Darwin - u n e s d o c . u n e s c o . o

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l'unesco
Asimov -fr Thuillier -fr Wickramasinghe
Le temps des peuples
O TCHAD
Porteuses d'eau
"De l'eau.
Où vais-je la cher¬
cher ? Oh, je mets deux heures
chaque fois pour y aller et deux
heures pour
revenir.
Je lé fais
deux fois par jour..." Ces propos
d'une jeune Soudanaise décrivent
une réalité vécue aujourd'hui par
une grande partie de la popula¬
tion du globe. Selon les chiffres
pour 1980, environ trois person¬
nes sur cinq,
dans les pays en
développement,
plus
de
deux
qui
comptent
milliards
d'habi¬
tants, n'ont pas d'eau salubre à
leur portée immédiate. Ainsi les
femmes et les enfants des campa¬
gnes, auxquels incombe la plu¬
part du temps cette tâche, font -ils
souvent
jusqu'à
10 kilomètres
par jour pour aller chercher l'eau
nécessaire à satisfaire les besoins
les plus élémentaires. Les consé¬
quences de cette situation pour la
santé,
sont
pour
le
développement,
catastrophiques.
En
1981
l'Assemblée générale des Nations
Unies a lancé la Décennie inter¬
nationale de l'eau potable et de
l'assainissement, effort concerté
à l'échelle mondiale pour mettre
"eau
salubre
et
assainissement
adéquat à la portée de tous en
1990". Sur notre photo : deux
paysannes près du lac Tchad, en
Afrique.
Courrier
pages
de
l'unesco
5
par Magnus Pyke
Une fenêtre ouverte sur le monde
MAI 1982
LE HASARD ET LE GÉNIE
35» ANNÉE
12
PUBLIÉ EN 26 LANGUES
LES REPONSES DE DARWIN
par Isaac Asimov
Français
Anglais
Espagnol
Persan
Kiswahili
Hébreu
Croato-Serbe
Russe
Néerlandais
Macédonien
Allemand
Portugais
Serbo- Croate
Arabe
Turc
Slovène
Japonais
Ourdou
Chinois
Italien
Catalan
Bulgare
Hindi
Malais
Tamoul
Coréen
13
DES SOURIS ET DES PHALÈNES
19
LE VOYAGE DU "BEAGLE"
24
LES GALAPAGOS : l'origine de "l'Origine"
par Jorge Enrique Adoum
Une édition trimestrielle en braille est publiée
en français, en anglais et en espagnol.
28
L'UNESCO ET LA FONDATION DARWIN
Mensuel publié par l'UNESCO
Organisation des Nations Unies
29
L'ÉVOLUTION DE L'ÉVOLUTION
par Pierre Thuillier
pour l'Éducation,
¡a Science et la Culture
Ventes et distributions :
30
Unesco, place de Fontenoy, 75700 Paris
Belgique : Jean de Lannoy,
202, avenue du Roi, Bruxelles 6
33
ABONNEMENT
1 an : 48 francs français ; deux
ans : 84 francs français. Paiement par chèque
DARWIN ET LE RACISME
L'ORDINATEUR : DARWIN A RAISON
par Boris Mednikov
bancaire, mandat, ou CCP 3 volets 12598-48, à
l'ordre
de :
Unesco,
Librairie
de
l'Unesco.
Retourner
36
à
PUB/C, 7, place de Fontenoy - 75700
L'ASTRONOME : ET SI DARWIN AVAIT TORT ?
par Chandra Wickramasinghe
Paris.
Reliure pour une année : 36 francs.
2
Rédacteur en chef :
LE TEMPS DES PEUPLES
TCHAD : Porteuses d'eau
Edouard Glissant
h¿¿¿¿¿¿¿
¿z¿¿
¿2V¿ tn&tô-
CETTE année marque le cente¬
res de son grand livre, a recensé plus
naire de la mort de Charles
de trente devanciers. Pourquoi donc
Darwin, celui dont la théorie
revient-il à Darwin,
de l'évolution par la sélection natu¬
relle a été sans conteste la plus
grande innovation scientifique du
19e siècle.
Notre propos, avec ce numéro du
Courrier de l'Unesco qui lui est
entièrement consacré, est de rendre
hommage au grand savant qui a jeté
les bases de la biologie moderne.
Nous
laissons
à
d'autres
le
soin
d'évaluer les répercussions morales
et religieuses d'une, théorie qu'un
philosophe moderne a qualifiée de
«programme de recherche métaphy¬
sique».
A la différence de la théorie créationniste
traditionnelle,
selon
la¬
quelle toutes les formes de vie sont
restées
pratiquement
immuables
depuis qu'elles ont été créées à
l'aube des temps biologiques, la
théorie
La réponse est la suivante: alors
que les théories précédentes de l'évo¬
lution avaient un caractère spécula¬
tif, Darwin a su rassembler, dans
L'origine des espèces, une incroya¬
ble quantité de / preuves pour
appuyer l'idée qué s'était produite
une évolution des êtres vivants et que
la
sélection
naturelle
en
était
le
mécanisme. Devant la force de cette
démonstration, Thomas Huxley, qui
allait devenir le plus habile défenseur
de Darwin, remarqua, admiratif;
« Comme c'est bête de ne pas y avoir
pensé!».
Cependant, la publication de L'o¬
rigine des espèces déclencha une
révolution
non seulement
dans les
sciences de la vie mais aussi dans ¡es
affirmait que toutes les espèces exis¬
tantes, y compris l'homme, ont évo¬
lué, pendant des millions et des mil¬
lions d'années, à partir d'une seule
forme de vie initiale.
conceptions philosophiques, mora¬
les et religieuses de l'homme occi¬
dental. Bien que Darwin ait affirmé
qu 'il ne « voyait aucune raison vala¬
ble pour que les opinions exprimées
Toutefois, quand parut L'origine
des espèces, en 1859, la théorie de
l'évolution avait déjà une longue his¬
dans ce livre heurtent les sentiments
Darwin
de
qu 'aient connu les sciences de la vie ?
l'évolution
toire;
darwinienne
et à lui seul,
l'honneur d'être le symbole mê¬
me du plus grand bouleversement
lui-même,
dans
la
notice historique qu'il a ajoutée
comme préface aux éditions ultérieu
religieux de quiconque», son mes¬
sage menaçait tout l'édifice de la
pensée chrétienne rationnelle, repré¬
de finalité inhérents à l'évolution et
introduisait le spectre du hasard.
Samuel
Wilberforce,
évêque
d'Oxford, dénonça «l'idée infaman¬
te de l'origine bestiale de celui qui a
été créé à l'image de Dieu». Moins
excessif, mais tout à fait révélateur
de l'attitude de rejet que suscita cette
attaque des valeurs bien pensantes et
conformistes de la société victo¬
rienne, fut ce commentaire de
l'épouse de l'évêque de Worcester:
«Descendre du singe! Cher, espé¬
rons qu'il n'en est rien, mais si
c'était vrai, de grâce, que cela ne se
sache pas ! ».
La comparaison avec la révolution
copernicienne est inévitable. Comme
l'a dit Freud: «Au cours des temps,
la science a infligé deux affronts au
naïf amour-propre de l'humanité.
Le premier, quand on a compris que
la Terre n 'était pas le centre de l'uni¬
vers, mais seulement un point dans
un système aux dimensions à peine
concevables (...). Le second, lorsque
la science de la vie a retiré à l'homme
son statut privilégié de créature par¬
ticulière et l'a relégué au simple rang
de descendant du monde animal».
Sur notre couverture : détail de la couverture
d'un album offert par des savants à Darwin à
l'occasion de son 77e anniversaire.
sentée par la théologie naturelle,
Photo © Down House et le Royal College
puisqu 'il niait la notion de progrès et
of Surgeons of England
(maiEs mKMK
1809-1882
LE HASARD
ET LE GÉNIE
par Magnus Pyke
A27 ans Charles Darwin avait déjà en
sa possession
tête
et
dans
c'est-à-dire dans sa
ses
carnets
toute
et de contemplation au bord de l'étang ou de
la rivière.
A cette époque, personne n'aurait deviné
l'information concernant les végétaux et les
qu'il
animaux sur laquelle il devait plus tard édi¬
Quand il eut
fier la théorie de l'évolution et
deviendrait
un
homme
neuf ans on
de
science.
l'envoya à la
fonder sa
"grande école de M. Butler à Shrewsbury"
conception de l'origine des espèces, idées
où il resta sept ans, jusqu'en 1825. Cet éta¬
qui ont bouleversé son siècle. Tous les hom¬
blissement où l'on enseignait le latin et le
mes qui ont vécu après lui ont su que le
grec, avec un peu de géographie et d'histoire
monde n'est pas celui auquel leurs pères
ancienne, ne lui apprit rien qui pût lui servir
avaient cru.
dans la vie. D'ailleurs il en sortit avec des
notes ni bonnes ni mauvaises ; on le consi¬
Il arrive que d'importantes conséquences
sociales
et
éthiques
suivent
les
dérait en général comme assez médiocre.
travaux
Son père, qui pourtant l'aimait bien, lui dit
d'auteurs dont les activités paraissent sans
un jour : "Tu ne t'intéresses à rien, qu'à
avenir, voire sans intérêt : c'est ce que mon¬
tre la vie de Darwin. Jeune homme, il
tirer des coups de fusil et attraper des chiens
et des rats. Tu seras la honte de la famille".
n'avait rien de bien prometteur, et ses préoc¬
cupations
n'annonçaient
pas
de
grandes
En
Jugement sévère, sans doute. Quand le
jeune Darwin, pourvu
découvrit la géométrie
découvertes scientifiques.
1876, à l'âge- de 67 ans, il écrivit à
d'un -précepteur,
d'Euclide, il fut
émerveillé par la limpidité des démonstra¬
l'intention de ses enfants un charmant petit
livre, Souvenir du développement de mon
tions:-
intelligence et de mon caractère, dont il ne
meilleure opinion de ses aptitudes que son
pensa jamais qu'il
pût être publié.
Il
y
Et
c'est
avec
le
même
ravissement
qu'il écouta un jour son oncle (qui avait une
père) lui expliquer le principe du vernier
raconte qu'à ses débuts à l'école il apprenait
beaucoup moins vite que sa s cadette,
d'un
Catherine, et qu'à bien des égards il était,
c'est une passion qu'il garda longtemps. Il
est vrai que durant toute sa scolarité il conti¬
croyait-il, un vilain petit garçon.
baromètre.
Toutefois
à
seize
ans
il
s'enthousiasmait surtout pour la chasse et,
nua à collectionner des minéraux, encore
En même temps il avait la passion du col¬
lectionneur, et engrangeait
d'objets, des plantes, des
s
toute sorte
des coquil¬
lages, des minéraux et aussi des pièces de
monnaie et des sceaux-à-cacheter. En outre,
il essayait d'apprendre les noms des plantes.
Il aimait la pêche à la ligne, qui l'aidait peutêtre à compléter ses collections et qui en tout
qu'il s'y prît sans aucune méthode scientifi¬
que, en cherchant simplement à ajouter des
spécimens à d'autres spécimens. Les coléop¬
tères aussi
attirèrent
son attention,
pour
leurs belles couleurs, et après des vacances
au Pays de Galles à l'âge de dix ans il faillit
prendre la décision de commencer une col¬
lection d'insectes.
cas lui procurait de longs moments de calme
MAGNUS PYKE, homme de science et vulgari¬
sateur scientifique anglais, fut Secrétaire de
l'Association britannique pour l'avancement des
Sciences et président de son Conseil de 1973 à
1977. Cet article est l'adaptation d'un chapitre
écrit par Magnus Pyke dans un livre publié ce
mois- ci par l'Unesco
et le
Mendelianum
du
Musée morave ¡Tchécoslovaquie) : From Biology
to
Biotechnology,
édité par
Colette
Alexandre Kholodilin et Viteslav Orel.
Kinnon,
Mais c'est peut-être un embryon de curio¬
sité scientifique qui le poussa à servir
d'assistant à son frère, qui étudiait la chimie
et s'était installé un laboratoire de fortune
dans la cabane à outils au fond du jardin.
Plongés dans leurs expériences, les deux gar¬
çons
y
travaillaient
souvent
fort
tard
le
soir,
ce que condamna publiquement le
redoutable M. Butler, quand il apprit la .
chose, en accusant le pauvre Charles de
"perdre son temps à des matières inutiles".
5
En octobre 1825 Darwin père, constatant
Il est d'ailleurs remarquable qu'en 1826,
que son fils ne faisait rien à l'école, l'envoya
à l'Université d'Edimbourg pour y étudier la
au bout d'un an d'université, Darwin ait
médecine. Ce n'est pas que l'on songeât
ainsi à développer d'éventuels dons scientifi¬
ques, ni à encourager l'initiative et l'origina¬
publié deux petits articles sur les observa¬
tions qu'il avait faites en ramassant des ani¬
maux marins sur les plages de Newhaven.
ment que la médecine était, pour un jeune
Ainsi peut-on dire qu'avec une grande sim¬
plicité, et en dépit de la désapprobation de
ses maîtres, il commençait sa carrière scien¬
homme de bonne famille, une occupation
tifique.
lité intellectuelle. Non, on estimait seule¬
Pour devenir pasteur anglican, il fallait
alors obtenir au préalable un diplôme de
l'université d'Oxford
et
de celle de Cam¬
bridge. Nous retrouvons donc Darwin à
l'école, apparemment occupé à faire des étu¬
des qui ne l'intéressent en aucune façon.
Mais un jour où il assistait par hasard à une
conférence du botaniste John Henslow, il
fut ravi de la clarté de l'exposé et des beaux
utile et honorable. Charles ne profita guère
dessins qui l'illustraient. Bientôt, avec le
ou pas du tout des cours magistraux de
l'école d'Edimbourg, qui l'ennuyaient pro¬
En tout cas, après deux semestres à Edim¬
même ravissement, il se joignit aux excur¬
bourg, M. Darwin père dut se rendre à l'évi¬
fondément, mais la fréquentation de quel¬
dence :
ques condisciples intelligents et curieux
éveilla son intérêt pour les sciences. L'un de
n'avait pas envie de devenir médecin. Mais
ne pouvant admettre que le garçon passe sa
vie dans l'oisiveté, il lui proposa la carrière
sions qu'Henslow organisait à pied, en voi¬
ture ou quelquefois en péniche sur la rivière.
Cependant, son occupation préférée, à
Cambridge, était la chasse aux coléoptères,
qui ne faisait pas partie non plus de la prépa¬
géologie, un autre dans la zoologie, un troi¬
sième allait devenir botaniste quand il mou¬
rut prématurément en Inde. De même l'ami¬
tié de Darwin pour un certain M. Grant, de
ecclésiastique. Charles examina soigneuse¬
ration à l'état ecclésiastique. En revanche,
ment cette proposition et décida qu'il serait
en inventant deux méthodes pour collecter
bien agréable d'être curé de campagne. A
cette époque il croyait à la vérité littérale de
ces insectes (dans la mousse des arbres qu'il
plusieurs années son aîné, qui allait devenir
professeur de zoologie à l'université, semble
indiquer un intérêt croissant pour les scien¬
chaque mot de la Bible et n'imaginait même
ces jeunes gens deyait se distinguer dans la
ses
filles
avaient
raison,
Charles
pas qu'on pût faire autrement. Après avoir
faisait gratter par un man en hiver et
dans le terreau au fond de barques utilisées
pour charrier des joncs) il annonçait les pra¬
tiques d'une tout autre carrière. Et, comme
ces de la vie. C'est ainsi qu'il accompagna
lu un livre de théologie ou deux, il ne vit pas
la moindre difficulté à accepter les dogmes
ses amis au bord de la mer pour recueillir des
de l'Eglise d'Angleterre et, par voie de con¬
animaux dans les mares des grèves à marée
séquence, les suggestions paternelles. Quand
basse,
ce qui n'avait rien à voir avec les
études de médecine. Du moins y. avait-il là
on pense à certaines déductions que l'on
devait tirer plus tard de sa future théorie de
un trait de caractère très important pour un
l'origine des espèces, on peut juger assez
futur chercheur : la disposition à apprendre
paradoxal
jeune
chose, chez cet étudiant en théologie si peu
auprès des camarades et condisciples au
moins autant qu'auprès des professeurs.
homme de 19 ans à entrer dans les voies de
zélé, pour attirer l'attention d'un homme
comme Henslow et le distinguer du tout
l'empressement
de
la religion.
ce
à
Edimbourg naguère,
son
nom
figurait
dans des publications scientifiques : on pou¬
vait lire en effet ces mots magiques : "Cap¬
turé par C. Darwin", dans les Illustrations
of British Insects, de Stephen.
Sans nul doute il devait y avoir quelque
Photo © Down House et le Royal College of Surgeons of England
Microscope démontable, pistolet, poire â poudre et moule â balles que Darwin
emporta avec lui sur le Beagle.
venant. Le professeur Henslow recevait chez
d'un
compa¬
qu'un certain capitaine Fitzroy, chargé par
lui, un jour par semaine, les universitaires
s'intéressant à telle ou telle discipline scienti¬
gnons. Les vacances d'été, il les passait à
chercher des coléoptères ; l'automne était
le gouvernement d'une croisière scientifique
autour du monde, envisageait d'emmener
fique. Il invita lejeune Darwin et manifeste¬
ment le prit en amitié. Le maître et l'élève
réservé à la chasse. Il aurait pu avec une
un naturaliste faire le relevé des végétaux et
grande facilité se faire à l'existence bour¬
des animaux qu'on découvrirait en cours de
geoise la plus conventionnelle. Il aurait pu
tout aussi facilement devenir pasteur campa¬
route.
prirent bientôt l'habitude de faire de gran¬
des promenades ensemble, en conversant de
botanique et d'entomologie, de chimie, de
groupe
musical
de
joyeux
et même de reli¬
gnard en gardant l'entomologie pour violon
d'Ingres. Mais il était encore à Cambridge
gion. Chez Henslow, Darwin appréciait les
quand deux incidents modifièrent radicale¬
vastes connaissances et aussi la saine habi¬
ment ces perspectives. C'était en
tude d'observer très longuement avant de
avait alors vingt-deux ans.
minéralogie, de géologie,
tirer des conclusions. Il devait le définir plus
tard comme un homme dont "le jugement
était excellent et l'esprit très équilibré", en
ajoutant :
"Mais je ne pense pas qu'on
puisse dire qu'il avait un génie bien
original." De son côté 1' Encyclopaedia Bri¬
tannica note qu'il fut avec Sedgwick un fon¬
dateur de la Société Philosophique de Cam¬
bridge et que
autre motif de célébrité
"c'est à lui en grande partie que Darwin a
dû de se consacrer à l'histoire naturelle et
d'être présenté au Capitaine Fitzroy, com¬
mandant du Beagle" .
Darwin devait parler de ses trois années à
Cambridge comme d'une des plus heureuses
périodes de sa vie. La chasse au fusil, la
chasse
à
courre
lui
plaisaient
1831, il
s'agissait
d'un travail
bénévole
fut immédiatement séduit et fort désireux
d'accepter l'invitation.
Dès qu'il eut obtenu l'autorisation de son
père,
il alla voir Henslow à Cambridge,
littératures
reçut de lui de plus amples instructions et se
anciennes, il n'avait pu commencer ses étu¬
des à Cambridge à la date voulue. Les auto¬
rendit aussitôt à Londres pour se présenter à
Fitzroy, chef de l'expédition et commandant
rités universitaires lui demandèrent donc de
du navire. Là, il faillit bien être refusé, et il
rester au collège deux semestres de plus.
Pour l'aider à employer son temps utile¬
ne sut que plus tard à quel point il l'avait
ment, Henslow le présenta à son collègue
alors un fervent disciple du mystique suisse
Trop
faible
en
langues
et
échappée belle.
Le capitaine Fitzroy était
Sedgwick qui organisait une expédition géo¬
Johann Kaspar Lavater, célèbre pour son
logique au Pays de Galles. Darwin sauta sur
l'occasion, et c'est au cours de ce voyage
invention de la "physiognomonie", pseudo¬
science qui prétendait analyser le caractère
qu'il comprit qu'une collection de spéci¬
des gens d'après les traits de leurs visages.
mens n'a aucun intérêt scientifique en soi,
alors qu'elle est précieuse si elle contribue à
nez, c'est sur elles qu'il jugeait les candidats.
Fitzroy croyait en particulier aux formes du
soutenir une hypothèse expliquant de façon
Or, en examinant Darwin, il hésita beau¬
cohérente pourquoi tel et tel type de roches
coup devant un nez où il ne lisait pas l'éner¬
se trouvent là où ils sont.
gie et l'endurance nécessaires au voyage.
toujours
Mais finalement il écarta ses doutes,
autant. Il fréquentait des amateurs de chasse
Le second incident suivit celui-ci de très
et de cheval qui se réunissaient pour dîner,
près. En revenant du Pays de Galles, Darwin
trouva une lettre de Henslow qui l'informait
boire et jouer aux cartes. Il fit partie aussi
Il
mais qui devait évidemment intéresser une
personne aimant ce genre d'activité. Darwin
et il
dut admettre que le nez de Darwin était heu¬
reusement trompeur.
Ainsi c'est presque par hasard que Darwin
embarqua
en
qualité de
biologiste
pour
recueillir l'information dont il devait tirer de
quoi bouleverser la pensée dans les généra¬
tions qui ont suivi. "Le voyage du Beagle a
été de loin l'événement le plus important de
ma vie, écrivait-il plus tard ; il a déterminé
toute ma carrière." Ce fut un long voyage :
de décembre
1831
à octobre
1836. Parti à
22 ans, Darwin en aurait 27 à son retour.
Le Beagle traversa l'Atlantique en visitant
plusieurs îles, en particulier l'archipel du
Cap Vert, longea les côtes d'Amérique du
sud, la Terre de Feu, puis la côte ouest du
continent, dans le Pacifique, pour s'arrêter
longuement aux îles Galapagos. Cet archi¬
pel, qui comprend douze grandes îles et plu¬
sieurs centaines d'îlots, à près de 1 000 kilo¬
mètres du littoral equatorial, doit son nom
aux Espagnols qui le découvrirent au 16e siè¬
cle et s'étonnèrent des tortues géantes (galá¬
pagos) qui, entre autres animaux étranges, y
vivent en très grand nombre. La faune de
ces îles eut beaucoup d'importance pour la
thèse de Darwin en raison de l'isolement qui
l'avait mise à l'abri des influences extérieu¬
res, de celles de l'homme surtout.
