
Hypnose et thérapies brèves, normes et liberté
activer des ressources qui entraînent un changement. C’est
un processus connu depuis longtemps sous de multiples
formes et modernisé par Erickson qui en a fait une forme
de psychothérapie [28].
Malgré son efficacité empirique et les passions qu’elle
suscite au début du xxesiècle (se rappeler des controverses
entre Charcot et Bernheim), l’hypnose tombe en désuétude
devant le succès hégémonique de la psychanalyse de Freud
et ses suiveurs [20]. Aux États-Unis, tous les psychiatres
sont analystes et vice versa. L’hypnose est devenue un sujet
d’étude expérimental dans les laboratoires de psychologie.
Elle intéresse le jeune Erickson, étudiant en médecine dans
les années 1920. Il se forme en compagnie des chercheurs
de Stanford qui étudient les états de conscience et la disso-
ciation et qui cherchent à établir une méthode d’induction
hypnotique universelle. Très vite, il s’en éloigne. Il sent
que l’hypnose pourrait être avant tout une technique théra-
peutique, que l’on doit adapter aux patients. Ses premières
observations l’ont amené à penser que l’hypnose a un
potentiel thérapeutique énorme, si l’on s’y prenait un peu
autrement. Ainsi commenc¸a le questionnement sur sa pra-
tique et le renouvellement de l’hypnose, abandonnant les
procédures autoritaires des magnétiseurs et hypnotiseurs et
les procédures uniformes auxquelles rêvaient les chercheurs
[4].
Il pressent bien qu’il faut respecter l’individualité de
chacun. Il rend l’hypnose plus permissive, plus ouverte, il
étend les techniques pour contourner les résistances : méta-
phores thérapeutiques, suggestions indirectes. Erickson est
à la fois un technicien hors pair de l’hypnose et, à la fois,
un artisan de la relation. Aussi paradoxal que cela puisse
paraître à ceux qui ont tenté de limiter l’hypnose à une série
de recettes, Erickson définit l’hypnose comme un type de
relation.
Erickson utilise le langage analogique, c’est-à-dire para-
verbal et non verbal, il communique à plusieurs niveaux
pour établir une relation non univoque. Pour lui, le patient
possède les ressources nécessaires aux changements, la
causalité n’est pas linéaire ou déductive mais circulaire.
L’inconscient ericksonien, loin d’être une poubelle à repré-
sentations pulsionnelles refoulées, est une boîte à trésors,
remplie de solutions, de nouvelles fac¸ons (ou anciennes
mais oubliées) de voir et d’agir. La technique sert ici à per-
mettre la créativité, celle du thérapeute bien sûr, mais pour
faire naître celle du patient [26]. Les capacités associatives
du thérapeute ne seront pas employées dans un but explicatif
mais solutionniste.
Certaines situations cliniques sont étonnantes non tant
par le succès thérapeutique mais par le surgissement à un
moment précis d’une intervention « à propos » qui déter-
mine le changement. Les consultations d’Erickson sont
remplies de tels exemples [11, 24], les nôtres aussi parfois.
Mais s’agit-il d’improviser ? De « faire n’importe
quoi » ? Sûrement pas, car cela nécessite un long appren-
tissage, beaucoup d’observation et une certaine flexibilité
pour saisir un élément et laisser glisser l’attention vers une
direction plus opportune, aborder la situation du patient de
fac¸on inédite. Le changement suscité est une boule de neige,
quand un effet se produit il va s’étendre à d’autres domaines.
Erickson enseignait l’intégration de technique et intui-
tion sous la forme du « principe d’utilisation » [4].
L’observation attentive et continue permet de saisir le détail
qui serait la clé du changement et d’en faire un usage théra-
peutique. Mais elle nécessite du thérapeute qu’il soit attentif
en attendant sans rien attendre de spécial [27], qu’il accepte
de se laisser surprendre pour justement « utiliser » dans la
transe hypnotique ce que le client lui amène « comme sur
un plateau », et en « parlant le langage du patient ».
L’intuition, connaissance immédiate et « évidente »
n’est-elle qu’une utilisation synthétique de souvenirs
inconscients ? Comme le souligne P. Bellet, que nous citons
largement ici à ce sujet, c’est une tautologie indémontrable
et plausible, qui ne permet pas pour autant de l’utiliser [4] !
Malgré la faculté de lier des informations, comment expli-
quer les idées nouvelles ? La créativité peut-elle se réduire
à la multiplication des connexions entre les souvenirs ?
De nos jours, les modes d’explication et de connais-
sance valorisent la clarté, la procédure, la preuve, comme
si des jalons préalables étaient l’assurance de conduire à
une bonne fin le processus thérapeutique... L’absence de
cadre inquiète, pas de repères évidents. L’hypnose utilise
la technique comme un procédé élémentaire de base et non
comme un protocole fermé et standardisé.
Alors l’intuition pourquoi pas ? Beaucoup de décou-
vertes scientifiques et non des moindres semblent surgir
du néant, d’une intuition parfois dans un moment de
relâchement : Archimède, Kékulé, Newton, Flemming et
d’autres. L’intuition est une fonction physiologique, pas
une manifestation extraordinaire. Cette fonction associative
est étouffée non seulement par le système de l’enseignement
officiel, mais aussi par les préjugés, les craintes, les
dogmes... et notamment tous ceux qui entourent le mot
hypnose [4] qui désigne à la fois un état, le moyen d’y
parvenir, et ce à quoi il peut servir...
L’intuition, selon Bergson, « est une sympathie
par laquelle on se transporte à l’intérieur d’un objet
pour coïncider avec ce qu’il a d’unique et par consé-
quent d’inexprimable. » Indispensable en thérapie autant
qu’impossible à codifier.
Mais comment apprendre et appliquer quelque chose
qui ne serait pas codifié ? Avoir confiance en soi, en sa
propre liberté plutôt qu’en ses pures connaissances ? Car
faire confiance à la technique peut rassurer. Mais toujours
vouloir se rassurer peut susciter de plus en plus d’angoisse
à la sensation qu’on ne maîtrise pas tout... Trop d’attentes,
trop d’exigence d’efficacité, trop de « vouloir qu’il aille
mieux » peuvent troubler le thérapeute et le patient. On
peut aussi empêcher le changement si on ne croît pas aux
possibilités d’amélioration du patient. Le but est souvent
atteint quand on arrête de trop le poursuivre [18]. Alors
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 88, N◦9 - NOVEMBRE 2012 713
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