4 - Eurocid

publicité
L’Asie et la démocratie : entre blocage et transition ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
Asie du Sud-Est . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
Australie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
Chine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
Inde, Pakistan, Afghanistan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
Japon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
Péninsule coréenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170
4
Asie-Pacifique
Sous la direction de Valérie Niquet
Asie
L’Asie et la démocratie : entre blocages et transition ?
L
’Asie a connu entre 2007 et 2008 plusieurs échéances politiques importantes. Les
élections législatives et présidentielles à Taiwan et en Corée du Sud se sont traduites
par une alternance politique qui confirme la vitalité des démocraties régionales. La
République populaire de Chine (RPC) se situe de plus en plus dans un statut intermédiaire, entre le statu quo et la crainte d’une ouverture mal contrôlée, particulièrement
en cette année olympique. De même, au Pakistan, le retour à la démocratie est amorcé.
Les signes positifs sont donc nombreux en dépit des deux exceptions nord-coréenne
et birmane qui, en dépit de soubresauts politiques ou naturels, demeurent au moins en
apparence fermées à toute évolution politique. Cependant la transition n’est pas achevée
et de nombreuses incertitudes subsistent.
Des démocraties solides
LES ÉCHÉANCES ÉLECTORALES
Les élections qui se sont déroulées en 2007 et 2008 à Taiwan et en Corée du Sud, deux
des plus jeunes démocraties d’Asie, ont confirmé la stabilité des systèmes et leur capacité à l’alternance en dépit des inquiétudes qui s’y expriment régulièrement. Au-delà
des enjeux politiques internes, en partie liés aux incertitudes sur la poursuite de la
croissance, l’alternance s’est également traduite par une réorientation significative sur
la scène internationale.
Dans le cas de la Corée du Sud, la visite du président Lee Myung-bak aux États-Unis
en avril 2008 a entériné la volonté de rapprochement avec Washington et la réactivation
de l’alliance trilatérale avec le Japon et les États-Unis. Loin du discours plus nationaliste
sur l’unité coréenne du président Roh Moo-hyun, on assiste donc à un rééquilibrage au
niveau régional, qui ne sera pas sans conséquence sur l’évolution des pourparlers à six
sur la Corée du Nord (voir l’article de Marianne Peron-Doise).
À Taiwan, la victoire législative du Kuomintang et l’élection de Ma Ying-jeou s’inscrivent dans le jeu démocratique de l’alternance, qui sanctionne la présidence de Chen
Shui-bian, dont la politique intérieure et la stratégie de tension avec Pékin ont déçu.
Grande puissance aux marges de l’Asie, l’Australie a également connu des échéances
électorales importantes en novembre 2007 (voir l’article de Régine Serra). Les conséquences de l’alternance sur la stratégie extérieure de Canberra sont significatives. La
recherche de l’équilibre entre les États-Unis, le Japon et la Chine caractérise la politique
143
4
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Introduction
du nouveau gouvernement australien, dont les ressources naturelles intéressent tout
particulièrement Pékin. Si la RPC a pu se réjouir de l’arrivée au pouvoir d’un Premier
ministre qui maîtrise le chinois, signe fort de l’ancrage asiatique de l’Australie, cette
dernière veut préserver sa liberté de partenariat, avec Pékin mais également Washington,
Tokyo et les pays de l’Association des nations du Sud-Est asiatique (Association of
Southeast Asian Nations, ASEAN).
En Inde, aucune échéance électorale nationale n’a remis en cause le parti du Congrès,
mais la victoire du Parti du peuple indien (BJP) aux élections locales dans certains États
est là aussi venue confirmer la maturité et la stabilité de la démocratie indienne en
dépit des défis considérables de développement qui accompagnent, comme en Chine,
la croissance (voir l’article de Jean-Luc Racine). Plus qu’à une transition politique,
on assiste davantage à une véritable transition réussie dans le domaine économique,
qui s’est traduite par une croissance proche de 10 %, et la reconnaissance sur la scène
internationale du poids des géants de l’économie indienne.
Amorcées en 1991 par le parti du Congrès à la suite de l’effondrement de l’URSS,
principal partenaire économique de l’Inde, puis considérablement approfondies sous
le gouvernement plus libéral du BJP, les réformes économiques indiennes, la politique
d’ouverture sur l’extérieur et la stratégie d’équilibre (si ce n’est de rapprochement)
avec les États-Unis n’ont pas été fondamentalement remises en cause avec le retour au
pouvoir du parti du Congrès. C’est donc l’émergence d’un véritable consensus national
sur les priorités du développement qui apparaît aujourd’hui comme l’élément essentiel
du processus de transformation que le pays a connu depuis plus de 15 ans.
L’inconnue japonaise
LE GOUVERNEMENT EN SUSPENS
Le cas du Japon, démocratie ancienne dont les prémices remontent à l’ère Taisho, se
distingue bien entendu de celui de la Chine, régime autoritaire qui peine à accomplir
les premiers pas d’une transition démocratique. La question du blocage du système
peut toutefois être posée à la suite de la défaite du Parti libéral démocrate (PLD) à la
Chambre haute au mois de juillet 2007 et de la démission du Premier ministre Shinzo
Abe, remplacé par Yasuo Fukuda en septembre (voir l’article de Céline Pajon).
La question du blocage se pose avec d’autant plus d’acuité que les insuffisances et
les divisions du parti d’opposition, le Parti démocratique japonais (PDJ), notamment
en ce qui concerne la clarification de ses positions sur les engagements extérieurs
de l’archipel, sont loin d’avoir été surmontées. Pourtant, les attentes internationales
vis-à-vis de Tokyo et les ambitions internationales du Japon lui-même, dont le statut
marginalisé en Asie et à l’Organisation des Nations unies (ONU) ne correspond pas à
144
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Introduction
celui de deuxième puissance économique mondiale, demeurent importantes. C’est le
cas en Asie du Nord-Est, où le rôle et l’engagement du Japon sont un des facteurs incontournables d’évolution régionale en raison du poids économique de l’archipel.
LA TENTATION DU REPLI
Les incertitudes politiques qui pèsent sur le gouvernement Fukuda et les perspectives
d’alternance politique contribuent à renforcer une attitude de repli plus favorable à un
apaisement des relations au niveau régional que la stratégie plus active et ambitieuse
adoptée par ses prédécesseurs. Ce repli, après une tentation néonationaliste interrompue
par la démission du Premier ministre Abe, se traduit également par un recentrage sur les
niches traditionnelles de la politique étrangère de l’archipel que sont l’environnement
et l’aide au développement. Le montant de cette aide attribuée à l’Afrique a été doublé
lors de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Tokyo
International Conference on African Development, TICAD) qui s’est tenue en mai 2008.
La thématique de l’environnement, essentielle pour Tokyo, constitue également un des
fondements sur lesquels a pu se reconstruire une relation sino-japonaise encore très
ambiguë.
Le discours sur les valeurs communes d’un « camp des démocraties » en Asie, mis en
avant par Shinzo Abe au cours de son bref mandat, a suscité des réactions plus prudentes
qu’enthousiastes, notamment en Inde. En raison de leurs engagements économiques et
stratégiques, les États-Unis demeurent toutefois le premier partenaire –allié ou adversaire – de l’ensemble des États de la région. Les incertitudes électorales et les aléas
de la politique étrangère de Washington contribuent toutefois à prolonger une période
d’attentisme quant à l’évolution future des équilibres stratégiques en Asie.
Des blocages persistants
LES EXCEPTIONS BIRMANE ET NORD-CORÉENNE
À l’inverse d’un processus qui s’est étendu à l’ensemble de l’Asie, toute perspective
de transition démocratique semble rejetée en Birmanie comme en Corée du Nord. En
dépit de l’unanimité des critiques et du coût économique de l’isolement, le choix de la
répression demeure le seul valide, comme l’a démontré la gestion brutale des manifestations de septembre 2007 en Birmanie. Mais le réseau d’alliances qui autorise la survie
de ces deux cas extrêmes tend à se déliter, alors que le régime chinois, très engagé sur
la scène internationale, est lui-même soumis à des pressions de plus en plus fortes de
la part de ses partenaires.
Pékin a ainsi participé activement à la gestion de la crise nucléaire nord-coréenne. Dans
le cas de la Birmanie, si la Chine a soutenu avec prudence le régime lors des émeutes
145
4
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Introduction
de septembre, elle a adopté une attitude radicalement différente de celle de Rangoon à
la suite du tremblement de terre de mai 2008, condamnant implicitement la stratégie de
fermeture imposée par la junte birmane au lendemain du cyclone Nargis (voir l’article
de Nathalie Hoffmann). L’isolement idéologique et la marginalisation des régimes de
Rangoon comme de Pyongyang s’en trouvent d’autant plus aggravés.
LES ÉVOLUTIONS MESURÉES DU SYSTÈME CHINOIS
En Chine, une évolution sensible se fait jour en dépit des blocages persistants du
système, au travers notamment des progrès de la couverture médiatique et des réseaux
de communication plus autonomes. La Chine compte aujourd’hui plus de 250 millions
de téléphones portables, 210 millions d’utilisateurs d’Internet et 35 millions de blogs.
En dépit d’un contrôle strict des échanges sur la Toile, les informations circulent.
Cette évolution se traduit par un engagement, toujours prudent mais croissant, de
la société civile composée d’une classe moyenne urbaine. Loin d’un jeu politique
focalisé sur une dissidence organisée qui rencontre peu d’écho, celle-ci se recentre
aujourd’hui sur des actions bien organisées dans les domaines de l’éducation, de
l’urbanisme et surtout de l’environnement. Ces évolutions se sont encore amplifiées
à la suite du tremblement de terre du 12 mai 2008, qui a provoqué un vaste élan
d’unité et de solidarité au niveau national.
Le XVIIe congrès du Parti communiste chinois (PCC), en octobre 2007, avait été
l’occasion pour la direction du parti et le président Hu Jintao de poser avec une urgence
renouvelée le diagnostic des difficultés auxquelles le régime doit faire face. En mars
2008, l’Assemblée populaire nationale (APN) a fait la même analyse concernant les
réformes nécessaires, y compris les réformes politiques qui font l’objet d’un véritable
débat en Chine aujourd’hui (voir l’article d’Hélène Le Bail). Le Premier ministre Wen
Jiabao, comme Hu Jintao devant le XVIIe congrès, a appelé à une « libération de la
pensée », slogan aux résonances quasi maoïstes qui peut être aussi interprété comme
un appel à la critique des cadres les plus corrompus.
C’est la question de l’efficacité du système qui est ainsi posée, non seulement face
au défi des nécessaires ajustements économiques, mais également face aux contraintes
brutalement révélées par les événements du Tibet et leur gestion chaotique en mars
2008, puis surtout par le tremblement de terre de Wenchuan – véritable choc pour la
population, mais également pour les dirigeants menacés de perdre, s’ils ne renforcent
pas leur légitimité, le « mandat du ciel ».
Un ensemble de questions non résolues se posent en effet. La sélection d’un personnel
compétent est d’autant plus vitale que l’environnement économique international de la
Chine s’est dégradé avec la crise économique qui frappe les États-Unis – un des premiers marchés pour les produits chinois – et l’augmentation du prix de l’énergie et des
matières premières. Ceci dépend pour une large part de la lutte contre une corruption
146
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Introduction
rampante qui menace les performances du système et compromet la volonté de réduction
des inégalités, rendues plus insupportables à la suite du tremblement de terre. La mise
en œuvre des décisions du pouvoir central passe aussi par la reconnaissance de relais
institutionnalisés dans la société civile qui trouve un intérêt direct à la prise en compte
plus efficace des enjeux sociaux, environnementaux et de développement économique
qui la touchent directement.
