parole de Dieu." Pour le cardinal Man¬ ning c'était "une philosophie bestiale : Dieu n'existe pas, Adam était un singe." En France, Mgr de Ségur parlait de doctrines infâmes ne se fondant que sur les passions aptes". Ainsi s'expliquent que les espèces apparaissent et changent grâce à un proces¬ Henry Huxley, conférencier célèbre, profes¬ seur de médecine, futur président de la sus d'évolution. Wallace écrivait à ce pro¬ Royal Society, fit un discours sur l' de les plus abjectes, et qui ont pour père l'orgueil, pour mère l'impureté, pour pos : "La girafe n'a pas acquis son long cou Darwin et ses implications. Il y eut ensuite enfants à force de vouloir atteindre les plus hauts un d'Oxford, l'évêque de Melbourne affirmait dans un feuillages, mais parce que toute variation se produisant chez les antétypes pourvus d'un cou plus long que la normale assurait immé¬ Samuel Wilberforce, se lança dans une vio¬ pamphlet intitulé Science and the Bible que diatement à ceux-ci de nouvelles ressources demander si le conférencier pensait descen 10 débat, et alors l'évêque les révolutions... En Australie, lente diatribe contre Darwin et contre Hux¬ le but de Darwin et de Huxley était "bien ley moins de faire progresser le savoir que de lui-même et s'emporta au point de détourner les lecteurs de croire à la Bible." Au moment de la publication de l'Origine ont été acceptés. Si certains esprits pensent réservée la tâche d'écrire De l'Origine des des Espèces, la science provoquait des muta¬ tions en maint domaines. On acclamait ses que la croyance à l'évolution biologique peut détruire ou affaiblir telles ou telles con¬ réussites, on y voyait autant de témoignages victions du progrès humain. Mais la théorie de l'évo¬ l'avantage d'une perception plus profonde lution était gênante. Ses auteurs, et avec eux le milieu scientifique qui était le leur, pou¬ des rapports de l'homme avec les autres espèces en compagnie desquelles il doit vivre Espèces. Ce n'est pas d'hier que j'ai mesuré mes forces, je sais bien qu'elles n'auraient pas été à la hauteur de cette tâche. Des hom¬ mes beaucoup plus qualifiés que moi avoue¬ raient qu'ils ne possèdent pas cette infatiga¬ ble patience pour accumuler des masses de . vaient certes considérer avec sur terre. faits d'une diversité extrême et ce merveil¬ fierté qu'ils avaient élargi la compréhension des princi¬ pes biologiques qui régissent l'origine des espèces. En revanche, beaucoup d'hommes et de femmes souffraient de devoir admettre qu'ils étaient, comme les autres êtres vivants, les descendants de formes inférieu¬ res, infra-humaines. L'âpre dispute dont Wilberforce et Huxley avaient donné le signal dura longtemps : il en reste encore des échos aujourd'hui. Cependant, en général, les principes fondamentaux de la théorie de l'évolution conçue par Darwin et Wallace religieuses, d'autres mesurent Avec une générosité que les scientifiques ne manifestent pas toujours, Wallace, qui avait été le premier à agencer les données susceptibles d'appuyer la théorie de l'évolu¬ tion, sut définir bien plus tard, en 1870, la manière dont la pensée de Darwin, telle sur¬ tout que l'expose son grand livre, a changé le monde : "J'ai toujours été très sincèrement heu¬ reux que M. Darwin se soit mis au travail longtemps avant moi et que ne m'ait pas été leux talent pour les utiliser, ces vastes et exactes connaissances physiologiques, cette ingéniosité pour imaginer des expériences et cette habileté à les mener à bien, enfin, dans l'exposé, ce style admirable, à la fois clair, persuasif et scrupuleusement précis, tou¬ tes qualités qui dans leur harmonieuse com¬ binaison désignent M. Darwin, parmi tous les contemporains peut-être, comme l'hom¬ me le plus digne de la grande ouvre qu'il a entreprise et accomplie". Magnus Pyke < © 11 < © L'une des nombreuses objections contre la théorie de Darwin fut qu'on n'avait jamais trouvé de restes fossiles des formes intermédiaires ou transitoires qui, selon lui, devaient relier entre elles les espèces. La découverte d'un fossile d'archéoptérix, en 1861, fit taire, en grande partie, ces critiques. L'archéoptérix présentait certains caractères des oiseaux, ainsi les ailes et les plumes, mais, comme les reptiles, il avait des griffes â l'extrémité des membres antérieurs, des dents et une longue queue osseuse. LES RÉPONSES DE DARWIN par Isaac Asimov LA notion d'évolution biologique est fort ancienne. Elle est apparue lors¬ que les biologistes ont tenté une clas¬ sification des organismes vivants. L'un des premiers à le faire fut, au 4e siècle avant l'ère chrétienne, le philosophe grec Aristote. en plus petites pour aboutir à une espèce particulière, un peu à la manière des feuilles d'un arbre. dois Cari Linné établit un système qui per¬ Imaginons que par quelque tour de passepasse tout ce qu'on puisse voir d'un arbre soient ses feuilles réparties dans l'espace. En concluerait-on que ces feuilles sont soudain apparues, d'une quelconque façon, à l'en¬ mettait d'ordonner les organismes vivants droit même où elles se trouvent? Certaine¬ en différents genres et espèces, toutes les espèces similaires pouvant être réunies en groupes, ceux-ci en ensembles de groupes similaires, et ainsi de suite. Il devint possible d'établir un diagramme distribuant tous les êtres vivants en quelques branches principa¬ les, chacune se divisant en branches de plus ment pas! on supposerait qu'elles font par¬ tie d'un arbre issu d'un simple germe, et qui a développé branches et rameaux sur les¬ quels ont poussé les feuilles. Bien plus tard, en 1737, le botaniste sué¬ C'est ainsi que des hommes de science ont commencé à se demander s'il ne pouvait y avoir un «arbre de vie» qui aurait poussé, comme un arbre ordinaire; si les espèces les et d'autres éléments ayant été jadis des organismes vivants, mais ils avaient été sans doute ensevelis pendant des millions d'années dans le roc et s'étaient eux-mêmes lentement pétrifiés. Ces fossiles attestaient des formes de vie qui n'étaient pas tout à fait les mêmes que celles des espèces vivantes, mais leur étaient apparentées. Les fossiles venaient combler les parties manquantes de l'arbre de la vie: ils représentaient les branches les plus primi¬ tives et donnaient des indications sur la façon dont avaient évolué des espèces parti¬ culières. Par exemple, il y eut des animaux ressemblant au cheval qui vivaient il y a des millions d'années. Au début, ils étaient petits et n'avaient pas moins de quatre sabots à chaque pied. Avec le temps apparu¬ gue liste de ses ouvrages atteste la variété de ses actuelles ne pouvaient provenir d'espèces plus simples, elles-mêmes issues d'espèces encore plus simples, et si, à l'origine, toutes ne descendaient pas d'une unique forme de centres d'intérêt, qui vont de la critique littéraire à vie tout à fait rudimentaire. On appelle ce la psychologie, des mathématiques à l'humour, en passant par la poésie et le mystère. Il a publié, en 1979, un ouvrage qu'il considère comme son 200e titre : Opus 200, une anthologie de son et In Memory Yet Green, premier volume processus «évolution biologique». Au cours du 19e siècle, les scientifiques énormes créatures que l'on a apparentées étudièrent des objets découverts dans les roches, qu'ils nommèrent «fossiles». Ceux- aux reptiles actuels (en particulier aux alliga¬ tors) et qui disparurent, ou s'éteignirent, il y de son autobiographie. ci avaient la forme d'os, de dents, de coquil- a 65 millions d'années. ISAAC auteur ASIMOV, de science scientifique fiction, est américain et mondialement connu pour son cuvre de vulgarisation. La lon¬ rent d'autres espèces, plus grandes et pour¬ vues de moins de sabots, jusqu'à ce qu'enfin apparaisse le cheval «moderne». D'autres animaux ne laissèrent pas de des¬ cendance, tels les majestueux dinosaures, SUITE PAGE 16 12 Des souris et des phalènes Darwin fonda sa théorie de la sélection naturelle des espèces sur quatre idées. Si on applique celles-ci à une population existante, il est facile de suivre l'argumentation darwinienne. / Des naissances en surnombre. Toute espèce est capable d'assurer une descendance supérieure en nombre à celle nécessaire à son seul maintien. Un couple de souris peut avoir des portées de six souriceaux, jusqu'à six fois par an. Au bout de six semaines, ces descendants sont aptes à se reproduire à leur tour. Imaginez combien il pourrait y avoir de souris, si toutes survivaient et continuaient de se reproduire... < Pourquoi la Terre n'est -elle pas submergée © de souris? Si grande soit la prolificité d'un couple de souris, le nombre d'individus, dans une population, quelle qu'elle soit, tend à se stabiliser, tous les descendants n'atteignant pas l'âge de la reproduction. 13 2 La lutte pour la survie. L'environnement peut influer sur les chances de survie de l'individu. Tous les êtres vivants sont dans un rapport d'interaction avec leur environnement: celui-ci fournit la nourriture, l'espace et un milieu propice, mais abrite aussi rivaux et prédateurs. Ainsi tous les individus d'une population ne survivent-ils pas jusqu'à la reproduction... Une souris peut être dévorée par un prédateur. Ou ne pas trouver de compagnon. Ou bien n'être pas en mesure de se procurer assez de nourriture. 3 Quelques différences importantes. Les individus ne sont pas tous identiques Certains ont donc plus de chances de survivre que d'autres. Deux souris ne sont jamais tout à fait semblables. Certaines des variations existant entre elles peuvent même modifier leurs chances de survie. Les souris n'ont pas s t toutes la même couleur : les unes sont plus foncées que d'autres. un sol sombre, les souris claires sont plus faciles à distinguer: elles courent plus de risque d'être dévorées par les hiboux. < © Les souris foncées sont mieux adaptées à cet environnement et ont donc plus de chances de survivre et de se reproduire. 4 Une question d 'hérédité. Certains caractères sont transmis à la génération suivante. Certaines différences entre individus sont donc héritées; pour la souris, par exemple, la couleur du poil. Dans une région au sol sombre, les souris foncées risquent moins que les autres d'être vues par les prédateurs et ont plus de chances de survivre et de se reproduire. Il est fort probable que ce sont leurs caractères qui seront transmis à la génération suivante. A la génération suivante, il y aura une plus grande proportion de souris foncées que précédemment. Si les conditions demeurent les mêmes, la proportion de souris foncées continuera de croître. Au bout de plusieurs générations, la proportion d'individus bien adaptés a donc toutes les chances d'augmenter. Darwin appelle ce processus la sélection naturelle. La sélection naturelle permet d'expliquer comment les caractères d'une population peuvent changer à mesure que les individus deviennent mieux adaptés à leur environnement. Le géomètre du bouleau : un changement lié à l'époque. Un exemple de sélection naturelle: les caractères d'une population peuvent changer. ft*, : 185(1 I9M Sorte de phalène, le géomètre du Au cours du 19e siècle, fumée venant des usines tuèrent la bouleau (Biston betularia) est très l'environnement de ces papillons majeure partie des lichens et noircirent répandu en Grande-Bretagne. De changea dramatiquement. les arbres dans beaucoup de zones nombreuses espèces d'oiseaux s'en Avant la révolution industrielle, la industrielles. nourrissent. plupart des troncs d'arbres étaient Comparez les deux environnements. Ils les trouvent sur le tronc des arbres mouchetés de gris car incrustés de Dans chaque situation, quels sont les où ces papillons de nuit se reposent lichens. papillons qui ont le plus de chances de pendant le jour. Vers la fin du 19e siècle, la suie et la survivre et de laisser des descendants ? < © Ces deux collections sont représentatives des populations de géomètres du bouleau vivant aux alentours de Manchester en 1850 et en 1900. 15 SUITE DE LA PAGE 12 Même si beaucoup de savants commencè¬ rent à soupçonner l'existence de l'évolution biologique, cette idée ne parut pas très con¬ épis, et veillent à ce que ces organismes choi¬ sis se reproduisent. Ainsi, au cours de mil¬ conviennent de l'importance de la sélection naturelle comme principale force motrice de liers d'années où l'homme a domestiqué les cette évolution. vaincante car nul ne savait comment le phé¬ animaux, il a développé des races très diffé¬ rentes de ce qu'elles étaient à l'origine, et mieux adaptées aux besoins humains. nomène s'était produit. Qu'est ce qui faisait changer une espèce ? Personne n'avait jamais vu une espèce changer. Les chats avaient toujours des chatons, les chiens des chiots, les vaches des veaux. Il n'y avait vent distancer leurs ennemis, ceux qui sont jamais la moindre erreur. Le premier scientifique qui tenta sérieuse¬ ment de tirer au clair le La nature en fait autant. Elle sélectionne parmi les jeunes ceux qui sont les plus avan¬ tagés : ceux qui sont les plus rapides et peu¬ "comment" les plus robustes et peuvent repousser leurs ennemis, ceux qui sont les plus malins et de peuvent tromper leurs ennemis, ceux qui ont l'évolution fut un Français, Jean-Baptiste les meilleures dents et peuvent manger plus efficacement, et ainsi de suite. Lamarck. Il pensa qu'elle avait été détermi¬ née par le mode de vie. Si une antilope se nourrit de feuilles d'arbre, elle passera sa vie à tendre le cou pour atteindre les feuilles, toujours de plus en plus haut. Son cou s'allongera alors légèrement par suite de cet effort continuel, et ses petits hériteront d'un cou légèrement plus long. Ce cou s'étirera toujours davantage au cours des généra¬ tions, jusqu'à ce qu'apparaisse, longtemps, très longtemps après, la girafe. C'est ce qu'on appelle "l'évolution par hérédité des C'est ainsi que les animaux ressemblant au cheval sont devenus plus gros et plus robustes, et ont été dotés de sabots moins nombreux Sélection pour courir faite par la plus Cependant, dès le départ se posèrent cer¬ tains problèmes qui, au cours des 125 ans qui se sont écoulés depuis la parution de l'ouvrage de Darwin, ont été approfondis et éclairés. Par exemple, nous savons que la sélection naturelle dépend de variations innées, mais comment celles-ci ont-elles été préservées ? Supposons qu'un type de coloration soit effi¬ cace pour le camouflage et qu'un animal qui en est doté ait plus de chance de survivre. S'il vient de s'accoupler avec un animal de cou¬ leur différente et que le jeune ait une couleur intermédiaire, l'avantage disparaîtra. rapidement. nature et non par Or, dans les années 1860, un botaniste autrichien, Gregor Mendel, faisait des recherches sur des semis de petits pois qui présentaient, selon l'espèce, des caractères différents. Il croisa deux espèces et étudia les caractères que présentaient les jeunes plants lors de leur croissance. Il se trouva que les caractères respectifs ne se mêlaient pas et qu'il n'y avait pas de formes intermédiaires. Si une variété à tige haute était croisée avec une autre à tige courte, les plants étaient soit caractères acquis". Ce n'était pas satisfaisant. D'abord les caractères acquis ne sont pas héréditaires. Si l'on coupe la queue d'une souris, les souri¬ grands, soit petits, mais aucun n'avait une ceaux n'en naîtront pas moins tous avec une taille intermédiaire. queue, pas plus courte que celle de leurs congénères. Deuxièmement, comment la girafe a-t-elle acquis sa robe tachetée qui se confond si bien avec le paysage taché d'ombres par les arbres, la dissimulant à ses ennemis ? La girafe peut-elle avoir essayé Mendel publia le résultat de ses travaux, mais personne n'y prêta alors attention. Ce n'est qu'en 1900 que d'autres botanistes, parvenus à des résultats semblables, com¬ pulsèrent les publications scientifiques pour se rendre compte des travaux effectués anté¬ d'être tachetée ? Evidemment non. rieurement, et tombèrent sur l'étude de En 1859 enfin, un savant anglais, Charles Mendel. Mais celui-ci était mort en 1884, si Darwin, publiait un ouvrage connu sous le titre L'origine des espèces, qui offrait une véritable solution au problème. Darwin pen¬ sait que les organismes vivants se multiplient généralement plus que les ressources alimen¬ taires ne le permettent. Si tous les jeunes cerfs mis bas atteignaient l'âge adulte, il y aurait bientôt, de génération en génération, une telle population de cerfs que les végé¬ bien qu'il n'a jamais pu savoir qu'il avait taux et les arbres seraient totalement fondé une nouvelle science : la génétique mendélienne. Mendel supposait qu'il existait dans les organismes certains éléments qui contrô¬ laient les caractères physiques particuliers de Augustins, Gregor Johann Mendel (1822- ces organismes, et que ces éléments étaient transmis de parents à enfants. En 1879, un 1884), publia un article intitulé Expériences savant allemand, Walther Flemming, décou¬ sur des plantes hybrides, qui jeta les bases vrait les minuscules chromosomes dans le En 1866, un moine autrichien de l'ordre des dépouillés et que les cerfs mourraient de faim. Ce n'est pas le cas, parce que seuls quelques jeunes cerfs parviennent à l'âge adulte. Pour la plupart, ils sont dévorés par de la science génétique. Son travail passa les autres animaux. Il y a compétition des fût son contemporain, Darwin ignorait les jeunes, pour ainsi dire, en vue de demeurer assez longtemps en vie pour procréer à leur tour. Autre observation. Quand on étudie les jeunes animaux, on s'aperçoit qu'ils ne sont pas rigoureusement identiques. Ils présen¬ tent toujours des différences. Certains sont plus robustes que d'autres, ou courent un peu plus vite, ou .sont d'une couleur qui se fond un peu mieux dans l'arrière-plan envi¬ ronnant et les cache, etc. En d'autres ter¬ mes, certains d'entre eux ont, dans la lutte pour rester saufs et grandir, des avantages qui jouent en leur faveur. Privilégiés, ils ont plus de chance de devenir adultes, et de transmettre leurs caractères à leurs petits. Ainsi, ces caractères ne sont-ils pas acquis, mais innés. Ce sont des "variations naturel¬ les". noyau des cellules. Dès que fut redécouverte la génétique mendélienne, il devint vite évi¬ dent que les chromosomes étaient transmis inaperçu ; il fallut attendre le début du siècle pour que soit reconnue toute l'importance de sa découverte. Quoiqu'il de parents à enfants et que ce phénomène expliquait la manière dont les caractères travaux de Mendel ; ses conceptions de l'hérédité étaient purement spéculatives. La étaient hérités. Le chromosome apparaissait génétique mendélienne vint combler cette lacune en apportant une description exacte comme un chapelet de gènes, dont chacun l'évolution par la sélection naturelle. Ces gènes étaient constitués de grandes molécules d'acide nucléique, qui produisent leurs propres répliques chaque fois qu'une l'homme. C'est "l'évolution par sélection cellule se divise. Ainsi chaque nouvelle cel¬ naturelle". Comme il agit avec intelligence, lule présente les caractères de celle dont elle l'homme est en mesure d'obtenir en quel¬ provient. ques générations des modifications considé¬ rables ; la nature, elle, agit au hasard. Sou¬ vent les meilleurs organismes deviennent, par malchance, la proie d'un ennemi. Aussi la formation de nouvelles espèces par la sélection naturelle peut-elle demander des millions d'années. L'ingéniosité de la notion darwinienne de sélection naturelle, et la méthode pleine de Les hommes tirent parti de ces variations prudence avec laquelle il présentait, dans son ouvrage, ses observations et ses raison¬ naturelles existant chez les animaux domes¬ nements devaient aussitôt convaincre quel¬ tiques et les plantes. Ils sélectionnent les che¬ vaux qui courent le plus vite, les vaches qui donnent le plus de lait, les poules qui pon¬ dent le plus d' les moutons qui ont le plus de laine, le blé qui porte les plus lourds 16 contrôlait un caractère particulier. du mécanisme de l'hérédité qu'exigeait ques savants. Avec le temps, ils devaient en convaincre un plus grand nombre encore. A l'heure actuelle, les scientifiques admettent en général l'évolution biologique sur des fondements essentiellement darwiniens et Toutefois, la réplique n'est pas toujours parfaite. De petites modifications acciden¬ telles peuvent avoir lieu au sein de la molé¬ cule. On appelle ces modifications "muta¬ tions". Ce sont les mutations qui détermi¬ nent les différences entre tel individu et tel autre. Ce sont les mutations qui sont res¬ ponsables des variations innées chez les jeu¬ nes, lesquelles rendent possible la sélection naturelle. Celle-ci fait que certaines muta¬ tions se développent et que d'autres dispa¬ raissent, et quand différentes mutations se maintiennent ici ou là, de nouvelles espèces apparaissent. Vers 1927, un savant américain, Hermann Muller, a démontré comment l'on pouvait AA grand génération petit des parents 0 ! \ I 0 0 0 \^ . A / ' /S. / première génération 0 Q ß 0 W si/ \' ;< \X \l AA Aa Aa grand grand ! deuxième génération In aa grand petit Les expériences de Gregor Mendel sur les petits pois appartiennent â l'histoire de la science. Il commença par croiser des variétés pures de grande taille avec des variétés pures de petite taille. Comme le montre ie diagramme ci-dessus, la totalité de la descendance de la première génération était de grande taille, car, bien que chaque plant soit porteur des deux gènes, le caractère dominant (A) < l'emporte sur le caractère récessif (a). Mais, pour la deuxième © génération, environ le quart de la descendance héritait du caractère récessif (a) et ainsi la variété pure de petite taille réapparaissait une fois sur quatre. produire des mutations en bombardant les organismes avec des rayons X, qui modi¬ populations d'une espèce particulière, il peut arriver que se produisent des mutations fient les qui ne soient pas particulièrement utiles uni¬ gènes. En 1953, un Américain, James Wat¬ quement parce qu'un coup de chance a per¬ Ces intervalles de changement rapide pourraient être l'agent majeur de la pour¬ suite de l'évolution. En 1982, nous pouvons résumer l'état de la question de l'évolution son, et un Anglais, Francis Crick, expliquè¬ mis aux individus dotés de cette mutation de biologique comme suit : rent en détail la structure des acides nucléi¬ survivre. la disposition des atomes dans ques, et montrèrent comment chaque molé¬ En cule particulière produit sa propre réplique, actuels, et comment, ce faisant, elle peut commettre d'une évolution qui s'effectue la plupart du pour comme certains Stephen scientifiques Gould, il s'agit temps très lentement mais qui, dans des cir¬ une erreur. Tout ceci renforça et compléta la théorie darwinienne de l'évolution par la sélection constances exceptionnelles, va à un rythme Depuis l'époque de Darwin, on a trouvé de plus en plus de fossiles, et l'on en sait de plus en plus sur le comportement des orga¬ nismes vivants et leur influence réciproque. On est aussi parvenu à mieux comprendre les détails de l'évolution, par exemple quel organisme provient de tel autre, ce qui a provoqué l'apparition ultérieure de certains organismes et par quelles étapes intermédiai¬ res. En outre, on a découvert que la sélection n'opère pas toujours avec une 1) A peu près tous les scientifiques sont convaincus que l'évolution biologique a eu lieu pendant des milliards d'années, et que les espèces actuelles, l'espèce humaine com¬ prise, sont issues d'autres espèces existant antérieurement. très rapide. Quand il existe une énorme population d'une espèce, il se peut qu'aucune mutation naturelle. naturelle fait, ne puisse s'imposer en raison de la présence d'un grand nombre d'individus ayant d'autres mutations. Qui plus est, tel ou tel coup du hasard serait insuffisant pour orien¬ 2) A peu près tous les scientifiques sont convaincus que la manière dont l'évolution biologique s'est produite est essentiellement celle qu'a décrite Charles Darwin ; et que la sélection naturelle des variations innées est la clef de cette évolution. ter l'évolution dans telle ou telle direction. 3) Il existe de profonds désaccords entre L'espèce pourrait alors rester pratiquement immuable pendant des millions d'années. les scientifiques à propos de certains détails Au contraire, si une population bien plus restreinte de cette espèce est isolée dans un pas encore en mesure de dire quel parti va l'emporter. Quel que soit le gagnant, cela ne environnement difficile, il est fort possible remet pas en cause le fait que la théorie dar¬ winienne est très généralement admise, avec qu'un pur hasard entraîne la disparition de certaines mutations tandis que d'autres sur¬ du mécanisme évolutif, et nous ne sommes les perfectionnements qui lui ont été appor¬ tés de nos jours, comme la description fon¬ infaillibilité mécanique et que d'autres fac¬ teurs interviennent dans cette opération. Le conditions, l'évolution sera plus rapide, et damentale du mode de développement de la hasard, de nouvelles espèces pourront se former en vie sur la Terre. par exemple, joue un rôle plus important qu'on ne l'a cru. Dans de petites vivront en nombre considérable. Dans ces quelques milliers d'années seulement. Isaac Asimov 17 Le Beagle dans le détroit de Magellan 1 - Le siège de M. Darwin dans la cabine du capitaine. 2 - Le siège de M- Darwin dans la cabine arrière. 3 - Les tiroirs de M. Darwin dans la cabine arrière. 4 - Compas de relèvement. 5 - Hublot du capitaine. 6 - Hublot du poste des aspirants. «Il était gréé comme une goélette. Ses mâts étaient solidement soutenus par des barres traversières plus carrées et des hunes, et par un gréement plus grand qu'il ne l'est de coutume sur des vaisseaux de ce tonnage... Sur l'arrière du grand-mât il y avait quatre canons de neuf livres et deux de six livres. Les hublots étaient grands ; il n'y avait pas de cabestan ; au-dessus du gouvernail la dunette dépassait ; au-dessous se trouvaient les cabines, extrêmement petites à coup sûr bien que remplies en proportion inverse de leurs dimensions. Sous le pont supérieur, les logements étaient semblables, quoique plutôt mieux que ceux des navires de ce type. Sur le gaillard arrière, placées sur des glissières, il y avait deux baleinières de huit et de vingt-cinq pieds de long, et sur chaque côté une baleinière de vingt-cinq pieds de long, enfin à l'arrière, se trouvait un canot de sauvetage». {Relation des Voyages de recherche menés par les vaisseaux de sa majesté Adventure et Beagle, entre les années 1826 et 1836) 18 LE VOYAGE DU "BEAGLE" Le prélude Le passage de la ligne Le 1 1 septembre (1831) j'ai fait une rapide visite au Beagle avec Fitz-Roy, à Plymouth. Le 24 octobre, je me suis installé à opération: on m'a rasé. Vers 9 heures du matin, tous les «bleus» Plymouth et j'y suis demeuré jusqu'au 27 décembre, quand le Bea¬ gle a enfin quitté les côtes de l'Angleterre pour naviguer autour du monde (...). Ces deux mois passés à Plymouth ont été les plus sinis¬ tres de ma vie, en dépit de tous mes efforts. J'étais complètement prostré à la pensée de quitter ma famille pour aussi longtemps, et le temps me semblait plus funèbre que je ne saurais dire. De plus je souffrais du ciur, j'avais des palpitations, et comme bien d'autres jeunes ignorants, surtout quand ils ont quelque vague teinture de science médicale, je me croyais atteint d'une maladie de csur. Je Nous avons traversé l'Equateur et j'ai dû subir une désagréable nous formions un groupe de trente-deux personnes ont été rassemblés au pont inférieur. On avait fermé les écoutilles, aussi étions-nous dans le noir, et il faisait très chaud. Alors quatre gar¬ diens de Neptune vinrent vers nous, et un par un nous conduisirent sur le pont. J'étais le premier, et je m'enfuis sans peine. J'avais néanmoins trouvé l'épreuve de l'eau fort désagréable. Avant de me remonter, un gardien m'avait bandé les yeux et m'avait conduit, tandis que l'on déversait des seaux d'eau autour de moi. On me mit alors sur une planche que l'on pouvait facilement faire basculer ne consultai aucun médecin, convaincu que le verdict m'interdirait dans un grand bain. Puis on m'a barbouillé le visage et la bouche le voyage, et je me décidai de m'en remettre au destin. de poix et de peinture qu'on a ensuite quelque peu raclée avec un (Darwin, Autobiographie) cercle de fer grossier. A un signal donné, j'ai été jeté cul par dessus tête dans l'eau où deux hommes m'ont attrapé et m'ont fait faire le plongeon. Finalement, je me suis esbigné, pas mécontent, mais les autres ont été, pour la plupart, moins chanceux, on leur a versé je Le départ ne sais quelles affreuses mixtures dans la bouche et on leur a badi¬ Après avoir été deux fois repoussé par de terribles tempêtes du sud-ouest, le vaisseau de Sa Majesté le Beagle, brick de dix canons, sous le commandement du capitaine Fitz-Roy, de la marine royale, sortit du port de Devonport le 27 décembre 1831. L'expédition avait pour mission de compléter l'étude des côtes de la Patagonie et de la Terre de Feu, étude commencée sous les ordres du capitaine King, de 1826 à 1830 de relever les plans des côtes du Chili, du Pérou et de quelques îles du Pacifique et enfin de faire une série geonné le visage. Tout le navire était transformé en bains-douches, et l'eau ruisselait partout. Tout le monde était trempé, même le capitaine. (Darwin, Journal, 17 février 1832) Le Capitaine Pour ce qui est du Capitaine, j'ose dire qu'il vous intéresserait. Pour autant que je puisse en juger, c'est un personnage extraordi¬ d'observations chronométriques autour du monde. (Darwin, Voyage d'un naturaliste autour du monde) Un marin d'eau douce naire. Jamais auparavant je n'ai rencontré un homme dont j'ai pu imaginer qu'il pût être Napoléon ou Nelson. Je ne puis dire qu'il soit intelligent, mais je suis sûr qu'il est convaincu que rien pour lui n'est trop grand, ni trop haut. La façon dont il en impose à tout un chacun est fort curieuse. La manière dont les officiers et les hom¬ Pour être demeuré vingt quatre heures en mer, nul n'a'le droit de dire que le mal de mer est fort désagréable. La véritable détresse ne commence que quand on est si épuisé que le moindre effort provo¬ que une sensation d'insurmontable faiblesse. Je gisais dans mon mes sont sensibles au moindre blâme ou éloge de sa part reste incompréhensible tant qu'on ne l'a pas connu. Avec ça d'une impartialité sans pareille, comme sa franchise; non moins éton¬ nants «son orgueil et sa susceptibilité», comme il dit. J'ai eu à sans rien pouvoir subir sa susceptibilité, mais son orgueil entrant en jeu, il est diffi¬ absorber, hormis vos raisins, la seule nourriture que tolérait mon estomac. Le 4 janvier nous étions à quelques milles de Madère, cile de lui garder rancune. Ce qui rend sa compagnie pénible, c'est le mutisme dans lequel il s'enferme, conséquence d'une excessive mais comme la mer était forte et que l'Ile était au vent, nous avons concentration mentale, mais il a de nombreuses, de grandes quali¬ hamac, seule chose qui me fît du bien craint d'y échouer. Le vent a tourné et nous avons par bonheur échappé au péril. J'étais bien trop malade pour voir la terre au loin. (Darwin, lettre à son père, 8 février 1832) A midi, latitude 43, sud du cap Finistère, et traversant la fameuse baie de Biscaye. Affreusement prostré et très malade. J'ai souvent dit, avant de me lancer dans cette entreprise que j'aurai sans doute tout lieu de m 'en repentir : je ne pensais pas le faire avec autant d'ardeur. Je ne puis guère imaginer état plus misérable que le mien, tant aujourd'hui je suis hanté d'idées sombres et affligeantes. (Darwin, Journal, 30 décembre 1831) tés. De l'ensemble résulte le caractère le plus fortement trempé que j'ai jamais connu. (Darwin, lettre à sa s Caroline, en date du 25 avril 1832) Les Tropiques Ce qu'il y a décidément de plus frappant sous les Tropiques, ce sont les formes végétales, tout à fait inattendues. On peut s'imagi¬ ner les cocotiers d'après les dessins, à condition d'y ajouter la grâce lumineuse que nul arbre européen n'a en partage. Les bananiers sont pareils à ceux de nos serres ; acacias et tamaris ont un feuillage d'un bleu saisissant, mais aucune description ne peut donner l'idée de la splendeur des orangers ; au lieu du vert maladif que nous leur Darwin est d'une grande sensibilité, dur à l'ouvrage et joyeux compagnon. Je n'ai pour ma part jamais vu un homme «du plan¬ connaissons, les orangers indigènes l'emportent par la profondeur des tons sur le laurier rose et sont de formes infiniment plus belles. cher des vaches» se faire à un navire aussi vite et aussi bien que Cocotiers, papayers, bananiers d'un vert tendre, orangers tout Darwin. Je ne puis donner meilleure preuve de son équilibre et de chargés de fruits entourent les villages les plus riches. Face à ce son tempérament qu'en disant «chacun ici le respecte et l'appré¬ spectacle, aucune description ne peut égaler la vérité et encore bien cie» (...). moins la dépasser. (Capitaine Fitz-Roy, lettre au Capitaine Beaufort, 5 mars 1832) (Darwin, lettre à son père, 26 février 1832) 19 Je vais d'émerveillement en émerveillement. Avec les deux aspi¬ misérable race rabougrie qui habite plus à l'ouest et semblent pro¬ rants j'ai marché pendant quelques miles dans l'intérieur du pays. ches parents des fameux Patagoniens du détroit de Magellan. Leur Douces collines séparées de vallées où la suivante est plus belle encore que la précédente. J'ai ramassé quantité de fleurs aux cou¬ leurs si éclatantes qu'un fleuriste en perdrait la tête. Le paysage brésilien n'est ni plus ni moins qu'une image des Mille et une Nuits, sauf qu'il est, lui, bien réel. L'air est délicieusement frais et doux; transporté de bonheur, on désire ardemment vivre à l'écart de tout seul vêtement consiste en un manteau fait de la peau d'un guanaco, dans cet univers nouveau et si majestueux. (Darwin, Journal, 1" mars 1832) Pendant notre séjour au Brésil, je fis une grande collection d'insectes. Quelques observations générales sur l'importance com¬ le poil en dehors ; ils jettent ce manteau sur leurs épaules et leur per¬ sonne se trouve ainsi aussi souvent nue que couverte. Leur peau a une couleur rouge cuivrée, mais sale. (Darwin, Journal, 17 décembre 1832) Le lendemain, j'essaye de pénétrer à l'intérieur du pays. On peut décrire la Terre de Feu en deux mots : un pays montagneux en par¬ tie submergé, de telle sorte que de profonds détroits et de vastes baies occupent la place des vallées. Une immense forêt qui s'étend du sommet des montagnes jusqu'au bord de l'eau couvre le flanc des montagnes, sauf toutefois sur la côte occidentale. Les arbres parative des différents ordres peuvent intéresser les entomologistes anglais. Les lépidoptères, grands et admirablement colorés, déno¬ croissent jusqu'à une hauteur de 1 000 à 1 500 pieds au-dessus du tent la zone qu'ils habitent bien plus clairement qu'aucune autre race d'animaux. Je ne parle que des papillons, car les phalènes, contrairement à ce qu'aurait pu faire penser la vigueur de la végéta¬ plantes alpestres fort petites; puis enfin la ligne des neiges éternel¬ les, lesquelles, selon le capitaine King, descendent dans le détroit de Magellan à une hauteur de 3 000 à 4 000 pieds. C'est à peine si, tion, m'ont paru certainement moins nombreuses que dans nos régions tempérées. Les habitudes du papilio ferenia me surprirent beaucoup. Ce papillon est assez commun et fréquente ordinaire¬ dans tout le pays, on peut trouver un seul hectare de plaine. Je ne me rappelle avoir vu qu'une plaine fort petite auprès du port Famine, et une autre un peu plus considérable près de la baie de ment les bosquets d'orangers. Bien que s'élevant très haut en l'air, il se pose fréquemment sur le tronc des arbres. Il se tient alors la che épaisse de tourbe marécageuse recouvre le sol. A l'intérieur tête en bas et les ailes étendues horizontalement, au lieu de les rele¬ ver verticalement, comme le font la plupart des papillons. C'est, en outre, le seul papillon que j'ai vu se servir de ses pattes pour courir. (Darwin, Journal, avril 1832) Le coup d'oeil que j'ai jeté sur le paysage tropical a décuplé mon