HIGHLIGHTS 2006 Forum Med Suisse 2007;7:25–27 25 Médecine pharmaceutique: Controverses à propos des études «first-in-man» Peter Kleista, Beat Althausb a PFC Pharma Focus AG, Volketswil, b GlaxoSmithKline AG, Münchenbuchsee Les faits Fin 2004, après le retrait global de Vioxx®, l’inhibiteur de la COX-2, l’industrie pharmaceutique a subi un nouveau revers sévère au printemps 2006. Jusqu’ici, les études précoces en phase 1 chez des témoins sains étaient considérées comme relativement dépourvues de risques; il était très rare de déplorer des incidents sérieux [1]. Le 13 mars 2006, le TGN1412, un anticorps monoclonal humanisé produit par l’entreprise allemande TeGenero SA de Biotech a pour la première fois été étudié chez l’homme dans le cadre d’une étude «first-in-man». La substance testée, qui devait être utilisée ultérieurement contre la sclérose en plaques, l’arthrite rhumatoïde et la LLC à cellules B, a été injectée consécutivement et à intervalles d’une minute chez six saines des participants à l’étude. En l’espace de 90 minutes, cet anticorps stimulant directement les cellules T a entraîné une réaction systémique inflammatoire sévère chez tous les volontaires. La sécrétion massive de cytokines anti-inflammatoires («tempête de cytokines») a entraîné par la suite une défaillance multi-organique [2]. Seul le traitement médical intensif instauré en urgence a permis de sauver la vie des volontaires. Cette étude initiée à l’hôpital londonien Northwick Park a attiré l’attention du monde entier – en effet, le «cauchemar des chercheurs cliniques», comme l’a intitulé le «New England Journal of Medicine» dans un commentaire [3], était devenu réalité. Doit-on déplorer de graves négligences dans les travaux préliminaires de l’étude TGN1412? Très vite, on a pu lire dans la presse que l’étude n’aurait pas respecté les standards médicaux maximaux. L’analyse immédiate de cet incident [4] n’a pas pu confirmer ce fait: cette étude avait été avalisée par une expertise de la commission d’éthique correspondante, elle avait l’autorisation des autorités britanniques et allemandes, et il s’agissait en outre d’un produit correspondant à tous les critères de qualité pharmaceutique bénéficiant de vastes études auprès de trois espèces animales avec des doses jusqu’à 500 fois supérieures à celles reçues par les volontaires. Aucun élément n’a permis de relever une erreur d’administration. Bien que la définition de la dose initiale adéquate – un élément complexe en général pour les produits biotechnologiques – puisse sembler douteuse a posteriori, aucun signe concret n’indiquait, avant le début de l’étude, un risque accru lors de son administration initiale chez l’homme. La critique principale a visé les brefs intervalles d’administration entre les premières injections chez les volontaires. Tous les participants avaient déjà reçu le produit étudié avant même que les premiers symptômes ne surviennent. Cette étude a également suscité des réflexions critiques ainsi qu’une discussion controversée dans les milieux spécialisés. Quelles seront les conséquences du «cas TGN1412» pour la régularisation des études dans les phases de développement clinique les plus précoces? Un point de vue différencié du risque initial Lorsque la toxicité d’une nouvelle substance repose sur la molécule elle-même, entraînant par exemple directement des lésions hépatiques ou des arythmies, les études standard effectuées in vitro et chez l’animal se sont révélées jusqu’ici suffisantes pour démontrer un risque possible, avant même les études initiales chez l’homme. Si la première administration chez l’homme semble praticable sur la base des résultats pré-cliniques, les études précoces en phase 1 permettent d’analyser la sécurité du médicament concernant les systèmes organiques les plus importants. La réalisation d’études «first-in-man», permettant par exemple de définir une dose initiale sûre ainsi que le mode d’augmentation des doses, est soumise à certains principes, de type empirique surtout. Pour l’instant, aucune directive contraignante et détaillée n’a été émise par les autorités de contrôle des médicaments. Même le concept de cohorte utilisé dans l’étude TGN1412 (parmi huit volontaires testés, deux ont reçu un placebo et six la substance active) correspondait aux procédures habituelles. Aucun motif concret justifiant une régulation n’a été émis jusqu’ici, car l’administration initiale de molécules de petite taille synthétisées par voie chimique avait entraîné remarquablement peu de complications. Et l’on peut s’attendre à ce que la situation ne change pas à l’avenir en ce qui concerne ce type de médicaments. Certes, ni les études menées chez l’animal ni celles en phase 1 ne peuvent exclure un potentiel toxique, celui-ci ne se manifestant que rarement dans certains groupes de patients uniquement, ou seule- HIGHLIGHTS 2006 ment après une utilisation à long terme. Les études précoces en phase 1, vu leur design, ne sont pas en mesure de mettre en évidence ce type de