L’acceptation de ce processus de transition, qui témoignerait des qualités de pragmatisme et d’adaptabilité du régime chinois, demeure toutefois loin d’être certaine. La
crainte du chaos, qui évoque le double contre-exemple de l’effondrement de l’URSS et du
scénario classique des cycles dynastiques, ne plaide pas en faveur d’une évolution rapide.
L’organisation des Jeux olympiques, qui permet de mobiliser l’opinion publique autour
d’une thématique fortement unitaire, a continué à focaliser l’ensemble des énergies. La
volonté d’éviter tout débordement incontrôlable, notamment après les événements du
Tibet, l’a au moins pour un temps emporté sur la prise en compte de la nécessité d’étendre
les réformes au domaine politique. La rationalisation des institutions, avec la création
en mars 2008 de « grands ministères » dotés de pouvoirs accrus, demeure cependant
limitée en l’absence notamment d’un véritable ministère de l’Énergie.
La Chine est par ailleurs confrontée aux évolutions d’une société civile internationale
de plus en plus vigilante, au-delà de la question des droits de l’homme, sur les questions
de qualité, de pollution et de déséquilibre des échanges. Véritable reconnaissance de la
montée en puissance de la Chine en cette année olympique, les attentes se sont multipliées
vis-à-vis du rôle de Pékin sur la scène internationale en Birmanie, en Corée du Nord,
en Iran et au Soudan. L’évolution politique du régime, ou au moins la manifestation de
signes positifs en la matière, s’est en effet trouvée au cœur du débat sur l’attribution
des Jeux olympiques à la RPC.
Dans ce contexte, on a assisté à une nette évolution de la politique chinoise vis-àvis du Japon et de Taiwan. Dans les deux cas, la transition politique à Tokyo comme
à Taipei a facilité cette ouverture. La reprise des contacts au plus haut niveau, avec la
visite du Premier ministre Shinzo Abe à Pékin à l’automne 2007, puis celle du président
Hu Jintao à Tokyo au printemps 2008, a confirmé cette volonté, au moins provisoire,
d’apaisement à l’heure où l’isolement diplomatique menaçait la Chine à la veille des
Jeux. Le Japon est apparu comme un partenaire relativement conciliant, privilégiant une
stratégie d’apaisement avec le grand voisin chinois. À Taiwan, la victoire du Kuomintang
aux élections législatives puis présidentielle, et l’attitude équilibrée de Ma Ying-jeou,
nouveau président de la République, ont favorisé la reprise des contacts sur la base du
statu quo.
Si l’ensemble des scénarios demeurent possibles, celui d’une transition démocratique
maîtrisée, sur le modèle de ce qui s’est produit à Taiwan, en Corée du Sud, aux Philippines
puis en Indonésie entre les années 1980 et les années 1990 ne peut donc être exclu.
147
4
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Introduction
LE RETOUR À LA DÉMOCRATIE DANS UN PAKISTAN DÉCHIRÉ ?
De la même manière, au Pakistan, les élections de février 2008 ont ouvert la perspective
d’une transition démocratique avec l’échec du président Moucharraf mais également des
partis islamistes les plus radicaux. La situation pakistanaise demeure tendue, comme l’a
tragiquement mis en évidence la disparition de Benazir Bhutto à la veille des élections.
La transition démocratique ne garantit en rien une véritable stabilisation régionale, ni
l’apaisement des tensions religieuses exploitées par les groupes les plus radicalisés.
Elle témoigne en revanche, en dépit de difficultés considérables, de la vitalité là aussi
de la société civile urbanisée, dont les aspirations à plus de démocratie ne se sont pas
démenties.
Comme dans le cas chinois, le poids du facteur international ne peut être ignoré.
Tant la Chine que le Pakistan dépendent, à des degrés bien entendu divers, d’un monde
extérieur qui attend des signes d’engagement positif. Dans le cas du Pakistan, et en
dépit de limites considérables, un engagement plus convaincant des autorités dans la
« guerre contre le terrorisme », notamment en Afghanistan, passant sans doute par une
« civilisation » du système interne, est attendu – à commencer par les États-Unis qui
demeurent le principal soutien d’Islamabad.
Progression inéluctable de la démocratie en Asie ?
Alors qu’au début des années 1980 la mise en œuvre des processus démocratiques
dans l’ensemble de la région, au-delà du Japon, de l’Australie et de l’Inde, apparaissait
comme très lointaine, elle s’est considérablement étendue en moins de deux décennies, démontrant la validité du principe qui conditionne la transition démocratique au
développement économique et à l’émergence d’une classe moyenne plus dynamique
et plus ouverte.
Des exceptions en apparence irréductibles semblent toutefois subsister, en Corée du
Nord et en Birmanie, qui demeurent hermétiques à toute évolution qui viendrait mettre
en danger la survie et les intérêts du groupe dirigeant. La situation de la Chine ou celle
du Vietnam n’est pas comparable, alors que les pressions provoquées par le choix de
l’ouverture économique s’accroissent et proviennent autant de la société civile que de
la communauté internationale. Il s’agit moins ici d’interdire toute transition que d’en
maîtriser le rythme au nom d’une stabilité que les régimes en place ont de plus en plus
de mal à garantir.
Ainsi, entre le verre à moitié plein et le verre à moitié vide, la vitalité des sociétés
asiatiques plaide en faveur d’une évolution inéluctable de l’ensemble de la région vers
une organisation politique qui éloigne un peu plus la région du particularisme de la
thèse des « valeurs asiatiques ».
Valérie Niquet
148
Asie du Sud-Est
Vers un poids croissant des menaces
non conventionnelles
Durant l’année écoulée, les pays d’Asie du
Sud-Est ont été confrontés, une fois encore,
à de nombreuses difficultés récurrentes
(menace terroriste, opposition armée,
dérive autoritariste, instabilité sociale et
politique, etc.) que leurs gouvernements
ne parviennent pas à enrayer.
sécurité régionales seront-elles à même de
maintenir la stabilité de la zone ? Autant de
défis qui attendent l’Asie du Sud-Est.
Des transitions politiques
porteuses d’incertitude
Ainsi, l’organisation d’élections en
Thaïlande a certes marqué la fin de la
confiscation du pouvoir par les militaires
(issue du coup d’État du 19 septembre
2006) et le retour d’un régime démocratique, mais de nombreuses incertitudes
continuent à peser sur l’avenir de ce pays.
Quelle coalition sera à même de le stabiliser ? Quelle politique engager vis-à-vis
des rebelles musulmans du Sud du pays ?
Parallèlement, la Birmanie (Myanmar)
divise toujours les membres de l’Association des nations du Sud-Est asiatique
(Association of Southeast Asian Nations,
ASEAN) sur l’attitude à adopter pour favoriser l’ouverture du régime.
• Stabilité et transition : une équation impossible ? Après avoir contrôlé
l’ensemble des travaux de la Convention
nationale chargée d’élaborer une nouvelle
Constitution, et réprimé les manifestations
qui ont suivi l’augmentation du cours des
matières premières (en février puis septembre 2007), la junte birmane a renforcé son
contrôle sur l’ensemble de la société. Les
travaux de la Convention, entamés en 1993,
ont été interrompus plusieurs fois. Selon la
junte, de nouvelles élections « démocratiques et multipartites » devraient suivre en
2010. Les dispositions de ce texte interdisent toutefois à plusieurs membres de
l’opposition de s’y présenter.
Dans ce contexte, la dégradation de la
situation économique (hausse des cours du
pétrole et des matières premières agricoles) constitue un défi majeur pour les gouvernements de la région. En Indonésie, en
Malaisie et aux Philippines, les gouvernements vont devoir gérer le mécontentement
de populations promptes au repli identitaire
(ethnique ou religieux). Parviendront-ils à
faire face à cette situation ou devront-ils
affronter l’émergence de nouvelles contestations, peut-être armées ? Les instances de
La tenue du référendum sur la nouvelle
Constitution annoncé en février 2008 a été
maintenue en mai, en dépit de la catastrophe humanitaire provoquée par le cyclone
Nargis. Arguant de possibles atteintes à la
sécurité nationale et cherchant à se prémunir contre une présence gênante d’observateurs étrangers, le régime a interdit
l’acheminement de l’aide internationale
ne provenant pas des États voisins. Il a
ensuite proclamé le succès du « oui » au
référendum avec plus de 92 % des suffra-
149
4
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Asie du Sud-Est
ges exprimés (et un taux de participation
irréaliste de quelque 99 % du corps électoral). Désormais, l’ASEAN va devoir se
positionner clairement afin de ne pas perdre sa crédibilité devant une communauté
internationale quasi unanime à condamner
les dérives du pouvoir birman.
Au Laos, la situation n’a pas connu
d’évolutions notables. Le régime du Parti
révolutionnaire populaire lao maintient la
population sous contrôle étroit en éradiquant toute opposition potentielle. Pour
ce faire, Vientiane bénéficie de l’aide de
ses voisins (Vietnam, Chine, Thaïlande)
très impliqués dans le développement du
pays (barrages hydroélectriques, complexes hôteliers, infrastructures). La question
de la communauté hmong continue quant à
elle à provoquer quelques remous au plan
tant régional (des milliers de ses membres
demeurent ballottés entre le Laos et les
pays voisins, Thaïlande principalement, où
ils vivent le plus souvent dans des camps
ou en détention) qu’international (plusieurs
centaines de milliers d’entre eux sont installés en Occident). Cette minorité ethnique s’est rangée dès 1945 aux côtés de la
monarchie laotienne contre le mouvement
communiste du Pathet Lao et son allié, le
Viet Minh. Elle s’est successivement alliée
aux Français puis aux Américains durant
la guerre du Vietnam.
Au Vietnam, l’assainissement de la vie
politique (lutte contre la corruption notamment) et la modernisation des instances de
l’État (désengagement de l’armée, de la
police et du parti communiste des structures économiques) s’accompagnent d’un
très net durcissement de la lutte contre les
trafics (stupéfiants, œuvres d’art, etc.). Les
succès annoncés par les autorités dans ce
domaine ne font pourtant pas oublier la
politique extrêmement dure du régime à
l’encontre de toute source potentielle de
contestation.
En Malaisie, les divisions affectant le
Front national (Barisan Nasional), coalition au pouvoir, se sont amplifiées après les
élections générales de mars 2008 – suite à
la perte de la majorité des deux tiers à l’Assemblée nationale et au passage à l’opposition de cinq des 13 États de la fédération.
Par ailleurs, la levée de l’interdiction d’activité politique du principal adversaire du
pouvoir, Anwar Ibrahim, le 15 avril 2008,
donne une visibilité plus grande à l’opposition. Si celle-ci reste fractionnée en
plusieurs courants de pensée sur les grands
sujets de société qui divisent le pays depuis
son indépendance en 1957 (maintien ou
réforme de la politique de discrimination
positive, place de l’islam dans la société
malaisienne), elle bénéficie toutefois du
ralliement de nombreux électeurs déçus
par la coalition gouvernementale. Ainsi,
la décision des autorités de répercuter
l’augmentation du prix du carburant fait
d’ores et déjà l’objet dans la population
d’importantes critiques relayées par une
opposition encline à fustiger les orientations gouvernementales. Face aux tensions
ethniques et aux difficultés économiques
que rencontre le Premier ministre Abdullah
Ahmad Badawi, Anwar Ibrahim a déjà
pronostiqué qu’il pourrait s’emparer du
pouvoir assez rapidement.