Poursuivant vers l'ouest, le Beagle visita
Tahiti, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et la
Tasmanie, puis les Maldives dans l'Océan
Indien, l'Ile Maurice, Sainte-Hélène, l'Ile de
l'Ascension et enfin le Brésil. Après quoi le
navire
remit
le
cap
vers
les
Açores
et
l'Angleterre. Quelle que fût la réputation de
sportif ou d'étudiant plus ou moins travail¬
que Charles Darwin s'était faite à
leur
l'école et à l'université, il fit preuve d'une
Cette gravure de l'ornithologue et artiste
John Gould représente un Rhea Darwinii,
une espèce rare et aptère de la famille des
autruches qu'on trouve dans le sud de la
Patagonie. Darwin l'identifia en 1834 au
cours d'une expédition près de Port Désir.
7
activité débordante au cours de cette croi¬
sière. Il prenait des notes détaillées sur tout
ce qui pouvait avoir un intérêt scientifique
^ «4* ¿UM ' :LÍJ t>U.\^
dans les domaines de la géologie, de la bota¬
nique et de la zoologie ; et en outre, avec
une satisfaction gourmande, il décrivait les
Bas Kapital. ¿M*.
populations rencontrées ainsi que les mille
incidents du voyage.
Une fois rentré, en octobre 1836, et pen¬
Kritik der politischen Oekonomie.
dant six ans
jusqu'en septembre 1842
il vécut à Cambridge et à Londres et se con¬
sacra entièrement à dépouiller et classer les
masses d'informations qu'il avait recueillies.
Karl
M a r x.
Kister Hand.
Page de titre de
Il fit paraître un compte-rendu de la croi¬
l'exemplaire du Capital
sière en 1839 et l'année suivante commença
dédicacé par Karl Marx à
la publication de cinq volumes de Zoologie
Darwin. On lit :
du
"M. Charles Darwin, de
presque jusqu'à la fin de ses jours il ne cessa
la part de son admirateur
sincère, Karl Marx,
Biicti I:
her Prudtiktioiisitrocexs des Kapitals.
Londres 16 juin 1873".
Voyage de H. M.S. Beagle.
D'ailleurs
d'écrire et de publier. Il est certain qu'il tra¬
vaillait dur et méditait beaucoup, bien que
ses idées se développassent
lentement.
II
avait aussi une santé assez précaire.
Zweite verbesserte Auflage.
Avant de s'embarquer, inquiet de quitter
sa famille et ses amis, il pensa qu'il avait une
maladie de csur et se plaignit plus d'une
Du K.cltt i».. Pl1»wili«a «tri vort..h»lt.n.
fois de "palpitations". Ensuite, après son
mariage avec sa cousine Emma Wegwood en
1839, il eut "des malaises fréquents ainsi
qu'une longue et grave maladie". Il allait
vivre pourtant jusqu'à 73 ans, dans la mai¬
son qu'il acheta en septembre 1842 à
Haiulmr?
Verlag roa Otto Metamer.
Downe, dans le Kent, menant une existence
uta.
calme et réglée, vouée tout entière à la
réflexion. Mais sa santé le préoccupa tou¬
jours : aussi
réceptions et
évitait-il soigneusement les
les dîners qui "l'excitaient
trop" et lui causaient "des accès de fièvre et
de vomissements".
Emma Darwin
En janvier 1839, deux années environ après le retour du Beagle
en Angleterre, Charles Darwin épousa sa cousine Emma Wedg¬
wood que l'on voit, âgée de 32 ans, sur ce portrait de Charles Rich¬
mond. Le mariage fut heureux, bien qu'Emma souffrît de voir
Darwin perdre progressivement la foi. Sur une lettre qu'elle lui
avait adressée, Darwin avait écrit : "Lorsque je serai mort, sachez
que maintes fois j'ai couvert cette lettre de larmes et de baisers.
CD."
"...L'état d'esprit que je souhaite conserver à votre égard est la
conviction que, tant que vous agissez en conscience et tant que
vous espérez fermement apprendre la vérité et que vous vous y
appliquez, vous ne pouvez pas avoir tort, mais certaines raisons
s'imposent à moi et m 'ôtent la possibilité de jouir de ce réconfort.
Sans doute y avez-vous déjà souvent pensé, mais je veux écrire ce
qui m 'est venu à l'esprit, sachant que mon bien-aimé sera indulgent
envers moi. Votre esprit et vos journées sont remplis par les sujets
les plus intéressants et les réflexions les plus absorbantes, à savoir la
poursuite de vos propres découvertes. Mais vos préoccupations
vous mettent devant une double difficulté : éviter et rejeter des
réflexions d'une autre sorte
qui sont autant d'interruptions,
sans aucun rapport avec ce que vous recherchez -*-, ou accorder
toute votre attention à ces deux aspects de la question. N'est-il pas
possible que l'habitude, propre à la recherche scientifique, de ne
croire en rien qui ne soit prouvé, ne prévienne trop votre esprit con¬
tre d'autres choses où la preuve ne peut être apportée de la même
manière, et qui, si elles sont vraies, sont probablement au-delà de
notre compréhension ?... Je ne souhaite pas de réponse à tout cela
c'est une satisfaction de l'avoir écrit car lorsque j'en discute
avec vous, je ne peux pas dire exactement ce que je veux, et je sais
que vous serez indulgent avec votre femme bien-aimée. Ne pensez
pas que cela ne me regarde pas et que cela ne signifie pas grand
chose pour moi. Tout ce qui vous concerne me concerne aussi et je
serais bien plus malheureuse si je pensais que nous ne soyons pas
l'un à l'autre pour toujours..."
La véritable réponse à l'énigme si débattue, à savoir pourquoi
Darwin retarda si longtemps la publication de L 'origine des espè¬
ces, est peut-être qu'il ne voulait pas offenser les croyances religieu¬
Photo © Down House et le Royal College of Surgeons of England
ses de son épouse.
C'est aussi en 1842 qu'il se donna licence
de rédiger (mais au crayon seulement !)
l'esquisse d'une théorie expliquant l'appari¬
tion de nouvelles espèces d'êtres vivants à
partir d'espèces précédentes. C'était une
idée qu'il avait en tête depuis quatre ans.
"En octobre 1838, devait-il raconter, donc
quinze mois après avoir commencé mon
enquête systématique, je lus pour me dis¬
traire le livre de Malthus sur la Population,
et comme j'étais bien préparé, pour avoir
longuement observé les habitudes des ani¬
maux et des plantes, à voir l'importance de
la lutte pour la vie, il me vint aussitôt à
l'esprit que dans ces circonstances les varia¬
tions favorables tendraient à se conserver, et
les défavorables à être éliminées. Le résultat
serait la formation d'une espèce nouvelle.
J'avais donc là enfin une théorie d'après
laquelle travailler ; mais j'étais si désireux
d'éviter les idées préconçues, que je résolus
de m'abstenir un certain temps d'en écrire
même la plus brève ébauche."
Ainsi d'année en année une lente rumina¬
tion lui permit d'affiner et de perfectionner
ses idées sur l'évolution et l'origine des espè¬
ces. Au début, ses intuitions n'expliquaient
pas pourquoi des espèces biologiques prove¬
nant d'une même souche devraient diverger
de manière caractéristique en se modifiant
peu à peu. Il aboutit à la conclusion que "la
descendance
modifiée
de
toutes
formes
dominantes et en expansion tend à s'adapter
à un
grand
nombre de
lieux
hautement
diversifiés dans l'économie de la nature."
Plus tard il raconta comment cette hypo¬
"Je me rappelle
exactement l'endroit où je me trouvais en
thèse s'était manifestée :
voiture sur la route au moment où, à ma
grande joie, j'eus l'idée de la solution."
Cette phrase donne un aperçu de certaines
caractéristiques de la découverte : les idées
peuvent venir d'elles-mêmes à l'esprit qui
s'est préparé à les recevoir ; elles peuvent le
frapper d'une illumination soudaine et le
Ce portrait du naturaliste Alfred Rüssel Wallace fut exécuté à par¬
combler alors d'un immense bonheur.
tir d'une photographie prise par Thomas Sims et se trouve actuelle¬
Alfred Rüssel Wallace
ment à la National Portrait Gallery de Londres. En 1858, Wallace
Réflexions et méditations, examens repris
découvrit de son côté le principe de la sélection naturelle et
sans cesse des données tirées de ses observa¬
envoyait à Darwin un bref essai, Sur la tendance des variétés à
tions ou de celles d'autrui, ce travail se pour¬
s'écarter indéfiniment du type original, dans lequel il exposait le
suivit pendant vingt ans, jusqu'au jour
principe de la sélection naturelle. Dans une brève note d'accompa¬
au début de 1 856
gnement,
où Charles Lyell, le plus
Wallace espérait que "cela pourrait apporter l'élément
manquant pour expliquer l'origine des espèces" et demandait à
grand géologue de l'époque, le persuada de
publier ses idées. Darwin se mit aussitôt à la
rédaction d'un grand exposé ; deux ans plus
tard il n'en était qu'à la moitié. Et c'est
alors, un jour de l'été 1858, qu'il reçut une
gue Charles Lyell. La lecture de ce manuscrit fit sur Darwin l'effet
lettre d'un certain Alfred Wallace, géomètre
ce qui devait être l'tuvre de sa vie. "Hélas, combien vous aviez
passionné de sciences naturelles, en voyage
d'exploration en Malaisie. A la lettre était
joint un mémoire "Sur la tendance des
frappante. Si Wallace avait eu connaissance de mon manuscrit, qui
date de 1842, il n 'en aurait pas fait un meilleur résumé ! Les termes
variétés à s'écarter indéfiniment du type ori¬
mêmes qu 'il emploie sont les titres de mes chapitres. " Charles Lyell
Darwin s'il le trouvait "assez important" pour l'envoyer au géolo¬
d'une bombe. Depuis des années, Lyell le pressait de publier sa
théorie et voilà soudain que Wallace semblait l'avoir devancé dans
raison .', écrivit-il à Lyell, je n 'ai jamais vu une coïncidence aussi
ginal." Darwin lut, avec une stupéfaction
et le botaniste Joseph Hooker trouvèrent une solution élégante et
croissante :
satisfaisante pour les deux hommes. Ils proposèrent que Darwin et
le texte de
Wallace contenait
une théorie de l'origine des espèces qui était
Wallace présentent un mémoire commun sur la sélection naturelle à
identique à la sienne.
la réunion de la Société linnéenne en juillet 1858. Darwin et Wal¬
lace étaient hommes d'honneur.
"J'aurais préféré, dit Darwin à
Voilà une autre caractéristique, assez fré¬
Lyell, brûler la totalité de mon livre plutôt que lui (Wallace) ou qui¬
quente, de la découverte scientifique. Les
grands esprits à qui l'on doit des découvertes
exceptionnelles sont certainement en avance
sur leur temps mais, bien souvent, pas de
beaucoup. Le savoir grandit et quelquefois
conque puisse penser que j'ai agi avec mesquinerie. "A la fin de sa
vie, Wallace attribua la priorité de la découverte à Darwin. Dans
un discours prononcé en 1908 lors d'une réunion de la Société lin¬
néenne pour célébrer le cinquantième anniversaire du mémoire pré¬
senté par Darwin et Wallace, celui-ci déclara: "Je n'aurais
des
font
aucune raison de me plaindre si les parts respectives de Darwin et
jour, mais seulement quand les temps sont
mûrs.
Jusqu'à
Darwin
on
pensait
innovations
révolutionnaires
se
de moi-même dans cette découverte étaient estimées, par rapport
généralement
més çà et là
et à une semaine de l'autre. S'il avait publié sa théorie après six,
quinze, voire dix-huit ans d'élaboration, je n'y aurais eu aucune
part...".
en dépit des doutes expri¬
que les espèces étaient parfai¬
tement distinctes et l'avaient toujours été.
D'autre part, la majorité des grandes reli¬
gions enseignaient comme vérité révélée que
les différents animaux avaient été créés sépa-
au temps que nous lui avons chacun consacré, à vingt ans d'un côté
Caricature de Darwin parue dans le Hornet, le 22 mars
1871. Contrairement à une croyance très répandue,
Darwin n'a jamais affirmé que l'homme descend du
singe, il a seulement dit que tous deux avaient un
ancêtre commun.
rément
doute
et
différents
les
géologues
fossiles
les
dès
qui
l'origine.
Sans
étudiaient
les
avaient
paléontologues
déjà d'autres idées, mais ce n'est qu'à l'épo¬
que de Darwin qu'il devint évident que le
temps nécessaire à la formation des roches
dont la Terre est composée et des animaux
dont elles renferment les fossiles avait été
beaucoup plus long que ce qu'en disent les
saintes Ecritures. Bref, s'il fallait des hom¬
mes particulièrement doués pour percevoir
la signification des données, les conditions
étaient réunies pour que cette perception
elle-même fût possible. C'est donc ce qui
arriva à deux biologistes, Darwin au milieu
de ses collections dans la campagne anglaise,
et Wallace en Malaisie.
Le mémoire de Wallace et le résumé des
conclusions de Darwin furent présentés con¬
jointement à la Linnean Society, à Londres,
en 1858, et publiés ensemble l'année sui¬
vante.
Darwin avait évidemment reçu un choc.
Mais, encouragé par ses confrères, poussé
aussi par une légitime ambition, il se mit au
travail et, malgré les retards que lui infligea
comme
à
l'ordinaire
sa
mauvaise
santé,
acheva en treize mois son grand ouvrage, De
l'Origine des Espèces, qui parut en novem¬
bre 1859. La première édition fut enlevée en
un jour. Ce succès, qui allait être durable,
l'auteur devait l'expliquer plus tard : à son
avis, les vingt -trois ans écoulés entre la col¬
lecte des données servant de fondement à
l'hypothèse et la publication d'un exposé
cohérent des conclusions n'avaient pas été
alimentaires sur le même terrain que leurs
dre d'un singe par son grand-père ou par sa
compagnons à nuque courte, auxquels ils
grand-mère. La confrontation fut mémora¬
ble. Huxley répliqua que s'il lui fallait reven¬
diquer une parenté soit avec un personnage
distingué dans les affaires de l'Eglise et de
seraient ainsi capables de survivre dès la pre¬
mière disette."
du temps perdu, car le public comme les
milieux scientifiques avait pu durant ce
quart de siècle se familiariser avec l'idée
théorie ait eu tant d'influence sur la pensée
d'évolution.
de l'époque.
Trois grandes raisons expliquent que cette
D'abord elle contredisait
le
sens littéral des Ecritures Saihtes où on lisait
En tout cas, une fois rendue publique, la
découverte (cette conception neuve de la
biologie et de l'origine des espèces) com¬
mença à exercer une influence profonde sur
la société. Aujourd'hui, après plus de cent
ans, on a du mal à comprendre le boulever¬
sement que la théorie de Wallace et Darwin
introduisit dans les idées reçues concernant
le monde et les êtres qui y vivent : cette théo¬
rie nous paraît évidente. Son premier prin¬
cipe est aue. selon le mot de Wallace "la vie
des animaux en liberté est une lutte pour
l'existence". Le second principe est que les
variations qui se produisent dans la forme
typique d'une espèce (ni Darwin ni Wallace
ne précisaient les causes de ces variations)
que les animaux et les végétaux avaient été
créés immuables et distincts, tels qu'ils sont
aujourd'hui.
En
second
lieu
il
paraissait
angoissant d'admettre que si toutes les espè¬
ces de plantes et d'animaux sortaient d'espè¬
ces précédentes moins aptes, l'homme
aussi
l'homme, parangon des animaux,
selon
moins
Shakespeare,
mais
animal
néan¬
avait évolué à partir d'une forme
inférieure. Troisièmement, enfin, la théorie
servait, après tant d'autres, à démontrer que
pour la connaissance de l'environnement la
rationalité objective de la science est supé¬
rieure aux enthousiasmes de la révélation.
ont un effet, favorable ou défavorable, sur
la capacité de survie de l'espèce en question.
blée annuelle de l'Association britannique
C'est
pour
fameuse
"survivance
des
plus
qui tournait
en
dérision des cher¬
cheurs en quête du vrai, soit avec un singe
jacassant dans sa cage mais représentant le
mystère et les merveilles de la nature, il
aurait quelque difficulté à choisir. A la tri¬
bune
une
dame
s'évanouit :
on
n'avait
jamais vu prélat anglican
chez lui, dans
sa ville épiscopale
subir pareille rebuf¬
fade, pareil affront.
Appuyée par les observations que Darwin
avait faites sur les variations de plusieurs
espèces aux Galapagos et par celles qu'avait
obtenues parallèlement Wallace dans l'ar¬
chipel malais, l'idée d'évolution était redou¬
table. Wilberforce ne fut pas le seul homme
d'Eglise à s'élever contre elle et à croire sin¬
cèrement que "le principe de la sélection
naturelle est absolument incompatible avec
L,' Origine des Espèces date de 1859.
L'année suivante, à Oxford, lors de l'assem¬
la
l'Etat
l'avancement
des
sciences,
Thomas
la parole de Dieu." Pour le cardinal Man¬
ning c'était "une philosophie bestiale : Dieu
n'existe pas, Adam était un singe." En
France, Mgr de Ségur parlait de doctrines
infâmes ne se fondant que sur les passions
aptes". Ainsi s'expliquent que les espèces
apparaissent et changent grâce à un proces¬
Henry Huxley, conférencier célèbre, profes¬
seur de médecine, futur président de la
sus d'évolution. Wallace écrivait à ce pro¬
Royal Society, fit un discours sur l' de
les plus abjectes, et qui ont pour père
l'orgueil,
pour
mère
l'impureté,
pour
pos : "La girafe n'a pas acquis son long cou
Darwin et ses implications. Il y eut ensuite
enfants
à force de vouloir atteindre les plus hauts
un
d'Oxford,
l'évêque de Melbourne affirmait dans un
feuillages, mais parce que toute variation se
produisant chez les antétypes pourvus d'un
cou plus long que la normale assurait immé¬
Samuel Wilberforce, se lança dans une vio¬
pamphlet intitulé Science and the Bible que
diatement à ceux-ci de nouvelles ressources
demander si le conférencier pensait descen
10
débat,
et
alors
l'évêque
les
révolutions...
En
Australie,
lente diatribe contre Darwin et contre Hux¬
le but de Darwin et de Huxley était "bien
ley
moins de faire progresser le savoir que de
lui-même
et
s'emporta
au
point
de
détourner les lecteurs de croire à la Bible."
Au moment de la publication de l'Origine
ont été acceptés. Si certains esprits pensent
réservée la tâche d'écrire De l'Origine des
des Espèces, la science provoquait des muta¬
tions en maint domaines. On acclamait ses
que la croyance à l'évolution biologique
peut détruire ou affaiblir telles ou telles con¬
réussites, on y voyait autant de témoignages
victions
du progrès humain. Mais la théorie de l'évo¬
l'avantage d'une perception plus profonde
lution était gênante. Ses auteurs, et avec eux
le milieu scientifique qui était le leur, pou¬
des rapports de l'homme avec les autres
espèces en compagnie desquelles il doit vivre
Espèces. Ce n'est pas d'hier que j'ai mesuré
mes forces, je sais bien qu'elles n'auraient
pas été à la hauteur de cette tâche. Des hom¬
mes beaucoup plus qualifiés que moi avoue¬
raient qu'ils ne possèdent pas cette infatiga¬
ble patience pour accumuler des masses de .
vaient certes considérer avec
sur terre.
faits d'une diversité extrême et ce merveil¬
fierté qu'ils
avaient élargi la compréhension des princi¬
pes biologiques qui régissent l'origine des
espèces. En revanche, beaucoup d'hommes
et de femmes souffraient de devoir admettre
qu'ils étaient, comme les autres êtres
vivants, les descendants de formes inférieu¬
res, infra-humaines. L'âpre dispute dont
Wilberforce et Huxley avaient donné le
signal dura longtemps : il en reste encore des
échos aujourd'hui. Cependant, en général,
les principes fondamentaux de la théorie de
l'évolution conçue par Darwin et Wallace
religieuses,
d'autres
mesurent
Avec une générosité que les scientifiques
ne manifestent pas toujours, Wallace, qui
avait été le premier à agencer les données
susceptibles d'appuyer la théorie de l'évolu¬
tion, sut définir bien plus tard, en 1870, la
manière dont la pensée de Darwin, telle sur¬
tout que l'expose son grand livre, a changé
le monde :
"J'ai toujours été très sincèrement heu¬
reux que M. Darwin se soit mis au travail
longtemps avant moi et que ne m'ait pas été
leux talent pour les utiliser, ces vastes et
exactes connaissances physiologiques, cette
ingéniosité pour imaginer des expériences et
cette habileté à les mener à bien, enfin, dans
l'exposé, ce style admirable, à la fois clair,
persuasif et scrupuleusement précis,
tou¬
tes qualités qui dans leur harmonieuse com¬
binaison désignent M. Darwin, parmi tous
les contemporains peut-être, comme l'hom¬
me le plus digne de la grande ouvre qu'il a
entreprise et accomplie".
Magnus Pyke
<
©
11
<
©
L'une des nombreuses objections contre la théorie de Darwin fut qu'on n'avait jamais trouvé de restes fossiles des
formes intermédiaires ou transitoires qui, selon lui, devaient relier entre elles les espèces. La découverte d'un fossile
d'archéoptérix, en 1861, fit taire, en grande partie, ces critiques. L'archéoptérix présentait certains caractères des
oiseaux, ainsi les ailes et les plumes, mais, comme les reptiles, il avait des griffes â l'extrémité des membres
antérieurs, des dents et une longue queue osseuse.
LES RÉPONSES
DE DARWIN
par Isaac Asimov
LA notion d'évolution biologique est
fort ancienne. Elle est apparue lors¬
que les biologistes ont tenté une clas¬
sification des organismes vivants. L'un des
premiers à le faire fut, au 4e siècle avant l'ère
chrétienne, le philosophe grec Aristote.
en plus petites pour aboutir à une espèce
particulière, un peu à la manière des feuilles
d'un arbre.
dois Cari Linné établit un système qui per¬
Imaginons que par quelque tour de passepasse tout ce qu'on puisse voir d'un arbre
soient ses feuilles réparties dans l'espace. En
concluerait-on que ces feuilles sont soudain
apparues, d'une quelconque façon, à l'en¬
mettait d'ordonner les organismes vivants
droit même où elles se trouvent? Certaine¬
en différents genres et espèces, toutes les
espèces similaires pouvant être réunies en
groupes, ceux-ci en ensembles de groupes
similaires, et ainsi de suite. Il devint possible
d'établir un diagramme distribuant tous les
êtres vivants en quelques branches principa¬
les, chacune se divisant en branches de plus
ment pas! on supposerait qu'elles font par¬
tie d'un arbre issu d'un simple germe, et qui
a développé branches et rameaux sur les¬
quels ont poussé les feuilles.