désir d'en voir davantage; je puis dire sans exagération que celui qui n'a vécu que dans des climats plus froids ne peut connaître la beauté du monde qui est le nôtre. Au cours de ces deux mois, c'est l'Histoire naturelle qui a été pour moi la plus grande source de plai¬ sir. J'ai eu une chance merveilleuse avec les ossements fossiles certains des animaux devaient avoir d'énormes dimensions. Je suis à peu près sûr que certains d'entre eux n'ont jamais été décou¬ verts jusqu'ici, chose toujours agréable à constater, mais bien plus encore quand il s'agit d'animaux antédiluviens. J'ai trouvé des morceaux d'une curieuse structure osseuse qu'on a attribué au megatherium; comme les seuls specimens existant en Europe se trouvent à Madrid (provenant de Buenos Aires), cela seul suffit à me payer de mes fatigues. Je n'ai pas été moins chanceux avec les animaux vivants. J'ai eu également en septembre quelques beaux coups. J'ai tiré un beau chevreuil et une femelle de daim, mais à cet égard je ne me suis jamais tant diverti qu'à la chasse à l'autruche avec les soldats, qui sont plus qu'à demi Indiens. Ils attrapent les autruches en lançant deux balles attachées aux extrémités d'une lanière de cuir et leur entravent les pattes ; une belle chasse et qui ne va pas de soi ! (Darwin, lettre à sa sour Caroline, 24 octobre 1832) La Terre de Feu Je vais décrire notre première visite. à la Terre de Feu. Un peu après midi nous doublons le cap Saint-Diego et nous entrons dans le fameux détroit de Le Maire. Nous longeons de près la côte de le Terre de Feu, mais cependant la silhouette tourmentée de l'inhospi¬ talière terre des Etats se montre à travers les nuages. Dans l'après- midi nous jetons l'ancre dans la baie de la Réussite. Nous recevons à notre entrée un sajut digne des habitants de cette terre sauvage. Un groupe de Fuégiens, dissimulés en partie par l'épaisse forêt, s'était placé sur une pointe de rocher dominant la mer ; au moment de notre passage, ils sautent en agitant leurs guenilles et en pous¬ sant un long hurlement sonore (...). Le port consiste en une belle nappe d'eau à demi entourée de montagnes arrondies et peu élevées de schiste argileux, que recouvre jusqu'au bord de l'eau une épaisse forêt. Un seul coup d' jeté sur le paysage me suffit pour com¬ prendre que je vais voir là des choses toutes différentes de celles que j'ai vues jusqu'à présent (...). Le lendemain matin, le capitaine envoie une escouade à terre pour ouvrir des communications avec les indigènes (...). Notre principal interlocuteur, un vieillard, paraissait être le chef de la famille; avec lui se trouvaient trois magnifiques jeunes gens fort vigoureux et ayant environ six pieds; on avait renvoyé les femmes et les enfants. Ces Fuégiens forment un contraste frappant avec la 20 niveau de la mer; puis vient une ceinture de tourbières, couverte de Gsree. Dans ces deux endroits, comme partout ailleurs, une cou¬ même des forêts, le sol disparaît sous une masse de matières végéta¬ les qui se putréfient lentement et qui, constamment imbibées d'eau, une tour; ce mur borne admirablement le pays. (Darwin, Journal, 17 août 1834) cèdent sous le pied. Quelle grandeur mystérieuse dans ces monta¬ gnes qui s'élèvent les unes derrière les autres en laissant entre elles de profondes vallées, montagnes et vallées recouvertes par une sombre masse de forêts impénétrables ! Dans ce climat, où les tem¬ pêtes se succèdent presque sans interruption avec accompagnement de pluie, de grêle et de neige, l'atmosphère semble plus sombre que partout ailleurs. On peut admirablement juger de cet effet, quand, dans le détroit de Magellan, on regarde vers le sud; vus de cet endroit les nombreux canaux qui s'enfoncent dans les terres, entre les montagnes, revêtent des teintes si sombres, qu'ils semblent con¬ duire hors des limites de ce monde. (Darwin, Journal, 17 décembre 1832) Le versant oriental de la Cordillère est beaucoup plus incliné que le versant tourné vers l'océan Pacifique; en d'autres termes, les montagnes s'élèvent plus abruptement au-dessus des plaines qu'audessus de la région déjà montagneuse du Chili. Une mer de nuages d'un blanc éblouissant s'étend sous nos pieds, nous dérobant la vue des plaines. Nous pénétrons bientôt dans cette couche de nuages dont nous ne sommes pas encore sortis au bout de la journée. Vers midi, nous arrivons à Los Arenales, et comme nous y trouvons des pâturages pour nos bêtes de somme et du bois pour faire du feu, nous nous décidons à séjourner en cet endroit jusqu'au lendemain matin. Nous nous trouvions presque à la limite supérieure des buis¬ sons, par une altitude d'environ 7 000 ou 8 000 pieds. Les Andes La différence considérable qui existe entre la végétation de ces Les Andes m'offrent un aspect tout différent de celui auquel je vallées orientales et celle des vallées du Chili ne laisse pas que de me m'attendais. La limite inférieure des neiges est, bien entendu, hori¬ frapper beaucoup, car le climat et la nature du sol sont presque absolument identiques et la différence de longitude est insigni¬ fiante. La même remarque s'applique aux quadrupèdes et, à un zontale, et les sommets égaux de la chaîne semblent tout à fait parallèles jusqu'à cette ligne. A de longs intervalles seulement, un ancien cratère ou d'un volcan encore en activité. Aussi la chaîne degré un peu moindre, aux oiseaux et aux insectes. Je puis citer la souris comme exemple; je trouvai, en effet, treize espèces de souris des Andes ressemble-t-elle à un mur immense surmonté çà et là par sur les côtes de l'Atlantique et cinq seulement sur les côtes du Paci- groupe de pointes ou un seul cône indique l'emplacement d'un 4* ô Sainte-Helen l'an atlantique austral Cap de Bonne Espérance Carte © Gordon Cramp Studio, Londres 21 fique; or, pas une seule de ces espèces ne se ressemble. Il faut tou¬ Pendant que je classe mes trouvailles, les Espagnols peuvent tefois excepter de cette règle toutes les espèces qui fréquentent dire, selon la forme du corps, les dimensions d'ensemble et les pro¬ habituellement ou accidentellement les montagnes élevées et cer¬ portions relatives, que telle ou telle tortue vient de telle ou telle île. tains oiseaux qui s'étendent dans le Sud jusqu'au détroit de Magel¬ lan. Ce fait concorde parfaitement avec l'histoire géologique des Quand je vois ces îles proches les unes des autres, qui ne possèdent qu'un stock réduit d'animaux, habitées surtout d'oiseaux, ces îles Andes ; ces montagnes, en effet, ont toujours constitué une infran¬ de structure légèrement différente et qui occupent la même place chissable barrière depuis l'apparition des races actuelles d'ani¬ dans la nature, j'en viens à soupçonner qu'il ne s'agit que de varia¬ maux. Par conséquent, à moins que nous ne supposions que les tions des espèces animales. Le seul fait analogue que je connaisse mêmes espèces ont été créées en deux endroits différents, nous ne c'est la différence bien établie du renard-qui-ressemble-au-Ioup* devons pas plus nous attendre à trouver une similitude absolue entre les îles Falkland orientales et occidentales. Si ces remarques entre les êtres qui habitent les côtés opposés des Andes qu'entre ceux qui habitent les côtés opposés de l'Océan. Dans les deux cas, il ont quelque fondement, la zoologie de l'Archipel devrait être étu¬ diée à fond car des faits de ce genre font douter de la fixité des faut excepter les espèces qui ont pu traverser la barrière, qu'elle soit espèces. (Darwin, Notes d'ornithologie) formée de rochers ou d'eau salée. (1) (J) C'est là un exemple des admirables lois qu'a le premier indiquées M. Lyell sur l'influence des changements géologiques sur la distribution géographique des animaux. Tout le raisonnement repose, bien entendu, sur le principe de l'immutabilité des espèces; on pourrait expliquer autrement la différence entre les espèces des deux régions par des changements surve¬ nus dans le cours des siècles. (Darwin, Voyage d'un naturaliste autour du monde, 23 mars 1835) Les hommes de Tahiti Ils sont grands, bien proportionnés, ils ont les épaules larges ; ce sont, en somme, de véritables athlètes. Je ne sais qui a remarqué que l'Européen s'habitue facilement au spectacle des peaux foncées et que cette peau lui paraît alors tout aussi agréable, tout aussi naturelle que sa propre couleur blanche. Un homme blanc qui se baigne à côté d'un Taïtien ressemble absolument à une plante qu'on a fait blanchir à force de soins, à côté d'une belle plante vert Les dames de Lima Les voyageurs ont à Lima deux sujets de discussion : les dames "tapadas", c'est-à-dire cachées sous leur châle et leur mantille, et un fruit qu'on appelle Chilimoya. Pour ma part, les unes sont foncé poussant vigoureusement dans les champs. Presque tous les hommes sont tatoués ; ces tatouages accompagnent si gracieuse¬ ment les courbes du corps, qu'ils produisent un effet fort élégant. (Darwin, Journal, 15 novembre 1835) ravissantes, et l'autre est délicieux. Ceintes de leurs robes étroites, les dames sont contraintes de marcher à tout petits pas, ce qu'elles (Canis antarcticus) font avec grâce, révélant des bas très blancs et un pied très menu. Elles portent un voile de soie noire, enroulée autour de la taille et rabattu sur leur tête ; elles le maintiennent d'une main devant leur visage, ne laissant qu'un oeil à découvert. Mais ce seul oeil est si noir et si brillant, il a une telle puissance expressive, il traduit si bien les sentiments qu'il vous subjugue. Toutes les femmes sont ainsi métamorphosées, si bien que la première fois queje les vis, je crus être entré dans une ronde charmante d'innombrables sirènes, ou autres créatures délicieuses. A coup sûr, c'est là quelque chose de plus étonnant que tous les édifices et églises de Lima. Pour ce qui est du Chilimoya, c'est un fruit délicieux dont la saveur est aussi difficile à décrire que le serait pour un aveugle d'évoquer telle nuance particulière d'une couleur ; ce n'est pas un fruit nourrissant comme la banane, ni un fruit banal comme la pomme, ni un fruit désaltérant comme l'orange ou la pêche. Tout ce que j'en peux dire, c'est que c'est un gros fruit savoureux. (Darwin, Journal, 29 juillet 1835) Cette belle aquarelle de Conrad Martens, qui fut le peintre offi¬ ciel du Beagle pendant neuf mois, dépeint une scène à Port Les îles Galapagos Désir le 25 décembre 1833, lors¬ L'histoire naturelle de ces îles est éminemment curieuse et mérite la plus grande attention. La plupart des productions organiques sont essentiellement indigènes et on ne les trouve nulle part ail¬ leurs ; on remarque même des différences entre les habitants de ces diverses îles. Tous ces organismes cependant ont un degré de que l'équipage descendit à terre pour une journée de détente, de sport et de jeux. Au premier plan à gauche, un groupe de marins s'amuse à un jeu appelé "le singe qui se balance". Un parenté plus ou moins marqué avec ceux de l'Amérique, bien que membre l'archipel soit séparé du continent par 500 ou 600 milles d'océan. singe", est suspendu la tête en bas à un trépied. Il tient dans la Cet archipel, en un mot, forme un petit monde à lui seul, ou plutôt un satellite attaché à l'Amérique, d'où il a tiré quelques habitants, et d'où provient le caractère général de ses productions indigènes. de l'équipage, "le main un morceau de craie. Les autres marins, autour de lui, le On est encore plus étonné du nombre des êtres aborigènes que frappent torsadés nourrissent ces îles, si l'on considère leur petite étendue. On est singe", par un mouvement de porté à croire, en voyant chaque colline couronnée de son cratère et les limites de chaque coulée de lave encore parfaitement distinctes, qu'à une époque géologiquement récente l'océan s'étendait là où elles se trouvent aujourd'hui. Ainsi donc, et dans le temps et dans l'espace, nous nous trouvons face à face avec ce grand fait, ce mystère des mystères, la première apparition de nouveaux êtres sur avec des pendant mouchoirs que "le balancier, essaie d'atteindre ses camarades pour les marquer d'un coup de craie. La personne qu'il réussit à marquer devient "le singe" et prend sa place. A l'arrière-plan on voit le Beagle . et XAdventure à l'ancre. Les ini¬ tiales "R.F.", en haut à droite, la terre. (Darwin, Journal, 8 octobre 1835) indiquent que le Robert Fitz-Roy a Capitaine vérifié l'authenticité du dessin. Sur la note du bas, crayonnée par le J'ai patiemment répertorié tous les animaux, toutes les plantes, tous les insectes, tous les reptiles de l'île. A la base d'une comparai¬ son ultérieure il sera fort intéressant de trouver à quelle zone, ou "centre de création" doivent être rattachées les créatures vivantes de l'île. (...) le mât d'artimon plus incliné", signe qu'il n'était pas entière¬ ment satisfait de l'image don¬ (Darwin, Journal, 26-27 septembre 1835) 22 Capitaine, on peut lire : "Le grand mât du Beagle devrait être légèrement plus en arrière, née ¡ci du Beagle. saluons les côtes d'Angleterre ; à Falmouth, je quitte le Beagle, Sydney après avoir passé près de cinq ans à bord de ce charmant petit vais¬ Nous sommes arrivés le 12 de ce mois. En entrant dans le port, seau. on est tout étonné de découvrir les abords d'une très grande ville : (Darwin, Journal) quantité de moulins à vent, de fortifications, grandes maisons de pierre blanche, villa superbes, etc. (...) De Sydney, nous gagnons Hobart Town, de là le détroit du Roi George puis nous disons adieu à l'Australie. Considérant le nom¬ bre de lieux que nous allons visiter après avoir quitté Hobart Town, je ne pense pas que nous puissions rallier l'Angleterre avant sep¬ tembre. Mais, grâce à Dieu, le Capitaine a, comme moi-même, le mal du pays dont je ne doute pas qu'il n'empire. Il travaille à met¬ tre au point sa relation de voyage en vue de sa publication. (...) Du détroit du Roi George à l'île Maurice par le Cap de Bonne Le voyage du Beagle a été de loin l'événement le plus important de ma vie, et il a déterminé toute ma carrière. (...) J'ai toujours été convaincu que je devais à ce voyage la première véritable formation de mon esprit. J'ai été amené à m'attacher étroitement à plusieurs branches de l'histoire naturelle, toutes mes facultés d'observation se sont aiguisées, encore qu'elles fussent déjà des plus satisfaisantes. (...) Je puis à présent comprendre comment mon amour pour la science l'a peu à peu emporté sur tout autre goût. Au cours des pre¬ mières deux années ma vieille passion pour la chasse est demeurée Espérance, Sainte Hélène, en évitant le Cap Vert à cause de la mau¬ presque entière, et j'ai tué moi-même tous les oiseaux et les ani¬ vaise saison, nous gagnerons les Açores et enfin l'Angleterre. Je maux destinés à ma collection ; mais de plus en plus j'ai abandonné pense sans cesse à cette ultime étape avec une joie de plus en plus grande. J'essaye de lutter contre ce stupide état d'esprit en faisant appel à toute les maximes qui prêchent la patience et le bon sens, chasse nuisait à mon travail, surtout quand il s'agissait d'étudier mais seule m'occupe ma tendresse pour vous tous, et mon esprit se refuse à des considérations aussi moroses. (Darwin, lettre à sa seur Susan, 28 janvier 1836) mon fusil, pour finalement le donner à mon domestique, car la sur place des structures géologiques. J'ai découvert, encore qu'inconsciemment et insensiblement, que la joie d'observer et de raisonner l'emporte de loin sur le plaisir de l'adresse et du sport. Aux instincts primitifs du barbare se sont lentement substitué les goûts acquis de l'homme civilisé. (Darwin, Autobiographie) Le retour à la maison Le 31 août 1836, nous jetons l'ancre pour la seconde fois à Porto-Praya, dans l'archipel du Cap-Vert : de là nous nous ren¬ dons aux Açores, où nous restons six jours. Le 2 octobre, nous Certains de ces extraits du journal de Darwin ont paru dans Voyage d'un naturaliste autour du monde, publié en 1982 par les éditions Maspéro qui ont également réédité L'origine des espèces en 1980. / < 23 LES GALAPAGOS l'origine de "V Origine yy par Jorge Enrique Adoum C^EST dans les îles Galapagos que Darwin devient réellement «dar- winiste». Quand en 1831 il embar¬ que comme naturaliste sur le Beagle, Darwin n'a que 22 ans et c'est un fervent croyant. A 19 ans il était entré au Christ's College de Cambridge avec la vague intention d'em¬ brasser la carrière ecclésiastique. Dans son Autobiographie il écrira à propos de cette époque qu'il «n'avait alors pas le moindre doute concernant la véracité stricte et litté¬ rale de chaque parole de la Bible». Par con¬ séquent il ne doutait pas alors que le monde fût créé, tel qu'il est, en six jours ouvrables (l'an 4004 avant Jésus-Christ, selon des cal¬ culs faits par l'archevêque James Ussher; et, pour être plus précis, le monde fut terminé à .9 heures du matin le samedi 12 octobre de cette année-là). Les premiers doutes l'assaillent lors de son voyage en Amérique du Sud: la décou¬ verte de certains fossiles «nouveaux», les différences de végétation de part et d'autre des Andes avec des climats et des sols sem¬ blables, les immenses concrétions corallines ou de lave postérieures à la formation de la cordillère. Aux Galapagos il remarque que les îles, formées par des éruptions successi¬ ves de volcans sous-marins, sont géologiquement plus jeunes que l'Amérique, donc pos¬ térieures à la création. De plus elles sont autonomes: il n'y a pas de chaînes de mon¬ tagnes sous la mer qui les auraient reliées un jour à la plateforme continentale. «Satelli¬ tes du continent», ainsi les appela le savant. «A première vue rien de moins attrayant que l'aspect de cette île» écrit-il dans son journal. Une coulée de lave basaltique noire à la surface extrêmement rugueuse, traver¬ sée çà et là par d'immenses fissures». Dans les rocs surgis des carrières sous-marines, les vents et les eaux ont taillé des blocs, lisses comme des murailles de forteresses naturel¬ les, des falaises perforées comme des épon¬ ges, des surfaces striées comme la chevelure fossilisée d'une géante. Et, éparpillés dans les îles ou entre elles, d'innombrables rochers comme des dents cassées, des molai¬ res cachant au fond de leurs caries un lac de JORGE ENRIQUE ADOUM, poète et écrivain équatorien, a publié plusieurs ouvrages de poésie dont une anthologie No son todos los que están (Poèmes 1949-1979). Sa pièce de théâtre, Le Soleil foulé par les chevaux, dont le thème est la conquête de l'empire des Incas par les Espagnols a été traduite en français (édition du Théâtre de l'Atelier Genève 1970), anglais, suédois, allemand et polonais et représentée dans plusieurs pays d'Europe et d'Amérique latine. Il a collaboré au programme de l'Unesco sur les cultures latinoaméricaines et appartient actuellement à la rédac¬ tion du Courrier de l'Unesco. 