Aux Philippines, les scandales et appels
à la démission de la présidente Gloria
Macapagal Arroyo se poursuivent. Les
tentatives de coup d’État rappellent les
fractures qui minent ce pays et les difficultés auxquelles sont confrontées les
150
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Asie du Sud-Est
forces armées dans la réalisation de leurs
missions. La question de leur statut et
des moyens alloués continue à poser de
nombreux problèmes en dépit d’importants changements à la tête de la hiérarchie
militaire. Pour tenter de satisfaire les forces armées, le gouvernement a d’ailleurs
proclamé l’amnistie des responsables de la
mutinerie de 2003 et accordé aux militaires
une augmentation de solde de 10 %.
Le Timor-Leste, indépendant depuis
2002, demeure extrêmement fragile,
comme le démontre la succession des troubles politiques et socioéconomiques qui
agitent le pays. Le blocage institutionnel
qui avait suivi le scrutin du 30 juin 2007
n’a pu être levé qu’après la désignation
du président sortant Xanana Gusmao au
poste de Premier ministre début août.
L’hostilité en a été accrue entre le pouvoir
et le Front révolutionnaire pour l’indépendance du Timor oriental de Mari Alkatiri
(Frente Revolucionario do Timor Leste
Independente [FRETILIN], mouvement
politique constitué en mai 1974 dans le
sillage du Mouvement des forces armées
lisboète qui réclamait l’indépendance de
l’ensemble des possessions portugaises).
Les divisions affectant la classe politique
n’ont pas manqué de générer de nouveaux
soubresauts : manifestation d’hostilité
de partisans du FRETILIN à l’égard du
Premier ministre et des forces internationales présentes sur le territoire (Force de
stabilisation internationale présente depuis
juin 2006 et sous commandement australien, et Mission intégrée des Nations unies
au Timor-Leste [MINUT] instaurée en août
2006 et composée de policiers), tentative
d’attentat contre le président et le Premier
ministre en février 2008. Les différents
facteurs d’instabilité (grande pauvreté,
chômage, déplacements de personnes, discriminations ethniques, criminalité importante, revendications des forces de l’ordre,
etc.) rendent impossible la formation d’un
État stable et justifient la prolongation de
la présence de forces étrangères.
• Pas de solution au problème de la violence ? La mise en place d’un nouveau
gouvernement élu en Thaïlande n’a pas
fondamentalement changé la situation
sécuritaire. Les provinces musulmanes
du Sud du pays (de fond ethnique majoritairement malais) demeurent confrontées
à de nombreux actes de violence et à des
attentats terroristes dus aux éléments islamistes radicaux (fin mars 2008, le bilan
des violences causées par les séparatistes
a dépassé les 3 000 morts), et il est toujours impossible d’amener les différents
protagonistes à négocier.
De même, en dépit de la politique de
fermeté de la présidente Gloria Macapagal
Arroyo, la situation sécuritaire aux
Philippines n’a pas non plus connu d’amélioration. Le déploiement d’importants
moyens militaires destinés à contrer la
guérilla communiste (Nouvelle armée du
peuple) et les mouvements musulmans,
tel le groupe Abou Sayyaf, ne connaît que
des résultats mitigés. La volonté affichée
d’éradiquer ces menaces d’ici la tenue des
prochaines élections en 2010 se heurte
tout autant à des difficultés opérationnelles dans la lutte contre des mouvements
de guérilla qu’à des complications politiques, dues notamment à une difficulté à
mener en parallèle des négociations avec
les autres mouvements musulmans dans le
Sud de l’archipel et aux critiques persistantes, voire systématiques, de toutes les
151
4
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Asie du Sud-Est
actions menées par la présidente ou son
entourage.
En Indonésie, la tendance est toutefois à l’amélioration. Ainsi, la situation
sécuritaire s’est stabilisée dans plusieurs
régions en crise (à Aceh et en Papouasie).
Par ailleurs, une contestation populaire a
surgi contre les actions violentes menées
par des groupes radicaux ou leurs « milices » (Front Pembela Islam par exemple).
Cependant, des tentatives individuelles
ou collectives pour contrôler l’exploitation des ressources naturelles, ainsi que la
multiplication des trafics transnationaux,
engendrent des violences nouvelles sur le
territoire de l’archipel.
• Les risques d’une « internationalisation » de la violence. La question des
mouvances terroristes transnationales
(telle la Jemaah Islamiyah) n’a toujours
pas trouvé de solution. Malgré l’hostilité
de la majorité des populations de la zone
au phénomène terroriste et le renforcement
de la coopération régionale, des cellules
radicales continuent à s’implanter. La plupart s’appuient sur les réseaux nationaux
existants (madrasas). D’autres bénéficient,
à des degrés différents, de l’aide de cellules
basées à l’étranger. Ainsi, les islamistes
indonésiens Agus Purwantoro et Abdul
Rohim ont-ils été arrêtés en Malaisie : les
deux hommes sont, entre autres, impliqués
dans des actes de terrorisme ainsi que la
décapitation d’écolières chrétiennes dans
l’île de Célèbes. Les financements dont
peuvent bénéficier ces structures terroristes restent difficiles à appréhender dans
leur globalité pour les États de la région.
Cette problématique des cellules transnationales est rendue encore plus complexe
par l’ampleur du phénomène djihadiste
dans le monde. Les possibilités de mobilisation de petites cellules autonomes voire
d’individus isolés doivent désormais être
prises en compte. Procédant par contacts
humains directs (rendez-vous, fréquentation de lieux communs, formations), les
nouveaux modes de recrutement de djihadistes posent aux autorités de nouveaux
défis sécuritaires, accentués par la nature
archipélagique de plusieurs États de la
région (Indonésie et Philippines).
Les questions de
développement,
facteurs clés de la stabilité
Les États de la région accordent désormais
une importance de plus en plus grande aux
facteurs de déstabilisation « non conventionnels ». À la lutte contre le terrorisme
et la prolifération des armes de destruction
massive s’ajoutent désormais des problématiques plus larges (sécurité alimentaire,
des approvisionnements et des réserves
énergétiques, protection de l’environnement et des espèces, etc.).
• Un développement lent à mettre en
place. Parmi les principaux problèmes
auxquels sont confrontés les pays d’Asie
du Sud-Est sortant de périodes de conflits
ou traversant de grandes difficultés de
développement figurent la démographie,
l’alimentation et l’éducation. L’exemple du
Timor-Leste est à ce titre particulièrement
éloquent : un taux de fécondité de plus de
sept enfants par femme, une dépendance
de l’ordre de 60 % en matière d’approvisionnement en riz et seulement 20 % des
jeunes disposant d’une formation scolaire
du niveau du lycée. Plusieurs populations
de la région sont également affectées à
152
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Asie du Sud-Est
des degrés variables par des problèmes
de malnutrition ou de santé qui, faute de
moyens, ne sont pas pris en charge par les
gouvernements. L’augmentation importante des prix des matières de première
nécessité (alimentation et carburant) est
dans ce contexte susceptible de déboucher,
comme précédemment en Indonésie ou en
Birmanie, sur des contestations des pouvoirs en place.
• Le poids croissant des menaces non
traditionnelles. Les sources potentielles
de déstabilisation sont diverses et nombreuses. La période qui a suivi la crise
financière de 1997 avait ainsi donné lieu
à des tensions sur des sujets aussi variés
que la pêche, les feux de forêt ou la prise en
charge des problèmes de pollution qui ont
contribué à une détérioration des relations
entre plusieurs membres de l’ASEAN.
tiers les plus défavorisés de Manille. Dans
le même temps, le chef d’état-major philippin a appelé les habitants à consommer
des pommes de terre pour réduire la pression sur le riz, dont le prix a doublé. En
Indonésie, où l’élection présidentielle doit
se tenir en 2009, le gouvernement a fourni
des subventions sur l’huile de cuisson et
organisé des distributions de riz. Enfin, au
Vietnam, malgré une croissance annuelle
de plus de 8 %, des mouvements sociaux
ont surgi suite à la flambée des prix des
produits de première nécessité. De fait, les
mois à venir pourraient s’avérer extrêmement délicats à gérer pour la plupart des
gouvernements de la région qui, outre les
facteurs de déstabilisation traditionnels,
risquent de devoir faire face à de nouveaux
troubles sociaux.
N. H.
L’actuelle dégradation de la situation
économique découlant de catastrophes
naturelles et d’une mise en valeur anarchique des zones d’exploitation (minière,
forestière, halieutique, etc.) risque à terme
d’avoir des effets déstabilisants sur les pays.
Déjà, aux Philippines, la tension a contraint
l’armée à assigner des troupes, début avril
2008, à la distribution de riz dans les quar-
153
Pour en savoir plus
Hoffmann, N. (2000), « Les questions d’environnement en Asie du Sud-Est et leurs
répercussions en matière de sécurité régionale », La Revue internationale et stratégique, n° 39, automne.
Lacroze, L. (1998), L’aménagement du
Mékong : 1957-1997, l’échec d’une grande
ambition ?, Paris, L’Harmattan.
4
Australie
Un nouvel acteur asiatique ?
Après une décennie d’administration
conservatrice sous la direction du Premier
ministre John Howard, Kevin Rudd, le chef
du plus vieux parti australien, le Parti
travailliste (Labor Party), remportait les
élections fédérales le 24 novembre 2007,
devenant le 26e Premier ministre. Bien que
les électeurs aient largement sanctionné
John Howard pour sa politique nationale,
et notamment industrielle, en optant pour
le Labor Party, ils permettaient aussi un
réajustement de la politique étrangère australienne, largement amarrée à la politique
étrangère américaine sous le mandat de
John Howard, et ce, particulièrement après
le 11 septembre 2001.
Construire avec la Chine
Originaire du Queensland et diplômé en
langues et civilisations orientales (mandarin) de l’Australian National University
(ANU), grande université australienne,
Kevin Rudd n’allait en effet pas tarder à
lancer de nouvelles grandes orientations
diplomatiques. Au sommet de l’Asia-Pacific Economic Cooperation (APEC) qui se
tenait à Sydney en septembre 2007, Kevin
Rudd avait déjà brillé par sa conversation
en mandarin avec le président Hu Jintao. Il
réitérait l’exercice lors de la dernière étape
chinoise de sa tournée internationale en
mars-avril 2008, lorsqu’il prononça devant
un parterre d’étudiants de l’Université de
Pékin (Beida) un discours dans un mandarin parfait. L’ensemble des médias inter-
nationaux en ont souligné la prouesse ; les
médias chinois en faisaient de leur côté
usage pour servir la grandeur chinoise et
souligner le rapprochement sino-australien, n’hésitant pas à gommer les allusions
courageuses de Kevin Rudd aux difficultés persistantes de la Chine, notamment
en matière de droits de l’homme. C’était
oublier que Kevin Rudd avait rédigé sa
thèse de doctorat sur un des plus grands
dissidents chinois, Wei Jinsheng…
Lors de son discours de politique générale, Kevin Rudd avait ainsi défini ce que
devait être la relation de l’Australie avec
les États-Unis et la Chine. Selon lui, tous
deux étaient de « grands amis », mais les
États-Unis étaient bien l’« allié » stratégique lorsque la Chine en était le « partenaire » naturel. La réaffirmation des
relations spéciales australo-américaines
nouées depuis le traité de sécurité conclu
par l’Australie, la Nouvelle-Zélande et
les États-Unis (Australia, New Zealand,
United States Security Treaty [ANZUS])
de 1951 était d’autant plus nécessaire
que les premières actions diplomatiques
engagées par Kevin Rudd tendaient à
démarquer Canberra de Washington. Le
3 décembre 2007, l’Australie rejoignait les
signataires du protocole de Kyoto, laissant
les États-Unis dans la situation inconfortable de seul État industrialisé refusant ces
directives environnementales. Plus symboliquement encore, Kevin Rudd annonçait
le retrait des 550 hommes des unités de
154
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Australie
combat stationnées en Irak. Ce mouvement
allait de soi, puisqu’en 2003, alors qu’il
était ministre des Affaires étrangères du
Shadow Cabinet du Labor Party, Kevin
Rudd avait déjà invité John Howard à ne
pas s’engager auprès des États-Unis sur le
terrain irakien. Cependant, l’annoncer dès
son investiture marquait un revirement brutal de la politique étrangère australienne.