Bien plus tard, en 1737, le botaniste sué¬
C'est ainsi que des hommes de science ont
commencé à se demander s'il ne pouvait y
avoir un «arbre de vie» qui aurait poussé,
comme un arbre ordinaire; si les espèces
les et d'autres éléments ayant été jadis des
organismes vivants, mais ils avaient été sans
doute
ensevelis
pendant
des
millions
d'années dans le roc et s'étaient eux-mêmes
lentement pétrifiés.
Ces fossiles attestaient des formes de vie
qui n'étaient pas tout à fait les mêmes que
celles des espèces vivantes, mais leur étaient
apparentées. Les fossiles venaient combler
les parties manquantes de l'arbre de la vie:
ils représentaient les branches les plus primi¬
tives
et
donnaient
des
indications
sur
la
façon dont avaient évolué des espèces parti¬
culières. Par exemple, il y eut des animaux
ressemblant au cheval qui vivaient il y a des
millions d'années. Au début, ils étaient
petits et n'avaient pas moins de quatre
sabots à chaque pied. Avec le temps apparu¬
gue liste de ses ouvrages atteste la variété de ses
actuelles ne pouvaient provenir d'espèces
plus simples, elles-mêmes issues d'espèces
encore plus simples, et si, à l'origine, toutes
ne descendaient pas d'une unique forme de
centres d'intérêt, qui vont de la critique littéraire à
vie tout à fait rudimentaire. On appelle ce
la psychologie, des mathématiques à l'humour,
en passant par la poésie et le mystère. Il a publié,
en 1979, un ouvrage qu'il considère comme son
200e titre : Opus 200, une anthologie de son
et In Memory Yet Green, premier volume
processus «évolution biologique».
Au cours du 19e siècle, les scientifiques
énormes créatures que l'on a apparentées
étudièrent des objets découverts dans les
roches, qu'ils nommèrent «fossiles». Ceux-
aux reptiles actuels (en particulier aux alliga¬
tors) et qui disparurent, ou s'éteignirent, il y
de son autobiographie.
ci avaient la forme d'os, de dents, de coquil-
a 65 millions d'années.
ISAAC
auteur
ASIMOV,
de
science
scientifique
fiction,
est
américain
et
mondialement
connu pour son cuvre de vulgarisation. La lon¬
rent d'autres espèces, plus grandes et pour¬
vues de moins de sabots, jusqu'à ce qu'enfin
apparaisse le cheval «moderne».
D'autres animaux ne laissèrent pas de des¬
cendance, tels les majestueux dinosaures,
SUITE PAGE 16
12
Des souris et des phalènes
Darwin fonda sa théorie de la sélection
naturelle des espèces sur quatre idées. Si on
applique celles-ci à une population
existante, il est facile de suivre
l'argumentation darwinienne.
/
Des naissances en surnombre.
Toute espèce est capable d'assurer une
descendance supérieure en nombre à celle
nécessaire à son seul maintien.
Un couple de souris peut avoir des portées
de six souriceaux, jusqu'à six fois par an.
Au bout de six semaines, ces descendants
sont aptes à se reproduire à leur tour.
Imaginez combien il pourrait y avoir de
souris, si toutes survivaient et continuaient
de se reproduire...
<
Pourquoi la Terre n'est -elle pas submergée
©
de souris? Si grande soit la prolificité d'un
couple de souris, le nombre d'individus,
dans une population, quelle qu'elle soit,
tend à se stabiliser, tous les descendants
n'atteignant pas l'âge de la reproduction.
13
2
La lutte pour la survie.
L'environnement peut influer sur les
chances de survie de l'individu.
Tous les êtres vivants sont dans un rapport
d'interaction avec leur environnement:
celui-ci fournit la nourriture, l'espace et un
milieu propice, mais abrite aussi rivaux et
prédateurs. Ainsi tous les individus d'une
population ne survivent-ils pas jusqu'à la
reproduction...
Une souris peut être dévorée par un
prédateur.
Ou ne pas trouver de compagnon.
Ou bien n'être pas en mesure de se
procurer assez de nourriture.
3
Quelques différences importantes.
Les individus ne sont pas tous identiques
Certains ont donc plus de chances de
survivre que d'autres.
Deux souris ne sont jamais tout à fait
semblables. Certaines des variations existant
entre elles peuvent même modifier leurs
chances de survie. Les souris n'ont pas
s
t
toutes la même couleur : les unes sont plus
foncées que d'autres.
un sol sombre, les souris claires sont
plus faciles à distinguer: elles courent plus
de risque d'être dévorées par les hiboux.
<
©
Les souris foncées sont mieux adaptées à
cet environnement et ont donc plus de
chances de survivre et de se reproduire.
4
Une question d 'hérédité.
Certains caractères sont transmis à la génération suivante.
Certaines différences entre individus sont donc héritées;
pour la souris, par exemple, la couleur du poil.
Dans une région au sol sombre, les souris foncées risquent
moins que les autres d'être vues par les prédateurs et ont
plus de chances de survivre et de se reproduire. Il est fort
probable que ce sont leurs caractères qui seront transmis à
la génération suivante.
A la génération suivante, il y aura une plus grande
proportion de souris foncées que précédemment.
Si les conditions demeurent les mêmes, la proportion de
souris foncées continuera de croître.
Au bout de plusieurs générations, la proportion
d'individus bien adaptés a donc toutes les chances
d'augmenter. Darwin appelle ce processus la sélection
naturelle.
La sélection naturelle permet d'expliquer comment les
caractères d'une population peuvent changer à mesure que
les individus deviennent mieux adaptés à leur
environnement.
Le géomètre du bouleau : un changement lié à l'époque.
Un exemple de sélection naturelle: les caractères d'une population peuvent changer.
ft*,
:
185(1
I9M
Sorte de phalène, le géomètre du
Au cours du 19e siècle,
fumée venant des usines tuèrent la
bouleau (Biston betularia) est très
l'environnement de ces papillons
majeure partie des lichens et noircirent
répandu en Grande-Bretagne. De
changea dramatiquement.
les arbres dans beaucoup de zones
nombreuses espèces d'oiseaux s'en
Avant la révolution industrielle, la
industrielles.
nourrissent.
plupart des troncs d'arbres étaient
Comparez les deux environnements.
Ils les trouvent sur le tronc des arbres
mouchetés de gris car incrustés de
Dans chaque situation, quels sont les
où ces papillons de nuit se reposent
lichens.
papillons qui ont le plus de chances de
pendant le jour.
Vers la fin du 19e siècle, la suie et la
survivre et de laisser des descendants ?
<
©
Ces deux collections sont représentatives des populations de géomètres
du bouleau vivant aux alentours de Manchester en 1850 et en 1900.
15
SUITE DE LA PAGE 12
Même si beaucoup de savants commencè¬
rent à soupçonner l'existence de l'évolution
biologique, cette idée ne parut pas très con¬
épis, et veillent à ce que ces organismes choi¬
sis se reproduisent. Ainsi, au cours de mil¬
conviennent de l'importance de la sélection
naturelle comme principale force motrice de
liers d'années où l'homme a domestiqué les
cette évolution.
vaincante car nul ne savait comment le phé¬
animaux, il a développé des races très diffé¬
rentes de ce qu'elles étaient à l'origine, et
mieux adaptées aux besoins humains.
nomène s'était produit. Qu'est ce qui faisait
changer une espèce ? Personne n'avait
jamais vu une espèce changer. Les chats
avaient toujours des chatons, les chiens des
chiots, les vaches des veaux. Il n'y avait
vent distancer leurs ennemis, ceux qui sont
jamais la moindre erreur.
Le premier scientifique qui tenta sérieuse¬
ment de tirer au clair le
La nature en fait autant. Elle sélectionne
parmi les jeunes ceux qui sont les plus avan¬
tagés : ceux qui sont les plus rapides et peu¬
"comment"
les plus robustes et peuvent repousser leurs
ennemis, ceux qui sont les plus malins et
de
peuvent tromper leurs ennemis, ceux qui ont
l'évolution fut un Français, Jean-Baptiste
les meilleures dents et peuvent manger plus
efficacement, et ainsi de suite.
Lamarck. Il pensa qu'elle avait été détermi¬
née par le mode de vie. Si une antilope se
nourrit de feuilles d'arbre, elle passera sa vie
à tendre le cou pour atteindre les feuilles,
toujours de plus en plus haut. Son cou
s'allongera alors légèrement par suite de cet
effort continuel, et ses petits hériteront d'un
cou légèrement plus long. Ce cou s'étirera
toujours davantage au cours des généra¬
tions, jusqu'à ce qu'apparaisse, longtemps,
très longtemps après, la girafe. C'est ce
qu'on appelle "l'évolution par hérédité des
C'est ainsi que les animaux ressemblant
au cheval sont devenus plus gros et plus
robustes, et ont été dotés de sabots moins
nombreux
Sélection
pour
courir
faite par la
plus
Cependant, dès le départ se posèrent cer¬
tains problèmes qui, au cours des 125 ans
qui se sont écoulés depuis la parution de
l'ouvrage de Darwin, ont été approfondis et
éclairés.
Par exemple, nous savons que la sélection
naturelle dépend de variations innées, mais
comment celles-ci ont-elles été préservées ?
Supposons qu'un type de coloration soit effi¬
cace pour le camouflage et qu'un animal qui
en est doté ait plus de chance de survivre. S'il
vient de s'accoupler avec un animal de cou¬
leur différente et que le jeune ait une couleur
intermédiaire, l'avantage disparaîtra.
rapidement.
nature et
non par
Or, dans les années 1860, un botaniste
autrichien, Gregor Mendel, faisait des
recherches sur des semis de petits pois qui
présentaient, selon l'espèce, des caractères
différents. Il croisa deux espèces et étudia les
caractères que présentaient les jeunes plants
lors de leur croissance. Il se trouva que les
caractères respectifs ne se mêlaient pas et
qu'il n'y avait pas de formes intermédiaires.
Si une variété à tige haute était croisée avec
une autre à tige courte, les plants étaient soit
caractères acquis".
Ce n'était pas satisfaisant. D'abord les
caractères acquis ne sont pas héréditaires. Si
l'on coupe la queue d'une souris, les souri¬
grands, soit petits, mais aucun n'avait une
ceaux n'en naîtront pas moins tous avec une
taille intermédiaire.
queue, pas plus courte que celle de leurs
congénères. Deuxièmement, comment la
girafe a-t-elle acquis sa robe tachetée qui se
confond si bien avec le paysage taché
d'ombres par les arbres, la dissimulant à ses
ennemis ? La girafe peut-elle avoir essayé
Mendel publia le résultat de ses travaux,
mais personne n'y prêta alors attention. Ce
n'est qu'en 1900 que d'autres botanistes,
parvenus à des résultats semblables, com¬
pulsèrent les publications scientifiques pour
se rendre compte des travaux effectués anté¬
d'être tachetée ? Evidemment non.
rieurement,
et
tombèrent
sur
l'étude
de
En 1859 enfin, un savant anglais, Charles
Mendel. Mais celui-ci était mort en 1884, si
Darwin, publiait un ouvrage connu sous le
titre L'origine des espèces, qui offrait une
véritable solution au problème. Darwin pen¬
sait que les organismes vivants se multiplient
généralement plus que les ressources alimen¬
taires ne le permettent. Si tous les jeunes
cerfs mis bas atteignaient l'âge adulte, il y
aurait bientôt, de génération en génération,
une telle population de cerfs que les végé¬
bien qu'il n'a jamais pu savoir qu'il avait
taux
et
les
arbres
seraient
totalement
fondé une nouvelle science : la génétique
mendélienne.
Mendel supposait qu'il existait dans les
organismes certains éléments qui contrô¬
laient les caractères physiques particuliers de
Augustins, Gregor Johann Mendel (1822-
ces organismes, et que ces éléments étaient
transmis de parents à enfants. En 1879, un
1884), publia un article intitulé Expériences
savant allemand, Walther Flemming, décou¬
sur des plantes hybrides, qui jeta les bases
vrait les minuscules chromosomes dans le
En 1866, un moine autrichien de l'ordre des
dépouillés et que les cerfs mourraient de
faim. Ce n'est pas le cas, parce que seuls
quelques jeunes cerfs parviennent à l'âge
adulte. Pour la plupart, ils sont dévorés par
de la science génétique. Son travail passa
les autres animaux. Il y a compétition des
fût son contemporain, Darwin ignorait les
jeunes, pour ainsi dire, en vue de demeurer
assez longtemps en vie pour procréer à leur
tour.
Autre observation. Quand on étudie les
jeunes animaux, on s'aperçoit qu'ils ne sont
pas rigoureusement identiques. Ils présen¬
tent toujours des différences. Certains sont
plus robustes que d'autres, ou courent un
peu plus vite, ou .sont d'une couleur qui se
fond un peu mieux dans l'arrière-plan envi¬
ronnant et les cache, etc. En d'autres ter¬
mes, certains d'entre eux ont, dans la lutte
pour rester saufs et grandir, des avantages
qui jouent en leur faveur. Privilégiés, ils ont
plus de chance de devenir adultes, et de
transmettre leurs caractères à leurs petits.
Ainsi, ces caractères ne sont-ils pas acquis,
mais innés. Ce sont des "variations naturel¬
les".
noyau des cellules. Dès que fut redécouverte
la génétique mendélienne, il devint vite évi¬
dent que les chromosomes étaient transmis
inaperçu ; il fallut attendre le début du
siècle pour que soit reconnue toute
l'importance de sa découverte. Quoiqu'il
de parents à enfants et que ce phénomène
expliquait la manière dont les caractères
travaux de Mendel ; ses conceptions de
l'hérédité étaient purement spéculatives. La
étaient hérités. Le chromosome apparaissait
génétique mendélienne vint combler cette
lacune en apportant une description exacte
comme un chapelet de gènes, dont chacun
l'évolution par la sélection naturelle.
Ces gènes étaient constitués de grandes
molécules d'acide nucléique, qui produisent
leurs propres répliques chaque fois qu'une
l'homme. C'est "l'évolution par sélection
cellule se divise. Ainsi chaque nouvelle cel¬
naturelle". Comme il agit avec intelligence,
lule présente les caractères de celle dont elle
l'homme est en mesure d'obtenir en quel¬
provient.
ques générations des modifications considé¬
rables ; la nature, elle, agit au hasard. Sou¬
vent les meilleurs organismes deviennent,
par malchance, la proie d'un ennemi. Aussi
la formation de nouvelles espèces par la
sélection naturelle peut-elle demander des
millions d'années.
L'ingéniosité de la notion darwinienne de
sélection naturelle, et la méthode pleine de
Les hommes tirent parti de ces variations
prudence avec laquelle il présentait, dans
son ouvrage, ses observations et ses raison¬
naturelles existant chez les animaux domes¬
nements devaient aussitôt convaincre quel¬
tiques et les plantes. Ils sélectionnent les che¬
vaux qui courent le plus vite, les vaches qui
donnent le plus de lait, les poules qui pon¬
dent le plus d' les moutons qui ont le
plus de laine, le blé qui porte les plus lourds
16
contrôlait un caractère particulier.
du mécanisme de l'hérédité qu'exigeait
ques savants. Avec le temps, ils devaient en
convaincre un plus grand nombre encore. A
l'heure actuelle, les scientifiques admettent
en général l'évolution biologique sur des
fondements
essentiellement
darwiniens
et
Toutefois, la réplique n'est pas toujours
parfaite. De petites modifications acciden¬
telles peuvent avoir lieu au sein de la molé¬
cule. On appelle ces modifications "muta¬
tions". Ce sont les mutations qui détermi¬
nent les différences entre tel individu et tel
autre. Ce sont les mutations qui sont res¬
ponsables des variations innées chez les jeu¬
nes, lesquelles rendent possible la sélection
naturelle. Celle-ci fait que certaines muta¬
tions se développent et que d'autres dispa¬
raissent, et quand différentes mutations se
maintiennent ici ou là, de nouvelles espèces
apparaissent.
Vers 1927, un savant américain, Hermann
Muller, a démontré comment l'on pouvait
AA
grand
génération
petit
des parents
0
! \
I
0 0
0
\^
.
A
/ '
/S.
/
première
génération
0
Q ß
0
W
si/
\'
;<
\X
\l
AA
Aa
Aa
grand
grand
!
deuxième
génération
In
aa
grand
petit
Les expériences de Gregor Mendel sur les petits pois appartiennent â
l'histoire de la science. Il commença par croiser des variétés pures
de grande taille avec des variétés pures de petite taille. Comme le
montre ie diagramme ci-dessus, la totalité de la descendance de la
première génération était de grande taille, car, bien que chaque
plant soit porteur des deux gènes, le caractère dominant (A)
<
l'emporte sur le caractère récessif (a). Mais, pour la deuxième
©
génération, environ le quart de la descendance héritait du caractère
récessif (a) et ainsi la variété pure de petite taille réapparaissait une
fois sur quatre.
produire des mutations en bombardant les
organismes avec des rayons X, qui modi¬
populations d'une espèce particulière, il
peut arriver que se produisent des mutations
fient
les
qui ne soient pas particulièrement utiles uni¬
gènes. En 1953, un Américain, James Wat¬
quement parce qu'un coup de chance a per¬
Ces intervalles de changement rapide
pourraient être l'agent majeur de la pour¬
suite de l'évolution. En 1982, nous pouvons
résumer l'état de la question de l'évolution
son, et un Anglais, Francis Crick, expliquè¬
mis aux individus dotés de cette mutation de
biologique comme suit :
rent en détail la structure des acides nucléi¬
survivre.
la
disposition
des
atomes
dans
ques, et montrèrent comment chaque molé¬
En
cule particulière produit sa propre réplique,
actuels,
et comment, ce faisant, elle peut commettre
d'une évolution qui s'effectue la plupart du
pour
comme
certains
Stephen
scientifiques
Gould,
il s'agit
temps très lentement mais qui, dans des cir¬
une erreur.
Tout ceci renforça et compléta la théorie
darwinienne de l'évolution par la sélection
constances exceptionnelles, va à un rythme
Depuis l'époque de Darwin, on a trouvé
de plus en plus de fossiles, et l'on en sait de
plus en plus sur le comportement des orga¬
nismes vivants et leur influence réciproque.
On est aussi parvenu à mieux comprendre
les détails de l'évolution, par exemple quel
organisme provient de tel autre, ce qui a
provoqué l'apparition ultérieure de certains
organismes et par quelles étapes intermédiai¬
res.
En outre, on a découvert que la sélection
n'opère
pas
toujours
avec
une
1) A peu près tous les scientifiques sont
convaincus que l'évolution biologique a eu
lieu pendant des milliards d'années, et que
les espèces actuelles, l'espèce humaine com¬
prise, sont issues d'autres espèces existant
antérieurement.
très rapide.
Quand il existe une énorme population
d'une espèce, il se peut qu'aucune mutation
naturelle.
naturelle
fait,
ne puisse s'imposer en raison de la présence
d'un grand nombre d'individus ayant
d'autres mutations. Qui plus est, tel ou tel
coup du hasard serait insuffisant pour orien¬
2) A peu près tous les scientifiques sont
convaincus que la manière dont l'évolution
biologique s'est produite est essentiellement
celle qu'a décrite Charles Darwin ; et que la
sélection naturelle des variations innées est
la clef de cette évolution.
ter l'évolution dans telle ou telle direction.
3) Il existe de profonds désaccords entre
L'espèce pourrait alors rester pratiquement
immuable pendant des millions d'années.
les scientifiques à propos de certains détails
Au contraire, si une population bien plus
restreinte de cette espèce est isolée dans un
pas encore en mesure de dire quel parti va
l'emporter. Quel que soit le gagnant, cela ne
environnement difficile, il est fort possible
remet pas en cause le fait que la théorie dar¬
winienne est très généralement admise, avec
qu'un pur hasard entraîne la disparition de
certaines mutations tandis que d'autres sur¬
du mécanisme évolutif, et nous ne sommes
les perfectionnements qui lui ont été appor¬
tés de nos jours, comme la description fon¬
infaillibilité mécanique et que d'autres fac¬
teurs interviennent dans cette opération. Le
conditions, l'évolution sera plus rapide, et
damentale du mode de développement de la
hasard,
de nouvelles espèces pourront se former en
vie sur la Terre.
par
exemple,
joue
un
rôle
plus
important qu'on ne l'a cru. Dans de petites
vivront en nombre considérable. Dans ces
quelques milliers d'années seulement.
Isaac Asimov
17
Le Beagle dans le détroit de Magellan
1 - Le siège de M. Darwin dans la cabine du capitaine.
2 - Le siège de M- Darwin dans la cabine arrière.
3 - Les tiroirs de M. Darwin dans la cabine arrière.
4 - Compas de relèvement.
5 - Hublot du capitaine.
6 - Hublot du poste des aspirants.
«Il était gréé comme une goélette. Ses mâts étaient solidement soutenus par des barres
traversières plus carrées et des hunes, et par un gréement plus grand qu'il ne l'est de coutume sur
des vaisseaux de ce tonnage... Sur l'arrière du grand-mât il y avait quatre canons de neuf livres et
deux de six livres. Les hublots étaient grands ; il n'y avait pas de cabestan ; au-dessus du
gouvernail la dunette dépassait ; au-dessous se trouvaient les cabines, extrêmement petites à
coup sûr bien que remplies en proportion inverse de leurs dimensions. Sous le pont supérieur, les
logements étaient semblables, quoique plutôt mieux que ceux des navires de ce type. Sur le
gaillard arrière, placées sur des glissières, il y avait deux baleinières de huit et de vingt-cinq pieds
de long, et sur chaque côté une baleinière de vingt-cinq pieds de long, enfin à l'arrière, se trouvait
un canot de sauvetage».