risques et elles ne sont donc pas non plus abordées ici. Au cours de ces dernières années, la biotechnologie a mis à notre disposition des protéines thérapeutiques inédites. Jusqu’ici, dans l’ensemble, leur utilisation initiale chez l’être humain n’a pas été associée à des problèmes graves. En principe, ceci est valable également pour les anticorps monoclonaux (AMC), porteurs d’espoirs thérapeutiques de nombreuses maladies difficiles à traiter. Actuellement, dans le monde entier, plus de 300 AMC se trouvent en phase préclinique et environ 150 en phase de développement clinique. Ils doivent toutefois être soumis à une réflexion différenciée. Leur éventuel effet toxique ne réside pas dans la molécule elle-même, mais dans son effet biologique. Les AMC attaquant directement le système immunitaire, les choses sont encore plus complexes, car il n’existe pas de modèle animal suffisamment prédictif applicable au système immunitaire humain. Les systèmes biologiques de l’homme et de l’animal ne peuvent être comparés que moyennant certaines conditions, et les effets spécifiques à une espèce déployés par les AMC sont ainsi pour l’essentiel imprévisibles. On connaissait certes, à l’avance, les risques théoriques qui se sont d’ailleurs concrétisés pour la première fois avec le TGN1412: l’agoniste TGN1412 du CD28 devait simplement – comme l’ont montré les études précédentes chez l’animal – stimuler l’effet antiinflammatoire régulateur des cellules T, mais au lieu de supprimer les réactions anti-inflammatoires, cet agoniste a entraîné une réaction massive systémique chez l’homme. Les éventuelles «négligences» dans le cadre de l’étude TGN1412 ne doivent donc pas être recherchées dans le manque de modèles animaux et de directives à valeur prédictive visant les médicaments synthétiques à molécules de petite taille. Le développement traditionnel préclinique et clinique des médicaments novateurs ne peut s’appliquer tel quel aux produits biotechnologiques, encore moins à la nouvelle génération de certains AMC recombinants associés à un risque théorique [5]. Aujourd’hui déjà, on suit des procédures au «cas par cas» [6]. Dans le contexte du TGN1412, il est encore nécessaire, en ce qui concerne certaines molécules et principes actifs, de modifier encore plus nos réflexions par rapport aux modes de pensée courants. Outre les réflexions relatives à l’optimisation des études «first-in-man» avec des AMC définis, un autre défi de taille est constitué par la nécessité de développer de meilleurs modèles in vitro et d’identifier des marqueurs succédanés plus prédictifs concernant le risque chez l’homme [7]. En ce qui concerne le risque de départ, nous devons encore mentionner le fait que les AMC Forum Med Suisse 2007;7:25–27 26 ne sont pas en eux-mêmes des substances à risque. Ils peuvent le devenir lorsque, par exemple, leur principe d’action est directement, ou de manière inédite, dirigé vers le système immunitaire (cellules T), lorsque leur structure a été modifiée par technologie génétique (par ex. fragments Fc manipulés) ou en l’absence de modèle animal adéquat pour les protéines conçues de manière ciblée pour l’organisme humain. Il faut imposer des critères clairs définissant le moment dès lequel un anticorps peut être considéré comme un risque et en constitue réellement un, ainsi qu’une caractérisation préclinique et clinique différenciée, autant de facteurs que doivent développer ensemble la recherche académique, l’industrie et les autorités de contrôle des médicaments. De nombreuses questions, encore peu de réponses La discussion actuelle relative à la manière dont on peut accroître la sécurité des études «first-inman» se concentre donc sur l’utilisation initiale des anticorps monoclonaux associée à un risque théoriquement accru. Soulignons ici trois modalités actuellement discutées pour la réalisation de telles études. Elles montrent aussi les «désaccords» existants entre les intérêts éthiques et les réflexions scientifico-méthodologiques. 1. Faut-il considérer comme obsolètes les principes en vigueur jusqu’ici permettant de définir la dose de départ sûre chez l’homme – sur la base du «no observed adverse effect level» (NOAEL) – lorsque l’on utilise pour la première fois des substances potentiellement dangereuses chez l’homme? Un nouveau concept est celui de «MABEL» (minimum anticipated biological effect level), qui équivaut à utiliser une dose de départ beaucoup plus faible, considérée comme biologiquement active, tout en augmentant prudemment les doses ultérieures. En outre, il importe de connaître le nombre de paramètres à considérer et la durée de la période d’analyse. Les standards habituels définis pour les études sur la sécurité d’utilisation suffisent-ils encore pour les AMC? La plupart des AMC ont une demi-vie de plusieurs jours, de sorte que leur clairance complète peut prendre un mois ou même plus. 2. De nombreux éléments indiquent que, indiscutablement, l’administration initiale chez l’homme ne doit pas avoir lieu en même temps chez plusieurs volontaires mais de manière séquentielle, en respectant un intervalle d’observation suffisant [4, 7]. Quelle doit être la durée de ces intervalles? Et dans quelle mesure un concept d’étude randomisé en double aveugle avec contrôle placebo est-il encore possible dans une phase de développement très précoce? En effet, l’administration d’un HIGHLIGHTS 2006 placebo en double aveugle ne permet de tirer aucune conclusion. Des études contrôlées définissant l’aspect «safety first» ne sont possibles que dans une seconde étape. Une autre question consiste à savoir si des témoins se porteront encore volontaires, sachant qu’ils seront les seuls à recevoir une nouvelle substance. 