Préserver la relation avec
les États-Unis
Après le retrait quelques mois plus tôt
des forces d’autodéfense japonaises, les
États-Unis perdaient un nouvel allié de
taille dans la bataille irakienne et étaient
encore davantage isolés dans les choix
stratégiques promus au Moyen-Orient. En
privilégiant le déploiement de troupes de
sécurité, probablement aux frontières, et
de reconstruction, Canberra plaçait sa politique étrangère au Moyen-Orient dans le
sillage des options promues également par
les Nations unies. La présence australienne
en Afghanistan, reconfirmée – de même
que la reconnaissance du Kosovo indépendant –, participait de ce même engagement
dans la coopération multilatérale onusienne. Enfin, le mouvement amorcé en
direction de l’Inde par John Howard, après
le rapprochement nucléaire indo-américain
de 2007, visant à inscrire l’Australie dans
un processus de consolidation des relations
stratégiques entre grandes puissances de
l’Asie-Pacifique, était tempéré par Kevin
Rudd : une diplomatie articulée autour de
valeurs démocratiques – comme le souhaitait très publiquement l’ancien Premier
ministre japonais Shinzo Abe – n’était pas
à son goût et risquait d’envoyer des signaux
de containment à Pékin.
Dans ce contexte, il était essentiel pour le
gouvernement australien de rassurer l’allié
de toujours, pour garantir l’engagement
américain dans une région qui reste instable du fait de multiples crises sécuritaires
irrésolues (péninsule coréenne, Taiwan) et
de catastrophes naturelles déstabilisatrices
(tsunamis, typhons, tremblements de terre).
Ce fut le sens de la visite de Kevin Rudd aux
États-Unis, première étape de sa tournée
internationale. Au cours de celle-ci, l’accent fut surtout mis sur le rôle de médiateur que pourrait jouer Canberra dans les
affaires asiatiques, de par la connaissance
inédite chez un Premier ministre australien des questions politiques chinoises – le
président Bush n’a pas caché son admiration pour l’expertise chinoise de Kevin
Rudd – mais aussi du fait de l’implication
continue de l’Australie auprès de grands
acteurs régionaux. En effet, Tokyo, premier
allié régional des États-Unis, occupe une
place ancienne dans la diplomatie australienne et a signé avec Canberra, en mars
2007, un traité de coopération militaire historique – le deuxième accord de ce type
pour le Japon. L’implication australienne
au Timor-Leste dès 1999 par l’envoi de
troupes de maintien de la paix, puis à partir de 2004 par une action diplomatique
soutenue, fait de Canberra un interlocuteur clé de l’Indonésie, acteur stratégique
subrégional. En février 2008, un accord
de sécurité était signé entre Djakarta et
Canberra. La coopération militaire dans les
eaux régionales pour lutter contre les actes
de piraterie a également fait de l’Australie
un partenaire fiable pour plusieurs pays de
la région. De même, sa présence maritime
dans le Pacifique-Sud contribue à freiner
les velléités expansionnistes chinoises.
L’invitation faite en 2006 à l’Australie par
155
4
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Australie
plusieurs pays de la région pour qu’elle
rejoigne le Sommet de l’Asie de l’Est
consacrait son rôle grandissant et stabilisateur dans la région. Initialement contestée
par la Chine – l’Australie de John Howard
était avant tout un allié américain –, l’Australie de Kevin Rudd dans cette nouvelle
instance de dialogue régional pourrait
désormais servir les intérêts chinois.
Devenir un médiateur régional
En se positionnant comme une puissance
moyenne sans autre ambition stratégique
que la stabilité de son environnement
asiatique, avec lequel elle opère plus de
la moitié de ses échanges commerciaux
en forte augmentation annuelle (+ 15 %
par an), l’Australie se projette comme un
médiateur régional crédible. Bien que plusieurs analystes aient souligné la baisse du
budget du ministère des Affaires étrangères alors que Kevin Rudd engageait le pays
dans une politique diplomatique active de
repositionnement régional et international, la formation des élites asiatiques, qui
viennent en nombre important et croissant
remplir les rangs des meilleures universités
australiennes, devrait contribuer à terme
à renforcer la place de l’Australie dans la
région, de même que l’accueil de migrants
en provenance d’Asie du Sud-Est en particulier.
« Australie 2020 », grande réflexion sur
l’avenir de l’Australie engagée par le gouvernement Rudd, participait aussi à cette
quête de positionnement pour un pays à
l’histoire récente. Réunissant 1 000 figures pensantes australiennes à Canberra les
19 et 20 avril 2008, Kevin Rudd lançait une
vaste campagne nationale autour de plusieurs thèmes majeurs pour l’avenir de la
nation australienne. Son mouvement historique en direction des aborigènes en février
2008 et les excuses qu’il leur présentait au
nom de l’État pour des générations volées
furent un geste politique majeur, même
si aucune compensation financière pour
les actions commises contre ce peuple
n’était encore délivrée. De même, pour la
première fois dans l’histoire politique australienne, la nomination de deux femmes à
des postes clés, Julia Gillard comme vicePremier ministre et surtout Quentin Bryce
au poste de gouverneur général – en qualité
de représentante de la couronne britannique –, augurait également un tournant dans
la société et la vie politique australiennes.
Ces mouvements à l’échelle nationale
confirmaient l’engagement international
de Kevin Rudd dans la lignée des valeurs
onusiennes.
R. S.
156
Chine
Accueillir les Jeux olympiques
Pour la Chine, 2008 est une année clé,
marquée par l’accueil en août des Jeux
olympiques (JO) de Pékin, qui ont soulevé
des attentes importantes dans la société
civile tant chinoise qu’internationale. Des
promesses de réformes avaient été formulées lors de l’attribution des Jeux mais,
à la veille de la tenue de l’événement, la
question de l’évaluation de son impact est
posée. Au cours de l’année qui a précédé
les JO, l’orientation vers plus de réformes sociales a été confirmée, mais dans
le même temps l’approche des Jeux semble
avoir renforcé les craintes des autorités et
la répression dans divers domaines.
Les attentes déçues et l’opportunité
créée par la surmédiatisation des Jeux
ont encouragé les critiques à l’égard du
régime. La Chine a ainsi dû faire face à
des émeutes dans la région autonome du
Tibet ainsi qu’aux tensions diplomatiques
engendrées par le passage mouvementé de
la flamme olympique dans les pays occidentaux. Un séisme meurtrier est encore
venu marquer cette année 2008 hors norme
pour la Chine. Tous ces événements ont
constitué autant de tests quant à la légitimité du régime en place, sa capacité à
protéger sa population et la réalité du sentiment d’unité nationale.
Un impact sociopolitique
ambivalent
L’octroi des JO de 2008 à la ville de Pékin,
décidé par le Comité international olympi-
que (CIO) en 2001, avait soulevé un débat
intense sur l’impact que pouvait avoir un
tel événement sur les réformes politiques.
Prenant pour exemple le cas de la Corée du
Sud qui avait accueilli les Jeux de 1988,
certains considéraient que l’organisation
d’un tel événement international aurait
immanquablement un impact positif en termes d’intégration dans le système-monde
et par conséquent d’acceptation de normes
dites universelles. D’autres au contraire
considéraient que ce choix signait l’abandon de toute volonté de faire réellement
pression sur les caractéristiques les plus
répressives du régime. À la veille des Jeux,
le bilan est mitigé. Si le manque d’évolution politique en termes de protection des
droits de l’homme et de liberté d’expression est dénoncé, le duo formé du président Hu Jintao et du Premier ministre Wen
Jiabao continue à donner aux décisions
politiques une tournure plus humaniste.
• Poursuite de la politique de rattrapage social. Les autorités chinoises sont
conscientes du fait que les déséquilibres
sociaux et le mécontentement croissants
sont des facteurs d’instabilité pour le pays.
Les grands rendez-vous politiques de l’année qu’ont été le Congrès du Parti communiste chinois (PCC) en novembre 2007
et l’Assemblée populaire nationale (APN)
en mars 2008 ont confirmé la volonté des
autorités d’opérer un rattrapage social pour
contrebalancer les réformes économiques
menées depuis deux décennies. Les principales avancées ont concerné l’extension
157
4
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Chine
d’un système de sécurité sociale mutualisé
dans les zones rurales, l’entrée en application d’une loi sur le contrat de travail
(qui pose les bases pour la négociation de
conventions collectives) et la reconnaissance des travailleurs migrants qui pour la
première fois ont été représentés à l’APN.
Dans son discours d’ouverture de la session inaugurale de la 11e APN, Wen Jiabao
a annoncé la présentation prochaine d’un
projet de réforme longtemps attendu visant
à créer une assurance santé. Il a également
annoncé l’allocation par le gouvernement
central de 83,2 milliards de yuans pour la
réforme et le développement du secteur de
la santé (16,7 milliards de plus que l’année
précédente).
Le gouvernement central est aussi
conscient du fait que les aspirations à une
libération de la pensée se font de plus en
plus pressantes, portant souvent sur des
questions moins politiques que liées à
l’environnement ou au droit de propriété,
qui engage fondamentalement les intérêts
d’une société civile naissante. C’est précisément ce terme de « libération de la
pensée » que Wen Jiabao a utilisé dans
son discours devant l’APN, en écho au
discours du président Hu Jintao lors du
XVIIe congrès, faisant référence à un débat
plus large qui se développe au sein du PCC
sur la nécessité d’accepter l’émergence,
tout en la canalisant, d’une « société civile
moderne » basée sur une multitude d’organisations non gouvernementales (ONG)
et de groupes religieux.
• Travailleurs exploités et militants
réprimés. Malgré ces évolutions, nombreux sont les ONG et militants étrangers
ou chinois qui soulignent que la préparation de la Chine aux JO a pu avoir un
impact négatif sur le respect des personnes
et de leurs droits. Les chantiers pharaoniques lancés à Pékin, tel le village olympique, ont certes été l’occasion de prouesses
architecturales, mais n’ont pas eu d’effet
positif sur les droits des travailleurs, en
particulier des travailleurs migrants (les
mingong venus des zones rurales) qui n’ont
toujours pas obtenu un statut égal aux résidents des villes. D’autre part, avant d’accueillir des milliers de touristes, la ville
a tenté de rejeter les individus les plus
démunis vers les périphéries, voire vers
les campagnes dont ils étaient originaires,
quand ils ne disposaient pas d’un « permis
de séjour » officiel en ville. En outre, les
poursuites pénales à caractère politique
à l’encontre des défenseurs des droits de
l’homme, voire des militants écologistes,
se sont accrues au cours des mois qui ont
précédé les Jeux. Le cas le plus médiatisé a été celui de Hu Jia, connu pour son
implication en faveur des porteurs du VIH
et jugé le 18 mars 2008 pour incitation à
la subversion.
De toute évidence, avec l’arrivée des JO,
les autorités chinoises sont sur la défensive. Elles veulent éviter que la tenue de
cet événement mondial ne soit l’occasion
d’un débordement alors que les inégalités
et le mécontentement sociaux s’expriment
plus ouvertement. Avec la croissance, le
fossé entre riches et pauvres se creuse
et la Chine, avec un cœfficient de Gini
de 0,5, est devenue un des pays les plus
inégalitaires d’Asie. La reprise de l’inflation, qui a touché particulièrement les produits alimentaires de première nécessité,
est venue renforcer ces inégalités et les
attentes de la population, y compris dans
les zones urbaines les plus développées.