{Relation des Voyages de recherche menés par les vaisseaux de sa majesté Adventure et Beagle, entre les années 1826 et 1836)
18
LE VOYAGE
DU "BEAGLE"
Le prélude
Le passage de la ligne
Le 1 1 septembre (1831) j'ai fait une rapide visite au Beagle avec
Fitz-Roy, à Plymouth. Le 24 octobre, je me suis installé à
opération: on m'a rasé. Vers 9 heures du matin, tous les «bleus»
Plymouth et j'y suis demeuré jusqu'au 27 décembre, quand le Bea¬
gle a enfin quitté les côtes de l'Angleterre pour naviguer autour du
monde (...). Ces deux mois passés à Plymouth ont été les plus sinis¬
tres de ma vie, en dépit de tous mes efforts. J'étais complètement
prostré à la pensée de quitter ma famille pour aussi longtemps, et le
temps me semblait plus funèbre que je ne saurais dire. De plus je
souffrais du ciur, j'avais des palpitations, et comme bien d'autres
jeunes ignorants, surtout quand ils ont quelque vague teinture de
science médicale, je me croyais atteint d'une maladie de csur. Je
Nous avons traversé l'Equateur et j'ai dû subir une désagréable
nous formions un groupe de trente-deux personnes
ont été
rassemblés au pont inférieur. On avait fermé les écoutilles, aussi
étions-nous dans le noir, et il faisait très chaud. Alors quatre gar¬
diens de Neptune vinrent vers nous, et un par un nous conduisirent
sur le pont. J'étais le premier, et je m'enfuis sans peine. J'avais
néanmoins trouvé l'épreuve de l'eau fort désagréable. Avant de me
remonter, un gardien m'avait bandé les yeux et m'avait conduit,
tandis que l'on déversait des seaux d'eau autour de moi. On me mit
alors sur une planche que l'on pouvait facilement faire basculer
ne consultai aucun médecin, convaincu que le verdict m'interdirait
dans un grand bain. Puis on m'a barbouillé le visage et la bouche
le voyage, et je me décidai de m'en remettre au destin.
de poix et de peinture qu'on a ensuite quelque peu raclée avec un
(Darwin, Autobiographie)
cercle de fer grossier. A un signal donné, j'ai été jeté cul par dessus
tête dans l'eau où deux hommes m'ont attrapé et m'ont fait faire le
plongeon. Finalement, je me suis esbigné, pas mécontent, mais les
autres ont été, pour la plupart, moins chanceux, on leur a versé je
Le départ
ne sais quelles affreuses mixtures dans la bouche et on leur a badi¬
Après avoir été deux fois repoussé par de terribles tempêtes du
sud-ouest, le vaisseau de Sa Majesté le Beagle, brick de dix canons,
sous le commandement du capitaine Fitz-Roy, de la marine royale,
sortit du port de Devonport le 27 décembre 1831. L'expédition
avait pour mission de compléter l'étude des côtes de la Patagonie et
de la Terre de Feu, étude commencée sous les ordres du capitaine
King, de 1826 à 1830
de relever les plans des côtes du Chili, du
Pérou et de quelques îles du Pacifique
et enfin de faire une série
geonné le visage. Tout le navire était transformé en bains-douches,
et l'eau ruisselait partout. Tout le monde était trempé, même le
capitaine.
(Darwin, Journal, 17 février 1832)
Le Capitaine
Pour ce qui est du Capitaine, j'ose dire qu'il vous intéresserait.
Pour autant que je puisse en juger, c'est un personnage extraordi¬
d'observations chronométriques autour du monde.
(Darwin, Voyage d'un naturaliste autour du monde)
Un marin d'eau douce
naire. Jamais auparavant je n'ai rencontré un homme dont j'ai pu
imaginer qu'il pût être Napoléon ou Nelson. Je ne puis dire qu'il
soit intelligent, mais je suis sûr qu'il est convaincu que rien pour lui
n'est trop grand, ni trop haut. La façon dont il en impose à tout un
chacun est fort curieuse. La manière dont les officiers et les hom¬
Pour être demeuré vingt quatre heures en mer, nul n'a'le droit de
dire que le mal de mer est fort désagréable. La véritable détresse ne
commence que quand on est si épuisé que le moindre effort provo¬
que une sensation d'insurmontable faiblesse. Je gisais dans mon
mes sont sensibles au moindre blâme ou éloge de sa part reste
incompréhensible tant qu'on ne l'a pas connu. Avec ça d'une
impartialité sans pareille, comme sa franchise; non moins éton¬
nants «son orgueil et sa susceptibilité», comme il dit. J'ai eu à
sans rien pouvoir
subir sa susceptibilité, mais son orgueil entrant en jeu, il est diffi¬
absorber, hormis vos raisins, la seule nourriture que tolérait mon
estomac. Le 4 janvier nous étions à quelques milles de Madère,
cile de lui garder rancune. Ce qui rend sa compagnie pénible, c'est
le mutisme dans lequel il s'enferme, conséquence d'une excessive
mais comme la mer était forte et que l'Ile était au vent, nous avons
concentration mentale, mais il a de nombreuses, de grandes quali¬
hamac,
seule chose qui me fît du bien
craint d'y échouer. Le vent a tourné et nous avons par bonheur
échappé au péril. J'étais bien trop malade pour voir la terre au loin.
(Darwin, lettre à son père, 8 février 1832)
A
midi,
latitude 43,
sud du cap
Finistère,
et traversant
la
fameuse baie de Biscaye. Affreusement prostré et très malade. J'ai
souvent dit, avant de me lancer dans cette entreprise que j'aurai
sans doute tout lieu de m 'en repentir : je ne pensais pas le faire avec
autant d'ardeur. Je ne puis guère imaginer état plus misérable que le
mien, tant aujourd'hui je suis hanté d'idées sombres et affligeantes.
(Darwin, Journal, 30 décembre 1831)
tés. De l'ensemble résulte le caractère le plus fortement trempé que
j'ai jamais connu.
(Darwin, lettre à sa s Caroline, en date du 25 avril 1832)
Les Tropiques
Ce qu'il y a décidément de plus frappant sous les Tropiques, ce
sont les formes végétales, tout à fait inattendues. On peut s'imagi¬
ner les cocotiers d'après les dessins, à condition d'y ajouter la grâce
lumineuse que nul arbre européen n'a en partage. Les bananiers
sont pareils à ceux de nos serres ; acacias et tamaris ont un feuillage
d'un bleu saisissant, mais aucune description ne peut donner l'idée
de la splendeur des orangers ; au lieu du vert maladif que nous leur
Darwin est d'une grande sensibilité, dur à l'ouvrage et joyeux
compagnon. Je n'ai pour ma part jamais vu un homme «du plan¬
connaissons, les orangers indigènes l'emportent par la profondeur
des tons sur le laurier rose et sont de formes infiniment plus belles.
cher des vaches» se faire à un navire aussi vite et aussi bien que
Cocotiers, papayers, bananiers d'un vert tendre, orangers tout
Darwin. Je ne puis donner meilleure preuve de son équilibre et de
chargés de fruits entourent les villages les plus riches. Face à ce
son tempérament qu'en disant «chacun ici le respecte et l'appré¬
spectacle, aucune description ne peut égaler la vérité et encore bien
cie» (...).
moins la dépasser.
(Capitaine Fitz-Roy, lettre au Capitaine Beaufort, 5 mars 1832)
(Darwin, lettre à son père, 26 février 1832)
19
Je vais d'émerveillement en émerveillement. Avec les deux aspi¬
misérable race rabougrie qui habite plus à l'ouest et semblent pro¬
rants j'ai marché pendant quelques miles dans l'intérieur du pays.
ches parents des fameux Patagoniens du détroit de Magellan. Leur
Douces collines séparées de vallées où la suivante est plus belle
encore que la précédente. J'ai ramassé quantité de fleurs aux cou¬
leurs si éclatantes qu'un fleuriste en perdrait la tête. Le paysage
brésilien n'est ni plus ni moins qu'une image des Mille et une Nuits,
sauf qu'il est, lui, bien réel. L'air est délicieusement frais et doux;
transporté de bonheur, on désire ardemment vivre à l'écart de tout
seul vêtement consiste en un manteau fait de la peau d'un guanaco,
dans cet univers nouveau et si majestueux.
(Darwin, Journal, 1" mars 1832)
Pendant notre séjour au Brésil, je fis une grande collection
d'insectes. Quelques observations générales sur l'importance com¬
le poil en dehors ; ils jettent ce manteau sur leurs épaules et leur per¬
sonne se trouve ainsi aussi souvent nue que couverte. Leur peau a
une couleur rouge cuivrée, mais sale.
(Darwin, Journal, 17 décembre 1832)
Le lendemain, j'essaye de pénétrer à l'intérieur du pays. On peut
décrire la Terre de Feu en deux mots : un pays montagneux en par¬
tie submergé, de telle sorte que de profonds détroits et de vastes
baies occupent la place des vallées. Une immense forêt qui s'étend
du sommet des montagnes jusqu'au bord de l'eau couvre le flanc
des montagnes, sauf toutefois sur la côte occidentale. Les arbres
parative des différents ordres peuvent intéresser les entomologistes
anglais. Les lépidoptères, grands et admirablement colorés, déno¬
croissent jusqu'à une hauteur de 1 000 à 1 500 pieds au-dessus du
tent la zone qu'ils habitent bien plus clairement qu'aucune autre
race d'animaux. Je ne parle que des papillons, car les phalènes,
contrairement à ce qu'aurait pu faire penser la vigueur de la végéta¬
plantes alpestres fort petites; puis enfin la ligne des neiges éternel¬
les, lesquelles, selon le capitaine King, descendent dans le détroit de
Magellan à une hauteur de 3 000 à 4 000 pieds. C'est à peine si,
tion, m'ont paru certainement moins nombreuses que dans nos
régions tempérées. Les habitudes du papilio ferenia me surprirent
beaucoup. Ce papillon est assez commun et fréquente ordinaire¬
dans tout le pays, on peut trouver un seul hectare de plaine. Je ne
me rappelle avoir vu qu'une plaine fort petite auprès du port
Famine, et une autre un peu plus considérable près de la baie de
ment les bosquets d'orangers. Bien que s'élevant très haut en l'air,
il se pose fréquemment sur le tronc des arbres. Il se tient alors la
che épaisse de tourbe marécageuse recouvre le sol. A l'intérieur
tête en bas et les ailes étendues horizontalement, au lieu de les rele¬
ver verticalement, comme le font la plupart des papillons. C'est, en
outre, le seul papillon que j'ai vu se servir de ses pattes pour courir.
(Darwin, Journal, avril 1832)
Le coup d'oeil que j'ai jeté sur le paysage tropical a décuplé mon
désir d'en voir davantage; je puis dire sans exagération que celui
qui n'a vécu que dans des climats plus froids ne peut connaître la
beauté du monde qui est le nôtre. Au cours de ces deux mois, c'est
l'Histoire naturelle qui a été pour moi la plus grande source de plai¬
sir. J'ai eu une chance merveilleuse avec les ossements fossiles
certains des animaux devaient avoir d'énormes dimensions. Je
suis à peu près sûr que certains d'entre eux n'ont jamais été décou¬
verts jusqu'ici, chose toujours agréable à constater, mais bien plus
encore quand il s'agit d'animaux antédiluviens. J'ai trouvé des
morceaux d'une curieuse structure osseuse qu'on a attribué au
megatherium; comme les seuls specimens existant en Europe se
trouvent à Madrid (provenant de Buenos Aires), cela seul suffit à
me payer de mes fatigues. Je n'ai pas été moins chanceux avec les
animaux vivants. J'ai eu également en septembre quelques beaux
coups. J'ai tiré un beau chevreuil et une femelle de daim, mais à cet
égard je ne me suis jamais tant diverti qu'à la chasse à l'autruche
avec les soldats, qui sont plus qu'à demi Indiens. Ils attrapent les
autruches en lançant deux balles attachées aux extrémités d'une
lanière de cuir et leur entravent les pattes ; une belle chasse et qui ne
va pas de soi !
(Darwin, lettre à sa sour Caroline, 24 octobre 1832)
La Terre de Feu
Je vais décrire notre première visite. à la Terre de Feu. Un peu
après midi nous doublons le cap Saint-Diego et nous entrons dans
le fameux détroit de Le Maire. Nous longeons de près la côte de le
Terre de Feu, mais cependant la silhouette tourmentée de l'inhospi¬
talière terre des Etats se montre à travers les nuages. Dans l'après-
midi nous jetons l'ancre dans la baie de la Réussite. Nous recevons
à notre entrée un sajut digne des habitants de cette terre sauvage.
Un groupe de Fuégiens, dissimulés en partie par l'épaisse forêt,
s'était placé sur une pointe de rocher dominant la mer ; au moment
de notre passage, ils sautent en agitant leurs guenilles et en pous¬
sant un long hurlement sonore (...). Le port consiste en une belle
nappe d'eau à demi entourée de montagnes arrondies et peu élevées
de schiste argileux, que recouvre jusqu'au bord de l'eau une épaisse
forêt. Un seul coup d' jeté sur le paysage me suffit pour com¬
prendre que je vais voir là des choses toutes différentes de celles
que j'ai vues jusqu'à présent (...).
Le lendemain matin, le capitaine envoie une escouade à terre
pour ouvrir des communications avec les indigènes (...). Notre
principal interlocuteur, un vieillard, paraissait être le chef de la
famille; avec lui se trouvaient trois magnifiques jeunes gens fort
vigoureux et ayant environ six pieds; on avait renvoyé les femmes
et les enfants. Ces Fuégiens forment un contraste frappant avec la
20
niveau de la mer; puis vient une ceinture de tourbières, couverte de
Gsree. Dans ces deux endroits, comme partout ailleurs, une cou¬
même des forêts, le sol disparaît sous une masse de matières végéta¬
les qui se putréfient lentement et qui, constamment imbibées d'eau,
une tour; ce mur borne admirablement le pays.
(Darwin, Journal, 17 août 1834)
cèdent sous le pied. Quelle grandeur mystérieuse dans ces monta¬
gnes qui s'élèvent les unes derrière les autres en laissant entre elles
de profondes vallées, montagnes et vallées recouvertes par une
sombre masse de forêts impénétrables ! Dans ce climat, où les tem¬
pêtes se succèdent presque sans interruption avec accompagnement
de pluie, de grêle et de neige, l'atmosphère semble plus sombre que
partout ailleurs. On peut admirablement juger de cet effet, quand,
dans le détroit de Magellan, on regarde vers le sud; vus de cet
endroit les nombreux canaux qui s'enfoncent dans les terres, entre
les montagnes, revêtent des teintes si sombres, qu'ils semblent con¬
duire hors des limites de ce monde.
(Darwin, Journal, 17 décembre 1832)
Le versant oriental de la Cordillère est beaucoup plus incliné que
le versant tourné vers l'océan Pacifique; en d'autres termes, les
montagnes s'élèvent plus abruptement au-dessus des plaines qu'audessus de la région déjà montagneuse du Chili. Une mer de nuages
d'un blanc éblouissant s'étend sous nos pieds, nous dérobant la vue
des plaines. Nous pénétrons bientôt dans cette couche de nuages
dont nous ne sommes pas encore sortis au bout de la journée. Vers
midi, nous arrivons à Los Arenales, et comme nous y trouvons des
pâturages pour nos bêtes de somme et du bois pour faire du feu,
nous nous décidons à séjourner en cet endroit jusqu'au lendemain
matin. Nous nous trouvions presque à la limite supérieure des buis¬
sons, par une altitude d'environ 7 000 ou 8 000 pieds.
Les Andes
La différence considérable qui existe entre la végétation de ces
Les Andes m'offrent un aspect tout différent de celui auquel je
vallées orientales et celle des vallées du Chili ne laisse pas que de me
m'attendais. La limite inférieure des neiges est, bien entendu, hori¬
frapper beaucoup, car le climat et la nature du sol sont presque
absolument identiques et la différence de longitude est insigni¬
fiante. La même remarque s'applique aux quadrupèdes et, à un
zontale, et les sommets égaux de la chaîne semblent tout à fait
parallèles jusqu'à cette ligne. A de longs intervalles seulement, un
ancien cratère ou d'un volcan encore en activité. Aussi la chaîne
degré un peu moindre, aux oiseaux et aux insectes. Je puis citer la
souris comme exemple; je trouvai, en effet, treize espèces de souris
des Andes ressemble-t-elle à un mur immense surmonté çà et là par
sur les côtes de l'Atlantique et cinq seulement sur les côtes du Paci-
groupe de pointes ou un seul cône indique l'emplacement d'un
4* ô
Sainte-Helen
l'an atlantique austral
Cap de Bonne Espérance
Carte © Gordon Cramp Studio, Londres
21
fique; or, pas une seule de ces espèces ne se ressemble. Il faut tou¬
Pendant que je classe mes trouvailles, les Espagnols peuvent
tefois excepter de cette règle toutes les espèces qui fréquentent
dire, selon la forme du corps, les dimensions d'ensemble et les pro¬
habituellement ou accidentellement les montagnes élevées et cer¬
portions relatives, que telle ou telle tortue vient de telle ou telle île.
tains oiseaux qui s'étendent dans le Sud jusqu'au détroit de Magel¬
lan. Ce fait concorde parfaitement avec l'histoire géologique des
Quand je vois ces îles proches les unes des autres, qui ne possèdent
qu'un stock réduit d'animaux, habitées surtout d'oiseaux, ces îles
Andes ; ces montagnes, en effet, ont toujours constitué une infran¬
de structure légèrement différente et qui occupent la même place
chissable barrière depuis l'apparition des races actuelles d'ani¬
dans la nature, j'en viens à soupçonner qu'il ne s'agit que de varia¬
maux. Par conséquent, à moins que nous ne supposions que les
tions des espèces animales. Le seul fait analogue que je connaisse
mêmes espèces ont été créées en deux endroits différents, nous ne
c'est la différence bien établie du renard-qui-ressemble-au-Ioup*
devons pas plus nous attendre à trouver une similitude absolue
entre les îles Falkland orientales et occidentales. Si ces remarques
entre les êtres qui habitent les côtés opposés des Andes qu'entre
ceux qui habitent les côtés opposés de l'Océan. Dans les deux cas, il
ont quelque fondement, la zoologie de l'Archipel devrait être étu¬
diée à fond car des faits de ce genre font douter de la fixité des
faut excepter les espèces qui ont pu traverser la barrière, qu'elle soit
espèces.
(Darwin, Notes d'ornithologie)
formée de rochers ou d'eau salée. (1)
(J) C'est là un exemple des admirables lois qu'a le premier indiquées
M. Lyell sur l'influence des changements géologiques sur la distribution
géographique des animaux. Tout le raisonnement repose, bien entendu, sur
le principe de l'immutabilité des espèces; on pourrait expliquer autrement
la différence entre les espèces des deux régions par des changements surve¬
nus dans le cours des siècles.
(Darwin, Voyage d'un naturaliste autour du monde, 23 mars 1835)
Les hommes de Tahiti
Ils sont grands, bien proportionnés, ils ont les épaules larges ; ce
sont, en somme, de véritables athlètes. Je ne sais qui a remarqué
que l'Européen s'habitue facilement au spectacle des peaux foncées
et que cette peau lui paraît alors tout aussi agréable, tout aussi
naturelle que sa propre couleur blanche. Un homme blanc qui se
baigne à côté d'un Taïtien ressemble absolument à une plante
qu'on a fait blanchir à force de soins, à côté d'une belle plante vert
Les dames de Lima
Les voyageurs ont à Lima deux sujets de discussion : les dames
"tapadas", c'est-à-dire cachées sous leur châle et leur mantille, et
un fruit qu'on appelle Chilimoya. Pour ma part, les unes sont
foncé poussant vigoureusement dans les champs. Presque tous les
hommes sont tatoués ; ces tatouages accompagnent si gracieuse¬
ment les courbes du corps, qu'ils produisent un effet fort élégant.
(Darwin, Journal, 15 novembre 1835)
ravissantes, et l'autre est délicieux. Ceintes de leurs robes étroites,
les dames sont contraintes de marcher à tout petits pas, ce qu'elles
(Canis antarcticus)
font avec grâce, révélant des bas très blancs et un pied très menu.
Elles portent un voile de soie noire, enroulée autour de la taille et
rabattu sur leur tête ; elles le maintiennent d'une main devant leur
visage, ne laissant qu'un oeil à découvert. Mais ce seul oeil est si
noir et si brillant, il a une telle puissance expressive, il traduit si
bien les sentiments qu'il vous subjugue. Toutes les femmes sont
ainsi métamorphosées, si bien que la première fois queje les vis, je
crus être entré dans une ronde charmante d'innombrables sirènes,
ou autres créatures délicieuses. A coup sûr, c'est là quelque chose
de plus étonnant que tous les édifices et églises de Lima. Pour ce
qui est du Chilimoya, c'est un fruit délicieux dont la saveur est
aussi difficile à décrire que le serait pour un aveugle d'évoquer telle
nuance particulière d'une couleur ; ce n'est pas un fruit nourrissant
comme la banane, ni un fruit banal comme la pomme, ni un fruit
désaltérant comme l'orange ou la pêche. Tout ce que j'en peux
dire, c'est que c'est un gros fruit savoureux.
(Darwin, Journal, 29 juillet 1835)
Cette belle aquarelle de Conrad
Martens, qui fut le peintre offi¬
ciel du Beagle pendant neuf
mois, dépeint une scène à Port
Les îles Galapagos
Désir le 25 décembre 1833, lors¬
L'histoire naturelle de ces îles est éminemment curieuse et mérite
la plus grande attention. La plupart des productions organiques
sont essentiellement indigènes et on ne les trouve nulle part ail¬
leurs ; on remarque même des différences entre les habitants de ces
diverses îles. Tous ces organismes cependant ont un degré de
que l'équipage descendit à terre
pour une journée de détente, de
sport et de jeux. Au premier
plan à gauche, un groupe de
marins s'amuse à un jeu appelé
"le singe qui se balance". Un
parenté plus ou moins marqué avec ceux de l'Amérique, bien que
membre
l'archipel soit séparé du continent par 500 ou 600 milles d'océan.
singe", est suspendu la tête en
bas à un trépied. Il tient dans la
Cet archipel, en un mot, forme un petit monde à lui seul, ou plutôt
un satellite attaché à l'Amérique, d'où il a tiré quelques habitants,
et d'où provient le caractère général de ses productions indigènes.
de
l'équipage,
"le
main un morceau de craie. Les
autres marins, autour de lui, le
On est encore plus étonné du nombre des êtres aborigènes que
frappent
torsadés
nourrissent ces îles, si l'on considère leur petite étendue. On est
singe", par un mouvement de
porté à croire, en voyant chaque colline couronnée de son cratère et
les limites de chaque coulée de lave encore parfaitement distinctes,
qu'à une époque géologiquement récente l'océan s'étendait là où
elles se trouvent aujourd'hui. Ainsi donc, et dans le temps et dans
l'espace, nous nous trouvons face à face avec ce grand fait, ce
mystère des mystères, la première apparition de nouveaux êtres sur
avec des
pendant
mouchoirs
que
"le
balancier, essaie d'atteindre ses
camarades
pour
les
marquer
d'un coup de craie. La personne
qu'il réussit à marquer devient
"le singe" et prend sa place. A
l'arrière-plan on voit le Beagle
. et XAdventure à l'ancre. Les ini¬
tiales "R.F.", en haut à droite,
la terre.