24 Iguane marin des îles Galapagos. 17 septembre 1835. "Le matin nous . débarquons â l'île Chatham (l'île San Cristóbal)... En un mot rien de moins attrayant que l'aspect de cette île. Une coulée de lave basaltique noire, à la surface extrêmement rugueuse, traversée çà et là d'immenses fissures...". (Darwin, Voyage d'un Naturaliste Autour du Monde) d'apaiser la discorde régnant entre les con¬ quistadors Francisco Pizarro et Diego de Almagro. Il est possible qu'il ait dévié de sa route ou que le puissant courant de Hum¬ boldt ait entraîné son navire jusqu'aux îles. Berlanga et ses hommes d'équipage furent certainement les premiers à les appeler Gala¬ pagos (tortues géantes en espagnol) et aussi Iles Enchantées à cause de la brume qui les enveloppe tout comme les châteaux des con¬ tes de fée. Ces îles ne présentaient aucun intérêt pour les conquistadors, mais elles étaient un lieu idéal comme repaire de pirates : flibustiers et boucaniers y établirent leur base d'opéra¬ tions contre les galions espagnols qui retour¬ naient chargés de trésors à la métropole. Il y eut là-bas des aventuriers comme Knight, Morgan, Davis et Ambroise Cawley qui dressa les premières cartes de navigation où apparaissent les îles. Vers 1800, le capitaine Collnet de la Royal Navy proposa de chasser les baleines qui abondaient autour de l'archipel, celles de l'Atlantique étant pratiquement en voie d'extinction. A partir de ce moment, les baleiniers anglais et nord-américains se livrè¬ rent à un véritable pillage des eaux, anéan¬ tissant non seulement les cétacés mais aussi les tortues convoitées pour leur chair et leur huile. Un seul bateau chargeait jusqu'à 14 tonnes de tortues en quatre jours et, selon les archives de la marine américaine du 19e siècle, sa flotte baleinière chassa en 27 ans plus de 13 000 spécimens de ces animaux qui, lorsqu'on ne les traque pas, peuvent lave. Un paysage lunaire dirions-nous aujourd'hui: «je n'hésite pas à affirmer qu'il y a deux mille cratères au moins dans l'archipel entier» note Darwin. Certains de colonisateurs du basalte. Puis ce furent les ces volcans sont restés actifs et l'on a enre¬ entraîner, gistré oiseaux qui emportèrent des graines entre leurs plumes, dans le ventre ou aux pattes. Le courant de Humboldt, de son côté, a dû accrochées à des morceaux de date bois à la dérive, comme des radeaux natu¬ récente. La plus grande des îles Isabela, vue d'avion, est nettement formée par des cou¬ lées de lave de cinq ou six volcans qui se trouvaient auparavant séparés par des rels, d'autres espèces animales comme le détroits. rugueux, des iguanes marins à l'aspect anté¬ pler l'archipel, qui se trouve à moins de 1 000 km du littoral équatorien, et dont la diluvien, monstrueux, des iguanes terrestres superficie totale est d'environ 7 800 km car¬ à «l'apparence tout à fait stupide» et aux rés. La plus grande des îles occupe plus de la moitié de cette superficie, soit 4 588 km car¬ rés; la plus petite, cinq km carrés à peine. Des restes de céramique ainsi qu'une des expériences par lesquelles Thor Heyerdhal prouve l'éventualité physique mais non l'évidence historique de certains hauts faits de l'antiquité préhistorique, ont pu laisser penser que les habitants précolombiens d'Amérique du Sud, en particulier les incas, sont parvenus aux Galapagos. Mais la découverte de l'archipel d'un point de vue historique fut le fait d'un évêque espagnol de Panama, Tomás de Berlanga, envoyé par l'empereur Charles Quint au Pérou afin des Et éruptions sur ces jusqu'à bords une de basalte mouvements maladroits, des tortues géantes et lentes comme si elles pouvaient à peine supporter leur propre poids. Dans son jour¬ nal du Beagle, le capitaine Robert Fitz Roy note, le 15 septembre 1835, jour de son arri¬ vée: «Une côte digne d'être la capitale de l'enfer». Les îles datent d'il y a un peu plus d'un million d'années. Les vents qui soufflent du Continent et les vagues qui déferlent sur les plages et reviennent aux îles ont dû drainer les premiers grains de terre et les spores des lichens et fougères qui furent les premiers manchot, jusqu'aux îles qui s'étendent du degré un de latitude nord au degré deux de latitude sud. Ainsi a dû commencer à se peu¬ vivre plus de deux siècles. (Les îles reçurent aussi, en 1841, la visite d'un baleinier, plus tard écrivain célèbre, Herman Melville: il parla d'elles dans son beau livre intitulé The Encantadas. Mais il est plus important de savoir qu'au début du 19e siècle, à 30° à l'ouest des Galapagos, le baleinier nordaméricain Essex fut attaqué et coulé par un cachalot. Ainsi furent conçues Moby Dick, la baleine blanche, incarnation du Mal sur mer et sur terre, et la poursuite acharnée du capitaine Achab et son épopée de la ven¬ geance). Darwin trouva dans l'île Charles (aujourd'hui Santa Maria) une population de 200 à 300 personnes, formée en majorité de «gens de couleur expulsés de la Républi¬ que de l'Equateur pour des délits politi¬ ques». L'Equateur avait pris possession des. îles le 12 février 1832. II les appela l'Archipel de Colón (Colomb) et les baptisa de noms chrétiens tirés de la vie du Grand Amiral: Isabela et Fernandina (en hommage aux Rois Catholiques qui patronnèrent la décou¬ verte fortuite de l'Amérique), Pinta et Santa Maria (deux des caravelles), Marchena (l'ecclésiastique et théologien qui aida l'Amiral), Genovesa (Génoise, d'après le lieu de naissance de Colomb), San Salvador 25 Un outil adapté Darwin remarqua qu'il y avait aux Galapagos plusieurs espèces de pinsons et que chacune avait un bec deforme ou de taille différentes, différences qui peuvent s'expliquer par la sélection naturelle. Ces becs deformes diverses sont adaptés aux divers régimes alimentaires., à chaque travail ¿ Le pinson de Darwin à Le pinson crassirostre Le pinson terne Pinson de Darwin Geospize des cactus gros bec (Geospiza (Platyspiza (Pinaroloxias inorna ta) a fuligineux (Geospiza (Geospiza scandens) au magnirostris), au bec crassirostris). un petit bec pointu pour fulginosa) au bec court bec long et dur fait pour puissant et broyeur, Ce pinson des arbres explorer les fissures, mais puissant, et explorer, comme des comme un gros casse- a un bec puissant comme des pincettes. broyeur, comme un tenailles aux longues noix. et tranchant pour saisir casse-noisettes. mâchoires. et couper, comme des pinces à couper le métal. -i -s Petits insectes Graines grosses Gros insectes des fissures et dures. comme les scarabées et des crevasses. Graines et ou les chenilles. nectar de Petites cactus. graines dures. Texte et dessins © Avec l'aimable autorisation du Natural History Museum, Londres (nom du lieu de son premier débarquement), bateau transportait, tous les quatre ou six Santa Cruz ont une carapace arrondie, le Pinzón (son compagnon d'aventure), Santa mois, du port de Guayaquil, de l'eau, des cou et les membres sont plus courts car elles Fe, Española, San Cristóbal... vivres, des cordes, des bougies et même des allumettes. Il apportait des lettres aussi. Le «bureau de poste» de San Cristobal consis¬ se nourrissent d'une végétation rase. Entre Le général José de Villamil conduisit les prisonniers qui n'étaient pas forcément politiques accompagnés de quelques agri¬ culteurs et peut-être d'artisans. Il faut ima¬ giner le bateau comme une petite Arche de tait en un tonneau protégé des pluies par une couverture grossière). Darwin trouva dans l'archipel un vérita¬ laboratoire de l'évolution. Et dans la ces deux espèces, il y en a une troisième qui offre de nombreuses variantes de taille et de forme de carapace. Le régime alimentaire détermine également la laquelle ces animaux fréquence avec les êtres vivants les plus anciens de la planète se déplacent en Noé: ils emmenèrent avec eux des chiens, ble des cochons, des chèvres, des ânes, des chats mesure où «il y a des différences entre les lentes processions vers les rares sources des et des poules, sans compter les rats et les espèces de ces diverses îles», il put non seu¬ hauts terrains où "elles plongent la tête dans puces. Dans l'île Floreana, colons et con¬ damnés ont été exploités férocement par les lement observer le résultat final du long pro¬ l'eau et avalent avidement de grandes gor¬ cessus évolutif, gées, environ dix par minute. Les habitants affirment que chaque tortue reste trois ou mais aussi ses différentes que 25 d'entre eux, en 1851, douze, puis aucun. Une population de moins de 5 000 personnes, répartie dans trois îles et habitant un dixième de la superficie totale (le reste a étapes, comme celle de l'élargissement du bec des pinsons, ou celle de l'élongation du cou des tortues géantes (Geochelone elephantus). «La plupart des productions organiques sont essentiellement indigènes et tue a dû développer une vessie semblable à été déclaré Parc National), vit actuellement on ne les trouve nulle part ailleurs...». celle de la grenouille, agissant comme un éleveurs de chinchilla. En 1845, il ne restait de la culture de pommes de terre, des citrons Dans les Galapagos, les tortues étaient et du café. Dans les régions de plus haute toutes, à l'origine, de la même espèce, pour se différencier ensuite en quinze sousespèces qui constituent trois groupes selon la forme de la carapace. Celles des îles Espa¬ ñola, Pinzón, Pinta, Fernandina et une par¬ tie d'Isabela, ont leur carapace en forme de selle avec le bord avant surélevé afin de pou¬ voir allonger le cou pour atteindre les hauts altitude on a créé de petites pampas où a commencé l'élevage du bétail. façon, l'extrême rareté de l'eau sources et des bruines tenaces De toute quelques la distance et les difficultés de transport rendent peu rentables l'agriculture ou l'élevage. Le tou¬ risme régulier est relativement récent. (Jusqu'il y a environ trente ans, un seul 26 cactus dont elles se nourrissent ; celles de quatre jours dans le voisinage de l'eau, puis qu'elle retourne dans les parties basses du pays". Pour cela, supposait Darwin, la tor¬ réservoir pour l'humidité dont elle a besoin pour survivre. Bien que certaines de ces espèces semblent éteintes et dans certains cas les tentatives de croisement entre des spécimens uniques de groupes différents ont échoué il en reste encore des colonies importantes, en particulier à Santa Cruz et Isabela. Si les habitants des îles soutenaient, selon Darwin, que les tortues étaient sourdes SUITE PAGE 28 SUITE DE LA PAGE 26 pour leur indifférence face à l'homme, on qui ait un cycle de reproduction annuelle, seul exemple au monde d'oiseau qui utilise peut en dire autant de presque toutes les espèces des Galapagos et en particulier des mais celui-ci varie d'une île à l'autre: dans l'île Genovesa il a lieu d'août à novembre et un instrument pour se nourrir. Instinct ou intelligence? De récentes découvertes sem¬ iguanes marins (Amblyrynchus cristatus). dans l'île Española, de novembre à février. blent démontrer, en outre, que les pinsons En groupes serrés, ils restent à se chauffer Tout comme le fou à pattes bleues, il pond de chaque île chantent de façon différente, sur les rochers à une certaine distance de ses éufs sur le sol nu, la rareté des arbres et sans qu'il y ait communication entre eux l'eau. Cet animal, monstrueux plus par son d'une île à l'autre. apparence que par sa taille, à la crête et au l'absence d'animaux ou d'oiseaux de proie sur la côte lui ayant fait perdre l'habitude de dos construire dentelés et aux griffes puissantes, des nids. Mais des deux oeufs comme pour mieux s'accrocher au sol, a dû qu'il pond, il ne réussit à élever qu'un petit : mener, selon une hypothèse semble-t-il justi¬ l'autre, moins apte, est condamné à mourir fiée, une existence à l'origine semblable à celle des iguanes terrestres (Conolophus subscristatus et Conolophus pallidas). Mais cette dernière race étant plus puissante, il dut, pour lui échapper, acquérir des moeurs de faim en quelques jours. aquatiques, quoique Darwin lui-même ait fait remarquer qu'une fois le danger passé cet animal fuit l'eau. Il dut donc changer de nourriture et, pour éliminer le sel abondant qu'il absorbe avec les algues des rochers dont il se nourrit, il possède des glandes volumineuses qui lui permettent d'éliminer ce sel par le nez, complétant ainsi la fonction rénale. Les changements brusques de tempé. rature qu'entraîne le saut des rochers brû¬ lants dans l'eau fraîche, puis le retour à leur milieu terrestre, ont modifié leur rythme cardiaque : des expériences de laboratoire ont démontré que leur corps perd de la cha¬ leur en deux fois moins de temps qu'il ne leur en faut pour la récupérer selon la tem¬ pérature ambiante. Lorsque Darwin visita ligne équinoxale. C'est aussi le plus petit du monde, un peu comme un enfant gauche ou un nain si on le compare à ses arrogants ancêtres ou contemporains de l'Antarcti¬ que. Mais dans l'archipel, comme s'il obéis¬ sait à une mémoire collective et ancestrale, il recherche les eaux froides et profondes entre les îles Fernandina et Isabela, et sur terre, la fraîcheur des cavités creusées dans les laves par les vagues. Des treize espèces connues d'albatros, celui de l'île Española (Diomedea irrorata) est le seul au monde qui vive sous le tropi¬ que. De même, le fou masqué (Sula Dactylatra) des Galapagos est le seul de son espèce n'existent dans aucune autre partie du monde. De là vient que Darwin considérait son voyage en Amérique du Sud, et particu¬ lièrement aux Galapagos comme de loin moran (Nannopterum harrisi). Le premier, qu'on ne trouve que dans ces îles, est le seul comme l'origine de «toutes ses idées». Dans qui, à la différence de tous ses congénères, se perche sur les buissons d'où il plonge pour prendre les poissons. En revanche, le cormoran, dont les ancêtres sont parvenus jusqu'aux îles après un vol de près de mille kilomètres, a pratiquement perdu les plumes de ses ailes : la capture des poissons lui est si facile qu'il en oublie de voler et a appris à nager. Que ce soit l'unique oiseau de l'archi¬ pel inapte au vol, apporte une preuve sup¬ plémentaire de la jeunesse des îles Galapa¬ gos. Jusqu'à présent, une seule espèce a eu le temps de perdre l'usage de ses ailes, à la différence, par exemple, de la NouvelleZélande où les espèces ainsi atrophiées sont nombreuses. l'événement le plus important de sa vie, et son journal il écrivit qu'aux îles Galapagos «et dans le temps et dans l'espace, nous nous trouvons face à face avec ce grand fait, ce mystère des mystères, la première appari¬ tion de nouveaux êtres sur la terre ». Plus que l'homme lui-même, ce sont les animaux domestiques qu'il amena avec lui dans l'archipel qui mettent en péril la survie des populations zoologiques autochtones. De même avec les espèces végétales. Les chiens sauvages dévorent les tortues et les iguanes, les chèvres détruisent la végétation, les et les petits sont la nourriture préfé¬ rée des cochons, sauvages également. Un rapport de 1963 de la Station Charles Dar¬ win signale que dans l'île Española «on n'a rencontré qu'une tortue (...) au cours d'une Le cas des pinsons est devenu classique recherche faite par trois hommes en deux depuis que Darwin a fait de celui-ci un des jours. La végétation de l'île a été dévastée par les chèvres; lorsqu'on trouva la tortue, breux que pendant quelque temps il ne put , Le manchot des Galapagos est le seul de son espèce qui se soit aventuré si près de la et un grand nombre d'insectes de l'archipel Deux exemples insolites d'adaptation à ce milieu sont donnés par le héron des laves ou héron vert (Buteridis Sundevalli) et le cor¬ les îles, les iguanes terrestres étaient si nom¬ trouver dans l'île San Salvador un espace sans tanière où planter sa tente. La presque totalité des reptiles, la moitié des oiseaux sédentaires, un tiers des plantes arguments majeurs de sa théorie sur la sélec¬ tion naturelle. Observant la différence qui existait dans la grosseur du bec des diverses espèces, Darwin déduisit qu'au fil d'un celle-ci était en train de se nourrir en compa¬ gnie de 15 chèvres qui lui faisaient concur¬ grand nombre de générations les pinsons avaient dû adapter leur bec à la taille des grains, des graines, des insectes et même des plus grave pour la préservation de ces espè¬ ces, comme l'a dit le dramaturge anglais feuilles dont ils se nourrissaient. Des treize maux se trouvent dans un état d'innocence. rence». De toute façon et indirectement, le Tom Stoppard, c'est que là-bas «les ani¬ espèces cataloguées, toutes de la famille des Ils ignorent complètement que vous et moi Geospizinae, la plus remarquable est celle du pinson-pic (Camarhynchus pallidus) qui, constituons, comme disent les biologistes, l'espèce la plus favorisée et que nous pou¬ va chercher les insectes et leurs larves dans vons choisir de les anéantir si nous ne déci¬ les fentes de l'écorce du gaïac, ou "palo santo" (Bursera gravcelens), ainsi nommé pour le parfum qu'il dégage lorsqu'on le coupe, ou bien dans les galeries des arbres morts. Mais comme il n'a pas le bec suffi¬ samment long, il se sert d'une épine de cac¬ tus pour fouiller dans les fentes des arbres, dons pas de les préserver, aussi ne nous craignent-ils pas (...) On marche parmi les iguanes, les hérons, les pigeons, les oiseaux moqueurs et les pinsons comme Adam et Eve, dans les peintures médiévales, mar¬ chent parmi les antilopes et les grues». Jorge Enrique Adoum L'UNESCO ET LA FONDATION DARWIN EN 1935, le gouvernement équatorien célébra le centenaire de tues, qui sont ensuite rendues, lorsqu'elles ont trois ans et sont en l'arrivée de Darwin aux îles Galapagos en décrétant celles-ci mesure de se défendre pour survivre, à leur habitat naturel. De la Réserve nationale et Parc national: 690 000 hectares, soit même façon sont protégés les et les petits des iguanes. Dans la les neuf dixièmes de la superficie totale de l'archipel. En 1937, Sir Station on préserve actuellement des milliers de phoques, espèce Julian Huxley, qui allait être plus tard le premier directeur général qu'il y a quelques années encore on croyait condamnée à l'extinc¬ de l'Unesco, créa un Comité pour les îles Galapagos mais le projet tion. Des mesures ont été adoptées pour protéger toutes les espèces qu'avait celui-ci de créer une station de recherche dans l'archipel de l'action des chiens et des chèvres sauvages. Le gouvernement fut interrompu par la Seconde guerre mondiale. équatorien a adopté les recommandations du Grand Plan en ce qui concerne la limitation et le contrôle du tourisme. On a fixé à 5 000 En 1951 ce projet fut repris et soutenu par l'Unesco ; en 1959, le nombre de visiteurs par an; les touristes sont logés et mangent centenaire de la publication de L 'origine des espèces, la Fondation généralement à bord du bateau qui les transporte ; les visites privées Charles Darwin des Galapagos fut créée à Bruxelles sous les auspi¬ sont interdites et la pêche est contrôlée; les visites, conduites par ces de l'Unesco et du Fonds mondial pour la défense de la nature et des guides dûment formés, sont faites en suivant des sentiers bali¬ ses ressources. Au début des années 1960, les premiers bâtiments de sés; il est interdit de donner à manger aux animaux, et un sac de la Station de recherche Charles Darwin furent édifiés près de plastique est fourni à chaque visiteur à son arrivée afin qu'il y Puerto Ayora, sur l'île Santa Cruz, avec le soutien de l'Equateur, recueille les déchets. La Fondation projette d'inclure des zones de l'Unesco, du Fonds mondial pour la défense de la nature et ses marines dans le Parc national et l'Unesco contribue à la création ressources, du Programme des Nations Unies pour le Développe¬ d'un laboratoire de biologie marine qui s'occupera également des ment et de la Smithsonian Institution. La Fondation a établi un études sur la géologie des îles. Les Galapagos figurent sur la liste du Grand Projet prévoyant l'élevage, dans la Station, de bébés tor- Patrimoine culturel et mondial de l'humanité. 