158
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Chine
La légitimité du régime mise
à rude épreuve
l’extérieur par le régime tibétain en exil
ou s’agit-il de manifestations spontanées ?
Face à ces attaques, le pouvoir chinois a
dans un premier temps réagi par la fermeture de la région aux médias étrangers et
par le contrôle d’Internet sur l’ensemble
du territoire. La priorité pour Pékin était
de contrôler tout mouvement touchant à la
question essentielle de l’unité nationale.
• Revendications indépendantistes.
Difficile de savoir encore exactement ce
qui s’est passé au Tibet. Le 14 mars, des
émeutes explosent à Lhassa puis dans
d’autres régions chinoises habitées par
des Tibétains. Alors que les médias chinois
insistent sur les violences perpétrées par
les Tibétains contre les Han, les médias
occidentaux mettent en avant la répression par l’armée chinoise. La polémique
concernant l’origine de ce soulèvement
est également vive : a-t-il été fomenté de
• Tensions diplomatiques. Le relais de
la flamme olympique, partie d’Olympie le
25 mars pour arriver à Pékin le 8 août, a été
l’occasion, dans la première partie de son
parcours, de nombreuses manifestations en
faveur du peuple tibétain et du respect des
droits de l’homme en Chine. La cérémonie
de passage a été particulièrement perturbée
durant les étapes de Londres, Paris et San
Francisco. La polémique autour des émeutes tibétaines a ainsi pris de l’ampleur et la
question de la participation des dirigeants
La question de la légitimité du régime en
place est aujourd’hui centrale en Chine.
La nécessité de renforcer cette légitimité
permet de comprendre en grande partie la
gestion des crises qui ont frappé la Chine
cette année.
Reprise du dialogue avec le Tibet et Taiwan
du retour au dialogue, d’une part, avec
les représentants du peuple tibétain en
exil et d’autre part, avec Taiwan. Dans les
deux cas, la Chine craint les forces proindépendantistes de ces régions qui sont
pour elle des provinces inaliénables de la
nation. Toutefois l’attitude des autorités
chinoises vis-à-vis de ces deux cas semble
contradictoire. Du côté tibétain, la Chine
se montre réticente à faire avancer le
dialogue et le discours officiel à l’égard
du dalaï-lama reste extrêmement critique.
Si une nouvelle rencontre entre représentants des deux parties a eu lieu à Shenzhen
le 4 mai, les pressions internationales suite
aux événements de Lhassa semblent y être
pour beaucoup.
Du côté taiwanais, au contraire, les deux
parties semblent désireuses de faire évoluer la situation depuis l’élection du président Ma Ying-jeou en mars. Le dialogue
qui avait connu son apogée en 1993 avait
été suspendu en 1995 en opposition au discours considéré comme pro-indépendantiste du président taiwanais de l’époque, Li
Teng-hui. Lors de son investiture, Ma Yingjeou a insisté sur sa volonté d’accélérer la
normalisation des relations économiques
et culturelles avec la Chine. Celle-ci y est
favorable, mais le dialogue devrait être
plus délicat concernant le désir taiwanais
d’une plus grande visibilité sur la scène
internationale et le retrait partiel des missiles dans le détroit.
159
4
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Chine
occidentaux à la cérémonie d’ouverture des
Jeux a été posée. La réaction des autorités,
mais aussi de la population, et les appels
au boycott des produits français ont révélé
combien cet événement était hautement
symbolique de la réussite économique
et de l’émergence de la nation chinoise.
Les résultats économiques et la stabilité
nationale, indéniables succès, ainsi que la
reconnaissance de la Chine sur la scène
internationale, sont précisément au cœur
de la légitimité du régime aujourd’hui.
• Catastrophes naturelles. Troisième
épreuve pour la stabilité politique et
sociale de la Chine à la veille de l’ouverture des JO, le tragique tremblement de
terre du 12 mai. Ce séisme dans la région
du Sichuan a fait près de 80 000 victimes. Dans un contexte politique tendu,
son impact a été important. Au niveau des
relations extérieures, il a permis d’apaiser
le dialogue et de réaffirmer l’intégration
de la Chine dans la société internationale
suite à l’ouverture de ses portes à l’aide
étrangère. L’accueil très médiatisé de l’aide
japonaise et taiwanaise a été aussi le moyen
de confirmer la volonté d’apaisement de
Pékin à la suite de la visite du président Hu
Jintao à Tokyo début mai et de la reprise du
dialogue avec la nouvelle direction taiwanaise plus favorable au statu quo. Sur le
plan intérieur, les autorités ont répondu
de manière efficace et émotionnelle, soulignant la proximité des dirigeants avec le
peuple chinois et la solidarité nationale.
Cet événement tragique qui pouvait être
source de déstabilisation a plutôt resserré
les liens nationaux et semble, au contraire
des événements tibétains, avoir libéralisé
l’accès à l’information et donné une plus
grande place à la société civile.
Cette année exceptionnelle a souligné combien la politique de réformes et
d’ouverture menée par la Chine est un
exercice difficile pour les autorités, de
même que la question non résolue de la
transition politique maîtrisée. S’il y a eu
un durcissement à l’égard de la liberté
d’opinion et d’expression, la gestion du
séisme a laissé entrevoir une plus grande
attention à l’égard de l’opinion publique.
Une fois la tension des Jeux passée, la
tendance générale vers plus de réformes
sociales pourrait se confirmer, l’impact
politique tant attendu n’étant que différé.
Cette année d’expression des dissensions
et de la solidarité nationale a souligné à la
fois la volonté chinoise de rester maîtresse
de sa trajectoire et son immanquable intégration dans le système mondial.
160
H. L. B.
Pour en savoir plus
Amnesty International (2008), Droits humains
en Chine. Le revers de la médaille, Paris,
Autrement.
Politique étrangère (2008), dossier « Chine »,
n° 2/2008.
Vermander, B. (2007), Chine brune ou Chine
verte ?, Paris, Presses de Sciences-Po.
Inde, Pakistan, Afghanistan
À la recherche de la stabilité
Un changement important s’est produit ces
dernières années sur le plan stratégique
dans le continuum territorial courant de
l’Afghanistan à l’Inde : désormais cible
du terrorisme, le Pakistan doit inventer une
nouvelle politique de voisinage où l’instrumentalisation des partisans du djihad n’est
plus de règle. Les enjeux de cette inflexion
dépassent le cadre d’une région qui est, de
longue date, un des points chauds du globe,
entre le Moyen-Orient, l’Asie centrale et
les puissances émergentes que sont l’Inde
et la Chine.
L’héritage : les logiques
de tension
Deux paradigmes dominaient jusque-là.
Le premier, depuis 1947, était défini par
l’antagonisme entre l’Inde et le Pakistan.
Trois guerres avaient opposé les deux pays,
en 1948, 1965 et 1971. L’insurrection au
Cachemire, à compter de 1989, fut soutenue par les services pakistanais qui infiltrèrent côté indien des combattants du djihad
dès 1993. Avec la nucléarisation ouverte
des deux pays en 1998, le sentiment d’incertitude ne fit que croître. Il s’accrut
encore avec la courte guerre de Kargil en
1999, le retrait pakistanais sous pression
américaine étant bientôt suivi par le coup
d’État du général Moucharraf. L’attentat
contre le Parlement indien à New Delhi en
décembre 2001 raviva la tension entre les
deux pays, qui mobilisèrent leurs troupes
le long de leur frontière commune jusqu’à
l’automne 2002. Au terme de ces années
tendues, il apparut aux deux parties que
l’hypothèse d’une guerre limitée sous
parapluie nucléaire était décidément très
risquée. En 2003, des contacts secrets et
des propositions ouvertes (dont un cessezle-feu sur la ligne de contrôle) ouvrirent
la voie au dialogue, qui dure désormais
depuis 2004 de façon très structurée.
Le deuxième paradigme était défini par
l’intérêt majeur que le Pakistan portait à
l’Afghanistan à deux égards : d’une part,
l’Afghanistan n’avait jamais reconnu formellement la « ligne Durand », frontière
coloniale tranchant les terres pachtounes ;
d’autre part, Islamabad a toujours cherché à éviter la prise en tenailles entre New
Delhi et Kaboul. C’est pourquoi le général
Zia-ul-Haq avait fait du Pakistan un « État
du front » contre les Soviétiques entrés en
Afghanistan en 1979. On sait ce qu’il en
advint : une décennie de lutte des moudjahidin appuyés à la fois par Islamabad,
Washington et Riyad, puis, pour reprendre la main à l’heure post-soviétique des
conflits entre moudjahidin, l’injection
par Islamabad de nouveaux combattants,
afghans, mais largement sortis des madrasas pakistanaises : les Talibans.
Le nouveau contexte
post-11 septembre
Les contrecoups du 11 septembre 2001
ont bouleversé ce scénario, en poussant
le général Moucharraf à changer de ligne
161
4
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Inde, Pakistan, Afghanistan
vis-à-vis des Talibans. Le Pakistan redevenait un « État du front » pour Washington,
dans la lutte contre Al-Qaida cette fois.
Islamabad avait laissé les Talibans afghans
(et leurs compagnons arabes ou ouzbeks)
trouver des sanctuaires dans les zones tribales pakistanaises jouxtant la frontière
afghane, en concentrant ses coups, avec de
notables succès, contre les cellules d’AlQaida actives dans les grandes villes du
pays. Côté Cachemire, Pervez Moucharraf
avait été ambigu, en jugulant les réseaux du
djihad sans les démanteler – une politique
risquée à l’heure où il « mettait de côté » les
vieilles résolutions de l’Organisation des
Nations unies (ONU) appelant à un référendum au Cachemire, et entrait dans un
dialogue de longue haleine avec l’Inde.
L’enlisement afghan
Presque sept ans après la rapide victoire
de la coalition mandatée par les Nations
unies sur le régime taliban, l’incertitude
prévaut en Afghanistan. Les espoirs formulés lors de la conférence de Bonn fin 2001,
renouvelés avec le maintien au pouvoir
d’Hamid Karzaï (élu président en 2004)
et la conduite des élections législatives de
2005, ont fait place à de grandes inquiétudes. Le nouvel appareil d’État (armée,
police, justice, administration, structures
de développement) demeure inachevé. Ni
les tractations avec les « chefs de guerre »,
ni les « équipes de reconstruction provinciales » n’ont permis à Kaboul d’imposer
sa loi sur tout le territoire national. La
culture de l’opium (93 % de la production
mondiale en 2007) équivaut à la moitié
d’un produit national brut (PNB) officiel
en forte hausse, mais insuffisant pour vaincre la pauvreté.
Les forces d’élite de l’opération « Liberté
immuable », conduites par les commandos
américains, n’ont pas capturé Oussama
Ben Laden, et l’entrée en lice de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord
(OTAN), qui coordonne les opérations de
la Force internationale d’assistance à la
sécurité (FIAS) depuis 2003, n’a pas suffi
à stabiliser le pays. Dans la ceinture pachtoune, les Talibans ont réapparu dès 2003,
et surtout à compter de 2005-2006, menant
des opérations dans les provinces proches
de la frontière pakistanaise et dans celles
du Sud, tout en conduisant des actions localisées vers le nord. Face à 52 700 soldats
étrangers (dont 23 500 Américains), ces
« néo-Talibans » ont adopté une tactique
de guérilla et marquent leur présence,
discrètement ou pas, dans les villages où
la pression des insurgés se conjugue à la
déception vis-à-vis du régime en place et
aux jeux de pouvoirs locaux.
L’instabilité persistante de l’Afghanistan
n’est pas due à de seules défaillances internes, ou à l’emprise corruptrice de l’opium.