(Darwin, Journal, 8 octobre 1835)
indiquent
que
le
Robert
Fitz-Roy
a
Capitaine
vérifié
l'authenticité du dessin. Sur la
note du bas, crayonnée par le
J'ai patiemment répertorié tous les animaux, toutes les plantes,
tous les insectes, tous les reptiles de l'île. A la base d'une comparai¬
son ultérieure il sera fort intéressant de trouver à quelle zone, ou
"centre de création" doivent être rattachées les créatures vivantes
de l'île. (...)
le mât d'artimon plus incliné",
signe qu'il n'était pas entière¬
ment satisfait de l'image don¬
(Darwin, Journal, 26-27 septembre 1835)
22
Capitaine, on peut lire : "Le
grand mât du Beagle devrait
être légèrement plus en arrière,
née ¡ci du Beagle.
saluons les côtes d'Angleterre ; à Falmouth, je quitte le Beagle,
Sydney
après avoir passé près de cinq ans à bord de ce charmant petit vais¬
Nous sommes arrivés le 12 de ce mois. En entrant dans le port,
seau.
on est tout étonné de découvrir les abords d'une très grande ville :
(Darwin, Journal)
quantité de moulins à vent, de fortifications, grandes maisons de
pierre blanche, villa superbes, etc. (...)
De Sydney, nous gagnons Hobart Town, de là le détroit du Roi
George puis nous disons adieu à l'Australie. Considérant le nom¬
bre de lieux que nous allons visiter après avoir quitté Hobart Town,
je ne pense pas que nous puissions rallier l'Angleterre avant sep¬
tembre. Mais, grâce à Dieu, le Capitaine a, comme moi-même, le
mal du pays dont je ne doute pas qu'il n'empire. Il travaille à met¬
tre au point sa relation de voyage en vue de sa publication. (...)
Du détroit du Roi George à l'île Maurice par le Cap de Bonne
Le voyage du Beagle a été de loin l'événement le plus important
de ma vie, et il a déterminé toute ma carrière. (...)
J'ai toujours été convaincu que je devais à ce voyage la première
véritable formation de mon esprit. J'ai été amené à m'attacher
étroitement à plusieurs branches de l'histoire naturelle, toutes mes
facultés d'observation se sont aiguisées, encore qu'elles fussent
déjà des plus satisfaisantes. (...)
Je puis à présent comprendre comment mon amour pour la
science l'a peu à peu emporté sur tout autre goût. Au cours des pre¬
mières deux années ma vieille passion pour la chasse est demeurée
Espérance, Sainte Hélène, en évitant le Cap Vert à cause de la mau¬
presque entière, et j'ai tué moi-même tous les oiseaux et les ani¬
vaise saison, nous gagnerons les Açores et enfin l'Angleterre. Je
maux destinés à ma collection ; mais de plus en plus j'ai abandonné
pense sans cesse à cette ultime étape avec une joie de plus en plus
grande. J'essaye de lutter contre ce stupide état d'esprit en faisant
appel à toute les maximes qui prêchent la patience et le bon sens,
chasse nuisait à mon travail, surtout quand il s'agissait d'étudier
mais seule m'occupe ma tendresse pour vous tous, et mon esprit se
refuse à des considérations aussi moroses.
(Darwin, lettre à sa seur Susan, 28 janvier 1836)
mon fusil, pour finalement le donner à mon domestique, car la
sur
place des structures géologiques. J'ai découvert, encore
qu'inconsciemment et insensiblement, que la joie d'observer et de
raisonner l'emporte de loin sur le plaisir de l'adresse et du sport.
Aux instincts primitifs du barbare se sont lentement substitué les
goûts acquis de l'homme civilisé.
(Darwin, Autobiographie)
Le retour à la maison
Le 31 août 1836, nous jetons l'ancre pour la seconde fois à
Porto-Praya, dans l'archipel du Cap-Vert : de là nous nous ren¬
dons aux Açores, où nous restons six jours. Le 2 octobre, nous
Certains de ces extraits du journal de Darwin ont paru dans Voyage d'un
naturaliste autour du monde, publié en 1982 par les éditions Maspéro qui
ont également réédité L'origine des espèces en 1980.
/
<
23
LES GALAPAGOS
l'origine de "V Origine
yy
par Jorge Enrique Adoum
C^EST dans les îles Galapagos que
Darwin
devient
réellement
«dar-
winiste». Quand en 1831 il embar¬
que comme naturaliste sur le Beagle, Darwin
n'a que 22 ans et c'est un fervent croyant. A
19 ans il était entré au Christ's College de
Cambridge avec la vague intention d'em¬
brasser la carrière ecclésiastique. Dans son
Autobiographie il écrira à propos de cette
époque qu'il «n'avait alors pas le moindre
doute concernant la véracité stricte et litté¬
rale de chaque parole de la Bible». Par con¬
séquent il ne doutait pas alors que le monde
fût créé, tel qu'il est, en six jours ouvrables
(l'an 4004 avant Jésus-Christ, selon des cal¬
culs faits par l'archevêque James Ussher; et,
pour être plus précis, le monde fut terminé à
.9 heures du matin le samedi 12 octobre de
cette année-là).
Les premiers doutes l'assaillent lors de
son voyage en Amérique du Sud: la décou¬
verte de certains fossiles «nouveaux», les
différences de végétation de part et d'autre
des Andes avec des climats et des sols sem¬
blables, les immenses concrétions corallines
ou de lave postérieures à la formation de la
cordillère. Aux Galapagos il remarque que
les îles, formées par des éruptions successi¬
ves de volcans sous-marins, sont géologiquement plus jeunes que l'Amérique, donc pos¬
térieures à la création.
De plus elles sont
autonomes: il n'y a pas de chaînes de mon¬
tagnes sous la mer qui les auraient reliées un
jour à la plateforme continentale. «Satelli¬
tes du continent», ainsi les appela le savant.
«A première vue rien de moins attrayant
que l'aspect de cette île» écrit-il dans son
journal. Une coulée de lave basaltique noire
à la surface extrêmement rugueuse, traver¬
sée çà et là par d'immenses fissures». Dans
les rocs surgis des carrières sous-marines, les
vents et les eaux ont taillé des blocs, lisses
comme des murailles de forteresses naturel¬
les, des falaises perforées comme des épon¬
ges, des surfaces striées comme la chevelure
fossilisée d'une géante. Et, éparpillés dans
les
îles
ou
entre
elles,
d'innombrables
rochers comme des dents cassées, des molai¬
res cachant au fond de leurs caries un lac de
JORGE ENRIQUE ADOUM, poète et écrivain
équatorien, a publié plusieurs ouvrages de poésie
dont une anthologie No son todos los que están
(Poèmes
1949-1979).
Sa pièce de
théâtre,
Le
Soleil foulé par les chevaux, dont le thème est la
conquête de l'empire des Incas par les Espagnols
a été traduite en français (édition du Théâtre de
l'Atelier Genève 1970), anglais, suédois, allemand
et polonais et représentée dans plusieurs pays
d'Europe et d'Amérique latine. Il a collaboré au
programme de l'Unesco sur les cultures latinoaméricaines et appartient actuellement à la rédac¬
tion du Courrier de l'Unesco.
24
Iguane marin des îles Galapagos.
17 septembre 1835. "Le matin nous .
débarquons â l'île Chatham (l'île San
Cristóbal)... En un mot rien de moins
attrayant que l'aspect de cette île. Une
coulée de lave basaltique noire, à la
surface extrêmement rugueuse, traversée
çà et là d'immenses fissures...".
(Darwin, Voyage d'un Naturaliste
Autour du Monde)
d'apaiser la discorde régnant entre les con¬
quistadors Francisco Pizarro et Diego de
Almagro. Il est possible qu'il ait dévié de sa
route ou que le puissant courant de Hum¬
boldt ait entraîné son navire jusqu'aux îles.
Berlanga et ses hommes d'équipage furent
certainement les premiers à les appeler Gala¬
pagos (tortues géantes en espagnol) et aussi
Iles Enchantées à cause de la brume qui les
enveloppe tout comme les châteaux des con¬
tes de fée.
Ces îles ne présentaient aucun intérêt pour
les conquistadors, mais elles étaient un lieu
idéal comme repaire de pirates : flibustiers et
boucaniers y établirent leur base d'opéra¬
tions contre les galions espagnols qui retour¬
naient chargés de trésors à la métropole. Il y
eut là-bas des aventuriers comme Knight,
Morgan, Davis et Ambroise Cawley qui
dressa les premières cartes de navigation où
apparaissent les îles.
Vers 1800, le capitaine Collnet de la Royal
Navy proposa de chasser les baleines qui
abondaient autour de l'archipel, celles de
l'Atlantique étant pratiquement en voie
d'extinction. A partir de ce moment, les
baleiniers anglais et nord-américains se livrè¬
rent à un véritable pillage des eaux, anéan¬
tissant non seulement les cétacés mais aussi
les tortues convoitées pour leur chair et leur
huile. Un seul bateau chargeait jusqu'à 14
tonnes de tortues en quatre jours et, selon
les archives de la marine américaine du 19e
siècle, sa flotte baleinière chassa en 27 ans
plus de 13 000 spécimens de ces animaux
qui, lorsqu'on ne les traque pas, peuvent
lave. Un paysage lunaire dirions-nous
aujourd'hui: «je n'hésite pas à affirmer
qu'il y a deux mille cratères au moins dans
l'archipel entier» note Darwin. Certains de
colonisateurs du basalte. Puis ce furent les
ces volcans sont restés actifs et l'on a enre¬
entraîner,
gistré
oiseaux qui emportèrent des graines entre
leurs plumes, dans le ventre ou aux pattes.
Le courant de Humboldt, de son côté, a dû
accrochées
à des morceaux de
date
bois à la dérive, comme des radeaux natu¬
récente. La plus grande des îles Isabela, vue
d'avion, est nettement formée par des cou¬
lées de lave de cinq ou six volcans qui se
trouvaient auparavant séparés par des
rels, d'autres espèces animales comme le
détroits.
rugueux, des iguanes marins à l'aspect anté¬
pler l'archipel, qui se trouve à moins de
1 000 km du littoral équatorien, et dont la
diluvien, monstrueux, des iguanes terrestres
superficie totale est d'environ 7 800 km car¬
à «l'apparence tout à fait stupide» et aux
rés. La plus grande des îles occupe plus de la
moitié de cette superficie, soit 4 588 km car¬
rés; la plus petite, cinq km carrés à peine.
Des restes de céramique ainsi qu'une des
expériences par lesquelles Thor Heyerdhal
prouve l'éventualité physique mais non
l'évidence historique de certains hauts faits
de l'antiquité préhistorique, ont pu laisser
penser que les habitants précolombiens
d'Amérique du Sud, en particulier les incas,
sont parvenus aux Galapagos. Mais la
découverte de l'archipel d'un point de vue
historique fut le fait d'un évêque espagnol
de Panama, Tomás de Berlanga, envoyé par
l'empereur Charles Quint au Pérou afin
des
Et
éruptions
sur
ces
jusqu'à
bords
une
de
basalte
mouvements maladroits, des tortues géantes
et lentes comme si elles pouvaient à peine
supporter leur propre poids. Dans son jour¬
nal du Beagle, le capitaine Robert Fitz Roy
note, le 15 septembre 1835, jour de son arri¬
vée: «Une côte digne d'être la capitale de
l'enfer».
Les îles datent d'il y a un peu plus d'un
million d'années. Les vents qui soufflent du
Continent et les vagues qui déferlent sur les
plages et reviennent aux îles ont dû drainer
les premiers grains de terre et les spores des
lichens et fougères qui furent les premiers
manchot, jusqu'aux îles qui s'étendent du
degré un de latitude nord au degré deux de
latitude sud. Ainsi a dû commencer à se peu¬
vivre plus de deux siècles. (Les îles reçurent
aussi, en 1841, la visite d'un baleinier, plus
tard écrivain célèbre, Herman Melville: il
parla d'elles dans son beau livre intitulé The
Encantadas. Mais il est plus important de
savoir qu'au début du 19e siècle, à 30° à
l'ouest des Galapagos, le baleinier nordaméricain Essex fut attaqué et coulé par un
cachalot. Ainsi furent conçues Moby Dick,
la baleine blanche, incarnation du Mal sur
mer et sur terre, et la poursuite acharnée du
capitaine Achab et son épopée de la ven¬
geance).
Darwin
trouva
dans
l'île
Charles
(aujourd'hui Santa Maria) une population
de 200 à 300 personnes, formée en majorité
de «gens de couleur expulsés de la Républi¬
que de l'Equateur pour des délits politi¬
ques». L'Equateur avait pris possession des.
îles le 12 février 1832. II les appela l'Archipel
de Colón (Colomb) et les baptisa de noms
chrétiens tirés de la vie du Grand Amiral:
Isabela et
Fernandina
(en
hommage
aux
Rois Catholiques qui patronnèrent la décou¬
verte fortuite de l'Amérique), Pinta et Santa
Maria (deux des caravelles), Marchena
(l'ecclésiastique et théologien qui aida
l'Amiral), Genovesa (Génoise, d'après le
lieu de naissance de Colomb), San Salvador
25
Un outil adapté
Darwin remarqua qu'il y avait aux Galapagos plusieurs espèces de pinsons
et que chacune avait un bec deforme ou de taille différentes, différences
qui peuvent s'expliquer par la sélection naturelle. Ces becs deformes
diverses sont adaptés aux divers régimes alimentaires.,
à chaque travail
¿
Le pinson de Darwin à
Le pinson crassirostre
Le pinson terne
Pinson de Darwin
Geospize des cactus
gros bec (Geospiza
(Platyspiza
(Pinaroloxias inorna ta) a
fuligineux (Geospiza
(Geospiza scandens) au
magnirostris), au bec
crassirostris).
un petit bec pointu pour
fulginosa) au bec court
bec long et dur fait pour
puissant et broyeur,
Ce pinson des arbres
explorer les fissures,
mais puissant, et
explorer, comme des
comme un gros casse-
a un bec puissant
comme des pincettes.
broyeur, comme un
tenailles aux longues
noix.
et tranchant pour saisir
casse-noisettes.
mâchoires.
et couper, comme des
pinces à couper le
métal.
-i
-s
Petits insectes
Graines grosses
Gros insectes
des fissures
et dures.
comme les scarabées
et des crevasses.
Graines et
ou les chenilles.
nectar de
Petites
cactus.
graines dures.
Texte et dessins © Avec l'aimable autorisation du Natural History Museum, Londres
(nom du lieu de son premier débarquement),
bateau transportait, tous les quatre ou six
Santa Cruz ont une carapace arrondie, le
Pinzón (son compagnon d'aventure), Santa
mois, du port de Guayaquil, de l'eau, des
cou et les membres sont plus courts car elles
Fe, Española, San Cristóbal...
vivres, des cordes, des bougies et même des
allumettes. Il apportait des lettres aussi. Le
«bureau de poste» de San Cristobal consis¬
se nourrissent d'une végétation rase. Entre
Le général José de Villamil conduisit les
prisonniers
qui n'étaient pas forcément
politiques
accompagnés de quelques agri¬
culteurs et peut-être d'artisans. Il faut ima¬
giner le bateau comme une petite Arche de
tait en un tonneau protégé des pluies par une
couverture grossière).
Darwin trouva dans l'archipel un vérita¬
laboratoire
de
l'évolution.
Et
dans la
ces deux espèces, il y en a une troisième qui
offre de nombreuses variantes de taille et de
forme de carapace. Le régime alimentaire
détermine
également
la
laquelle ces animaux
fréquence
avec
les êtres vivants les
plus anciens de la planète
se déplacent en
Noé: ils emmenèrent avec eux des chiens,
ble
des cochons, des chèvres, des ânes, des chats
mesure où «il y a des différences entre les
lentes processions vers les rares sources des
et des poules, sans compter les rats et les
espèces de ces diverses îles», il put non seu¬
hauts terrains où "elles plongent la tête dans
puces. Dans l'île Floreana, colons et con¬
damnés ont été exploités férocement par les
lement observer le résultat final du long pro¬
l'eau et avalent avidement de grandes gor¬
cessus évolutif,
gées, environ dix par minute. Les habitants
affirment que chaque tortue reste trois ou
mais aussi ses différentes
que 25 d'entre eux, en 1851, douze, puis
aucun. Une population de moins de 5 000
personnes, répartie dans trois îles et habitant
un dixième de la superficie totale (le reste a
étapes, comme celle de l'élargissement du
bec des pinsons, ou celle de l'élongation du
cou des tortues géantes (Geochelone elephantus). «La plupart des productions
organiques sont essentiellement indigènes et
tue a dû développer une vessie semblable à
été déclaré Parc National), vit actuellement
on ne les trouve nulle part ailleurs...».
celle de la grenouille, agissant comme un
éleveurs de chinchilla. En 1845, il ne restait
de la culture de pommes de terre, des citrons
Dans les Galapagos, les tortues étaient
et du café. Dans les régions de plus haute
toutes, à l'origine, de la même espèce, pour
se différencier ensuite en quinze sousespèces qui constituent trois groupes selon la
forme de la carapace. Celles des îles Espa¬
ñola, Pinzón, Pinta, Fernandina et une par¬
tie d'Isabela, ont leur carapace en forme de
selle avec le bord avant surélevé afin de pou¬
voir allonger le cou pour atteindre les hauts
altitude on a créé de petites pampas où a
commencé
l'élevage
du
bétail.
façon, l'extrême rareté de l'eau
sources et des bruines tenaces
De
toute
quelques
la distance
et les difficultés de transport rendent peu
rentables l'agriculture ou l'élevage. Le tou¬
risme
régulier est relativement récent.
(Jusqu'il y a environ trente ans, un seul
26
cactus dont elles se nourrissent ; celles de
quatre jours dans le voisinage de l'eau, puis
qu'elle retourne dans les parties basses du
pays". Pour cela, supposait Darwin, la tor¬
réservoir pour l'humidité dont elle a besoin
pour survivre.
Bien que certaines de ces
espèces semblent éteintes
et dans certains
cas les tentatives de croisement
entre des
spécimens uniques de groupes différents ont
échoué
il
en reste encore des colonies
importantes, en particulier à Santa Cruz et
Isabela.
Si les habitants des îles soutenaient, selon
Darwin,
que
les
tortues
étaient
sourdes
SUITE PAGE 28
SUITE DE LA PAGE 26
pour leur indifférence face à l'homme, on
qui ait un cycle de reproduction annuelle,
seul exemple au monde d'oiseau qui utilise
peut en dire autant de presque toutes les
espèces des Galapagos et en particulier des
mais celui-ci varie d'une île à l'autre: dans
l'île Genovesa il a lieu d'août à novembre et
un instrument pour se nourrir. Instinct ou
intelligence? De récentes découvertes sem¬
iguanes marins (Amblyrynchus cristatus).
dans l'île Española, de novembre à février.
blent démontrer, en outre, que les pinsons
En groupes serrés, ils restent à se chauffer
Tout comme le fou à pattes bleues, il pond
de chaque île chantent de façon différente,
sur les rochers
à une certaine distance de
ses éufs sur le sol nu, la rareté des arbres et
sans qu'il y ait communication entre eux
l'eau. Cet animal, monstrueux plus par son
d'une île à l'autre.
apparence que par sa taille, à la crête et au
l'absence d'animaux ou d'oiseaux de proie
sur la côte lui ayant fait perdre l'habitude de
dos
construire
dentelés
et
aux
griffes
puissantes,
des
nids.
Mais
des
deux
oeufs
comme pour mieux s'accrocher au sol, a dû
qu'il pond, il ne réussit à élever qu'un petit :
mener, selon une hypothèse semble-t-il justi¬
l'autre, moins apte, est condamné à mourir
fiée, une existence à l'origine semblable à
celle des iguanes terrestres (Conolophus
subscristatus et Conolophus pallidas). Mais
cette dernière race étant plus puissante, il
dut, pour lui échapper, acquérir des moeurs
de faim en quelques jours.
aquatiques, quoique Darwin lui-même ait
fait remarquer qu'une fois le danger passé
cet animal fuit l'eau. Il dut donc changer de
nourriture et, pour éliminer le sel abondant
qu'il absorbe avec les algues des rochers
dont il se nourrit, il possède des glandes
volumineuses qui lui permettent d'éliminer
ce sel par le nez, complétant ainsi la fonction
rénale. Les changements brusques de tempé. rature qu'entraîne le saut des rochers brû¬
lants dans l'eau fraîche, puis le retour à leur
milieu terrestre, ont modifié leur rythme
cardiaque : des expériences de laboratoire
ont démontré que leur corps perd de la cha¬
leur en deux fois moins de temps qu'il ne
leur en faut pour la récupérer selon la tem¬
pérature ambiante. Lorsque Darwin visita
ligne équinoxale. C'est aussi le plus petit du
monde, un peu comme un enfant gauche ou
un nain si on le compare à ses arrogants
ancêtres ou contemporains de l'Antarcti¬
que. Mais dans l'archipel, comme s'il obéis¬
sait à une mémoire collective et ancestrale, il
recherche les eaux froides et profondes entre
les îles Fernandina et Isabela, et sur terre, la
fraîcheur des cavités creusées dans les laves
par les vagues.
Des
treize espèces
connues d'albatros,
celui de l'île Española (Diomedea irrorata)
est le seul au monde qui vive sous le tropi¬
que. De même, le fou masqué (Sula Dactylatra) des Galapagos est le seul de son espèce
n'existent dans aucune autre partie du
monde. De là vient que Darwin considérait
son voyage en Amérique du Sud, et particu¬
lièrement aux Galapagos comme de loin
moran (Nannopterum harrisi). Le premier,
qu'on ne trouve que dans ces îles, est le seul
comme l'origine de «toutes ses idées». Dans
qui, à la différence de tous ses congénères,
se perche sur les buissons d'où il plonge
pour prendre les poissons. En revanche, le
cormoran, dont les ancêtres sont parvenus
jusqu'aux îles après un vol de près de mille
kilomètres, a pratiquement perdu les plumes
de ses ailes : la capture des poissons lui est si
facile qu'il en oublie de voler et a appris à
nager. Que ce soit l'unique oiseau de l'archi¬
pel inapte au vol, apporte une preuve sup¬
plémentaire de la jeunesse des îles Galapa¬
gos. Jusqu'à présent, une seule espèce a eu
le temps de perdre l'usage de ses ailes, à la
différence, par exemple, de la NouvelleZélande où les espèces ainsi atrophiées sont
nombreuses.
l'événement le plus important de sa vie, et
son journal il écrivit qu'aux îles Galapagos
«et dans le temps et dans l'espace, nous
nous trouvons face à face avec ce grand fait,
ce mystère des mystères, la première appari¬
tion de nouveaux êtres sur la terre ».
Plus que l'homme lui-même, ce sont les
animaux domestiques qu'il amena avec lui
dans l'archipel qui mettent en péril la survie
des populations zoologiques autochtones.