3. Faut-il vraiment tester les substances à risque d’abord sur des personnes en bonne santé ou directement sur des patients, comme c’est déjà le cas en oncologie [4]? Le TGN1412 aurait-il dû être administré directement à des patients atteints de sclérose en plaques ou d’arthrite rhumatoïde? Le calcul bénéfice/risque est différent chez l’individu sain car, en cas de risque comparable supposé, il ne peut pas profiter d’un nouveau médicament. D’autre part, des raisons médicales spécifiques suggèrent qu’il convient d’abord de rechercher un système si possible homogène et sain au lieu, notamment, d’un système immunitaire labile qui pourrait complètement «dérailler», ce qui limiterait la sécurité d’action chez les volontaires ainsi que la valeur prédictive d’une étude. Faut-il utiliser ces substances initialement sur des volontaires sains ou sur des patients? Il est impossible de fournir une réponse univoque à cette question; le choix adéquat de la population à étudier doit absolument reposer sur des motifs solides. Quoi qu’il en soit, on ne peut exclure totalement tout risque associé à la recherche sur les médicaments; ces risques représentent le prix à payer Forum Med Suisse 2007;7:25–27 27 pour obtenir des médicaments novateurs et très efficaces. Il faut bien un jour ou l’autre franchir le pas de l’animal à l’homme. La protection des volontaires et les mesures visant à éviter le «worst case», c’est-à-dire le décès d’un volontaire ou d’un patient, doivent absolument représenter la première priorité. Par ailleurs, des risques existent aussi sur le plan économique. L’entreprise TeGenero de Biotech n’est plus solvable depuis longtemps. Les études précoces en phase 1 étaient considérées jusqu’ici comme étant très sûres, un fait que les événements liés à l’étude TGN1412 n’ont pas modifié; cela concerne aussi la plupart des produits biotechnologiques dont les AMC. Il ne faut donc pas s’attendre à un changement de paradigme concernant les études «first-in-man». Il est important de tirer les conséquences de cet incident afin de pouvoir, à l’avenir, manipuler ces substances de manière fiable moyennant un risque théorique défini et d’optimiser la sécurité des volontaires testés. Diverses procédures d’analyses des risques ont déjà été présentées [8, 9]. Il est impératif que les chercheurs académiques, les autorités de contrôle des médicaments et l’industrie collaborent étroitement afin d’obtenir de meilleurs standards de recherche, base d’une pondération adéquate du rapport bénéfice/risque. La question se pose en outre de savoir si des résultats d’études précliniques plus transparents – du moins en ce qui concerne les mécanismes d’action étudiés – permettraient d’éviter des cas semblables. Nous attendons avec impatience les prochains résultats dans ce domaine. Références Correspondance: Dr Peter Kleist PFC Pharma Focus AG Chriesbaumstrasse 2 CH-8604 Volketswil [email protected] 1 Stein CM. Managing risk in healthy subjects participating in clinical research. Clin Pharmacol Ther. 2003;74:511–2. 2 Suntharalingam G, Perry MR, Ward S, Brett SJ, CastelloCortes A, Brunner MD, et al. Cytokine storm in a phase 1 trial of the anti-CD28 monoclonal antibody TGN1412. N Engl J Med. 2006;355:1018–28. 3 Wood AJJ, Darbyshire J. Injury to research volunteers – the clinical-research nightmare. N Engl J Med. 2006;354:1869–71. 4 Department of Health. Expert Scientific Group on phase one clinical trials. Interim report. 20th July 2006. Available from: www.dh.gov.uk/Consultations/ClosedConsultations/ClosedConsultationsArticle/fs/en?CONTENT_ID=4139038&chk=H eo5Fe. 5 Turnill A, Baker T. Clinical trials with biological medicines. Regul Aff J. 2006;17:499–501. 6 International Conference on Harmonisation (ICH). Guideline S6: Preclinical safety evaluation of biotechnology-derived pharmaceuticals. Available from: www.ich.org/LOB/media/ MEDIA503.pdf. 7 Schneider CK, Kalinke U, Löwer J. TGN1412 – a regulator’s perspective. Nat Biotechnol. 2006;24:493–6. 8 Kenter MJH, Cohen AF. Establishing risk of human experimentation with drugs: lessons from TGN1412. Lancet. 2006; 368:1387–91. 9 Medicines and Healthcare products Regulatory Agency (MHRA, UK). First-in-man trials with monoclonal antibodies or other high risk compounds. 28th September 2006. Available from: www.mhra.gov.uk.