28 Pouillot véloce Phylloscopus collybita i Pouillot fitis Phylloscopus trochilus isolément, son bulbe est rond, les tiges de ses fleurs ne Chaque plante appartient â une espèce. présentent pas de renflement. Il n'est pas nécessaire de regarder ces plantes pour les reconnaître chaque espèce a son odeur Ces plantes ont plusieurs caractéristiques communes mais elles peuvent être classées en cinq espèces différentes. Ciboulette (Allium schoenoprasum) : pousse en bouquet, a des oignons allongés et des feuilles étroites. Ail des bois (Allium ursinum) : pousse en bouquet, a un bulbe allongé et de larges feuilles. Poireau (Allium porrum) : pousse isolément, possède un grand oignon de forme cylindrique. Oignon (Allium cepa) : pousse isolément, son bulbe est rond, les tiges de ses fleurs présentent un renflement. Ail (Allium sativum) : pousse distincte. Méfiez-vous des apparences. Bien qu'ils semblent identiques, le pouillot véloce et le pouillot fitis appartiennent à des espèces différentes. Leur chant est le meilleur moyen de les distinguer. Mais on peut aussi parfois noter de petites différences dans leur aspect physique. L'ÉVOLUTION de "YÉvolution" par Pierre Thuillier DE PIERRE THUILLIER, de France, enseigne l'his¬ toire des sciences à l'université Lille III et à l'uni¬ versité Paris VII, et fait partie de l'équipe rédac¬ tionnelle de La Recherche. // s'intéresse aux pro¬ blèmes d'épistémologie et à tout ce qui concerne les rapports entre science et société. Il a publié notamment Jeux et enjeux de la science (1972), nos jours, lorsqu'on aborde le transformisme. Car cette histoire a com¬ sujet de l'évolution, on pense spon¬ tanément à Darwin. N'est-ce pas lui mencé avant Darwin, s'est prolongée bien qui, vers le milieu du 19e siècle, a expliqué une fois pour toutes comment les diverses reprendre une formule courante, l'évolu- formes vivantes s'étaient constituées? Il ne leurs conscient, comme le prouve la «notice Les biologistes vont-ils prendre le pouvoir? (1981) faudrait pas, toutefois, que le célèbre livre sur L'origine des espèces, paru en 1859, et Darwin and Co (1981). fasse oublier la richesse de l'histoire du après lui et n'est sans doute pas close. Pour tionnisme a évolué... Darwin en était d'ail¬ historique» qu'il a ajoutée à L'origine des espèces. Dans cette notice, il commence par faire 29 Empédocle d'Agrigente, 490-430 avant J.-C. Georges-Louis de Buffon, 1707-1788 Jean-Baptiste de Lamarck, 1744-1829 allusion à quelques auteurs de l'Antiquité. Effectivement, certains philosophes grecs darwinisme. C'est une opinion difficile à maintenir. Quelques auteurs anciens ont eu créées directement par Dieu et étaient abso¬ ont vaguement pressenti que les organismes vivants avaient pu se transformer. Anaxi- des intuitions parfois remarquables. Ainsi le poète et philosophe latin Lucrèce, au 1er siè¬ cle av. J.-C, a décrit de façon très vivante la «lutte pour la vie». Il pensait qu'il était pos¬ sible d'expliquer la naissance des animaux mandre de Milet, au 6e siècle av. J.-C, pen¬ sait que «l'homme, à l'origine, était né d'animaux d'un autre genre». D'après lui, cela était prouvé par le fait que les êtres humains, dans leur jeune âge, sont long¬ temps incapables de se nourrir par leurs pro¬ pres moyens. Un autre penseur grec, Empé¬ docle d'Agrigente, émit, au 5e siècle av. J.-C,, de curieuses idées sur la formation des organismes: «des têtes sans cou apparais¬ saient sur la terre, des bras sans épaules erraient, et des yeux se déplaçaient çà et là, qui n'avaient pas de front...». Selon cet espèces végétales et animales avaient lument stables. été Il fallait donc de l'audace pour s'attaquer à cette doctrine, d'autant plus que des sciences comme la paléontolo¬ gie et l'embryologie en étaient à leurs balbu¬ intéressantes qu'elles soient, n'ont jamais tiements. Quelques esprits hardis, malgré tout, se risquèrent à suggérer que les êtres vivants pouvaient subir des «transmuta¬ tions» au fil des générations. été développées méthodiquement et systé¬ matiquement. Pour qu'apparaissent des spéculations plus précises, il faut attendre de mort, en 1748, le français Benoît de Maillet par les seules lois de la nature, sans recourir à l'intervention des dieux. Mais ces idées, si nombreux siècles. Ce n'est guère qu'au 18e siècle que s'annonce le transformisme moderne. Dans un livre qui parut seulement après sa racontait par exemple que toutes les espèces terrestres venaient peut-être d'espèces mari¬ nes correspondantes. D'après lui, des pois¬ Il est vraisemblable que le développement du sens historique a joué un rôle dans la sons s'étaient habitués à vivre sur terre et auteur, ces organes détachés s'étaient réunis sous l'action de l'Amour; ainsi se seraient maturation des nouvelles idées biologiques. maux (et entre autres à des oiseaux). De formés les êtres vivants. On trouve chez lui Petit à petit, les théoriciens s'habituaient à l'idée d'une sorte de sélection naturelle: les penser la réalité sociale (m,urs, institu¬ tions, productions culturelles...) en termes même, des éléphants de mer avaient engen¬ dré les éléphants terrestres; et les hommes, eux aussi, provenaient de créatures marines organismes non viables ont été éliminés (par exemple les bovins à tête d'homme!), tandis que les organismes correctement formés ont survécu. Certains historiens, pour cette raison, ont pensé qu 'Empédocle était un précurseur du avaient donné naissance à de nouveaux ani¬ d'évolution. Il n'est pas trop surprenant que cette manière de penser ait été appliquée aussi à l'étude de la nature. A cette époque, doux rêveur, doué d'une imagination exces¬ rappelons-le, la religion chrétienne dominait sive. Mais d'autres auteurs, à peu près à la la culture occidentale. D'après l'interpréta¬ tion la plus courante de la Bible, les diverses même époque, formulèrent des idées d'un (les Tritons!). Benoît de Maillet, évidem¬ ment, nous apparaît maintenant comme un très grand intérêt. Darwin et le racisme MALGRÉ l'influence de quelques penseurs, les cotonnière. C'est pour défendre leur fameuse "institution préjugés raciaux se sont constitués en véritable particulière" que des philosophes et. des sociologues sudis¬ tes donnèrent corps à toute une mythologie de caractère pseudo-scientifique qui était destinée à justifier un état de doctrine au cours du 18e et du 19e siècle. Il y eut cependant une période relativement brève où l'on aurait pu croire que la diffusion des principes de révolutions améri¬ caine et française ainsi que les succès de la campagne anties¬ clavagiste en Angleterre auraient pu atténuer et même faire disparaître les préjugés de race. La réaction qui se mani¬ festa pendant la Restauration et le développement indus¬ triel de l'Europe au début du siècle dernier eurent des effets directs et pernicieux sur la question raciale. L'essor que pri¬ rent les filatures mécaniques ouvrit aux producteurs de coton des marchés de plus en plus vastes. "Le coton devint roi", surtout dans le sud des Etats-Unis. II en résulta un besoin toujours accru de main-d'Buvre servile. L'escla¬ 30 choses en contradiction avec leurs professions de foi démo¬ cratique. Il fallait, pour apaiser les consciences, que l'on fût convaincu que le noir était un être non seulement inférieur au blanc, mais encore mal dégagé de l'animalité. Les "blancs" accueillirent avec enthousiasme le darwi¬ nisme, qui, en prêchant la survivance du plus apte, venait étayer et confirmer leur politique d'expansion et d'agres¬ sion aux dépens des peuples "inférieurs" ; survenant à l'époque même où les nations puissantes bâtissaient leur empire colonial, cette thèse venait les justifier tant à leurs propres yeux qu'à ceux du reste de l'humanité : le fait que vage, qui périclitait en Amérique et qui se serait peut-être des groupes humains "inférieurs" étaient réduits en escla¬ éteint de lui-même, se transforma de ce fait en une institu¬ vage ou tombaient sous les balles des mitrailleuses et des tion sacro-sainte dont dépendait la prospérité de la zone fusils européens venait simplement confirmer la théorie August Weismann, 1834-1914 J.B.S. Haidane, 1892-1964 Ainsi des historiens des sciences ont noté que Pierre de Maupertuis, vers le milieu du 18e siècle, paraît «avoir eu une notion assez nette des processus de mutation et de sélec¬ tion». D'une part, les êtres vivants peuvent Théodosius Dobzhansky, 1900-1975 particulièrement important: la Philosophie zoologique. On résume souvent la pensée de Lamarck même après que son système eut subi des cri¬ tiques très sévères. Pendant la première moitié du 19e siècle, de la façon suivante : afin de s'adapter à leur environnement, les animaux acquièrent de d'autres Etienne Geoffroy Saint-Hilaire et l'Anglais Robert Chambers, qui fit paraître en 1844, interprétations transformistes furent proposées. On peut citer le Français se modifier de façon accidentelle au fil des nouveaux caractères physiques générations; d'autre part, les modifications qui sont ensuite transmis héréditairement à utiles peuvent se conserver et s'accumuler, leur descendance. Comme exemple, on cite le cas de la girafe : pour atteindre des feuilles sans nom d'auteur, un ouvrage intitulé Les damnés à disparaître. Le naturaliste Buffon, de son côté, semble avoir admis qu'un trans¬ de plus en plus hautes, pour répondre à de (The Vestiges of the Natural History of nouveaux «besoins», elle aurait pris l'habi¬ Creation). Mais pour qu'un nouveau pas formisme limité était possible. Il a même tude d'étirer son cou et aurait transmis à ses décisif soit franchi, il faut parvenir à l'année les individus inaptes étant au contraire con¬ caractères vestiges de l'histoire naturelle de la création écrit ceci: on peut supposer que «tous les rejetons la modification ainsi produite. Mais 1858. C'est à cette date, en effet que furent animaux sont venus d'un seul animal qui, la théorie de Lamarck est beaucoup plus présentés dans la succession des temps, a produit, en complexe. Il admet, certes, que les change¬ Londres se perfectionnant et en dégénérant, toutes ments de circonstances provoquent indirec¬ d'Alfred Rüssel Wallace où était nettement les races des autres animaux». Il faut se gar¬ tement une certaine forme d'évolution ; mais exposée la théorie de la sélection naturelle. der d'exagérer l'importance des énoncés de il affirme aussi que la vie elle-même, par ses L'année suivante paraissait L'origine des ce genre. Mais il est clair que, dès le 18e siè¬ cle, beaucoup de naturalistes ont envisagé l'hypothèse de la variabilité des espèces. Le propre grand-père de Charles Darwin, Erasme Darwin, s'appuya sur diverses con¬ sidérations (tirées de l'anatomie comparée, de l'embryologie, etc) pour formuler une propres lois, engendre une sorte de «pro¬ gression» dans les êtres vivants. Autrement espèces. Cette fois-ci, avec un grand nombre devant des la textes Société linnéenne de de Charles Darwin et dit, la nature tend spontanément à compli¬ d'exemples concrets tirés de la paléontolo¬ gie, de l'embryologie, de l'anatomie compa¬ quer la «série générale des animaux». Tout rée et de la biogéographie, une théorie bien compte fait, les variations du milieu ont plu¬ structurée donnait une explication détaillée tôt une influence perturbatrice: elles intro¬ «plan de la formation des espèces. Darwin, tout d'abord, affirmait que les théorie évolutionniste. Généralement, on le général de la nature». Lamarck ne réussit espèces étaient des populations composées considère de pas à persuader tous ses confrères naturalis¬ d'individus susceptibles de varier à travers 1809 un ouvrage tes; mais il exerça une influence durable les générations successives. Puis il décrivait comme un Lamarck, qui publia en prédécesseur duisent des «anomalies» dans le selon laquelle un groupe humain inférieur est remplacé par qui leur faisait refuser aux peuples "inférieurs" toute parti¬ un autre qui lui est supérieur. Sur le plan de la politique fort a le droit de détruire le plus faible trouve son applica¬ cipation à la situation favorisée dont ils jouissaient. Ils accueillirent avec complaisance la thèse biologique darwi¬ nienne et après l'avoir simplifiée, déformée et adaptée à leurs intérêts particuliers, en tirèrent ce que l'on appelle le "darwinisme social", grâce auquel ils prétendirent justifier leurs privilèges sociaux et économiques, mais qui n'a rien à voir avec les principes strictement biologiques de Darwin. tion non seulement dans les rivalités entre nations, mais H. Spencer (1820-1903) a utilisé en sociologie le concept de internationale, le racisme excuse l'agression, car l'agresseur ne se sent tenu à aucune considération envers des étrangers qui, appartenant à des "races inférieures", doivent être placés au niveau des bêtes, ou peu s'en faut. L'idée que biologiquement et scientifiquement le plus encore dans celles qui surgissent à l'intérieur d'un pays. Il n'est pas juste d'attribuer à Darwin, comme beaucoup l'ont fait, la paternité de cette théorie haineuse et inhu¬ la "survivance du plus apte", qu'on a été jusqu'à identifier avec celui du "surhomme" chez Nietzsche (1844-1900), et qu'on a cité pour sa défense. maine. La vérité est que l'existence de groupes composés Ainsi donc les progrès de la biologie furent exploités ten¬ d'hommes de couleur, devenus des concurrents possibles dancieusement pour fournir des explications, en apparence sur les marchés du travail et revendiquant les avantages simples et scientifiques, destinées à résoudre les inquiétudes sociaux que les blancs avaient considérés comme leur privi¬ antérieures concernant la conduite humaine. lège, devait nécessairement conduire ceux-ci à dissimuler Juan Comas, "Les mythes raciaux" dans sous quelque prétexte le matérialisme économique absolu Le racisme devant la science, Unesco, 1956 31 L'EVOLUTION DE "L'EVOLUTION" la «lutte pour la vie» qui s'exerce en perma¬ réalisait de façon continue, par accumula¬ tion de variations minimes. C'est pourquoi joué un rôle prépondérant (Sociobiology : the new synthesis, 1975). Il a formulé une maux doivent affronter leurs concurrents, il se produisit au début du 19e siècle une crise vaste théorie qui reprend les thèmes essentiels mais ils doivent résister aux intempéries, à la dans la pensée biologique. Elle ne fut vrai¬ ment résolue que dans les années 1920-1930, nence dans la nature. Non seulement les ani¬ chaleur, à la sécheresse, etc. Alors est intro¬ du darwinisme et s'appuie entre autres sur la génétique, l'écologie et l'éthologie. Selon lui, tous les comportements sociaux ont une base duite l'idée de sélection naturelle, qui est fondée sur une analogie avec la sélection artificielle : de même que les éleveurs amélio¬ lorsque R.A. Fisher, S. Wright et J.B.S. Haldane constituèrent la génétique des rent leur cheptel en opérant une sélection Grâce à cette discipline, qui étudie com¬ méthodique, de même la nature produit de nouvelles espèces 'en triant les individus. Ceux qui portent des variations favorables nismes individuels ne servaient qu'à assurer la reproduction maximale des gènes. En d'autres termes, les gènes sont "égoïstes". Ils Imaginons que ce mécanisme de sélection ment les gènes se diffusent dans les popula¬ tions, il devenait possible de présenter le darwinisme sous une forme plus satisfai¬ sante. Autour de l'année 1940 apparut une nouvelle conception d'ensemble, qu'on appelle couramment la «théorie synthéti¬ fonctionne pendant des milliers de généra¬ que» de l'évolution. Elle se fondait