Les divisions au sein de la communauté
internationale sont patentes, tant dans les
modes d’engagement militaire que dans
la lutte contre la drogue. L’hégémonie
américaine suscite des remous, et le faible engagement de certains membres de la
FIAS pose problème, comme l’a rappelé le
sommet de l’OTAN de Bucarest en 2008.
Certains pays clés, comme le Canada,
appellent à la relève. En mai 2008, le
Royaume-Uni, qui considère qu’un engagement international civil et militaire plus
fort est indispensable, a concédé le bienfondé des « efforts de réconciliation »
qu’entendent mener Kaboul et Islamabad
avec les insurgés.
162
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Inde, Pakistan, Afghanistan
Le Pakistan dans la tourmente
Le Pakistan doit faire face lui aussi à de
graves problèmes. Le sursaut des talibans afghans après 2005 avait poussé
Washington et l’OTAN à demander davantage d’efficacité à Islamabad. L’intrusion,
nouvelle, de l’armée pakistanaise en zones
tribales et les dommages collatéraux causés par les drones américains n’ont fait
que renforcer les groupes combattants
radicaux, dont le Mouvement des Talibans
pakistanais (Tehrik-e Taliban Pakistan)
de Baitullah Mehsud. Les forces armées
(80 000 à 100 000 hommes) ont perdu plus
de 800 soldats, les accords signés en 2004
et 2005 avec les chefs tribaux n’ayant pu
ramener le calme. Aux attaques contre
les militaires se sont ajoutés en 2007
les attentats suicides à travers le pays,
en forte hausse après la prise sanglante
de la Mosquée rouge d’Islamabad, haut
lieu du radicalisme au cœur de la capitale pakistanaise, investi par l’armée en
juillet 2007. Après avoir encouragé le djihad tant au Cachemire qu’en Afghanistan,
le Pakistan a vu ses obligés se retourner
contre le pouvoir d’État, au moment même
où les relations avec l’Inde tendent à se
stabiliser. Pervez Moucharraf l’a d’ailleurs
concédé après les premiers attentats contre
sa personne en 2003 : le défi majeur auquel
le pays est confronté n’est plus extérieur,
mais intérieur.
La poussée de l’insurrection, étendue
hors des zones tribales avec les troubles
de la vallée de Swat en octobre 2007, et
la multiplication des attentats suicides qui
ont fait un millier de victimes en un an, ont
affaibli le général Moucharraf. Celui-ci
a par ailleurs perdu la main en 2007, en
démettant en mars Iftikar Chaudhry, pré-
sident de la Cour suprême, puis en imposant l’état d’urgence le 3 novembre afin
de reconstituer une Cour à sa main (les
juges risquant d’invalider sa réélection à
la présidence de la République en octobre).
Contraint d’abandonner ses fonctions de
chef d’état-major des armées, le président affaibli a dû accepter le retour d’exil
des anciens Premiers ministres Nawaz
Sharif (Ligue musulmane du PakistanNawaz [Pakistan Muslim League-Nawaz,
PML-N]) et Benazir Bhutto (Parti du peuple
pakistanais, PPP) à la veille des élections
législatives et provinciales. L’assassinat de
Benazir Bhutto le 27 décembre a scellé
le sort des élections du 18 février 2008,
remportées par une coalition menée par le
PPP et la Ligue, grossie du Parti national
Awami, vainqueur des élections contre la
coalition islamiste dans la très sensible
Province de la frontière du Nord-Ouest,
qui inclut les zones tribales.
L’installation d’un gouvernement civil
mené par Youssouf Raza Gilani (PPP) à
Islamabad, en mars 2008, est-elle promesse
de stabilité ? Les divergences sur la question du retour des juges démis affaiblissent
la coalition des deux partis jadis adversaires résolus, pour un enjeu d’importance : le
départ du président Moucharraf, si l’armée
dirigée désormais par le général Kayani
décidait de rester neutre. Sur le front de
l’extrémisme, le nouveau gouvernement
joue la carte de l’apaisement : des négociations sont engagées avec Baitullah Mehsud,
et Washington s’en inquiète – le tout sur
fond d’incertitude économique nourrie
par l’inflation, le prix du pétrole et celui
des grains. Dans un contexte difficile, le
nouveau pouvoir devra démontrer que les
civils gèrent mieux les crises que les militaires, tout en s’entendant avec eux.
163
4
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Inde, Pakistan, Afghanistan
L’Inde, facteur de stabilité
Dans un tel contexte, l’Inde apparaît
comme un pôle de stabilité sur la frange
sud de l’Asie. Son régime démocratique,
l’ouverture graduée de son économie, son
taux de croissance prometteur (9 % par
an de 2003 à 2007), le dynamisme de ses
entreprises au-delà des seules technologies
de l’information, les ambitions en matière
de défense d’un pays émergent où les civils
commandent clairement aux militaires :
tout cela n’a pas échappé à Washington
qui a clairement déclaré « vouloir aider
l’Inde à devenir une puissance positive
dans le monde ». En témoigne la volonté
de la Maison-Blanche de faire de l’Inde,
pourtant non signataire du Traité de nonprolifération (TNP), une exception, en
lui proposant une coopération forte dans
le domaine du nucléaire civil, quitte à
modifier la loi américaine fin 2006 et à
convaincre plus tard les pays du Groupe
des fournisseurs nucléaires. L’accord est
toutefois en suspens depuis 2007, car, en
Inde même, les partis communistes et l’opposition jugent que son prix est trop lourd
et qu’au-delà des implications civiles ou
militaires du projet, New Delhi perdrait
des marges de manœuvre diplomatique et
s’engagerait dans un partenariat stratégique trop marqué avec Washington.
Mais le signal est clair. La façon dont
l’Inde monte en puissance lui a valu de
marquer des points dans sa politique de
« regard vers l’Est ». Plus présente en
Asie du Sud-Est, activant sa politique à
l’égard du Moyen-Orient (Iran, pays du
Golfe mais aussi Israël), cherchant à normaliser ses relations avec la Chine devenue
son deuxième partenaire commercial en
2007 derrière l’Union européenne (UE),
gardant ses liens avec Moscou (défense,
technologie), vivifiant le nouvel axe IndeBrésil-Afrique du Sud (IBSA), organisant
en 2008 un premier sommet Inde-Afrique,
active à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) contre la politique agricole
américaine et européenne (échec des négociations de Postdam en juin 2007), mais
demandant avec l’Allemagne, le Brésil et
le Japon un élargissement du Conseil de
sécurité des Nations unies, l’Inde mène
plus que jamais, en parallèle au rapprochement avec Washington, une diplomatie
tous azimuts, tout en cherchant à calmer
le jeu dans son environnement régional
immédiat où elle plaide pour une fructueuse « connectivité » avec ses voisins,
au premier chef le Pakistan.
L’Inde a certes des problèmes : une
inflation croissante, une croissance trop
inégalitaire, une sécurité énergétique affaiblie par le cours du brut ; une crise agraire
marquée à la fois par la vague de suicides
de paysans ruinés et par l’extension des
zones agitées par les naxalites, insurgés
maoïstes ; enfin un défi environnemental
entre droit à la croissance et nécessité du
développement durable. Mais elle reste
optimiste pour l’avenir. L’enjeu afghanopakistanais est dès lors clair pour elle.
La déstabilisation de ses deux voisins de
l’ouest la desservirait pour deux raisons :
le risque de contamination terroriste et la
difficulté d’établir des liens terrestres avec
l’Asie centrale et le Moyen-Orient, essentiels à sa sécurité énergétique. Si le projet
de gazoduc Iran-Pakistan-Inde se concrétisait comme prévu en 2009, un signal
serait donné, mais resterait une question de
fond : la montée en puissance de l’Inde en
Asie et dans l’océan Indien – où sa marine
164
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Inde, Pakistan, Afghanistan
se renforce – n’est pas encore telle qu’elle
puisse être un acteur de poids au MoyenOrient et en Afghanistan – pays qu’elle a
cependant fait entrer à l’Association de
l’Asie du Sud pour la coopération régionale (South Asian Association for Regional
Cooperation, SAARC) en 2007, et où elle
marque des points pour l’avenir. Du moins,
l’amélioration des relations indo-pakistaFaits et dates
naises, que devrait poursuivre le nouveau
gouvernement Gilani, redéfinit-elle les
paramètres de la stabilité régionale dans
des pays qui n’oublient ni leur passé, ni
leurs intérêts stratégiques respectifs, mais
qui ont désormais des intérêts communs,
face au défi posé par les insurgés afghans
et pakistanais, que ni la communauté internationale ni les États concernés ne savent
réduire pour l’heure.
J.-L. R.
• 3 août 2007 : Publication de l’accord
indo-américain « 123 » sur le nucléaire
civil : les communistes et l’opposition
accentuent leurs pressions contre le projet.
• 3 novembre 2007 : Le général
Moucharraf, réélu président en octobre,
impose l’état d’urgence au Pakistan.
• 27 décembre 2007 : Assassinat de
Benazir Bhutto en campagne électorale.
• 18 février 2008 : L’opposition à Pervez
Moucharraf gagne les élections pakistanaises. Le 25 mars, Youssouf Raza Gilani
prend la tête d’un gouvernement de
coalition.
• 29 février 2008 : À New Delhi, le
ministère des Finances confirme que
le PNB indien a passé la barre des
1 000 milliards de dollars en 2007.
• 26 mars 2008 : Tata Motors rachète
Jaguar-Land Rover pour 2,3 milliards
de dollars.
• 3 avril 2008 : Sommet de l’OTAN à
Bucarest : l’Afghanistan, dossier prioritaire.
• 27 avril 2008 : À Kaboul, le président
Karzai échappe à un attentat qui fait
11 morts.
• 12 juin 2008 : À Paris, conférence
internationale de soutien à l’Afghanistan.
Pour en savoir plus
International Crisis Group (2008), Afghanistan :
la communauté internationale doit rester
déterminée, rapport Asie n° 145, 6 février,
Bruxelles, Kaboul, ICG.
Kamdar, M. (2008), Planet India. L’ascension
turbulente d’un géant démocratique, Arles,
Actes Sud.
Mukherjee, R. (2007), India’s Economic
Transition. The Politics of Reforms, New
Delhi, Oxford University Press.
OCDE (2007), Economic Survey of India, Paris,
OCDE.
Racine, J.-L. (2007), « Le Pakistan et l’hypothèse démocratique », Études, n° 12,
p. 585-596.
Tellis, A. J. (2008), Pakistan and the War
on Terror. Conflicted Goals, Compromised
Performance, Washington, D.C., Carnegie
Endowment for International Peace
Sites Internet :
Portail sur l’Asie du Sud :
<www.southasianmedia.net>
Gouvernement indien :
<www.goidirectory.org>
Gouvernement pakistanais :
<www.pakistan.gov.pk>
Présidence afghane :
<www.president.gov.af>
OTAN en Afghanistan :
<www.nato/int/isaf>.
165
4
Japon
L’impossible réforme ?
L’échec historique du Parti libéral démocrate (PLD) à la Chambre haute lors des
élections de juillet 2007 et la démission
du Premier ministre Shinzo Abe en septembre ont sonné le glas de l’expérience
néoconservatrice au Japon. L’arrivée au
pouvoir d’un cacique du PLD, Yasuo
Fukuda, a signifié le retour d’une politique réaliste, davantage centrée sur les problématiques de politique intérieure et sur
les attentes de la population. Néanmoins,
la quasi-paralysie institutionnelle entretenue par l’opposition systématique du Parti
démocrate japonais (PDJ) lors du vote des
lois à la Diète et le budget déficitaire de
l’État contraignent fortement la poursuite
des réformes. Au-delà de la crise conjoncturelle se pose la question de la réforme
du système politique japonais après l’expérience iconoclaste du Premier ministre
Koizumi (2001-2006).