De même avec les espèces végétales. Les
chiens sauvages dévorent les tortues et les
iguanes, les chèvres détruisent la végétation,
les
et les petits sont la nourriture préfé¬
rée des cochons, sauvages également. Un
rapport de 1963 de la Station Charles Dar¬
win signale que dans l'île Española «on n'a
rencontré qu'une tortue (...) au cours d'une
Le cas des pinsons est devenu classique
recherche faite par trois hommes en deux
depuis que Darwin a fait de celui-ci un des
jours. La végétation de l'île a été dévastée
par les chèvres; lorsqu'on trouva la tortue,
breux que pendant quelque temps il ne put ,
Le manchot des Galapagos est le seul de
son espèce qui se soit aventuré si près de la
et un grand nombre d'insectes de l'archipel
Deux exemples insolites d'adaptation à ce
milieu sont donnés par le héron des laves ou
héron vert (Buteridis Sundevalli) et le cor¬
les îles, les iguanes terrestres étaient si nom¬
trouver dans l'île San Salvador un espace
sans tanière où planter sa tente.
La presque totalité des reptiles, la moitié
des oiseaux sédentaires, un tiers des plantes
arguments majeurs de sa théorie sur la sélec¬
tion naturelle. Observant la différence qui
existait dans la grosseur du bec des diverses
espèces, Darwin déduisit qu'au fil d'un
celle-ci était en train de se nourrir en compa¬
gnie de 15 chèvres qui lui faisaient concur¬
grand nombre de générations les pinsons
avaient dû adapter leur bec à la taille des
grains, des graines, des insectes et même des
plus grave pour la préservation de ces espè¬
ces, comme l'a dit le dramaturge anglais
feuilles dont ils se nourrissaient. Des treize
maux se trouvent dans un état d'innocence.
rence». De toute façon et indirectement, le
Tom Stoppard, c'est que là-bas «les ani¬
espèces cataloguées, toutes de la famille des
Ils ignorent complètement que vous et moi
Geospizinae, la plus remarquable est celle
du pinson-pic (Camarhynchus pallidus) qui,
constituons, comme disent les biologistes,
l'espèce la plus favorisée et que nous pou¬
va chercher les insectes et leurs larves dans
vons choisir de les anéantir si nous ne déci¬
les fentes de l'écorce du gaïac, ou "palo
santo" (Bursera gravcelens), ainsi nommé
pour le parfum qu'il dégage lorsqu'on le
coupe, ou bien dans les galeries des arbres
morts. Mais comme il n'a pas le bec suffi¬
samment long, il se sert d'une épine de cac¬
tus pour fouiller dans les fentes des arbres,
dons pas de les préserver, aussi ne nous
craignent-ils pas (...) On marche parmi les
iguanes, les hérons, les pigeons, les oiseaux
moqueurs et les pinsons comme Adam et
Eve, dans les peintures médiévales, mar¬
chent parmi les antilopes et les grues».
Jorge Enrique Adoum
L'UNESCO ET LA FONDATION DARWIN
EN 1935, le gouvernement équatorien célébra le centenaire de
tues, qui sont ensuite rendues, lorsqu'elles ont trois ans et sont en
l'arrivée de Darwin aux îles Galapagos en décrétant celles-ci
mesure de se défendre pour survivre, à leur habitat naturel. De la
Réserve nationale et Parc national: 690 000 hectares, soit
même façon sont protégés les
et les petits des iguanes. Dans la
les neuf dixièmes de la superficie totale de l'archipel. En 1937, Sir
Station on préserve actuellement des milliers de phoques, espèce
Julian Huxley, qui allait être plus tard le premier directeur général
qu'il y a quelques années encore on croyait condamnée à l'extinc¬
de l'Unesco, créa un Comité pour les îles Galapagos mais le projet
tion. Des mesures ont été adoptées pour protéger toutes les espèces
qu'avait celui-ci de créer une station de recherche dans l'archipel
de l'action des chiens et des chèvres sauvages. Le gouvernement
fut interrompu par la Seconde guerre mondiale.
équatorien a adopté les recommandations du Grand Plan en ce qui
concerne la limitation et le contrôle du tourisme. On a fixé à 5 000
En 1951 ce projet fut repris et soutenu par l'Unesco ; en 1959,
le nombre de visiteurs par an; les touristes sont logés et mangent
centenaire de la publication de L 'origine des espèces, la Fondation
généralement à bord du bateau qui les transporte ; les visites privées
Charles Darwin des Galapagos fut créée à Bruxelles sous les auspi¬
sont interdites et la pêche est contrôlée; les visites, conduites par
ces de l'Unesco et du Fonds mondial pour la défense de la nature et
des guides dûment formés, sont faites en suivant des sentiers bali¬
ses ressources. Au début des années 1960, les premiers bâtiments de
sés; il est interdit de donner à manger aux animaux, et un sac de
la Station de recherche Charles Darwin furent édifiés près de
plastique est fourni à chaque visiteur à son arrivée afin qu'il y
Puerto Ayora, sur l'île Santa Cruz, avec le soutien de l'Equateur,
recueille les déchets. La Fondation projette d'inclure des zones
de l'Unesco, du Fonds mondial pour la défense de la nature et ses
marines dans le Parc national et l'Unesco contribue à la création
ressources, du Programme des Nations Unies pour le Développe¬
d'un laboratoire de biologie marine qui s'occupera également des
ment et de la Smithsonian Institution. La Fondation a établi un
études sur la géologie des îles. Les Galapagos figurent sur la liste du
Grand Projet prévoyant l'élevage, dans la Station, de bébés tor-
Patrimoine culturel et mondial de l'humanité.
28
Pouillot véloce
Phylloscopus collybita
i
Pouillot fitis
Phylloscopus trochilus
isolément, son bulbe est rond, les tiges de ses fleurs ne
Chaque plante appartient â une espèce.
présentent pas de renflement. Il n'est pas nécessaire de regarder
ces plantes pour les reconnaître
chaque espèce a son odeur
Ces plantes ont plusieurs caractéristiques communes mais elles
peuvent être classées en cinq espèces différentes.
Ciboulette (Allium schoenoprasum) : pousse en bouquet, a des
oignons allongés et des feuilles étroites. Ail des bois (Allium
ursinum) : pousse en bouquet, a un bulbe allongé et de larges
feuilles. Poireau (Allium porrum) : pousse isolément, possède un
grand oignon de forme cylindrique. Oignon (Allium cepa) :
pousse isolément, son bulbe est rond, les tiges de ses fleurs
présentent un renflement. Ail (Allium sativum) : pousse
distincte.
Méfiez-vous des apparences.
Bien qu'ils semblent identiques, le pouillot véloce et le pouillot
fitis appartiennent à des espèces différentes. Leur chant est le
meilleur moyen de les distinguer. Mais on peut aussi parfois
noter de petites différences dans leur aspect physique.
L'ÉVOLUTION
de "YÉvolution"
par Pierre Thuillier
DE
PIERRE THUILLIER, de France, enseigne l'his¬
toire des sciences à l'université Lille III et à l'uni¬
versité Paris VII, et fait partie de l'équipe rédac¬
tionnelle de La Recherche. // s'intéresse aux pro¬
blèmes d'épistémologie et à tout ce qui concerne
les rapports entre science et société. Il a publié
notamment Jeux et enjeux de la science (1972),
nos jours,
lorsqu'on
aborde
le
transformisme.
Car
cette
histoire
a
com¬
sujet de l'évolution, on pense spon¬
tanément à Darwin. N'est-ce pas lui
mencé avant Darwin, s'est prolongée bien
qui, vers le milieu du 19e siècle, a expliqué
une fois pour toutes comment les diverses
reprendre une formule courante, l'évolu-
formes vivantes s'étaient constituées? Il ne
leurs conscient, comme le prouve la «notice
Les biologistes vont-ils prendre le pouvoir? (1981)
faudrait pas, toutefois, que le célèbre livre
sur L'origine des espèces, paru en 1859,
et Darwin and Co (1981).
fasse
oublier
la
richesse
de
l'histoire
du
après lui et n'est sans doute pas close. Pour
tionnisme a évolué... Darwin en était d'ail¬
historique» qu'il a ajoutée à L'origine des
espèces.
Dans cette notice, il commence par faire
29
Empédocle d'Agrigente, 490-430 avant J.-C.
Georges-Louis de Buffon, 1707-1788
Jean-Baptiste de Lamarck, 1744-1829
allusion à quelques auteurs de l'Antiquité.
Effectivement, certains philosophes grecs
darwinisme. C'est une opinion difficile à
maintenir. Quelques auteurs anciens ont eu
créées directement par Dieu et étaient abso¬
ont vaguement pressenti que les organismes
vivants avaient pu se transformer. Anaxi-
des intuitions parfois remarquables. Ainsi le
poète et philosophe latin Lucrèce, au 1er siè¬
cle av. J.-C, a décrit de façon très vivante la
«lutte pour la vie». Il pensait qu'il était pos¬
sible d'expliquer la naissance des animaux
mandre de Milet, au 6e siècle av. J.-C, pen¬
sait que «l'homme, à l'origine, était né
d'animaux d'un autre genre». D'après lui,
cela était prouvé par le fait que les êtres
humains, dans leur jeune âge, sont long¬
temps incapables de se nourrir par leurs pro¬
pres moyens. Un autre penseur grec, Empé¬
docle d'Agrigente, émit, au 5e siècle av.
J.-C,, de curieuses idées sur la formation des
organismes: «des têtes sans cou apparais¬
saient sur la terre, des bras sans épaules
erraient, et des yeux se déplaçaient çà et là,
qui n'avaient pas de front...». Selon cet
espèces
végétales et animales avaient
lument stables.
été
Il fallait donc de l'audace
pour s'attaquer à cette doctrine, d'autant
plus que des sciences comme la paléontolo¬
gie et l'embryologie en étaient à leurs balbu¬
intéressantes qu'elles soient, n'ont jamais
tiements. Quelques esprits hardis, malgré
tout, se risquèrent à suggérer que les êtres
vivants pouvaient subir des «transmuta¬
tions» au fil des générations.
été développées méthodiquement et systé¬
matiquement. Pour qu'apparaissent des
spéculations plus précises, il faut attendre de
mort, en 1748, le français Benoît de Maillet
par les seules lois de la nature, sans recourir
à l'intervention des dieux. Mais ces idées, si
nombreux siècles. Ce n'est guère qu'au 18e
siècle que s'annonce le transformisme
moderne.
Dans un livre qui parut seulement après sa
racontait par exemple que toutes les espèces
terrestres venaient peut-être d'espèces mari¬
nes correspondantes. D'après lui, des pois¬
Il est vraisemblable que le développement
du sens historique a joué un rôle dans la
sons s'étaient habitués à vivre sur terre et
auteur, ces organes détachés s'étaient réunis
sous l'action de l'Amour; ainsi se seraient
maturation des nouvelles idées biologiques.
maux (et entre autres à des oiseaux). De
formés les êtres vivants. On trouve chez lui
Petit à petit, les théoriciens s'habituaient à
l'idée d'une sorte de sélection naturelle: les
penser la réalité sociale (m,urs, institu¬
tions, productions culturelles...) en termes
même, des éléphants de mer avaient engen¬
dré les éléphants terrestres; et les hommes,
eux aussi, provenaient de créatures marines
organismes non viables ont été éliminés (par
exemple les bovins à tête d'homme!), tandis
que les organismes correctement formés ont
survécu.
Certains historiens, pour cette raison, ont
pensé qu 'Empédocle était un précurseur du
avaient donné naissance à de nouveaux ani¬
d'évolution. Il n'est pas trop surprenant que
cette manière de penser ait été appliquée
aussi à l'étude de la nature. A cette époque,
doux rêveur, doué d'une imagination exces¬
rappelons-le, la religion chrétienne dominait
sive. Mais d'autres auteurs, à peu près à la
la culture occidentale. D'après l'interpréta¬
tion la plus courante de la Bible, les diverses
même époque, formulèrent des idées d'un
(les Tritons!).
Benoît de Maillet, évidem¬
ment, nous apparaît maintenant comme un
très grand intérêt.
Darwin et le racisme
MALGRÉ l'influence de quelques penseurs, les
cotonnière. C'est pour défendre leur fameuse "institution
préjugés raciaux se sont constitués en véritable
particulière" que des philosophes et. des sociologues sudis¬
tes donnèrent corps à toute une mythologie de caractère
pseudo-scientifique qui était destinée à justifier un état de
doctrine au cours du 18e et du 19e siècle. Il y eut
cependant une période relativement brève où l'on aurait pu
croire que la diffusion des principes de révolutions améri¬
caine et française ainsi que les succès de la campagne anties¬
clavagiste en Angleterre auraient pu atténuer et même faire
disparaître les préjugés de race. La réaction qui se mani¬
festa pendant la Restauration et le développement indus¬
triel de l'Europe au début du siècle dernier eurent des effets
directs et pernicieux sur la question raciale. L'essor que pri¬
rent les filatures mécaniques ouvrit aux producteurs de
coton des marchés de plus en plus vastes. "Le coton devint
roi", surtout dans le sud des Etats-Unis. II en résulta un
besoin toujours accru de main-d'Buvre servile. L'escla¬
30
choses en contradiction avec leurs professions de foi démo¬
cratique. Il fallait, pour apaiser les consciences, que l'on fût
convaincu que le noir était un être non seulement inférieur
au blanc, mais encore mal dégagé de l'animalité.
Les "blancs" accueillirent avec enthousiasme le darwi¬
nisme, qui, en prêchant la survivance du plus apte, venait
étayer et confirmer leur politique d'expansion et d'agres¬
sion aux dépens des peuples "inférieurs" ; survenant à
l'époque même où les nations puissantes bâtissaient leur
empire colonial, cette thèse venait les justifier tant à leurs
propres yeux qu'à ceux du reste de l'humanité : le fait que
vage, qui périclitait en Amérique et qui se serait peut-être
des groupes humains "inférieurs" étaient réduits en escla¬
éteint de lui-même, se transforma de ce fait en une institu¬
vage ou tombaient sous les balles des mitrailleuses et des
tion sacro-sainte dont dépendait la prospérité de la zone
fusils européens venait simplement confirmer la théorie
August Weismann, 1834-1914
J.B.S. Haidane, 1892-1964
Ainsi des historiens des sciences ont noté
que Pierre de Maupertuis, vers le milieu du
18e siècle, paraît «avoir eu une notion assez
nette des processus de mutation et de sélec¬
tion». D'une part, les êtres vivants peuvent
Théodosius Dobzhansky, 1900-1975
particulièrement important: la Philosophie
zoologique.
On résume souvent la pensée de Lamarck
même après que son système eut subi des cri¬
tiques très sévères.
Pendant la première moitié du 19e siècle,
de la façon suivante : afin de s'adapter à leur
environnement, les animaux acquièrent de
d'autres
Etienne Geoffroy Saint-Hilaire et l'Anglais
Robert Chambers, qui fit paraître en 1844,
interprétations
transformistes
furent proposées. On peut citer le Français
se modifier de façon accidentelle au fil des
nouveaux caractères physiques
générations; d'autre part, les modifications
qui sont ensuite transmis héréditairement à
utiles peuvent se conserver et s'accumuler,
leur descendance. Comme exemple, on cite
le cas de la girafe : pour atteindre des feuilles
sans nom d'auteur, un ouvrage intitulé Les
damnés à disparaître. Le naturaliste Buffon,
de son côté, semble avoir admis qu'un trans¬
de plus en plus hautes, pour répondre à de
(The Vestiges of the Natural History of
nouveaux «besoins», elle aurait pris l'habi¬
Creation). Mais pour qu'un nouveau pas
formisme limité était possible. Il a même
tude d'étirer son cou et aurait transmis à ses
décisif soit franchi, il faut parvenir à l'année
les individus inaptes étant au contraire con¬
caractères
vestiges de l'histoire naturelle de la création
écrit ceci: on peut supposer que «tous les
rejetons la modification ainsi produite. Mais
1858. C'est à cette date, en effet que furent
animaux sont venus d'un seul animal qui,
la théorie de Lamarck est beaucoup plus
présentés
dans la succession des temps, a produit, en
complexe. Il admet, certes, que les change¬
Londres
se perfectionnant et en dégénérant, toutes
ments de circonstances provoquent indirec¬
d'Alfred Rüssel Wallace où était nettement
les races des autres animaux». Il faut se gar¬
tement une certaine forme d'évolution ; mais
exposée la théorie de la sélection naturelle.
der d'exagérer l'importance des énoncés de
il affirme aussi que la vie elle-même, par ses
L'année suivante paraissait L'origine des
ce genre. Mais il est clair que, dès le 18e siè¬
cle, beaucoup de naturalistes ont envisagé
l'hypothèse de la variabilité des espèces. Le
propre grand-père de Charles Darwin,
Erasme Darwin, s'appuya sur diverses con¬
sidérations (tirées de l'anatomie comparée,
de l'embryologie, etc) pour formuler une
propres lois, engendre une sorte de «pro¬
gression» dans les êtres vivants. Autrement
espèces. Cette fois-ci, avec un grand nombre
devant
des
la
textes
Société linnéenne de
de
Charles
Darwin
et
dit, la nature tend spontanément à compli¬
d'exemples concrets tirés de la paléontolo¬
gie, de l'embryologie, de l'anatomie compa¬
quer la «série générale des animaux». Tout
rée et de la biogéographie, une théorie bien
compte fait, les variations du milieu ont plu¬
structurée donnait une explication détaillée
tôt une influence perturbatrice: elles intro¬
«plan
de la formation des espèces.
Darwin, tout d'abord, affirmait que les
théorie évolutionniste. Généralement, on le
général de la nature». Lamarck ne réussit
espèces étaient des populations composées
considère
de
pas à persuader tous ses confrères naturalis¬
d'individus susceptibles de varier à travers
1809 un ouvrage
tes; mais il exerça une influence durable
les générations successives. Puis il décrivait
comme
un
Lamarck, qui publia en
prédécesseur
duisent
des
«anomalies»
dans
le
selon laquelle un groupe humain inférieur est remplacé par
qui leur faisait refuser aux peuples "inférieurs" toute parti¬
un autre qui lui est supérieur. Sur le plan de la politique
fort a le droit de détruire le plus faible trouve son applica¬
cipation à la situation favorisée dont ils jouissaient. Ils
accueillirent avec complaisance la thèse biologique darwi¬
nienne et après l'avoir simplifiée, déformée et adaptée à
leurs intérêts particuliers, en tirèrent ce que l'on appelle le
"darwinisme social", grâce auquel ils prétendirent justifier
leurs privilèges sociaux et économiques, mais qui n'a rien à
voir avec les principes strictement biologiques de Darwin.
tion non seulement dans les rivalités entre nations, mais
H. Spencer (1820-1903) a utilisé en sociologie le concept de
internationale, le racisme excuse l'agression, car l'agresseur
ne se sent tenu à aucune considération envers des étrangers
qui, appartenant à des "races inférieures", doivent être
placés au niveau des bêtes, ou peu s'en faut.
L'idée que biologiquement et scientifiquement le plus
encore dans celles qui surgissent à l'intérieur d'un pays.
Il n'est pas juste d'attribuer à Darwin, comme beaucoup
l'ont fait, la paternité de cette théorie haineuse et inhu¬
la "survivance du plus apte", qu'on a été jusqu'à identifier
avec celui du "surhomme" chez Nietzsche (1844-1900), et
qu'on a cité pour sa défense.
maine. La vérité est que l'existence de groupes composés
Ainsi donc les progrès de la biologie furent exploités ten¬
d'hommes de couleur, devenus des concurrents possibles
dancieusement pour fournir des explications, en apparence
sur les marchés du travail et revendiquant les avantages
simples et scientifiques, destinées à résoudre les inquiétudes
sociaux que les blancs avaient considérés comme leur privi¬
antérieures concernant la conduite humaine.
lège, devait nécessairement conduire ceux-ci à dissimuler
Juan Comas, "Les mythes raciaux" dans
sous quelque prétexte le matérialisme économique absolu
Le racisme devant la science, Unesco, 1956
31
L'EVOLUTION DE "L'EVOLUTION"
la «lutte pour la vie» qui s'exerce en perma¬
réalisait de façon continue, par accumula¬
tion de variations minimes. C'est pourquoi
joué un rôle prépondérant (Sociobiology :
the new synthesis, 1975). Il a formulé une
maux doivent affronter leurs concurrents,
il se produisit au début du 19e siècle une crise
vaste théorie qui reprend les thèmes essentiels
mais ils doivent résister aux intempéries, à la
dans la pensée biologique. Elle ne fut vrai¬
ment résolue que dans les années 1920-1930,
nence dans la nature. Non seulement les ani¬
chaleur, à la sécheresse, etc. Alors est intro¬
du darwinisme et s'appuie entre autres sur la
génétique, l'écologie et l'éthologie. Selon lui,
tous les comportements sociaux ont une base
duite l'idée de sélection naturelle, qui est
fondée sur une analogie avec la sélection
artificielle : de même que les éleveurs amélio¬
lorsque R.A. Fisher, S. Wright et J.B.S.
Haldane constituèrent la génétique des
rent leur cheptel en opérant une sélection
Grâce à cette discipline, qui étudie com¬
méthodique, de même la nature produit de
nouvelles espèces 'en triant les individus.
Ceux qui portent des variations favorables
nismes individuels ne servaient qu'à assurer la
reproduction
maximale
des
gènes.
En
d'autres termes, les gènes sont "égoïstes". Ils
Imaginons que ce mécanisme de sélection
ment les gènes se diffusent dans les popula¬
tions, il devenait possible de présenter le
darwinisme sous une forme plus satisfai¬
sante. Autour de l'année 1940 apparut une
nouvelle conception d'ensemble, qu'on
appelle couramment la «théorie synthéti¬
fonctionne pendant des milliers de généra¬
que» de l'évolution. Elle se fondait essen¬
agression, religion...) doivent être compris
tions; alors, par accumulation de petites
modifications, de nouvelles populations
tiellement
comme des stratégies qui optimisent le "pro¬
vont
Gaylord Simpson. Désormais, les variations
survivent et se multiplient, ceux qui portent
des variations défavorables disparaissent.
se
former
(c'est-à-dire de
nouvelles
espèces).
populations.
sur
les
travaux
de
Théodosius
Dobzhansky, d'Ernest Mayr et de George
chères à Darwin étaient définies comme des
génétique et il faut les expliquer grâce à cette
hypothèse fondamentale : du point de vue
biologique, tout se passe comme si les orga¬
utilisent les animaux (termites, oies, chèvres,
chimpanzés, hommes...) pout1 se multiplier ;
et
les
comportements
sociaux
(sexualité,
fit génétique".