essen¬ agression, religion...) doivent être compris tions; alors, par accumulation de petites modifications, de nouvelles populations tiellement comme des stratégies qui optimisent le "pro¬ vont Gaylord Simpson. Désormais, les variations survivent et se multiplient, ceux qui portent des variations défavorables disparaissent. se former (c'est-à-dire de nouvelles espèces). populations. sur les travaux de Théodosius Dobzhansky, d'Ernest Mayr et de George chères à Darwin étaient définies comme des génétique et il faut les expliquer grâce à cette hypothèse fondamentale : du point de vue biologique, tout se passe comme si les orga¬ utilisent les animaux (termites, oies, chèvres, chimpanzés, hommes...) pout1 se multiplier ; et les comportements sociaux (sexualité, fit génétique". Mais E.O. Wilson ne s'est pas contenté de formuler des interprétations théoriques. Partant du principe que les sociobiologistes Darwin admettait l'existence de plusieurs processus évolutifs (sélection mutations, c'est-à-dire comme des accidents autres survenant sexuelle, usage et non-usage des organes, action directe des conditions,...). Mais, à ses gènes. La nouvelle synthèse ne tenait pas seulement compte des progrès de la généti¬ affirmé qu'ils devaient devenir les yeux, la sélection naturelle jouait le rôle que, mais de divers résultats concernant la veaux moralistes" et guider la planification principal. A proprement parler, ainsi que notion d'espèce, la biogéographie, la paléontologie, etc. Elle fut acceptée par un grand nombre de scientifiques. De nos jours encore, elle constitue, dans ses grandes lignes, l'interprétation orthodoxe. de la société. Ce projet ambitieux soulève de nombreuses questions. Les développements récents de la biologie mis. Ainsi il n'est nullement prouvé qu'il existe des gènes de l'altruisme, des gènes du Darwin le reconnaissait, cette théorie n'était pas «prouvée». Parmi d'autres objections, celle-ci revenait souvent: on n'avait jamais vu une espèce se transformer en une autre au hasard et affectant certains sont les experts les plus compétents dans le domaine des comportements humains, il a "nou¬ Tout d'abord, il faudrait savoir si cette nouvelle forme de darwinisme a des bases solides. Là-dessus, certains doutes sont per¬ espèce. Mais Darwin avait raison de dire que ses explications rendaient intelligibles une foule de faits observés par les spécialistes de la paléontologie, de l'embryologie et de quelques autres disciplines. Plusieurs hom¬ moléculaire et de la biochimie ont permis d'affiner et de préciser l'analyse des phéno¬ mènes d'évolution. Il est devenu possible de suivre à la loupe, en quelque sorte, l'évolu¬ mes de science s'opposèrent à la nouvelle tion de certaines molécules (par exemple (qui est parfois très rapide) par l'évolution théorie. Mais, en quelques années, elle réus¬ l'hémoglobine). Dans l'ensemble, les résul¬ biologique (dont le rythme, en comparai¬ sit à s'imposer dans de nombreux pays. tats obtenus par les diverses sciences de la son, est très lent). faiblesses. Cela s'explique en particulier par le fait que, à l'époque de Darwin, les con¬ vie ont confirmé les schémas théoriques mentionnés précédemment. Il ne faut pour¬ tant pas s'imaginer que tous les problèmes naissances dans le domaine de la génétique sont étaient très insuffisantes. La fameuse étude darwinienne (ou néo-néo-darwinienne...) a atteint sa forme parfaite et définitive. Le darwinisme présentait cependant des de Mendel sur les plantes hybrides, qui mar¬ que les débuts de la génétique moderne, ne résolus et que la théorie néo¬ conformisme, des gènes de l'homosexualité. Il n'est pas évident non plus qu'on puisse expliquer l'évolution des sociétés humaines Une autre question se pose aussitôt : appartient-il aux scientifiques (aux biologis¬ tes en l'occurrence) de dicter à l'humanité des normes éthiques et politiques ? Le cas de Wilson a l'intérêt de nous rappeler que ce problème majeur n'est pas nouveau. Déjà Même des concepts apparemment aussi Darwin avait appliqué à l'espèce humaine sa simple que ceux d'adaptation et de sélection théorie de l'évolution. Cela l'avait amené à Mais d'autres naturelle font l'objet de critiques plus ou parler de "races inférieures". Et à déclarer hommes de science, bientôt, allaient entre¬ que la femme, elle aussi, était inférieure à prendre une révision de la théorie exposée moins virulentes. Certains biologistes, par exemple, font remarquer qu'il est très diffi¬ dans L 'origine des espèces. Alors que Dar¬ cile de déterminer avec exactitude si tel ou win tel gène a réellement été sélectionné à cause parut qu'en 1865; Darwin n'a jamais utilisé les idées qu'elle contenait. croyait acquis, par Weismann à l'hérédité exemple, affirma, des August de son "utilité" biologique. Mentionnons à tive, moins courageuse... A partir de là, il était facile de formuler des arguments plus ou moins "scientifiques" en faveur du dernières ce propos la théorie "neutraliste" du Japo¬ nais M. Kimura, selon laquelle de nombreux gènes ne sont ni utiles ni nuisibles, mais neu¬ sélection pouvait aisément engendrer de redoutables projets eugénistes, destinés à tres du point de vue évolutif. Les Améri¬ produire des populations de "surhommes". caractères l'Allemand dans les années du 19e siècle, qu'elle était impossible. Cela entraînait le rejet des idées concernant l'usage et le non-usage des organes; mais la théorie de la sélection naturelle proprement cains dite demeurait intacte. récemment proposé une théorie (dite des En 1900, la génétique prit un nouvel essor grâce à la «redécouverte» des lois de Men¬ Gould et EIdredge, en outre, ont "équilibres ponctués") qui va à rencontre des idées généralement reçues. Selon eux, De l'évolution n'a pas eu lieu de façon régulière et continue, mais par des "sauts" évolutifs Vries. Mais, paradoxalement, ces progrès ne relativement brusques. Sur ces points et plu¬ contribuèrent pas immédiatement à l'amé¬ sieurs del qu'opérèrent l'Allemand l'Autrichien Tschermak, Correns et le l'homme : moins intelligente, moins inven¬ Hollandais autres, de nombreuses discussions racisme et du sexisme ! De même, l'idée de Bien sûr, Darwin n'avait pas voulu cela. Mais l'histoire montre que des idéologies dangereuses se sont souvent développées autour de thèmes "darwiniens" plus ou moins douteux. Peut-être y a-t-il une leçon à en tirer : le développement des théories évolutionnistes n'est pas seulement une "belle la sélection naturelle. Selon les partisans du Une nouvelle discipline qui se situe elle mendélisme, ces variations étaient brusques aussi dans la tradition darwinienne a beau¬ aventure scientifique" mais une entreprise culturelle qui concerne l'humanité de façon très concrète. Admirons donc ceux qui, d'Anaximandre à nos jours, ont jeté un peu de lumière sur les origines de la vie et sur nos propres origines. Mais n'oublions pas que et de grande ampleur. Hugo de Vries, par coup fait parler d'elle ces temps derniers : la les théories sont seulement des constructions exemple, pensait que l'évolution s'expliquait par des «mutations» discontinues, par des sociobiologie. Son objectif est d'expliquer humaines. Elles peuvent nous aider à y voir plus clair ; mais notre avenir dépend de choix moraux et sociaux qui dépassent la Mais par la biologie les comportements sociaux des animaux en général et des hommes en particulier. Dans la naissance de cette Darwin, lui, avait déclaré que l'évolution se science, l'Américain Edward O. Wilson a contraire, ce fut l'occasion d'un conflit con¬ sont en cours. II se pourrait donc que la théorie néo-darwinienne, dans les années à cernant la nature des variations utilisées par venir, subisse d'importantes révisions. lioration de la théorie darwinienne. Bien au «sauts» qui produisaient soudainement des formes 32 nouvelles (mutationnisme). science, même darwinienne... Pierre Thuillier L'ORDINATEUR: DARWIN A RAISON par Boris Mednikov l'apparition des mouches domestiques résis¬ l'évolution. Darwin ne séparait pourtant pas l'euvre maîtresse de sa vie L 'origine tantes aux insecticides. des espèces ? L'évolution, en effet, encore l'apparition de nouvelles variétés du développement de catégories hiérarchisées embrasse également un ensemble de phéno¬ Il est clair que Darwin comprenait parfai¬ tement que la "spéciation" l'apparition d'une espèce nouvelle à partir d'une espèce mènes d'une ampleur aussi différente que, antérieure est la clé de l'évolution. Si l'on tant que science n'existait pas à son époque, d'un dinosaures et n'élucide pas ce processus, on ne peut ren¬ et les travaux de Mendel lui étaient aussi l'origine des mammifères, et, de l'autre. dre compte des autres manifestations de inconnus qu'ils l'étaient aux autres savants POURQUOI Darwin a-t-il intitulé ne se limite pas à l'origine des espèces, elle côté, l'extinction des plus larges : genres et familles, ordres, clas¬ ses et embranchements, car la génétique en de son temps. Mais il est non moins clair que Darwin s'interrogeait sur la frontière entre la forma¬ tion des espèces et l'apparition de groupes plus vastes, le passage, par exemple, de l'espèce du chien ordinaire à la famille des canidés ; ce n'est pas un hasard si un chapi¬ tre entier de L 'origine des espèces est consa¬ cré à l'hybridation, espèce et d'une à l'intérieur d'une espèce à l'autre. Nous dirions aujourd'hui que Darwin s'intéressait à la question de l'arrêt de l'échange des gènes au moment de la spéciation. A l'heure actuelle, nous distinguons les processus de micro et de macro-évolution. La micro-évolution comprend l'ensemble des phénomènes qui se produisent à l'inté¬ rieur des espèces, sur une aire géographique assez limitée, pendant une période relative¬ ment courte (quelques centaines ou milliers de générations) et qui s'achève avec la for¬ mation d'une espèce nouvelle ou avec la division d'une espèce-mère en deux espècesfilles. Les mécanismes de la spéciation sont aujourd'hui bien connus. Au cours d'un grand nombre de générations, l'influence du milieu entraîne dans les populations de plan¬ tes et d'animaux une sélection des variantes héréditaires les mieux adaptées aux condi¬ tions ambiantes. Les facteurs qui permettent cette sélection proviennent, d'une part, du processus de mutation, c'est-à-dire de la somme de modifications héréditaires dues à une modification de la structure génétique au niveau de l'ADN (acide désoxyribonucléique) des cellules. Pour les organismes bisexués, d'autre part, de nouvelles variations pour la sélec¬ tion sont fournies par le processus de la reproduction sexuée qui mélange des gènes BORIS d'URSS, MIKHAILOVITCH MEDNIKOV, travaille actuellement dans les domai¬ nes de la génétique moléculaire et évolutionnaire et de la biologie générale au laboratoire de biolo¬ gie moléculaire et de biochimie A.-N. Belozersky de l'Université d'Etat de Moscou. Auteur de plus de cent travaux dans différentes branches de la biologie, il a aussi publié trois livres destinés au grand public sur le darwinisme au 20e siècle, la loi Photo © Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, Suis Tohis, oiseaux chanteurs d'Amérique du Nord. de la variabilité homologique et les axiomes de la biologie. 33 hérités du père et ceux hérités de la mère en De nos jours, la plupart des scientifiques des combinaisons toujours renouvelées. Les ont tendance à penser qu'il n'y a pas de dif¬ sinon comme la somme de toutes les espèces qui le composent. Ce ne sont pas les ordres, combinaisons réussies ont de fortes chances férence fondamentale entre la micro et la classes, etc., en tant que tels qui évoluent, d'avoir une descendance. Ainsi se produit macro-évolution et qu'il s'agit en fait de mais les espèces dont ils sont constitués. un changement progressif dans les caracté¬ diverses ristiques des individus formant la popula¬ l'évolution. Tous les phénomènes de l'évo¬ étapes du processus unique de tion à partir de laquelle va s'élaborer la nou¬ lution qui dépassent le cadre de l'espèce peu¬ velle espèce. vent être entièrement expliqués par la généti¬ En fin de compte, cette espèce nouvelle se trouve génétiquement isolée des autres populations de l'espèce-mère avec laquelle, normalement, elle ne se croise plus : la spé¬ ciation se produit. Darwin cite l'exemple des que contemporaine. Mais tout le monde n'est pas de cet avis. Certains estiment que l'évolution de groupes plus larges que l'espèce est régie par des lois tout à fait autres. D'autres interprétations évolution conduisent, de la macro¬ en dernier ressort, soit à postuler la progression par bonds, soit à supposer des sortes de lois nouvelles régis¬ sant l'apparition des catégories plus vastes. Les tentatives pour introduire un clivage entre la micro et la macro-évolution se répè¬ tent avec une telle régularité qu'on est en droit de s'interroger : n'y aurait-il pas à cela de Richard Goldschmidt, qui s'est illustré Madère : en l'espace de 300 ans, ils se sont par ses recherches dans le domaine de la comme s'il y avait quelque chose, dans le réduits à la taille de rats et ont perdu la pos¬ sibilité de se croiser avec des lapins euro¬ micro-évolution, soutient que les familles, caractère même de nos connaissances sur le les ordres et les classes sont le produit de développement péens. macro-mutations, extrê¬ vivante, qui entraîne les scientifiques sur une mement brutales d'individus isolés dans une voie que ne confirment ni les faits ni la logi¬ population. Ces "monstres prometteurs", que. lapins apportés d'Europe sur l'île C'est précisément par la spéciation que passe la frontière ou le point d'articulation entre micro et macro-évolution. Ce n'est pas pour rien que Darwin s'intéressait au pro¬ de modifications quelque cause objective ? Tout se passe historique de la nature comme les appelle Goldschmidt, deviennent La cause fondamentale réside peut-être les fondateurs de nouvelles grandes catégo¬ dans le fait que nous ne pouvons, pour l'ins¬ ries. macro¬ tant, observer l'évolution que dans sa seule évolution procède par sauts : dans la classe variante terrestre. Imaginons ce qui se passe¬ espèce comme dans l'ancienne dont celle-ci des reptiles apparaît brusquement le premier provient, oiseau, parmi les singes anthropoïdes le pre¬ rait si un visiteur extra-terrestre devait juger de la vie des êtres humains à partir de la bio¬ mier homme, etc. graphie d'un seul terrien. Certaines de ses blème de la stérilité des hybrides ! Mais il importe de souligner que dans la nouvelle la micro-évolution continue comme avant, mais de façon indépendante, Selon cette conception, la pour chacune d'elles. Les populations de Mais cette théorie est très controversée. conclusions seront sans aucun doute exac¬ l'espèce-mère cessent d'être des partenaires Le "monstre prometteur" surgissant à un tes, mais il lui arrivera aussi d'ériger des évé¬ d'évolution pour devenir des facteurs du seul exemplaire au sein de la population nements fortuits de la vie de ce terrien au milieu ambiant avec lesquels la nouvelle aura beaucoup de mal à trouver un parte¬ rang de lois communes à toute l'espèce espèce peut entrer en concurrence. naire pour perpétuer l'espèce. Le Caín de la humaine. Il est parfois malaisé de tracer une ligne de partage entre micro et macro-évolution dans la mesure où il n'existe pas de démarcation très nette entre des espèces proches. Il n'est Bible dut aller "au pays de Nod" pour se De fait, les données de la paléontologie ne confirment en rien cette hypothèse extrava¬ quand gante. Les fondateurs de nouveaux groupes ne diffèrent que très peu des représentants l'activité de l'homme détruit l'équilibre de du groupe dans lequel ils sont apparus. Le pas rare que des limites, auparavant très pré¬ cises, disparaissent, par exemple, l'écosystème. Deux espèces d'oiseaux chan¬ premier oiseau, l'archéoptéryx, n'était autre teurs appelés tohis, qui vivaient autrefois qu'un reptile couvert de plumes, et notre dans des zones bien distinctes du sud des ancêtre, l'australopithèque, ne différait pra¬ tiquement pas des singes sinon par la station Etats-Unis et du Mexique (l'une ayant pour habitat les forêts de chêne, l'autre celles de verticale. résineux) forment de plus en plus souvent de Tous est de même pour la macro¬ tains groupes et le progrès, l'épanouisse¬ ment des autres, relèvent, dans une large mesure, du plus pur hasard. C'est peut-être seulement lorsque nous aurons rencontré d'autres formes de vie sur une dizaine de planètes dans l'univers que nous ferons la part, dans l'évolution, entre ce qui obéit à des lois et ce qui est fortuit. Lorsque l'échantillonnage sera suffisamment repré¬ et alors seulement nous serons en mesure de les exemples de macro-mutation nos jours, en raison de la deforestation, une (comme la formation d'une deuxième paire d'ailes chez la mouche drosophile des fruits) On pourrait multiplier à l'infini ce type d'exemples mais, grosso modo, la définition ne traduisent pas, en réalité, l'apparition de caractères nouveaux mais la résurgence de de la frontière entre espèces comme étant le caractères anciens. point d'articulation entre la micro et macro¬ tions de l'atavisme, comme la réapparition évolution reste exacte. de l'appendice caudal chez certains indivi¬ le développement de catégories systémati¬ en sentatif, comme disent les statisticiens, alors population hybride. La macro-évolution, c'est l'apparition et Il évolution : en définitive, l'extinction de cer¬ trouver une épouse. dus de l'espèce Ce sont des manifesta¬ humaine. Aucun genre, ordre ou classe ne peut exister et évoluer comprendre. A moins que cela ne se pro¬ duise avant. J'ai écrit plus haut que toute expérimenta¬ était impossible dans la macro¬ tion évolution, mais ce n'est pas tout à fait exact. On peut procéder à des expériences si on reproduit le processus de l'évolution sur un ordinateur. Il y a trois ans, le spécialiste de la simulation en machine de processus biolo¬ giques, V.V. Menchoutkine, a mené, avec la ques plus vastes que la notion d'espèces participation de l'auteur de ces lignes, toute (genres et familles, ordres, classes, embran¬ une série d'expériences sur l'évolution d'ani¬ chements maux arthropodes et cordées. et règnes) sur une échelle immense, parfois l'ensemble de la bios¬ On a mis en mémoire dans la machine une phère, et pendant des millions, voire des description suffisamment détaillée d'un ver centaines de millions d'années. En raison de arthropode primitif et d'un prototype des ces énormes proportions, il est impossible, animaux cordés, lorsqu'on de qui a survécu jusqu'à nos jours. Ces espèces recourir à Cet outil prodigieusement efficace originelles étaient susceptibles de transfor¬ étudie la macro-évolution, qu'est l'expérimentation. analogue à l'amphioxus mations qui, en outre, obéissaient au hasard a appelé et pouvaient être aussi bien progressives que l'historien un prophète qui prédit le passé. régressives. Autrement dit, ce que Darwin On appelait «l'absurde "tendance au progrès" C'est, semble-t-il, pourrait Hegel appliquer "macro-évolutionnistes". la A qui formule la fin du aux de Lamarck» n'avait pas été introduit dans 19e siècle, les épigones de Darwin ont surtout le programme de l'ordinateur. mis l'accent sur les problèmes de macro¬ règle de l'évolution darwinienne fut égale¬ évolution. Ce n'est qu'avec la redécouverte Le premier hominidé, ment des lois de Mendel (1900) et l'essor rapide de l"'Australopithecus" saltum", ainsi les sauts brutaux proposés la génétique qu'a été élaborée une théorie (c'est-à-dire Singe du par la théorie de Goldschmidt sur la macro¬ Sud) était bipède, évolution étaient-ils exclus. synthétique de l'évolution dans laquelle "Natura non facit marchait à la l'étude de la micro-évolution a occupé la verticale, et courait place qui lui revenait. dans les savanes. 