Échec de l’expérience
néoconservatrice
Le 1er janvier 2007, le gouvernement Abe
fêtait l’arrivée d’une année prometteuse
pour la réalisation de son projet phare :
la construction d’un « beau Japon ». La
transformation, ce même jour, de l’Agence
de défense en ministère, contribuait à renforcer le profil plus martial de l’archipel et
participait ainsi à la liquidation du legs de
l’après-guerre. À cet effet, la réforme de
la loi fondamentale sur l’éducation, insti-
tuant l’amour de la patrie comme un des
objectifs de l’instruction publique, devait
précéder une prochaine révision de l’article 9 de la Constitution qui permettrait
de transformer les forces d’autodéfense
(FAD) en une armée constitutionnelle. Un
an plus tard, l’Administration Fukuda a
remplacé le gouvernement Abe, qui s’est
effondré sous le coup des multiples affaires
de corruption, mais surtout du scandale
lié aux pensions de retraites impayées :
50 millions de dossiers de cotisations ont
disparu, révélant des dysfonctionnements
administratifs sans précédent et affectant
durement l’électorat traditionnel du PLD,
les nombreux retraités et ruraux.
À ce climat délétère se sont ajoutées des
performances économiques insuffisantes,
des difficultés à mener les réformes nécessaires et l’impatience de la population
face aux inégalités sociales croissantes.
En juillet 2007, le PLD a enregistré une
défaite historique aux élections sénatoriales. Le PDJ, emmené par Ichiro Ozawa, a
su capitaliser sur l’inquiétude de l’opinion
publique en donnant la priorité à la gestion
des problèmes économiques et sociaux. Le
renouvellement de la loi autorisant les FAD
à intervenir dans l’océan Indien, en appui à
l’intervention américaine en Afghanistan,
a poussé Shinzo Abe à la démission.
Échouant à persuader l’opposition démocrate, majoritaire à la Chambre haute, de
voter cette loi, il a finalement annoncé son
départ le 12 septembre 2007.
166
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Japon
Faiblesse du gouvernement
Fukuda et paralysie
institutionnelle
défis stratégiques sur la scène internationale.
Yasuo Fukuda, candidat modéré élu chef
du PLD, prend la tête du gouvernement. Il
abandonne les discours teintés d’idéologie
de son prédécesseur pour se concentrer sur
les réformes économiques et sociales. Sur
le plan intérieur, l’obstruction du PDJ, qui
refuse toute coopération, l’a contraint à
faire passer en force la loi permettant la
reprise de la mission navale des FAD dans
l’océan Indien ; 60 jours après son rejet par
la Chambre haute, le projet de loi repasse
devant la Chambre basse, où il est adopté
à la majorité des deux tiers d’après l’article 59 de la Constitution, expérimenté pour
la première fois. Cette méthode, peu populaire, a été par la suite employée à plusieurs
reprises. La division de la Diète, dont les
chambres relèvent de majorités différentes
(nejirekokkai ou Diète « tordue »), paralyse le fonctionnement des institutions et
l’action politique. Dans ce contexte, le PDJ
exige l’organisation d’élections législatives anticipées, normalement programmées
pour septembre 2009.
Les jours du gouvernement Fukuda sont
donc comptés, et le soutien dont il bénéficiait s’est considérablement réduit. Au
sein même du PLD, des voix s’élèvent pour
appeler à sa démission avant les prochaines
élections. S’il est peu probable que le PDJ
remporte la majorité à la Chambre basse,
l’obtention d’un tiers des sièges suffirait à
mettre en péril l’adoption des projets de loi
de la coalition PLD-Komeito. La faiblesse
de l’exécutif japonais est problématique
alors que le pays accueille le sommet du
G8 début juillet et fait face à de nombreux
Réchauffement des relations
en Asie et tentative de
leadership au G8
Sur le front de la politique extérieure,
Yasuo Fukuda, à l’image de son père Takeo
– Premier ministre de 1976 à 1978, connu
pour sa doctrine d’engagement pacifique
du Japon en Asie –, réoriente les efforts
diplomatiques nippons en direction de ses
voisins asiatiques. La visite officielle de
Hu Jintao au Japon en mai 2008, première
visite d’un chef d’État chinois depuis
10 ans, a constitué le point d’orgue d’une
série de voyages diplomatiques destinés à
montrer le « nouveau printemps » des relations sino-japonaises. L’attitude plus conciliante des dirigeants japonais et chinois
sur les querelles liées à l’interprétation
de l’histoire a permis un réchauffement
politique important, qui vise à la mise en
place d’un partenariat stratégique. Le tremblement de terre qui a frappé la Chine en
mai a été l’occasion de mettre en œuvre
la nouvelle amitié entre Tokyo et Pékin.
Toutefois, les relations restent fragiles,
soumises aux aléas de la politique interne
des deux pays et conditionnées au règlement de plusieurs différends non résolus
comme l’exploitation des hydrocarbures
en mer de Chine orientale.
Le rapprochement entre Tokyo et le
nouveau gouvernement sud-coréen de
Lee Myung-bak, reléguant au second plan
les querelles historiques, met en avant un
partenariat renforcé, symbolisé notamment par la reprise des négociations sur
un accord de libre-échange bilatéral. En
167
4
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Japon
outre, la coopération économique pourrait se doubler d’une politique commune
vis-à-vis de la Corée du Nord, et d’une
dimension stratégique avec le renforcement du triangle Séoul-Tokyo-Washington.
Concernant la dénucléarisation de la Corée
du Nord, le Japon s’est retrouvé relativement isolé au sein des pourparlers à six.
Tokyo accorde une très grande importance
à la résolution de la question des citoyens
japonais kidnappés par Pyongyang dans
les années 1970-1980. Par ailleurs, l’archipel craint que les négociations directes
avec Washington conduisent à la réhabilitation de l’« État voyou ». Ce différend
s’ajoute aux autres sujets de tension avec
Washington. Les liens de sécurité et de
défense se renforcent depuis 2005, mais
les deux alliés doivent redéfinir leur partenariat, Tokyo se contentant de moins en
moins d’un rôle subalterne.
Par ailleurs, l’accueil du G8 dans l’île
d’Hokkaido du 7 au 9 juillet est l’occasion
pour le Japon de démontrer sa capacité de
leadership politique sur la scène internationale. Dans cette perspective, le gouvernement a décidé de consacrer le sommet à
la lutte contre le réchauffement climatique,
domaine dans lequel le pays possède des
points forts. Le Japon est toutefois souvent
critiqué pour sa posture attentiste, comme à
l’occasion du sommet de Bali en décembre
2007, où il avait refusé de s’engager sur
des objectifs chiffrés concernant la baisse
de ses émissions de carbone. Le Premier
ministre Yasuo Fukuda a donc multiplié les
déclarations pour manifester la nouvelle
détermination japonaise. Tokyo, qui s’est
engagé à réduire de 60 à 80 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, veut
convaincre les pays du G8 de s’entendre
sur un objectif de réduction chiffré dans le
cadre post-Kyoto. Obtenir l’engagement
des deux plus grands pollueurs mondiaux
– les États-Unis et la Chine – reste toutefois
une gageure.
Redressement économique mais
persistance des inégalités
Sur le plan intérieur, si la reprise économique s’affirme, des défis restent à relever.
Plusieurs éléments positifs laissent penser
que la situation de l’archipel connaît une
embellie, qui doit toutefois être nuancée.
Les exportations vers les marchés asiatiques à forte demande restent un moteur
important de la croissance, qui s’est stabilisée autour de 2 % en 2007. Tokyo mise
également sur l’innovation pour améliorer
les résultats de ses entreprises, et consacre
3,3 % de son produit national brut (PNB)
à la recherche et développement. La déflation persistante tend à s’effacer sous l’influence conjoncturelle de la flambée des
prix des matières premières et du pétrole.
La réduction du déficit budgétaire depuis
2002 n’a pas freiné l’accroissement de la
dette publique (180 % du PIB en 2007),
et le plan d’assainissement des finances
publiques doit se poursuivre. Par ailleurs,
les partenaires commerciaux, notamment
les Européens, ont demandé au Japon de
libéraliser son marché et de l’ouvrir aux
investissements étrangers. La lenteur des
réformes structurelles pèse sur la relance
économique, et les réformes du système
fiscal et du marché du travail sont nécessaires pour relever les défis d’une société
de plus en plus inégalitaire et vieillissante.
On assiste à l’apparition d’une précarité
de masse : les « freeters », qui enchaînent
les petits boulots peu rémunérateurs (un
168
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Japon
travailleur sur trois), et les « neets » (not in
education, employment or training), complètement sortis du système, seraient plus
de 3 millions. Par ailleurs, la crise démographique a entraîné une réflexion sur la
promotion de l’emploi des femmes et sur
les modalités du recours à l’immigration
dans une société encore très peu ouverte
aux étrangers.
Un système réformable ?
La remise en cause du modèle social se
double d’un questionnement sur la capacité
de réforme du système politique d’après
1955. Après la révolution Koizumi, qui
avait fait exploser le système traditionnel des factions au sein du PLD, le parti
conservateur peine à se restructurer. Le
Premier ministre iconoclaste avait alors
dénoncé le vieux parti, fondé en 1955,
comme étant un obstacle à la fondation
d’un nouveau Japon débarrassé d’un système sclérosé reposant sur les collusions
d’intérêts et le clientélisme électoral. Yasuo
Fukuda semblait avoir fait marche arrière
en attribuant les postes ministériels aux
factions les plus puissantes, les réintégrant
ainsi dans le jeu politique. Il s’agissait en
réalité d’une tentative d’unification des
différentes composantes du parti, révélant
la profonde division du PLD. Les néoconservateurs font maintenant face aux réalistes prudents, qui souhaitent préserver
le parti sous sa forme actuelle et suivre
une politique consensuelle afin de ménager l’électorat traditionnel. Toutefois, de
telles politiques fondées sur l’attribution
de subventions aux fiefs locaux ne sont
plus viables dans un contexte de déficit budgétaire chronique. Le vote PLD
enregistre un récent recul dans les zones
rurales. À terme, l’éclatement du parti et
une recomposition majeure du paysage
politique constituent un scénario à ne pas
écarter. L’éventualité d’une relative victoire du PDJ aux prochaines élections ne
constitue pas pour autant une alternative
confortable. Ses membres sont issus de
sensibilités diverses, et sa capacité à proposer une politique cohérente reste à vérifier.
Il pourrait s’allier à une aile du PLD ou à
un autre parti.
Les prochaines élections seront décisives pour l’avenir du Japon. L’évolution du
système politique national en dépendra très
largement. Les électeurs devront choisir
entre un retour vers le traditionalisme des
factions, le pari sur une nouvelle génération d’hommes politiques, ou l’évolution
vers un système bipartisan qui accorde une
place plus importante à l’opposition. En
tout état de cause, la situation économique
toujours fragile, le sentiment de perte des
valeurs dans la vie politique ainsi que la
difficulté à réformer le modèle social sont
autant de sources d’inquiétude qui conditionneront le prochain résultat électoral.
169
C. P.
Pour en savoir plus
Questions internationales (2008), dossier « Le
Japon », n° 30, mars-avril.
OCDE (2008), Étude économique du Japon
2008, Paris, OCDE.
4
Péninsule coréenne
Entre turbulences et résiliences
La victoire à l’élection présidentielle de la
République de Corée, le 19 décembre 2007,
de Lee Myung-bak – ancien maire de Séoul
et candidat du Grand parti national (Grand
National Party [GNP], parti conservateur)
– et l’affichage des nouvelles ambitions de
Séoul sont au cœur des recompositions en
cours autour de la péninsule. L’apparente
bonne volonté dont la Corée du Nord semble faire preuve dans la mise en œuvre des
accords des 13 février et 3 octobre 2007
sur la déclaration et la neutralisation de ses
programmes nucléaires constitue l’autre
élément susceptible d’enclencher une nouvelle dynamique régionale.