Mais E.O. Wilson ne s'est pas contenté de
formuler des interprétations théoriques.
Partant du principe que les sociobiologistes
Darwin admettait l'existence de plusieurs
processus
évolutifs
(sélection
mutations, c'est-à-dire comme des accidents
autres
survenant
sexuelle, usage et non-usage des organes,
action directe des conditions,...). Mais, à ses
gènes. La nouvelle synthèse ne tenait pas
seulement compte des progrès de la généti¬
affirmé qu'ils devaient devenir les
yeux, la sélection naturelle jouait le rôle
que, mais de divers résultats concernant la
veaux moralistes" et guider la planification
principal. A proprement parler, ainsi que
notion
d'espèce,
la
biogéographie,
la
paléontologie, etc. Elle fut acceptée par un
grand nombre de scientifiques. De nos jours
encore, elle constitue, dans ses grandes
lignes, l'interprétation orthodoxe.
de la société. Ce projet ambitieux soulève de
nombreuses questions.
Les développements récents de la biologie
mis. Ainsi il n'est nullement prouvé qu'il
existe des gènes de l'altruisme, des gènes du
Darwin le reconnaissait, cette théorie n'était
pas «prouvée». Parmi d'autres objections,
celle-ci revenait souvent: on n'avait jamais
vu une espèce se transformer en une autre
au
hasard
et
affectant
certains
sont les experts les plus compétents dans le
domaine des comportements humains, il a
"nou¬
Tout d'abord, il faudrait savoir si cette
nouvelle forme de darwinisme a des bases
solides. Là-dessus, certains doutes sont per¬
espèce. Mais Darwin avait raison de dire que
ses explications rendaient intelligibles une
foule de faits observés par les spécialistes de
la paléontologie, de l'embryologie et de
quelques autres disciplines. Plusieurs hom¬
moléculaire et de la biochimie ont permis
d'affiner et de préciser l'analyse des phéno¬
mènes d'évolution. Il est devenu possible de
suivre à la loupe, en quelque sorte, l'évolu¬
mes de science s'opposèrent à la nouvelle
tion de certaines molécules (par exemple
(qui est parfois très rapide) par l'évolution
théorie. Mais, en quelques années, elle réus¬
l'hémoglobine). Dans l'ensemble, les résul¬
biologique (dont le rythme, en comparai¬
sit à s'imposer dans de nombreux pays.
tats obtenus par les diverses sciences de la
son, est très lent).
faiblesses. Cela s'explique en particulier par
le fait que, à l'époque de Darwin, les con¬
vie ont confirmé les schémas théoriques
mentionnés précédemment. Il ne faut pour¬
tant pas s'imaginer que tous les problèmes
naissances dans le domaine de la génétique
sont
étaient très insuffisantes. La fameuse étude
darwinienne (ou néo-néo-darwinienne...) a
atteint sa forme parfaite et définitive.
Le darwinisme présentait cependant des
de Mendel sur les plantes hybrides, qui mar¬
que les débuts de la génétique moderne, ne
résolus
et
que
la
théorie
néo¬
conformisme, des gènes de l'homosexualité.
Il n'est pas évident non plus qu'on puisse
expliquer l'évolution des sociétés humaines
Une
autre
question
se
pose
aussitôt :
appartient-il aux scientifiques (aux biologis¬
tes en l'occurrence) de dicter à l'humanité
des normes éthiques et politiques ? Le cas de
Wilson a l'intérêt de nous rappeler que ce
problème majeur n'est pas nouveau. Déjà
Même des concepts apparemment aussi
Darwin avait appliqué à l'espèce humaine sa
simple que ceux d'adaptation et de sélection
théorie de l'évolution. Cela l'avait amené à
Mais d'autres
naturelle font l'objet de critiques plus ou
parler de "races inférieures". Et à déclarer
hommes de science, bientôt, allaient entre¬
que la femme, elle aussi, était inférieure à
prendre une révision de la théorie exposée
moins virulentes. Certains biologistes, par
exemple, font remarquer qu'il est très diffi¬
dans L 'origine des espèces. Alors que Dar¬
cile de déterminer avec exactitude si tel ou
win
tel gène a réellement été sélectionné à cause
parut qu'en 1865; Darwin n'a jamais utilisé
les idées qu'elle contenait.
croyait
acquis,
par
Weismann
à
l'hérédité
exemple,
affirma,
des
August
de son "utilité" biologique. Mentionnons à
tive, moins courageuse... A partir de là, il
était facile de formuler des arguments plus
ou moins "scientifiques" en faveur du
dernières
ce propos la théorie "neutraliste" du Japo¬
nais M. Kimura, selon laquelle de nombreux
gènes ne sont ni utiles ni nuisibles, mais neu¬
sélection pouvait aisément engendrer de
redoutables projets eugénistes, destinés à
tres du point de vue évolutif. Les Améri¬
produire des populations de "surhommes".
caractères
l'Allemand
dans
les
années du 19e siècle, qu'elle était impossible.
Cela entraînait le rejet des idées concernant
l'usage et le non-usage des organes; mais la
théorie de la sélection naturelle proprement
cains
dite demeurait intacte.
récemment proposé une théorie (dite des
En 1900, la génétique prit un nouvel essor
grâce à la «redécouverte» des lois de Men¬
Gould
et
EIdredge,
en
outre,
ont
"équilibres ponctués") qui va à rencontre
des idées généralement reçues. Selon eux,
De
l'évolution n'a pas eu lieu de façon régulière
et continue, mais par des "sauts" évolutifs
Vries. Mais, paradoxalement, ces progrès ne
relativement brusques. Sur ces points et plu¬
contribuèrent pas immédiatement à l'amé¬
sieurs
del qu'opérèrent
l'Allemand
l'Autrichien Tschermak,
Correns
et
le
l'homme : moins intelligente, moins inven¬
Hollandais
autres,
de
nombreuses
discussions
racisme et du sexisme ! De même, l'idée de
Bien sûr, Darwin n'avait pas voulu cela.
Mais l'histoire montre que des idéologies
dangereuses
se
sont
souvent
développées
autour de thèmes "darwiniens" plus ou
moins douteux. Peut-être y a-t-il une leçon à
en tirer : le développement des théories évolutionnistes n'est pas seulement une "belle
la sélection naturelle. Selon les partisans du
Une nouvelle discipline qui se situe elle
mendélisme, ces variations étaient brusques
aussi dans la tradition darwinienne a beau¬
aventure scientifique" mais une entreprise
culturelle qui concerne l'humanité de façon
très concrète. Admirons donc ceux qui,
d'Anaximandre à nos jours, ont jeté un peu
de lumière sur les origines de la vie et sur nos
propres origines. Mais n'oublions pas que
et de grande ampleur. Hugo de Vries, par
coup fait parler d'elle ces temps derniers : la
les théories sont seulement des constructions
exemple, pensait que l'évolution s'expliquait
par des «mutations» discontinues, par des
sociobiologie. Son objectif est d'expliquer
humaines. Elles peuvent nous aider à y voir
plus clair ; mais notre avenir dépend de
choix moraux et sociaux qui dépassent la
Mais
par la biologie les comportements sociaux
des animaux en général et des hommes en
particulier. Dans la naissance de cette
Darwin, lui, avait déclaré que l'évolution se
science, l'Américain Edward O. Wilson a
contraire, ce fut l'occasion d'un conflit con¬
sont en cours. II se pourrait donc que la
théorie néo-darwinienne, dans les années à
cernant la nature des variations utilisées par
venir, subisse d'importantes révisions.
lioration de la théorie darwinienne. Bien au
«sauts» qui produisaient soudainement des
formes
32
nouvelles
(mutationnisme).
science, même darwinienne...
Pierre Thuillier
L'ORDINATEUR:
DARWIN A RAISON
par Boris Mednikov
l'apparition des mouches domestiques résis¬
l'évolution. Darwin ne séparait pourtant pas
l'euvre maîtresse de sa vie L 'origine
tantes aux insecticides.
des espèces ? L'évolution, en effet,
encore l'apparition de nouvelles variétés du
développement de catégories hiérarchisées
embrasse également un ensemble de phéno¬
Il est clair que Darwin comprenait parfai¬
tement que la "spéciation"
l'apparition
d'une espèce nouvelle à partir d'une espèce
mènes d'une ampleur aussi différente que,
antérieure
est la clé de l'évolution. Si l'on
tant que science n'existait pas à son époque,
d'un
dinosaures et
n'élucide pas ce processus, on ne peut ren¬
et les travaux de Mendel lui étaient aussi
l'origine des mammifères, et, de l'autre.
dre compte des autres manifestations de
inconnus qu'ils l'étaient aux autres savants
POURQUOI
Darwin
a-t-il
intitulé
ne se limite pas à l'origine des espèces, elle
côté,
l'extinction
des
plus larges : genres et familles, ordres, clas¬
ses et embranchements, car la génétique en
de son temps.
Mais il est non moins clair que Darwin
s'interrogeait sur la frontière entre la forma¬
tion des espèces et l'apparition de groupes
plus vastes, le passage, par exemple, de
l'espèce du chien ordinaire à la famille des
canidés ; ce n'est pas un hasard si un chapi¬
tre entier de L 'origine des espèces est consa¬
cré
à
l'hybridation,
espèce
et
d'une
à
l'intérieur
d'une
espèce
à l'autre.
Nous
dirions aujourd'hui que Darwin s'intéressait
à la question de l'arrêt de l'échange des
gènes au moment de la spéciation.
A l'heure actuelle, nous distinguons les
processus de micro et de macro-évolution.
La
micro-évolution
comprend
l'ensemble
des phénomènes qui se produisent à l'inté¬
rieur des espèces, sur une aire géographique
assez limitée, pendant une période relative¬
ment courte (quelques centaines ou milliers
de générations) et qui s'achève avec la for¬
mation d'une espèce nouvelle ou avec la
division d'une espèce-mère en deux espècesfilles.
Les
mécanismes
de
la
spéciation
sont
aujourd'hui bien connus. Au cours d'un
grand nombre de générations, l'influence du
milieu entraîne dans les populations de plan¬
tes et d'animaux une sélection des variantes
héréditaires les mieux adaptées aux condi¬
tions ambiantes. Les facteurs qui permettent
cette sélection proviennent, d'une part, du
processus de mutation, c'est-à-dire de la
somme de modifications héréditaires dues à
une modification de la structure génétique
au niveau de l'ADN (acide désoxyribonucléique) des cellules.
Pour
les
organismes
bisexués,
d'autre
part, de nouvelles variations pour la sélec¬
tion sont fournies par le processus de la
reproduction sexuée qui mélange des gènes
BORIS
d'URSS,
MIKHAILOVITCH
MEDNIKOV,
travaille actuellement dans les domai¬
nes de la génétique moléculaire et évolutionnaire
et de la biologie générale au laboratoire de biolo¬
gie moléculaire et de biochimie A.-N. Belozersky
de l'Université d'Etat de Moscou. Auteur de plus
de cent travaux dans différentes branches de la
biologie, il a aussi publié trois livres destinés au
grand public sur le darwinisme au 20e siècle, la loi
Photo © Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, Suis
Tohis, oiseaux chanteurs d'Amérique du Nord.
de la variabilité homologique et les axiomes de la
biologie.
33
hérités du père et ceux hérités de la mère en
De nos jours, la plupart des scientifiques
des combinaisons toujours renouvelées. Les
ont tendance à penser qu'il n'y a pas de dif¬
sinon comme la somme de toutes les espèces
qui le composent. Ce ne sont pas les ordres,
combinaisons réussies ont de fortes chances
férence fondamentale entre la micro et la
classes, etc., en tant que tels qui évoluent,
d'avoir une descendance. Ainsi se produit
macro-évolution et qu'il s'agit en fait de
mais les espèces dont ils sont constitués.
un changement progressif dans les caracté¬
diverses
ristiques des individus formant la popula¬
l'évolution. Tous les phénomènes de l'évo¬
étapes
du
processus
unique
de
tion à partir de laquelle va s'élaborer la nou¬
lution qui dépassent le cadre de l'espèce peu¬
velle espèce.
vent être entièrement expliqués par la généti¬
En fin de compte, cette espèce nouvelle se
trouve
génétiquement
isolée
des
autres
populations de l'espèce-mère avec laquelle,
normalement, elle ne se croise plus : la spé¬
ciation se produit. Darwin cite l'exemple des
que
contemporaine.
Mais
tout
le monde
n'est pas de cet avis. Certains estiment que
l'évolution
de
groupes
plus
larges
que
l'espèce est régie par des lois tout à fait
autres.
D'autres
interprétations
évolution conduisent,
de
la
macro¬
en dernier ressort,
soit à postuler la progression par bonds, soit
à supposer des sortes de lois nouvelles régis¬
sant l'apparition des catégories plus vastes.
Les tentatives pour introduire un clivage
entre la micro et la macro-évolution se répè¬
tent avec une telle régularité qu'on est en
droit de s'interroger : n'y aurait-il pas à cela
de
Richard Goldschmidt, qui s'est illustré
Madère : en l'espace de 300 ans, ils se sont
par ses recherches dans le domaine de la
comme s'il y avait quelque chose, dans le
réduits à la taille de rats et ont perdu la pos¬
sibilité de se croiser avec des lapins euro¬
micro-évolution, soutient que les familles,
caractère même de nos connaissances sur le
les ordres et les classes sont le produit de
développement
péens.
macro-mutations,
extrê¬
vivante, qui entraîne les scientifiques sur une
mement brutales d'individus isolés dans une
voie que ne confirment ni les faits ni la logi¬
population. Ces "monstres prometteurs",
que.
lapins
apportés
d'Europe
sur
l'île
C'est précisément par la spéciation que
passe la frontière ou le point d'articulation
entre micro et macro-évolution. Ce n'est pas
pour rien que Darwin s'intéressait au pro¬
de
modifications
quelque cause objective ?
Tout se passe
historique
de
la
nature
comme les appelle Goldschmidt, deviennent
La cause fondamentale réside peut-être
les fondateurs de nouvelles grandes catégo¬
dans le fait que nous ne pouvons, pour l'ins¬
ries.
macro¬
tant, observer l'évolution que dans sa seule
évolution procède par sauts : dans la classe
variante terrestre. Imaginons ce qui se passe¬
espèce comme dans l'ancienne dont celle-ci
des reptiles apparaît brusquement le premier
provient,
oiseau, parmi les singes anthropoïdes le pre¬
rait si un visiteur extra-terrestre devait juger
de la vie des êtres humains à partir de la bio¬
mier homme, etc.
graphie d'un seul terrien. Certaines de ses
blème de la stérilité des hybrides ! Mais il
importe de souligner que dans la nouvelle
la
micro-évolution
continue
comme avant, mais de façon indépendante,
Selon
cette
conception,
la
pour chacune d'elles. Les populations de
Mais cette théorie est très controversée.
conclusions seront sans aucun doute exac¬
l'espèce-mère cessent d'être des partenaires
Le "monstre prometteur" surgissant à un
tes, mais il lui arrivera aussi d'ériger des évé¬
d'évolution pour devenir des facteurs du
seul exemplaire au sein de la population
nements fortuits de la vie de ce terrien au
milieu ambiant avec lesquels la nouvelle
aura beaucoup de mal à trouver un parte¬
rang de lois communes à toute l'espèce
espèce peut entrer en concurrence.
naire pour perpétuer l'espèce. Le Caín de la
humaine.
Il est parfois malaisé de tracer une ligne de
partage entre micro et macro-évolution dans
la mesure où il n'existe pas de démarcation
très nette entre des espèces proches. Il n'est
Bible dut aller "au pays de Nod" pour se
De fait, les données de la paléontologie ne
confirment en rien cette hypothèse extrava¬
quand
gante. Les fondateurs de nouveaux groupes
ne diffèrent que très peu des représentants
l'activité de l'homme détruit l'équilibre de
du groupe dans lequel ils sont apparus. Le
pas rare que des limites, auparavant très pré¬
cises,
disparaissent,
par
exemple,
l'écosystème. Deux espèces d'oiseaux chan¬
premier oiseau, l'archéoptéryx, n'était autre
teurs appelés tohis, qui vivaient autrefois
qu'un reptile couvert de plumes, et notre
dans des zones bien distinctes du sud des
ancêtre, l'australopithèque, ne différait pra¬
tiquement pas des singes sinon par la station
Etats-Unis et du Mexique (l'une ayant pour
habitat les forêts de chêne, l'autre celles de
verticale.
résineux) forment de plus en plus souvent de
Tous
est
de
même
pour
la
macro¬
tains groupes et le progrès, l'épanouisse¬
ment des autres, relèvent, dans une large
mesure, du plus pur hasard. C'est peut-être
seulement lorsque nous aurons rencontré
d'autres formes de vie sur une dizaine de
planètes dans l'univers que nous ferons la
part, dans l'évolution, entre ce qui obéit à
des
lois
et
ce
qui
est
fortuit.
Lorsque
l'échantillonnage sera suffisamment repré¬
et alors seulement nous serons en mesure de
les
exemples
de
macro-mutation
nos jours, en raison de la deforestation, une
(comme la formation d'une deuxième paire
d'ailes chez la mouche drosophile des fruits)
On pourrait multiplier à l'infini ce type
d'exemples mais, grosso modo, la définition
ne traduisent pas, en réalité, l'apparition de
caractères nouveaux mais la résurgence de
de la frontière entre espèces comme étant le
caractères anciens.
point d'articulation entre la micro et macro¬
tions de l'atavisme, comme la réapparition
évolution reste exacte.
de l'appendice caudal chez certains indivi¬
le développement de catégories systémati¬
en
sentatif, comme disent les statisticiens, alors
population hybride.
La macro-évolution, c'est l'apparition et
Il
évolution : en définitive, l'extinction de cer¬
trouver une épouse.
dus
de
l'espèce
Ce sont des manifesta¬
humaine.
Aucun genre,
ordre ou classe ne peut exister et évoluer
comprendre. A moins que cela ne se pro¬
duise avant.
J'ai écrit plus haut que toute expérimenta¬
était
impossible
dans
la macro¬
tion
évolution, mais ce n'est pas tout à fait exact.
On peut procéder à des expériences si on
reproduit le processus de l'évolution sur un
ordinateur. Il y a trois ans, le spécialiste de
la simulation en machine de processus biolo¬
giques, V.V. Menchoutkine, a mené, avec la
ques plus vastes que la notion d'espèces
participation de l'auteur de ces lignes, toute
(genres et familles, ordres, classes, embran¬
une série d'expériences sur l'évolution d'ani¬
chements
maux arthropodes et cordées.
et
règnes)
sur
une
échelle
immense, parfois l'ensemble de la bios¬
On a mis en mémoire dans la machine une
phère, et pendant des millions, voire des
description suffisamment détaillée d'un ver
centaines de millions d'années. En raison de
arthropode primitif et d'un prototype des
ces énormes proportions, il est impossible,
animaux cordés,
lorsqu'on
de
qui a survécu jusqu'à nos jours. Ces espèces
recourir à Cet outil prodigieusement efficace
originelles étaient susceptibles de transfor¬
étudie
la
macro-évolution,
qu'est l'expérimentation.
analogue à l'amphioxus
mations qui, en outre, obéissaient au hasard
a appelé
et pouvaient être aussi bien progressives que
l'historien un prophète qui prédit le passé.
régressives. Autrement dit, ce que Darwin
On
appelait «l'absurde "tendance au progrès"
C'est,
semble-t-il,
pourrait
Hegel
appliquer
"macro-évolutionnistes".
la
A
qui
formule
la
fin du
aux
de Lamarck» n'avait pas été introduit dans
19e
siècle, les épigones de Darwin ont surtout
le programme de l'ordinateur.
mis l'accent sur les problèmes de macro¬
règle de l'évolution darwinienne fut égale¬
évolution. Ce n'est qu'avec la redécouverte
Le premier hominidé,
ment
des lois de Mendel (1900) et l'essor rapide de
l"'Australopithecus"
saltum", ainsi les sauts brutaux proposés
la génétique qu'a été élaborée une théorie
(c'est-à-dire Singe du
par la théorie de Goldschmidt sur la macro¬
Sud) était bipède,
évolution étaient-ils exclus.
synthétique
de
l'évolution
dans
laquelle
"Natura
non
facit
marchait à la
l'étude de la micro-évolution a occupé la
verticale, et courait
place qui lui revenait.
dans les savanes.
34
respectée :
Une autre
Après chaque étape temporelle (corres¬
pondant approximativement à un million
d'années de la chronique paléontologique),
ravages, provoquant au bout d'un certain
la machine faisait le tri des variantes qui
temps
s'adaptaient
formes antérieures.
le
mieux
aux
conditions
l'extermination
totale
des
A la lumière de ces expériences, il faut
considérer avec encore plus de scepticisme
les tentatives pour découvrir dans la macro¬
La
de la mémoire de la machine et remplacés
pour
par les mieux adaptés. Comme il suffisait de
action, le principe darwinien de la sélection
1859. Nous devons nous laisser guider par
0,09 minute
million
naturelle des modifications héréditaires for¬
les paroles de Newton :
d'années, il fut facile de suivre l'évolution
tuites suffit parfaitement. Il n'y a aucune
admettre dans la nature d'autres causes que
depuis le Cambrien jusqu'à nos jours. Les
raison de penser qu'il en a été autrement
celles qui sont véridiques et suffisantes pour
résultats de ces expériences ont été très signi¬
pour l'évolution qui s'est produite sur la
expliquer les phénomènes".
ficatifs.
terre.
simuler
un
simuler
essentielle
une
est
celle-ci :
évolution des causes et des mécanismes dif¬
ambiantes. Les "outsiders" étaient éliminés
pour
conclusion
presque
macro-évolution
en
férents de ceux formulés par Darwin en
"Il ne faut pas
Boris Mednikov
Je me limiterai à l'évolution des cordés.
Le
prototype
ancestral
de
l'amphioxus
(organisme marin en forme de ver, de quel¬
ques centimètres de long, avec une muscula¬
ture, une corde dorsale et une moelle épi-
L'évolution sur ordinateur
nière, mais sans encéphale ni crâne) avait
donnée naissance, au bout de 100 millions
d'années,
à
une
multitude
de
créatures
Ces dessins du savant soviétique
V.V. Menchoutkine, ont été exé¬
diverses en forme de poissons, à écailles et
cutés
cuirassées, certains agressifs et prédateurs,
fournies
d'autres pacifiques. Au bout de 350 étapes,
cours
d'une
pour
simuler
le premier organisme constitué sortit sur la
terre ferme puis on vit apparaître des êtres
d'après
par
les
un
descriptions
ordinateur,
expérience
les
possibilités
d'évolution des cordés
principaux
au
conçue
groupes
l'un des
du
monde
analogues aux amphibies et aux reptiles, et
animal.
enfin des mammifères. Au bout de 1000 éta¬
ces derniers ont évolué.
pes, une étrange créature apparut : un pré¬
rience fut faite en choisissant un
dateur
actif,
doté
d'un
système
nerveux
extrêmement développé qui se déplaçait sur
Ils
montrent
comment
L'expé¬
dessin
n° 1,
en
haut,
montre
VAmphioxus
extrémités antérieures. Il est difficile de ne
aujourd'hui. Au centre, la forme
pas reconnaître dans cette créature l'image,
originelle de l'ancêtre cordé telle
tralopithèque.