34 respectée : Une autre Après chaque étape temporelle (corres¬ pondant approximativement à un million d'années de la chronique paléontologique), ravages, provoquant au bout d'un certain la machine faisait le tri des variantes qui temps s'adaptaient formes antérieures. le mieux aux conditions l'extermination totale des A la lumière de ces expériences, il faut considérer avec encore plus de scepticisme les tentatives pour découvrir dans la macro¬ La de la mémoire de la machine et remplacés pour par les mieux adaptés. Comme il suffisait de action, le principe darwinien de la sélection 1859. Nous devons nous laisser guider par 0,09 minute million naturelle des modifications héréditaires for¬ les paroles de Newton : d'années, il fut facile de suivre l'évolution tuites suffit parfaitement. Il n'y a aucune admettre dans la nature d'autres causes que depuis le Cambrien jusqu'à nos jours. Les raison de penser qu'il en a été autrement celles qui sont véridiques et suffisantes pour résultats de ces expériences ont été très signi¬ pour l'évolution qui s'est produite sur la expliquer les phénomènes". ficatifs. terre. simuler un simuler essentielle une est celle-ci : évolution des causes et des mécanismes dif¬ ambiantes. Les "outsiders" étaient éliminés pour conclusion presque macro-évolution en férents de ceux formulés par Darwin en "Il ne faut pas Boris Mednikov Je me limiterai à l'évolution des cordés. Le prototype ancestral de l'amphioxus (organisme marin en forme de ver, de quel¬ ques centimètres de long, avec une muscula¬ ture, une corde dorsale et une moelle épi- L'évolution sur ordinateur nière, mais sans encéphale ni crâne) avait donnée naissance, au bout de 100 millions d'années, à une multitude de créatures Ces dessins du savant soviétique V.V. Menchoutkine, ont été exé¬ diverses en forme de poissons, à écailles et cutés cuirassées, certains agressifs et prédateurs, fournies d'autres pacifiques. Au bout de 350 étapes, cours d'une pour simuler le premier organisme constitué sortit sur la terre ferme puis on vit apparaître des êtres d'après par les un descriptions ordinateur, expérience les possibilités d'évolution des cordés principaux au conçue groupes l'un des du monde analogues aux amphibies et aux reptiles, et animal. enfin des mammifères. Au bout de 1000 éta¬ ces derniers ont évolué. pes, une étrange créature apparut : un pré¬ rience fut faite en choisissant un dateur actif, doté d'un système nerveux extrêmement développé qui se déplaçait sur Ils montrent comment L'expé¬ dessin n° 1, en haut, montre VAmphioxus extrémités antérieures. Il est difficile de ne aujourd'hui. Au centre, la forme pas reconnaître dans cette créature l'image, originelle de l'ancêtre cordé telle tralopithèque. Chaque tel qu'il existe . qu'elle est restituée par les anatomistes. En bas, la description codée des 24 caractéristiques de nouvelle expérience faite avec cet organisme ancêtre qu'on peut décrypter ainsi : "organisme l'ordinateur à partir de données et d'un pro¬ marin de 10 cm de long, de forme gramme identiques, donnaient des résultats allongée, avec une musculature différents (je rappellerai que la variabilité segmentaire, programmée dans la machine correspondait et à la variabilité indéterminée de Darwin). Ainsi, 12 111111111161 animal marin, en forme de ver. Le deux pattes et avait le libre usage de ses sinon du pithécanthrope, du moins de l'aus¬ 1M1 M U 1 1 cordé nommé Amphioxus, petit dans l'une des expériences, des poissons gagnèrent la terre ferme en prenant une une corde dorsale moelle d'encéphale ni épinière. de Pas boîte cr⬠nienne, sans nageoires ni autres les minuscules qu'il absorbe par Fécondation autre apparurent des être analogues aux cen¬ pufs taures de la mythologie, quadrupèdes aux pas de sa progéniture". Chaque bras chiffre correspond à un degré de La macro-évolution simulée par ordinateur se révèle donc un externe, minuscules, pond ne des s'occupe développement d'une caractéris¬ tique donnée, par exemple, pour processus aussi imprévisible dans ses détails le cerveau, de l'absence totale au que doit l'être la véritable évolution. Nous développement ne découvrirons pas dans l'avenir, quelles chaque que soient nos incursions dans la galaxie, C=> un pharynx perforé de branchies. appui sur trois paires de nageoires. Dans une indépendants. Z--JÍU extrémités, se nourrit de particu¬ complet. génération, les Pour chiffres indiqués par l'ordinateur ne modi¬ fiaient le coefficient d'une carac¬ deux planètes dotées d'une biosphère identi¬ que. t*too ou en moins) ; ainsi la viviparité La deuxième conclusion à laquelle mènent ces téristique que d'un point (en plus expériences, tante : n'est l'évolution pas moins impor¬ simulée sur machine apparaître subitement, par ensuite fait un tri dans les varian¬ tes reste constant. Dans la réalité, il n'a pas été mieux adaptées. A la 100e opéra¬ semble-t-il, de grandes perturba¬ obtenues tion d'écart en conservant entre deux les opéra¬ tions correspond environ à 1 mil¬ tions, comme la dérive des continents ou les lion d'années), différentes espè¬ périodes glaciaires, pour qu'apparaissent de ces de poissons dotés de mâchoi¬ nouvelles formes de vie et que s'éteignent les res anciennes. ¿ZZZ> un saut de l'évolution. L'ordinateur a s'opère parfaitement dans un milieu qui besoin, C>, et l'allaitement ne pouvaient pas et de nageoires apparurent dans l'eau (2). A la 350e opération une espèce sortit des eaux, sur la Nous avons ainsi observé dans nos expé¬ terre ferme (3). Au bout de la 800e riences des explosions brutales de spéciation opération apparut une multitude et des périodes d'extinction, mais à chaque fois le phénomène était dû à l'influence de créatures terrestres : t = looo préda¬ teurs et non prédateurs dont la taille pouvait atteindre 10 mètres d'autres éléments de la biosphère (les fac¬ de long (4). A la 1 000e opération, teurs biotiques). Par exemple, dans une de apparut un prédateur bipède doté nos simulations, on vit régner longtemps d'un extrême- c dans les eaux douces des animaux piscifor¬ ment développé et ayant le libre s usage de ses extrémités antérieu- > res. ;" mes sans mâchoires développées (analogues système nerveux 1 J aux lamproies et autres cyclostomes). Des poissons dotés de mâchoires surgis de la mer firent parmi cette population de terribles ° 5 35 L'ASTRONOME : ET SI DARWIN par Chandra Wickramasinghe à la biologie, il y a environ cinq ans, je n'ai microbiologie mière fois de la théorie de l'évolu¬ pas eu donc y avoir présence de bactéries à l'échelle tion ment les faits. QUAND m'a-t-on parlé pour la pre¬ selon Darwin ? Je m'en sou¬ l'occasion d'examiner personnelle¬ et astronomie. II semblait galaxique. Pour Sir Fred Hoyle comme pour viens mal, ce devait être à l'école à un âge où Si j'en suis venu à rejeter les idées reçues moi, ces ressemblances sont les plus con¬ j'étais loin de pouvoir juger sur pièces. On me la présentait, au moins implicitement, en matière d'évolution darwinienne, c'est à cluantes que l'on puisse obtenir d'une com¬ comme fallait menés avec Sir Fred Hoyle. En 1962, nous observations croire que la vie avait jailli de la matière inorganique par un processus aléatoire de avons commencé à étudier la nature de la ment poussière nous lieu : celle des micro-organismes fossiles qui brassage des molécules à une lointaine épo¬ avons été amenés à conclure que les grains existent dans les météorites carbonées, pier¬ que de l'histoire de la planète. Il fallait admettre en outre que la vie qui s'est déve¬ de poussière dans l'espace doivent contenir res tombées du ciel qui n'ont subi aucune contamination terrestre. loppée ensuite a été le résultat de la seule des sphères microscopiques (inférieures au micron) de graphite. Vinrent ensuite de lon¬ évolution néo-darwinienne. Les forts survi¬ gues et difficiles recherches pour découvrir faits vent et se renforcent, les faibles meurent et tombent dans l'oubli. Grande théorie, qui ce qu'il y avait d'autre dans cette poussière cosmique. En 1972, j'ai constaté la présence me parut séduisante et convaincante, bien de mesure parce qu'ils ont été endoctrinés très jeunes par le darwinisme, théorie qui sup¬ pose tacitement que la vie a commencé sur qu'elle s'opposât, dans la culture à laquelle chaînes de molécules organiques à base de j'appartiens, aux conceptions bouddhistes carbone. Il y a deux ans nous avons dû con¬ selon lesquelles l'univers est éternel et les clure formes de vie qu'il contient dotées de per¬ astronomiques manence. l'espace des micro-organismes à une échelle une réalité indubitable. Il l'origine en raison des interstellaire ; polymères, que travaux à autrement tout un l'époque dit de ensemble indique que j'ai de qu'il longues données existe dans Les idées néo-darwinistes s'ancrèrent dans colossale, notre seule galaxie contenant 1052 mon esprit, elles firent bientôt partie inté¬ grante de mon bagage scientifique. Ma for¬ cellules. Il nous est apparu que l'obscurcis¬ mation puis férentes couleurs dû à la poussière interstel¬ d'astronome, comportait l'acceptation tacite laire signale la présence de cellules vivantes des dogmes biologiques en vigueur. Jusqu'au jour où je me suis intéressé méthodiquement dans de mathématicien d'abord, sement de la lumière des étoiles dans les dif¬ l'espace, une partie de ces cellules s'étant sélectivement changées en graphite. Nous nous sommes donc cru autorisés NALIN CHANDRA WICKRAMASINGHE est penser que la microbiologie opère à l'échelle cosmique. mathématiques appliquées et une autre découverte décisive a eu Si tant d'hommes de science aujourd'hui restent fermés à des si évidents c'est dans une grande terre. Les faits dont nous disposons montrent clairement que la vie sur terre provient de ce qui semble bien être un système vivant omni¬ présent dans toute la galaxie, la vie terrestre tire son origine des nuages de gaz et de pous¬ sière qui occupent l'espace et dont des grains se sont ensuite incorporés et agrégés dans les comètes. La vie provient, et reçoit conti¬ nuellement l'influence hors de la Terre de sources situées ce qui contredit très net¬ tement la théorie darwinienne. à professeur de paraison entre données de laboratoire et astronomiques. Plus récem¬ D'après les données actuelles la vie est apparue sur terre il y a 3 milliards 800 millions d'années. Il s'agissait de micro¬ d'astronomie au "University College" de Cardiff, Pays de Galles, et Directeur de l'Institut des Etu¬ En étudiant en laboratoire le comporte¬ des fondamentales à Sri Lanka. En 1962, alors ment spectral des micro-organismes nous dont on trouve les traces dans les sédiments qu'il était à l'Université de Cambridge, le profes¬ avons une les plus anciens. Il semble significatif que la seur Wickramasinghe, originaire de Sri Lanka, a vie ait fait son apparition en un instant, géo- reçut le Prix Powell (prix britannique pour la poé¬ sie). Les points de vue exprimés dans cet article empreinte biologique diagnosticable dans la zone de longueur d'onde de l'infrarouge. Nous avons comparé ces données de labora¬ sont largement développés dans deux ouvrages récents : Space Travellers : the bringers of life toire de (Les voyageurs de l'espace : porteurs de vie) et Evolution from Space (Evolution en provenance remarqué avec le ensuite qu'il comportement existe observé de organismes (bactéries et micro-mycètes) logiquement parlant, presque au moment même où la planète a eu une croûte en voie stabilisation, une atmosphère et des l'absorption dans l'infrarouge dans le cas océans, donc au moment même où la vie d'une devenait possible. Après quoi, au long des étoile située au centre de notre de l'espace) qu'il a écrit en collaboration avec Sir galaxie, et nous avons constaté une corres¬ ères géologiques, la vie s'est développée : Fred Hoyle. pondance elle a évolué dans le sens d'une complexité remarquablement étroite entre "Une tornade soufflant sur de vieilles carcasses d'avion aurait plus de chance de recomposer un "jumbo jet" tout neuf à partir de ces morceaux de ferraille que la vie n'en a d'apparaître toute montée à partir de ses constituants brassés au hasard." AVAIT TORT ? croissante. Les néo-darwinistes considèrent que la totalité des formes vivantes qui exis¬ tent aujourd'hui et qui ont existé dans le passé s'explique par l'accumulation cons¬ tante des erreurs qui se produisent et par le développement des variations qui en résultent à mesure qu'un système vivant primitif est copié des miljiards de milliards de fois. La théorie prétend que l'accumula¬ tion des fautes de copie, triées par les pro¬ cessus de la sélection naturelle (la survivance des plus aptes) peut rendre compte à la fois de la prodigieuse diversité de la vie et de la Nébuleuse spirale dans la constellation de la Grande Ourse. montée constante qui va de la bactérie à l'homme. Cette proposition, nous la combattons dans l'ouvrage que nous avons publié récemment, Sir Fred Hoyle et moi. Nous convenons que des copies successives accu¬ muleraient les erreurs, mais ces erreurs aboutiraient en moyenne à une dégradation constante de l'information contenue dans l'original. Il est ridicule de supposer que l'information donnée par une unique bacté¬ rie primitive puisse s'élever au moyen de successives jusqu'à produire un copies homme ainsi que tous les vivants qui peu¬ plent la planète. Cette doctrine ressemble à l'idée selon laquelle en copiant la première page du Livre de la Genèse des milliards et des milliards de fois on finirait par accumu¬ ler assez d'erreurs et par conséquent assez de variations pour produire non seulement la Bible toute entière mais encore tous les fonds de toutes des bibliothèques du monde. Les deux propositions sont également absur¬ des. Les processus de mutation et de sélec¬ tion naturelle ne peuvent avoir sur la vie que des effets minimes, tel qu'une sorte de réglage en finesse de l'évolution dans son ensemble. Ce qui est par-dessus tout absolu¬ ment indispensable c'est un apport conti¬ nuel d'information, un accroissement d'information dont la durée couvre toute l'histoire géologique. Le nombre et la gra¬ vité des lacunes qui interrompt les séries des transmissible apparaissant au cours de l'évo¬ lution d'une espèce a nécessairement une origine externe : cosmique. Les primates et fossiles et aussi l'absence de formes de tran¬ l'homme ont beaucoup de choses en com¬ sition aux étapes cruciales du développe¬ ment de la vie montrent à l'évidence que le darwinisme est tristement insuffisant pour expliquer les faits. En revanche, ce que l'étude des fossiles démontre c'est que de mun, c'est entendu ; cependant biochimi- nouvelles propriétés de la vie au niveau des littérature ou de la musique et à l'épanouis¬ sement de la recherche en mathématiques, soient sortis des mutations de gènes simiesques qui se seraient produites par hasard longtemps avant d'avoir la moindre impor¬ gènes ont été introduites par des expériences naturelles successives. . Les changements n'ont été durables que lorsque ces expérien¬ ces ont réussi. Les lignées recevant un apport génétique voué à l'échec ou incapa¬ ble de fonctionner ont tout simplement dis¬ paru. Des apports de gènes pourraient avoir lieu grâce à l'interaction de virus ou viroïdes spa¬ tiaux avec toute forme de vie existant sur terre à tel ou tel moment. Quand on a découvert la structure des virus, certains hommes de science ont pensé que ces parti¬ cules constituaient le chaînon manquant (longtemps cherché dans le tableau darwi¬ nien) entre la matière inorganique et la vie. Mais on comprit bien vite que les protéines des virus sont beaucoup trop compliquées pour cela. En fait, les structures de diverses protéines virales ont une parenté si étroite avec celles des organismes vivants que l'on a considéré à une certaine époque que ces par¬ ticules avaient dû provenir de formes de vie supérieures. Dans notre livre sur les mala¬ dies venues de l'espace (Diseases from Space) nous disons, Sir Fred Hoyle et moi, que les génomes humains sont remplis de virus et viroïdes. Des invasions virales peu¬ vent provoquer des épidémies, comme dans le cas de ('influenza par exemple : la distri¬ bution des recrudescences de cette maladie montre que les pathogènes qui en sont la cause sont directement soumis à une influence spatiale. importante ment, un