Toutefois, ce renouvellement apparent
du paysage stratégique s’avère fragile.
D’une part, le désir du nouveau président
sud-coréen de resserrer les liens avec les
États-Unis est mal perçu par une opinion publique volontiers antiaméricaine,
comme en témoigne la crise politique provoquée par la levée de l’embargo de 2003
sur la viande de bœuf américaine. D’autre
part, le revirement tactique de Pyongyang
pourrait n’être dû qu’à la pusillanimité
d’une Administration républicaine finissante, peu susceptible de procéder in fine
au retrait de la Corée du Nord de la liste
des États terroristes, tant espéré par Kim
Jong-il. La marge de manœuvre politique
du nouveau président apparaît de surcroît
fortement entamée par une conjoncture
mondiale incertaine. Si les indicateurs
économiques de la Corée sont favorables,
avec une croissance de l’ordre de 4,7 % en
2007, la poursuite de la hausse du cours
du pétrole et par conséquent l’alourdissement de la facture énergétique pourraient
entraîner un ralentissement de l’activité
économique, compliquant la tâche du nouveau gouvernement et pesant sur un climat
social déjà compromis.
Une alliance avec les États-Unis
sous forte contrainte
Durant sa campagne électorale, Lee
Myung-bak n’a pas caché son intention de
revigorer les relations américano-coréennes. Si un regain de sérénité et de confiance
mutuelle est possible, Washington ne saurait remettre en cause son agenda politicomilitaire ni le choix du Japon comme plateforme stratégique en Asie orientale. Le
président Lee court ainsi le risque de s’exposer politiquement en vain à un allié dont
les concessions seront limitées et à une
opinion publique qui craint une influence
américaine trop grande sur la vie politique nationale. Lors de sa première visite
officielle à Washington en avril 2008,
Lee Myung-bak a soulevé deux questions
stratégiques majeures dont la portée sur
les relations bilatérales n’est pas neutre :
la réorganisation militaire américaine en
Corée et le transfert du commandement
aux forces coréennes en temps de guerre.
Contrairement à son prédécesseur qui souhaitait hâter l’autonomisation stratégique
de la défense sud-coréenne, et reflétant
en cela les positions du GNP, plus enclin
170
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Péninsule coréenne
à ménager l’allié américain, le président
Lee ne souhaite pas voir le commandement
combiné des forces américano-sud-coréennes s’achever en 2012, pour laisser la place
à un état-major entièrement « coréanisé »
et interarmées. Répondant partiellement à
ces inquiétudes, Washington a accepté un
gel du retrait de ses troupes (l’effectif reste
fixé à 28 500 hommes) mais escompte en
contrepartie un effort financier supplémentaire dans la prise en charge des frais
liés à la présence militaire américaine (déjà
supportés à plus de 40 %), aux opérations
de dépollution des bases restituées et à la
réinstallation de certaines unités à la périphérie de Séoul.
Outre cette contrepartie financière, qui
n’ira pas sans susciter les critiques d’une
population déjà échaudée par la baisse du
pouvoir d’achat due au renchérissement du
prix des matières premières, le président
Lee devra vraisemblablement s’attendre
à des demandes de soutien sur les théâtres d’opération irakien et afghan. Pour
l’heure, le Parlement vient d’approuver
la prolongation de la présence du contingent militaire sud-coréen en Irak jusqu’en
décembre 2008, même si ses effectifs ont
été réduits de moitié (de 1 200 à 600 hommes). L’intérêt manifesté depuis deux ans
par la Corée du Sud vis-à-vis de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord
(OTAN) pourrait en revanche trouver un
avantage au rapprochement avec les ÉtatsUnis. Séoul voit dans l’Alliance atlantique
la possibilité de prendre part à des opérations de maintien de la paix et d’améliorer les capacités de réaction de ses forces
armées à des situations humanitaires d’urgence. Au-delà d’un scénario anticipant
une nouvelle catastrophe naturelle en Asie,
la Corée du Sud recherche une préparation
à la gestion d’une crise qui affecterait la
péninsule, dans l’hypothèse d’un effondrement du Nord.
Les limites d’un redéploiement
cardinal de la politique
extérieure sud-coréenne
Soucieux de ne pas s’enfermer dès le début
de son mandat dans des problématiques
régionales où le positionnement de Séoul
est incertain (relations avec la Chine, foucades nord-coréennes), le président Lee a
revendiqué des responsabilités internationales pour son pays sur le thème « A global
Korea ». On peut y déceler une volonté
de s’impliquer davantage dans la gestion
de la sécurité internationale en prenant
une part plus active dans les opérations
de maintien de la paix, notamment en
Afrique, nouveau champ de rivalité entre
grandes puissances asiatiques. La Corée
envisage d’ailleurs de se porter candidate
à un siège de membre non permanent du
Conseil de sécurité des Nations unies pour
la période 2013-2014, et entend utiliser son
aide publique au développement comme
un outil de rayonnement plus visible. A
contrario, le choix apparent d’un rapprochement avec Washington laisse craindre
que Séoul soit contraint d’adopter le registre d’une complémentarité diplomatique
susceptible de limiter ses ambitions de
puissance globale.
Les relations avec Pékin semblent ainsi
largement liées au nouvel équilibre stratégique que Lee Myung-bak saura recréer
avec Washington. Sa visite en Chine en mai
2008 a souligné qu’au-delà d’une proximité apparente, les points de friction ne
171
4
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Péninsule coréenne
manquent pas entre les deux pays. Les
relations économiques entre la Corée du
Sud et la Chine sont perçues comme déséquilibrées en faveur de cette dernière. De
la même façon, la place de Pékin en tant
que premier partenaire commercial de la
Corée du Nord et la part croissante des
entreprises chinoises dans l’économie de
ce pays inquiètent Séoul, qui y voit un
levier susceptible de nuire au renforcement
des relations intercoréennes. Lee Myungbak, ancien chef d’entreprise, ne saurait
être insensible aux risques inhérents à la
pénétration économique de Pékin sur la
péninsule et aux délocalisations en Chine
de nombreuses entreprises coréennes.
L’ambivalence qui se fait jour dans les
relations sino-coréennes ne devrait pas
pour autant profiter au Japon, dont l’accroissement des capacités militaires et les
programmes d’équipement, notamment
naval, sont suivis avec attention par les
responsables politiques et militaires sudcoréens. Même si le Premier ministre
japonais Yasuo Fukuda a annoncé qu’il
renonçait à se rendre au temple shinto de
Yasukuni, contrairement à ses prédécesseurs, le nationalisme coréen reste prompt
à s’enflammer face à l’ancien colonisateur.
Les revendications par les deux pays des
îlots Tokdo constituent un irritant récurrent que Lee Myung-bak devra contrôler
tant au sein de la population que de son
propre parti.
L’inconnue nord-coréenne
Fortement critiquée par les conservateurs
du GNP car jugée trop complaisante avec
le régime de Pyongyang, la politique nordcoréenne adoptée jusqu’ici par les deux
prédécesseurs du président Lee connaît
des réajustements sensibles. Épousant en
cela la position américaine, ce dernier a
fait de la dénucléarisation de la Corée du
Nord un de ses objectifs prioritaires. Les
pourparlers à six constituent à ses yeux
l’enceinte appropriée pour traiter cette
question. La dénucléarisation et les garanties que la Corée du Nord apportera sur la
réalité du processus conditionnent cependant tout mouvement ultérieur des partenaires, notamment les aides économique
et énergétique promises. Lee Myung-bak
entend par là imposer au Nord une logique
de réciprocité dans les échanges.
Le nouveau président n’en est pas moins
convaincu de la nécessité d’aider au développement économique de la Corée du
Nord et a expliqué sa démarche dans un
plan intitulé « dénucléarisation, ouverture,
3000 », qui ambitionne de porter le revenu
par habitant en Corée du Nord de 500 à
3 000 dollars. Il envisage à cet effet de
collecter 40 milliards de dollars (y compris auprès de la Banque mondiale et de la
Banque asiatique de développement) pour
financer la réhabilitation d’une économie
en faillite, promouvoir l’éducation et poursuivre l’établissement de zones économiques franches.
Tout en mettant en œuvre, à son rythme
dilatoire, le processus de neutralisation
des installations nucléaires de Yongbyon,
la Corée du Nord n’a pas manqué de fustiger les propos du président sud-coréen
à son encontre. Sa rhétorique belliqueuse
s’est accompagnée, à partir de mars 2008,
d’un gel des principaux canaux de dialogue
tandis que seuls les projets économiques
conjoints lui rapportant des devises étaient
maintenus (exploitation de la zone indus-
172
RAMSES 2009 > Asie-Pacifique > Péninsule coréenne
trielle de Kaesong et visites touristiques au
mont Kumgang). Ce net refroidissement
des relations intercoréennes est intervenu
dans un contexte d’intensification des
contacts bilatéraux avec l’Administration
américaine qui, tout en affichant une logique « donnant-donnant », fait preuve d’une
flexibilité qui s’apparenterait de plus en
plus à une fuite en avant. Soufflant à son
habitude le chaud et le froid, Pyongyang,
après cinq mois de tergiversations, a fini
par remettre, début mai, la déclaration de
ses installations et programmes nucléaires.
Aucune information claire n’a filtré sur
un éventuel programme d’enrichissement
d’uranium, ni sur des activités proliférantes qui auraient fait l’objet d’une déclaration confidentielle. Cette diplomatie du
secret se heurte cependant à la publicité
faite autour de la destruction par l’aviation israélienne, en septembre 2007, du
site syrien d’Al-Kibar, soupçonné d’avoir
été construit avec l’aide de Pyongyang, et
à la mise en évidence de transferts illicites
de technologies et d’équipements nucléaires du régime de Kim Jong-il. Organisées
ou pas, ces révélations, qui témoignent de
résistances à une absolution trop hâtive de
la Corée du Nord, pourraient considérablement perturber le processus de règlement
en cours si un triangle de la prolifération
était établi entre Pyongyang, Damas et
Téhéran.
Les effets combinés des inondations et de la
pénurie de riz que connaît l’Asie pourraient
dramatiquement accentuer la situation de
précarité alimentaire que connaissent les
Nord-Coréens. Bien qu’étranger aux souffrances de sa population, le régime, réfugié
dans sa terrifiante opacité, sait qu’il pourra
faire appel à l’aide humanitaire pour
affronter la crise qui s’annonce. Ses calculs
sont simples : entre les gains escomptés à
travers les avancées savamment menées
des pourparlers à six et l’aide alimentaire
et énergétique qu’il peut obtenir, il pourra
sans peine gagner un nouveau sursis. Toute
la question est de savoir pour combien de
temps encore.
Sur le plan interne, des informations alarmantes évoquent une menace de famine.
173
M. P.-D.
Pour en savoir plus
Jenkins, C. R. (2007), The Reluctant Communist :
My Desertion, Court-martial and Forty-year
Imprisonment in North Korea, Washington,
University of California Press.
Jung-par, H. (2007), Looking Back and Looking
Forward : North Korea, Northeast Asia and
the ROK-US Alliance, Brooking Institution,
Washington, DC.
Haggard, S. et M. Noland (2008), « North Korea
on the Precipice of Famine », Policy Brief,
n° 08/6, Peterson Institute for International
Economics, Washington, DC.
Site Internet sur la Corée du Nord :
<www.dprkstudies.org/nk-links>.
4
Téléchargement