Chaque
tel
qu'il
existe
.
qu'elle est restituée par les anatomistes.
En
bas,
la
description
codée des 24 caractéristiques de
nouvelle expérience
faite
avec
cet organisme ancêtre qu'on peut
décrypter
ainsi :
"organisme
l'ordinateur à partir de données et d'un pro¬
marin de 10 cm de long, de forme
gramme identiques, donnaient des résultats
allongée, avec une musculature
différents (je rappellerai que la variabilité
segmentaire,
programmée dans la machine correspondait
et
à la variabilité indéterminée de Darwin).
Ainsi,
12
111111111161
animal marin, en forme de ver. Le
deux pattes et avait le libre usage de ses
sinon du pithécanthrope, du moins de l'aus¬
1M1 M U 1 1
cordé nommé Amphioxus, petit
dans l'une des expériences, des
poissons gagnèrent la terre ferme en prenant
une
une corde dorsale
moelle
d'encéphale
ni
épinière.
de
Pas
boîte
crâ¬
nienne, sans nageoires ni autres
les minuscules qu'il absorbe par
Fécondation
autre apparurent des être analogues aux cen¬
pufs
taures de la mythologie, quadrupèdes aux
pas de sa progéniture". Chaque
bras
chiffre correspond à un degré de
La
macro-évolution
simulée par ordinateur se révèle donc un
externe,
minuscules,
pond
ne
des
s'occupe
développement d'une caractéris¬
tique donnée, par exemple, pour
processus aussi imprévisible dans ses détails
le cerveau, de l'absence totale au
que doit l'être la véritable évolution. Nous
développement
ne découvrirons pas dans l'avenir, quelles
chaque
que soient nos incursions dans la galaxie,
C=>
un pharynx perforé de branchies.
appui sur trois paires de nageoires. Dans une
indépendants.
Z--JÍU
extrémités, se nourrit de particu¬
complet.
génération,
les
Pour
chiffres
indiqués par l'ordinateur ne modi¬
fiaient le coefficient d'une carac¬
deux planètes dotées d'une biosphère identi¬
que.
t*too
ou en moins) ; ainsi la viviparité
La deuxième conclusion à laquelle mènent
ces
téristique que d'un point (en plus
expériences,
tante :
n'est
l'évolution
pas moins impor¬
simulée
sur
machine
apparaître
subitement,
par
ensuite fait un tri dans les varian¬
tes
reste constant. Dans la réalité, il n'a pas été
mieux adaptées. A la 100e opéra¬
semble-t-il,
de grandes
perturba¬
obtenues
tion
d'écart
en
conservant
entre
deux
les
opéra¬
tions correspond environ à 1 mil¬
tions, comme la dérive des continents ou les
lion d'années), différentes espè¬
périodes glaciaires, pour qu'apparaissent de
ces de poissons dotés de mâchoi¬
nouvelles formes de vie et que s'éteignent les
res
anciennes.
¿ZZZ>
un
saut de l'évolution. L'ordinateur a
s'opère parfaitement dans un milieu qui
besoin,
C>,
et l'allaitement ne pouvaient pas
et de nageoires apparurent
dans l'eau (2). A la 350e opération
une espèce sortit des eaux, sur la
Nous avons ainsi observé dans nos expé¬
terre ferme (3). Au bout de la 800e
riences des explosions brutales de spéciation
opération apparut une multitude
et des périodes d'extinction, mais à chaque
fois le phénomène était dû à l'influence
de
créatures
terrestres :
t = looo
préda¬
teurs et non prédateurs dont la
taille pouvait atteindre 10 mètres
d'autres éléments de la biosphère (les fac¬
de long (4). A la 1 000e opération,
teurs biotiques). Par exemple, dans une de
apparut un prédateur bipède doté
nos simulations, on vit régner longtemps
d'un
extrême-
c
dans les eaux douces des animaux piscifor¬
ment développé et ayant le libre
s
usage de ses extrémités antérieu-
>
res.
;"
mes sans mâchoires développées (analogues
système
nerveux
1
J
aux lamproies et autres cyclostomes). Des
poissons dotés de mâchoires surgis de la mer
firent parmi cette population de terribles
°
5
35
L'ASTRONOME : ET SI DARWIN
par Chandra Wickramasinghe
à la biologie, il y a environ cinq ans, je n'ai
microbiologie
mière fois de la théorie de l'évolu¬
pas eu
donc y avoir présence de bactéries à l'échelle
tion
ment les faits.
QUAND m'a-t-on parlé pour la pre¬
selon
Darwin ?
Je m'en sou¬
l'occasion
d'examiner
personnelle¬
et
astronomie.
II
semblait
galaxique. Pour Sir Fred Hoyle comme pour
viens mal, ce devait être à l'école à un âge où
Si j'en suis venu à rejeter les idées reçues
moi, ces ressemblances sont les plus con¬
j'étais loin de pouvoir juger sur pièces. On
me la présentait, au moins implicitement,
en matière d'évolution darwinienne, c'est à
cluantes que l'on puisse obtenir d'une com¬
comme
fallait
menés avec Sir Fred Hoyle. En 1962, nous
observations
croire que la vie avait jailli de la matière
inorganique par un processus aléatoire de
avons commencé à étudier la nature de la
ment
poussière
nous
lieu : celle des micro-organismes fossiles qui
brassage des molécules à une lointaine épo¬
avons été amenés à conclure que les grains
existent dans les météorites carbonées, pier¬
que de l'histoire de la planète. Il fallait
admettre en outre que la vie qui s'est déve¬
de poussière dans l'espace doivent contenir
res tombées du ciel qui n'ont subi aucune
contamination terrestre.
loppée ensuite a été le résultat de la seule
des sphères microscopiques (inférieures au
micron) de graphite. Vinrent ensuite de lon¬
évolution néo-darwinienne. Les forts survi¬
gues et difficiles recherches pour découvrir
faits
vent et se renforcent, les faibles meurent et
tombent dans l'oubli. Grande théorie, qui
ce qu'il y avait d'autre dans cette poussière
cosmique. En 1972, j'ai constaté la présence
me parut séduisante et convaincante, bien
de
mesure parce qu'ils ont été endoctrinés très
jeunes par le darwinisme, théorie qui sup¬
pose tacitement que la vie a commencé sur
qu'elle s'opposât, dans la culture à laquelle
chaînes de molécules organiques à base de
j'appartiens, aux conceptions bouddhistes
carbone. Il y a deux ans nous avons dû con¬
selon lesquelles l'univers est éternel et les
clure
formes de vie qu'il contient dotées de per¬
astronomiques
manence.
l'espace des micro-organismes à une échelle
une
réalité
indubitable.
Il
l'origine
en
raison
des
interstellaire ;
polymères,
que
travaux
à
autrement
tout
un
l'époque
dit
de
ensemble
indique
que j'ai
de
qu'il
longues
données
existe
dans
Les idées néo-darwinistes s'ancrèrent dans
colossale, notre seule galaxie contenant 1052
mon esprit, elles firent bientôt partie inté¬
grante de mon bagage scientifique. Ma for¬
cellules. Il nous est apparu que l'obscurcis¬
mation
puis
férentes couleurs dû à la poussière interstel¬
d'astronome, comportait l'acceptation tacite
laire signale la présence de cellules vivantes
des dogmes biologiques en vigueur. Jusqu'au
jour où je me suis intéressé méthodiquement
dans
de
mathématicien
d'abord,
sement de la lumière des étoiles dans les dif¬
l'espace,
une
partie
de
ces cellules
s'étant sélectivement changées en graphite.
Nous
nous
sommes
donc
cru
autorisés
NALIN CHANDRA WICKRAMASINGHE est
penser que la microbiologie opère à l'échelle
cosmique.
mathématiques
appliquées
et
une
autre
découverte
décisive
a
eu
Si tant d'hommes
de science aujourd'hui restent fermés à des
si
évidents
c'est
dans
une
grande
terre.
Les faits dont nous disposons montrent
clairement que la vie sur terre provient de ce
qui semble bien être un système vivant omni¬
présent dans toute la galaxie, la vie terrestre
tire son origine des nuages de gaz et de pous¬
sière qui occupent l'espace et dont des grains
se sont ensuite incorporés et agrégés dans les
comètes. La vie provient, et reçoit conti¬
nuellement
l'influence
hors de la Terre
de
sources
situées
ce qui contredit très net¬
tement la théorie darwinienne.
à
professeur
de
paraison entre données de laboratoire et
astronomiques. Plus récem¬
D'après les données actuelles la vie est
apparue
sur
terre
il
y
a
3 milliards
800 millions d'années. Il s'agissait de micro¬
d'astronomie au "University College" de Cardiff,
Pays de Galles, et Directeur de l'Institut des Etu¬
En étudiant en laboratoire le comporte¬
des fondamentales à Sri Lanka. En 1962, alors
ment spectral des micro-organismes nous
dont on trouve les traces dans les sédiments
qu'il était à l'Université de Cambridge, le profes¬
avons
une
les plus anciens. Il semble significatif que la
seur Wickramasinghe, originaire de Sri Lanka, a
vie ait fait son apparition en un instant, géo-
reçut le Prix Powell (prix britannique pour la poé¬
sie). Les points de vue exprimés dans cet article
empreinte biologique diagnosticable dans la
zone de longueur d'onde de l'infrarouge.
Nous avons comparé ces données de labora¬
sont largement développés dans deux ouvrages
récents : Space Travellers : the bringers of life
toire
de
(Les voyageurs de l'espace : porteurs de vie) et
Evolution from Space (Evolution en provenance
remarqué
avec
le
ensuite
qu'il
comportement
existe
observé
de
organismes
(bactéries
et
micro-mycètes)
logiquement parlant, presque au moment
même où la planète a eu une croûte en voie
stabilisation,
une
atmosphère
et
des
l'absorption dans l'infrarouge dans le cas
océans, donc au moment même où la vie
d'une
devenait possible. Après quoi, au long des
étoile
située
au
centre
de
notre
de l'espace) qu'il a écrit en collaboration avec Sir
galaxie, et nous avons constaté une corres¬
ères géologiques, la vie s'est développée :
Fred Hoyle.
pondance
elle a évolué dans le sens d'une complexité
remarquablement
étroite
entre
"Une tornade soufflant sur de vieilles carcasses d'avion aurait plus de chance de
recomposer un "jumbo jet" tout neuf à partir de ces morceaux de ferraille que la vie
n'en a d'apparaître toute montée à partir de ses constituants brassés au hasard."
AVAIT TORT ?
croissante. Les néo-darwinistes considèrent
que la totalité des formes vivantes qui exis¬
tent aujourd'hui et qui ont existé dans le
passé s'explique par l'accumulation cons¬
tante des erreurs qui se produisent
et par
le développement des variations qui en
résultent
à mesure qu'un système vivant
primitif est copié des miljiards de milliards
de fois. La théorie prétend que l'accumula¬
tion des fautes de copie, triées par les pro¬
cessus de la sélection naturelle (la survivance
des plus aptes) peut rendre compte à la fois
de la prodigieuse diversité de la vie et de la
Nébuleuse spirale
dans la
constellation de
la Grande Ourse.
montée constante qui va de la bactérie à
l'homme.
Cette proposition,
nous
la combattons
dans l'ouvrage que nous avons publié
récemment, Sir Fred Hoyle et moi. Nous
convenons que des copies successives accu¬
muleraient
les
erreurs,
mais
ces
erreurs
aboutiraient en moyenne à une dégradation
constante
de
l'information
contenue dans
l'original. Il est ridicule de supposer que
l'information donnée par une unique bacté¬
rie primitive puisse s'élever au moyen de
successives jusqu'à produire un
copies
homme ainsi que tous les vivants qui peu¬
plent la planète. Cette doctrine ressemble à
l'idée selon laquelle en copiant la première
page du Livre de la Genèse des milliards et
des milliards de fois on finirait par accumu¬
ler assez d'erreurs et par conséquent assez de
variations pour produire non seulement la
Bible
toute
entière
mais
encore
tous
les
fonds de toutes des bibliothèques du monde.
Les deux propositions sont également absur¬
des. Les processus de mutation et de sélec¬
tion naturelle ne peuvent avoir sur la vie que
des
effets
minimes,
tel
qu'une
sorte
de
réglage en finesse de l'évolution dans son
ensemble. Ce qui est par-dessus tout absolu¬
ment indispensable c'est un apport conti¬
nuel
d'information,
un
accroissement
d'information dont la durée couvre toute
l'histoire géologique. Le nombre et la gra¬
vité des lacunes qui interrompt les séries des
transmissible apparaissant au cours de l'évo¬
lution d'une espèce a nécessairement une
origine externe : cosmique. Les primates et
fossiles et aussi l'absence de formes de tran¬
l'homme ont beaucoup de choses en com¬
sition aux étapes cruciales du développe¬
ment de la vie montrent à l'évidence que le
darwinisme est tristement insuffisant pour
expliquer les faits. En revanche, ce que
l'étude des fossiles démontre c'est que de
mun, c'est entendu ; cependant biochimi-
nouvelles propriétés de la vie au niveau des
littérature ou de la musique et à l'épanouis¬
sement de la recherche en mathématiques,
soient sortis des mutations de gènes simiesques qui se seraient produites par hasard
longtemps avant d'avoir la moindre impor¬
gènes ont été introduites par des expériences
naturelles successives. . Les changements
n'ont été durables que lorsque ces expérien¬
ces ont réussi. Les lignées recevant un
apport génétique voué à l'échec ou incapa¬
ble de fonctionner ont tout simplement dis¬
paru.
Des apports de gènes pourraient avoir lieu
grâce à l'interaction de virus ou viroïdes spa¬
tiaux avec toute forme de vie existant sur
terre à tel ou tel moment. Quand on a
découvert
la structure des virus, certains
hommes de science ont pensé que ces parti¬
cules constituaient le chaînon manquant
(longtemps cherché dans le tableau darwi¬
nien) entre la matière inorganique et la vie.
Mais on comprit bien vite que les protéines
des virus sont beaucoup trop compliquées
pour cela. En fait, les structures de diverses
protéines virales ont une parenté si étroite
avec celles des organismes vivants que l'on a
considéré à une certaine époque que ces par¬
ticules avaient dû provenir de formes de vie
supérieures. Dans notre livre sur les mala¬
dies venues de l'espace (Diseases from
Space) nous disons, Sir Fred Hoyle et moi,
que les génomes humains sont remplis de
virus et viroïdes. Des invasions virales peu¬
vent provoquer des épidémies, comme dans
le cas de ('influenza par exemple : la distri¬
bution des recrudescences de cette maladie
montre que les pathogènes qui en sont la
cause
sont
directement
soumis
à
une
influence spatiale.
importante
ment, un monde les sépare. Nous ne pou¬
vons admettre que les gènes nécessaires à la
création des grandes suvres de l'art, de la
tance concevable pour la survie au sens dar¬
winien. De même que la vie la plus primitive
apparue sur notre planète, toutes ces pro¬
priétés ont été forcément implantées de
l'extérieur. Si la terre était hermétiquement
fermée à toute source externe de gènes, les
insectes multiplieraient jusqu'à la fin du
monde des répliques d'insectes et les singes
en se reproduisant ne produiraient jamais
que les mêmes singes. La Terre serait bien
ennuyeuse.
Cependant, de toutes les difficultés que
comporte la conception néo-darwiniste de la
vie, la plus importante est que les micro¬
organismes sont beaucoup trop compliqués.
On peut dire qu'au moment de la création
des bactéries, ou de leur réalisation ou for¬
mation, quel que fût le cas, 99,99 Vo de la
biochimie
des formes de vie supérieures
étaient déjà découverts. On connaît quelque
2 000 enzymes d'une importance vitale pour
une gamme biologique qui va des micro¬
organismes jusqu'à l'homme. Les variations
des
séquences
d'acides
aminés
dans
ces
enzymes sont d'une assez faible amplitude.
Dans chaque enzyme un bon nombre de
positions-clefs est occupé par des acides
aminés presque invariables. Voyons com¬
ment ces séquences auraient pu provenir
d'une soupe primordiale contenant en pro¬
Selon notre conception, toute nouvelle
propriété
quement, anatomiquement, physiologique-
et
héréditairement
portions égales les 20 acides aminés les plus
importants biologiquement. On estime à 15 I
37
par enzyme
au minimum le nombre des
cases qui doivent obligatoirement être rem¬
plies par tels ou tels acides aminés pour un
bon fonctionnement biologique. La quan¬
tité des essais nécessaires pour parvenir à un
tel assemblage est facile à calculer : à peu
près 1040000, chiffre véritablement énorme,
super-astronomique.
Et
la probabilité de
découvrir cet assemblage par brassage au
hasard est de 1 sur 4040 00°. Voilà le nombre
qu'on peut retenir pour le contenu d'infor¬
mation de la vie tel qu'il se manifeste dans
les seules enzymes. Le nombre des brassages
nécessaires pour trouver la vie dépasse de
maintes et maintes puissances
tous
les
atomes
observable.
vieilles
Une
carcasses
contenus
tornade
10 celui de
dans
l'univers
soufflant
d'avions
aurait
sur
de
plus
de
chance de recomposer un "jumbo jet" tout
neuf à partir de ces morceaux de ferraille
que la vie d'apparaître toute montée à partir
de ses constituants brassés au hasard.
Je considère que la vie n'a pu être un acci¬
dent, ni sur la Terre ni en aucun point de
l'univers. Les faits tels que nous les voyons
maintenant
nous
donnent
le
choix
entre
deux conclusions : soit une création voulue,
soit la permanence absolue des formes de la
vie dans un univers
éternel et sans limite.
Pour qui accepte comme parole d'évangile
les conceptions cosmologiques actuelles, le
second terme de l'alternative peut paraître
invraisemblable ; on serait alors contraint
d'admettre que la vie résulte d'un acte créa¬
teur. Ainsi la création entrerait dans l'ordre
de la science expérimentale. Le concept d'un
créateur extérieur à l'univers pose des pro¬
blèmes d'ordre logique et, quant à moi, ce
n'est pas une idée à laquelle je puisse aisé¬
ment souscrire. Philosophiquement ma pré¬
férence va à un univers essentiellement éter¬
nel et infini dans lequel un créateur de la vie,
intelligence bien supérieure à la nôtre, aurait
en quelque façon émergé de manière natu¬
relle.
Mon
exprimé
collègue
une
Sir
préférence
Fred
Hoyle
analogue.
a
Dans
l'état actuel de nos connaissances sur la vie
et sur l'univers, nier catégoriquement toute
forme de création pour expliquer l'origine
de la vie suppose un refus de considérer les
faits
et
une prétention
inadmissibles.
La
Terre n'est pas le centre matériel de l'uni¬
vers, la chose est démontrée ; il me semble
également évident qu'elle n'est pas non plus
le siège de la plus haute intelligence du
Photo © IPS, Paris
"Lever de terre" sur la lune, photo
monde.
Chandra Wickramasinghe
prise d'Apollo 10.
"La terre n 'est pas le centre
matériel de l'univers, la chose est
démontrée ; il me semble également
évident qu'elle n 'est pas non plus le
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38
Maquettes : Robert Jacquemin
Promotion-diffusion : Fernando Ainsa
Toute la correspondance concernant la Rédaction doit
être adressée au Rédacteur en Chef.
Vient de paraître
Le temps des Peuples, le dernier ouvrage de M. Amadou-Mahtar M'Bow, est
conçu à partir des discours prononcés par le Directeur général de l'Unesco
durant son premier mandat, de novembre 1974 à novembre 1980. 11 offre ainsi
un remarquable panorama des missions accomplies par l'Organisation dans les
domaines de sa compétence : éducation, science, culture et communication, tou¬
tes sous-tendues par la même finalité : le maintien de la paix dans le monde.
Qu'on n'imagine surtout pas là un recueil de textes liés seulement à une fonc¬
tion, à l'apparat ou aux solennités qui l'accompagnent. Au fil des pages, au con¬
traire, se dégagent et se précisent les fondements qui régissent les activités de
l'Unesco, l'esprit qui l'anima pendant les six années de référence évoquées. Une
vision unitaire transcende donc les situations particulières qui ont inspiré chaque
texte.
Ni didactique ni abstrait, le discours se veut d'abord accessible à tous, car le
souci de l'auteur n'est pas tant de séduire que de convaincre, de réveiller les
consciences, de les gagner à la cause dont il a la charge : Passomption de tous les
peuples et de chacun.
M. M'Bow s'attache à rester à l'écoute du monde pour exprimer les besoins des
populations et leurs aspirations de dignité, de justice et de paix, pour traduire les
plus urgentes de leurs revendications : éducation, savoir, loisir matériel et cultu¬
rel ; pour les suivre au plus près de leur idéal de compréhension et de fraternité
universelle.
C'est pourquoi le tiers-monde occupe dans cet ouvrage une place centrale. Non
pas à la suite d'un choix partisan mais tout naturellement, comme nous y oblige
un simple constat de l'état même du monde. Et l'on voit ainsi se rejoindre admi¬
rablement les préoccupations de l'homme et celles de l'Organisation qu'il dirige,
dont la fin est de promouvoir l'éducation, la science, la culture et la communica¬
tion, d'intervenir là où les peuples sont le plus menacés, de proposer et de mettre
en acte des solutions viables consenties par tous.
Ainsi cet ouvrage d'un grand serviteur de l'humanisme moderne offre-t-il à
notre méditation un tableau lucide et approfondi du monde actuel.
Le temps des peuples, 365 pages, éditions Robert Laffont, Paris, 1982
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YOUGOSLAVIE. Jugoslovenska
Knjiga, Trg Republike 5/8, P. O.8. 36, 11-001 Belgrade. Drzavna
Zalozba Slovenije, Titova C 25, P.O.B. 50, 61-000 Ljubljana.
RÉP. DU ZAIRE. La librairie, Institut national d'études politiques,
B.P. 2307, Kinshasa. Commission nationale de la Rép. du Zaire
pour l'Unesco, Ministère de l'Education nationale, Kinshasa.
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LE "GEOMETRE" ET LE MILIEU
(voir page 15)
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