monde les sépare. Nous ne pou¬ vons admettre que les gènes nécessaires à la création des grandes suvres de l'art, de la tance concevable pour la survie au sens dar¬ winien. De même que la vie la plus primitive apparue sur notre planète, toutes ces pro¬ priétés ont été forcément implantées de l'extérieur. Si la terre était hermétiquement fermée à toute source externe de gènes, les insectes multiplieraient jusqu'à la fin du monde des répliques d'insectes et les singes en se reproduisant ne produiraient jamais que les mêmes singes. La Terre serait bien ennuyeuse. Cependant, de toutes les difficultés que comporte la conception néo-darwiniste de la vie, la plus importante est que les micro¬ organismes sont beaucoup trop compliqués. On peut dire qu'au moment de la création des bactéries, ou de leur réalisation ou for¬ mation, quel que fût le cas, 99,99 Vo de la biochimie des formes de vie supérieures étaient déjà découverts. On connaît quelque 2 000 enzymes d'une importance vitale pour une gamme biologique qui va des micro¬ organismes jusqu'à l'homme. Les variations des séquences d'acides aminés dans ces enzymes sont d'une assez faible amplitude. Dans chaque enzyme un bon nombre de positions-clefs est occupé par des acides aminés presque invariables. Voyons com¬ ment ces séquences auraient pu provenir d'une soupe primordiale contenant en pro¬ Selon notre conception, toute nouvelle propriété quement, anatomiquement, physiologique- et héréditairement portions égales les 20 acides aminés les plus importants biologiquement. On estime à 15 I 37 par enzyme au minimum le nombre des cases qui doivent obligatoirement être rem¬ plies par tels ou tels acides aminés pour un bon fonctionnement biologique. La quan¬ tité des essais nécessaires pour parvenir à un tel assemblage est facile à calculer : à peu près 1040000, chiffre véritablement énorme, super-astronomique. Et la probabilité de découvrir cet assemblage par brassage au hasard est de 1 sur 4040 00°. Voilà le nombre qu'on peut retenir pour le contenu d'infor¬ mation de la vie tel qu'il se manifeste dans les seules enzymes. Le nombre des brassages nécessaires pour trouver la vie dépasse de maintes et maintes puissances tous les atomes observable. vieilles Une carcasses contenus tornade 10 celui de dans l'univers soufflant d'avions aurait sur de plus de chance de recomposer un "jumbo jet" tout neuf à partir de ces morceaux de ferraille que la vie d'apparaître toute montée à partir de ses constituants brassés au hasard. Je considère que la vie n'a pu être un acci¬ dent, ni sur la Terre ni en aucun point de l'univers. Les faits tels que nous les voyons maintenant nous donnent le choix entre deux conclusions : soit une création voulue, soit la permanence absolue des formes de la vie dans un univers éternel et sans limite. Pour qui accepte comme parole d'évangile les conceptions cosmologiques actuelles, le second terme de l'alternative peut paraître invraisemblable ; on serait alors contraint d'admettre que la vie résulte d'un acte créa¬ teur. Ainsi la création entrerait dans l'ordre de la science expérimentale. Le concept d'un créateur extérieur à l'univers pose des pro¬ blèmes d'ordre logique et, quant à moi, ce n'est pas une idée à laquelle je puisse aisé¬ ment souscrire. Philosophiquement ma pré¬ férence va à un univers essentiellement éter¬ nel et infini dans lequel un créateur de la vie, intelligence bien supérieure à la nôtre, aurait en quelque façon émergé de manière natu¬ relle. Mon exprimé collègue une Sir préférence Fred Hoyle analogue. a Dans l'état actuel de nos connaissances sur la vie et sur l'univers, nier catégoriquement toute forme de création pour expliquer l'origine de la vie suppose un refus de considérer les faits et une prétention inadmissibles. La Terre n'est pas le centre matériel de l'uni¬ vers, la chose est démontrée ; il me semble également évident qu'elle n'est pas non plus le siège de la plus haute intelligence du Photo © IPS, Paris "Lever de terre" sur la lune, photo monde. Chandra Wickramasinghe prise d'Apollo 10. "La terre n 'est pas le centre matériel de l'univers, la chose est démontrée ; il me semble également évident qu'elle n 'est pas non plus le Bureau de la Rédaction : Unesco, Edition hébraïque : Alexander Broïdo (Tel-Aviv) place de Fontenoy, 75700 Paris, Edition persane : Edition néerlandaise : Paul Morren (Anvers) France Edition portugaise : Benedicto Silva (Rio de Janeiro) Les articles et photos non copyright peuvent être reproduits à Edition turque : Mefra llgazer (Istanbul) siège de la plus haute intelligence condition d'être accompagnés du nom de l'auteur et de la mention du monde. " « Reproduits du Courrier de l'Unesco », en précisant la date du Edition ourdoue : Hakim Mohammed Saïd (Karachi) numéro. Trois justificatifs devront être envoyés à la direction du Edition catalane : Joan Carreras i Marti (Barcelone) Courrier. Les photos non copyright seront fournies aux publica¬ Edition malaise : Bahador Shah (Kuala Lumpur) tions qui en feront la demande. Les manuscrits non sollicites par la Rédaction ne sont renvoyés que s'ils sont accompagnés d'un coupon-réponse international. Les articles paraissant dans le Edition coréenne : Lim Moun Young (Séoul) Edition kiswahili : Domino Rutayebesibwa Courrier de l'Unesco expriment l'opinion de leurs auteurs et non pas nécessairement celle de l'Unesco ou de la Rédaction. Les titres des articles et les légendes des photos sont de la rédaction. Rédacteur en chef adjoint : Olga Rodel Secrétaire de rédaction : Gillian Whitcomb (Dar-es-Salaam) Editions croato-serbe, macédonienne, serbo-croate, Slovène : Punisa Pavlovic (Belgrade) Edition chinoise : Shen Guofen (Pékin) Edition bulgare : Dimitar Gradev Editions braille : Frederick H. Potter (Paris) Rédacteurs : Rédacteurs adjoints : Editi¡on française : Edition française : Editiion anglaise : Howard Brabyn (Paris) Edition anglaise : Roy Malkin Editi¡on espagnole : Francisco Fernandez-Santos (Paris) Edition espagnole : Jorge Enrique Adoum Editi¡on russe : Nikolai Kousnetsov (Paris) Editi¡on arabe : Sayed Osman (Paris) Documentation : Christiane Boucher Illustration : Ariane Bailey Editi¡on allemande : Werner Merkli (Berne) Editi¡on japonaise : Kazuo Akao (Tokyo) Editi¡on italienne : Mario Guidotti (Rome) Editi¡on hindie : Krishna Gopal (Delhi) Editi¡on tamoule : M. Mohammed Mustafa (Madras) 38 Maquettes : Robert Jacquemin Promotion-diffusion : Fernando Ainsa Toute la correspondance concernant la Rédaction doit être adressée au Rédacteur en Chef. Vient de paraître Le temps des Peuples, le dernier ouvrage de M. Amadou-Mahtar M'Bow, est conçu à partir des discours prononcés par le Directeur général de l'Unesco durant son premier mandat, de novembre 1974 à novembre 1980. 11 offre ainsi un remarquable panorama des missions accomplies par l'Organisation dans les domaines de sa compétence : éducation, science, culture et communication, tou¬ tes sous-tendues par la même finalité : le maintien de la paix dans le monde. Qu'on n'imagine surtout pas là un recueil de textes liés seulement à une fonc¬ tion, à l'apparat ou aux solennités qui l'accompagnent. Au fil des pages, au con¬ traire, se dégagent et se précisent les fondements qui régissent les activités de l'Unesco, l'esprit qui l'anima pendant les six années de référence évoquées. Une vision unitaire transcende donc les situations particulières qui ont inspiré chaque texte. Ni didactique ni abstrait, le discours se veut d'abord accessible à tous, car le souci de l'auteur n'est pas tant de séduire que de convaincre, de réveiller les consciences, de les gagner à la cause dont il a la charge : Passomption de tous les peuples et de chacun. M. M'Bow s'attache à rester à l'écoute du monde pour exprimer les besoins des populations et leurs aspirations de dignité, de justice et de paix, pour traduire les plus urgentes de leurs revendications : éducation, savoir, loisir matériel et cultu¬ rel ; pour les suivre au plus près de leur idéal de compréhension et de fraternité universelle. C'est pourquoi le tiers-monde occupe dans cet ouvrage une place centrale. Non pas à la suite d'un choix partisan mais tout naturellement, comme nous y oblige un simple constat de l'état même du monde. Et l'on voit ainsi se rejoindre admi¬ rablement les préoccupations de l'homme et celles de l'Organisation qu'il dirige, dont la fin est de promouvoir l'éducation, la science, la culture et la communica¬ tion, d'intervenir là où les peuples sont le plus menacés, de proposer et de mettre en acte des solutions viables consenties par tous. Ainsi cet ouvrage d'un grand serviteur de l'humanisme moderne offre-t-il à notre méditation un tableau lucide et approfondi du monde actuel. Le temps des peuples, 365 pages, éditions Robert Laffont, Paris, 1982 Pour vous abonner ou vous réabonner et commander d'autres publications de l'Unesco Vous pouvez commander les publications de Coruna; Libreria Al-Andalus, Roldana, 1 y 3, Sevilla 4. Librería Moulins, Monte-Carlo. MOZAMBIQUE. Instituto Nacional l'Unesco chez tous les libraires en vous adressant CASTELLS, Ronda Universidad 13, Barcelona 7; Editorial Feni¬ do livro e do Disco tINLD), Avenida 24 de Julho, 1921 r/c e Ie directement cia, Cantelejas, 7 "Riefrio", Puerta de Hierro, Madrid 35 andar, Maputo. -NIGER. Librairie Mauclert, B.P. 868, Niamey. à l'agent général (voir liste ci- dessous). Vous pouvez vous procurer, sur simple demande, les noms des agents généraux non inclus dans la liste. Les paiements des abonne¬ ments peuvent être effectués auprès de chaque ÉTATS-UNIS. Unipub. 345, Park Avenue South, New York, NORVEGE. Toutes les publications : Johan Grundt Tanum N.Y. 10010. - FINLANDE. Akateeminen Kiirjakauppa, Keskus- (Booksellers), Karl Johans gate 41/43, Oslo 1. Pour le «Cour¬ katu 1, 00100 Helsinki. Suomalainen Kirjakauppa Oy, Koivuva- rier» seulement : A. S. Narvesens Litteraturjeneste, Box 6125 Oslo 6. Universitets Bokhandelen, Universitetssentret, P.D.B. 307, Blindem. Oslo 3. - PAKISTAN. Mirza Book Agency, 65 raan Kuja 2, 01640 Vantaa 64 - FRANCE. Librairie Unesco, 7, place de Fontenoy, 75700 Paris. C.C.P. 12.598.48 agent de vente qui est à même de communiquer le Librairies internationales. montant Commission du prix de l'abonnement en monnaie locale. Conakry. nationale GRÈCE. RÉP. POP. REV. DE GUINÉE. guinéenne pour l'Unesco, B.P. 964, HAÏTI. Librairie A la Caravelle, 26, rue Roux, B.P. 57 111, Port-au-Prince. - HAUTE-VOLTA. Lib. Attie B.P. 64, Ouagadougou. Librairie Catholique «Jeunesse d'Afrique». Ouagadougou. HONGRIE. Akadémiai Konyvesbolt, Váci U.22, Budapest V., A.K.V. Konyvtárosok Boltja. Népkoztasasag utja 16, Budapest VI. INDE. Orient Longman Ltd. : Kamani Marg. Ballard Estate. Bombay 400 038 ; 17 Chittaranjan Avenue, Calcutta 13 ; 36a Anna Salai, Mount Road, Madras 2. B-3/7 5300 BONN 3. Autres publications : S. Karger GmbH, Karger Asaf Ali Road, Nouvelle-Delhi 1, 80/1 Mahatma Gandhi Road, Buchhandlung, Bangalore-560001, 3-5-820 Hyderguda, Hyderabad-500001. Publications Unit, Ministry of Education and Culture, Ex. AFO ALBANIE. N. Sh. Botimeve Nairn Frasheri, Tirana. ALGɬ RIE. Institut pédagogique national, 11, rue Ali Haddad, Alger, Société nationale d'édition et diffusion (SNED), 3 bd Zirout You- cef, Alger. - RÉP. FED. D'ALLEMAGNE. Le Courrier de l'Unesco (allemand, anglais, français, espagnol). Mr. Herbert Shahrah Quaid-i-azam, Box 729 Lahore 3. - PARAGUAY. Agencia de diarios y revistas, Sra. Nelly de Garcia Astillero, Pte. Franco N° 580 Asunción. PAYS-BAS. Pour les périodiques seulement: Dekker and Nordemann NV, P.O. Box 197, 1 000 AD Amsterdam. Pour les publications seulement: Keesing Boeken B.V., Postbus 1118, 1000 B C Amsterdam. - PEROU. Libreria Studium, Plaza Francia 1164. Apartado 2139, Lima. POLO¬ GNE. ORPAN-Import. Palac Kultury, 00-901 Varsovie, ArsPolona-Ruch, Krakowskie-Przedmiescie N° 7, 00-068 Varsovie. Hutments, Dr. Rajendra Prasad Road, Nouvelle-Delhi-1 10001 ; PORTUGAL. Dias Er Andrade Ltda. Livraria Portugal, rua do Carmo, 70, Lisbonne. - ROUMANIE. ILEXIM. Romlibri, Str. Biserica Amzei N° 5-7, P.O.B. 134-135, Bucarest. Abonnements aux périodiques : Rompresfilatelia calea Victoriei 29, Bucarest. ROYAUME-UNI. H.M. Stationery Office P.O. Box 569, Lon¬ MANDE. Buchhaus Leipzig, Postfach, 140, Leipzig. Internatio¬ Oxford dres S.E.1 nale Buchhandlungen, en R.D.A. ARGENTINE. Librería El 700016 ; Scindia House, Nouvelle-Delhi 110001. - IRAN. Com¬ Baum Deutscher Unesko-Kurier Angerhofstr. Vertrieb 9, Besaitstrasse Postfach 2, D-0034 Germering/München. Pour les cartes scientifiques seulement: Geo Center Postfach 800830 Stuttgart 80 - RÉP. DÉM. ALLE¬ Book and Stationery Co., 17 Park Street, Calcutta SÉNÉGAL. La Maison du Livre, 13, av. Roume, Correo de la Unesco EDILYR S.R.L. Tucumân 1685 1050 Buenos mission nationale iranienne pour l'Unesco, av. Iranchahr Cho- Aires. 31 A-1011 Wien. - BELGIQUE. Ag. pour les publications de mali N° 300 ; B.P. 1533, Téhéran ; Kharazmie Publishing and Distribution Co. 28 Vessal Shirazi St. Enghelab Avenue, P.O. B.P. 20-60, Dakar, Librairie Clairafrique, B.P. 2005, Dakar, Librairie «Le Sénégal» B.P. 1954, Dakar. - SEYCHELLES. New Service Ltd., Kingsgate House, P.O. Box 131, Mahé; National Bookshop, P.O. Box 48, Mahé. SUÈDE. Toutes les l'Unesco et pour l'édition française du "Courrier" : Jean de Lan¬ Box 314/1486, Téhéran. - IRLANDE. The Educational Co. of publications : A/B CE. Fritzes Kungl. Hovbokhandel, Rege¬ noy, 202, Avenue du Roi, 1060 Bruxelles, CCP 000-0070823-13. Ir. Ltd., Ballymount Road Walkinstown, Dublin 12. ringsgatan, Edition néerlandaise seulement : N.V. Handelmaatschappij Kee¬ Emanuel Brown, formerly Blumstein's Bookstores : 35, Allenby Road et 48,- Nachlat Benjamin Street, Tel-Aviv ; 9 Shlomzion «Courrier» seulement : Svenska FN-Forbundet, Skolgrand 2, Hamalka Street, Jérusalem. Toutes publications. Europa Verlag, 5, Ramistrasse, Zurich, C.C.P. 80-23383. Librairie Payot, 6, Rue Grenus, 1211, Genève AUTRICHE. Buchhandlung Gerold and Co Graben sing, Keesinglaan 2-18,21000 Deurne-Antwerpen. - RÉP. POP. DU BÉNIN. Librairie nationale, B.P. 294. Porto Novo. - BRɬ SIL. Fundación Getúlio Vargas, Editora-Divisao de Vendas, ISRAËL. ITALIE. Licosa (Librería Com- missionaria Sansoni, S.p.A.) via Lamarmora, 45, Casella Postale JAPON. Eastern Book Service Shuhwa 12, Box 16356, 103-27 Stockholm, 16. Pour le Box 150-50, S-10465 Stock holm-Postgiro 184692. - SUISSE. Caixa Postal 9.052-ZC-02, Praia de Botafogo, 188 Rio de Janeiro 552, 50121 Florence. 11. C.C.P. : 12.236. - SYRIE. Librairie Saye^h Immeuble Diab, RJ Toranomon 3 Bldg, 23-6 Toranomon 3-chome, Minato-ku, Tokyo 105 LIBAN. Librairies Antione, A. Naufal et Frères ; B.P. 656, Beyrouth. - LUXEMBOURG. Librairie Paul Brück, 22, Grande-Rue, Luxembourg. MADAGASCAR. Toutes les publications : Commission nationale de la Rép. dém. de Mada¬ gascar pour ('Unesco, Ministère de l'Education nationale, Tana¬ narive. MALAISIE. University of Malaya Co-operative Bookshop, Kuala Lumpur 22-1 1 MALI. Librairie populaire du rue du Parlement, B.P. 704, Damas. - TCHECOSLOVAQUIE. Sofia. BULGARIE. Hemus, Kantora Literatura, bd Rousky 6, CAMEROUN. Le secrétaire général de la Commission nationale de la République unie du Cameroun pour l'Unesco, B.P. N° 1600, Yaounde. - CANADA. Editions Renouf Limitée, 2182, rue Ste. Catherine Ouest, Montréal, Que H3H IM7. CHILI. Libreria , Santiago 2 La Biblioteca Alejandro, 1867 Casilla, - 5602 CHINE. China National Publications Import and Export Corporation, P.O. Box 88, Beijing. COLOMBIE. Insti¬ tuto Colombiano de Cultura, Carrera 3A n° 18/24 Bogota. Mali, B.P. 28, Bamako. RÉP.' POP. DU CONGO. Librairie populaire B.P. 493 Brazza¬ ges », 282, avenue Mohammed-VT Rabat, C.C.P. 68-74. « Cour¬ ville; Commission nationale congolaise pour l'Unesco, B.P. 577, rier de l'Unesco» : pour les membres du corps enseignant : Commission nationale marocaine pour l'Unesco 19, rue Oqba, Brazzaville CÔTE-D'IVOIRE. Centre d'édition et de diffusion africaines. B.P. 4541. Abidjan-Plateau. DANEMARK. Munksgaard export and subscription service 35 Norre Sogade 1370 Copenhague K. - EGYPTE (RÉP. ARABE D'). National Centre for Unesco Publications, N° 1, Talaat Harb Street, Tahrir Square, Le Caire - ESPAGNE. MUNDI-PRENSA Libros S.A., Castelló 37, Madrid 1, Ediciones LIBER, Apartado 17, Magdalena 8, Ondárroa (Viscaya) ; DONAIRE, Aptdo de Correos 341, La B.P. 420, Agdal, MAROC. Librairie « Aux belles ima¬ Rabat (C.C.P. 324-45). - MARTINIQUE. Librairie « Au Boul' Mich », 1, rue Perrinon, et 66, av. du Par¬ quet, 972, Fort-de- France. - MAURICE. Nalanda Co. Ltd., 30, Bourbon Street, Port-Louis. - MEXIQUE. SABSA, Servicios a Bibliotecas, S.A., Insurgentes Sur N° 1032-401, Mexico 12. Libreria El Correo de la Unesco, Actipân 66, Colonia del Valle, Mexico 12 DF British Library, 30, boulevard des S.N.T.L., Spalena 51, Prague 1 (Exposition permanente) ; Zahracini Literatura, 11 Soukenicka, Prague 1. Pour la Slovaquie seulement : Alfa Verlag Publishers, Hurbanovo nam. 6, 893 31 Bratislava. TOGO. Librairie Evangélique, B.P. 1164, Lomé, Librairie du Bon Pasteur, B.P. 1164, Lomé, Librairie Moderne, B.P. 777, Lomé. - TRINIDAD ET TOBAGO. Commission Nationale pour l'Unesco, 18 Alexandra Street, St. Clair, Trini¬ dad, W.l. TUNISIE. Société tunisienne de diffusion, 5, ave¬ nue de Carthage, Tunis. TURQUIE. Haset Kitapevi A. S., Istiklâl Caddesi, N° 469, Posta Kutusu 219, Beyoglu, Istambul. U. R.S.S. Mejdunarodnaya Kniga, Moscou, G-200 URU¬ GUAY. Edilyr Uruguaya, S.A. Libreria Losada, Maldonado, 1092, Colonia 1340, Montevideo. YOUGOSLAVIE. Jugoslovenska Knjiga, Trg Republike 5/8, P. O.8. 36, 11-001 Belgrade. Drzavna Zalozba Slovenije, Titova C 25, P.O.B. 50, 61-000 Ljubljana. RÉP. DU ZAIRE. La librairie, Institut national d'études politiques, B.P. 2307, Kinshasa. Commission nationale de la Rép. du Zaire pour l'Unesco, Ministère de l'Education nationale, Kinshasa. .7 7* «v V. *4 }¡ ¿ -*- J - * 5* 1 > L~w » (< -V ifsí :«^V> fit XV \i -v« ,K V 8ÖT 4 !V'>". A ^ LE "GEOMETRE" ET LE MILIEU (voir page 15)