Médecine pharmaceutique: controverses à propos des études «first

Les faits
Fin 2004, après le retrait global de Vioxx®, l’inhi-
biteur de la COX-2, l’industrie pharmaceutique a
subi un nouveau revers sévère au printemps
2006. Jusqu’ici, les études précoces en phase 1
chez des témoins sains étaient considérées
comme relativement dépourvues de risques; il
était très rare de déplorer des incidents sérieux
[1]. Le 13 mars 2006, le TGN1412, un anticorps
monoclonal humanisé produit par l’entreprise al-
lemande TeGenero SA de Biotech a pour la pre-
mière fois été étudié chez l’homme dans le cadre
d’une étude «first-in-man». La substance testée,
qui devait être utilisée ultérieurement contre la
sclérose en plaques, l’arthrite rhumatoïde et la
LLC à cellules B, a été injectée consécutivement
et à intervalles d’une minute chez six saines des
participants à l’étude. En l’espace de 90 minutes,
cet anticorps stimulant directement les cellules T
a entraîné une réaction systémique inflamma-
toire sévère chez tous les volontaires. La sécré-
tion massive de cytokines anti-inflammatoires
(«tempête de cytokines») a entraîné par la suite
une défaillance multi-organique [2]. Seul le trai-
tement médical intensif instauré en urgence a
permis de sauver la vie des volontaires. Cette
étude initiée à l’hôpital londonien Northwick Park
a attiré l’attention du monde entier – en effet, le
«cauchemar des chercheurs cliniques», comme
l’a intitulé le «New England Journal of Medicine»
dans un commentaire [3], était devenu réalité.
Doit-on déplorer de graves négligences dans
les travaux préliminaires de l’étude TGN1412?
Très vite, on a pu lire dans la presse que l’étude
n’aurait pas respecté les standards médicaux
maximaux. L’analyse immédiate de cet incident
[4] n’a pas pu confirmer ce fait: cette étude avait
été avalisée par une expertise de la commission
d’éthique correspondante, elle avait l’autorisa-
tion des autorités britanniques et allemandes, et
il s’agissait en outre d’un produit correspondant
à tous les critères de qualité pharmaceutique
bénéficiant de vastes études auprès de trois es-
pèces animales avec des doses jusqu’à 500 fois
supérieures à celles reçues par les volontaires.
Aucun élément n’a permis de relever une erreur
d’administration. Bien que la définition de la
dose initiale adéquate – un élément complexe en
général pour les produits biotechnologiques –
puisse sembler douteuse a posteriori, aucun
signe concret n’indiquait, avant le début de
l’étude, un risque accru lors de son administra-
tion initiale chez l’homme. La critique principale
a visé les brefs intervalles d’administration entre
les premières injections chez les volontaires.
Tous les participants avaient déjà reçu le produit
étudié avant même que les premiers symptômes
ne surviennent.
Cette étude a également suscité des réflexions
critiques ainsi qu’une discussion controversée
dans les milieux spécialisés. Quelles seront les
conséquences du «cas TGN1412» pour la régu-
larisation des études dans les phases de déve-
loppement clinique les plus précoces?
Un point de vue différencié
du risque initial
Lorsque la toxicité d’une nouvelle substance
repose sur la molécule elle-même, entraînant par
exemple directement des lésions hépatiques ou
des arythmies, les études standard effectuées in
vitro et chez l’animal se sont révélées jusqu’ici
suffisantes pour démontrer un risque possible,
avant même les études initiales chez l’homme. Si
la première administration chez l’homme sem-
ble praticable sur la base des résultats pré-clini-
ques, les études précoces en phase 1 permettent
d’analyser la sécurité du médicament concer-
nant les systèmes organiques les plus impor-
tants. La réalisation d’études «first-in-man»,
permettant par exemple de définir une dose ini-
tiale sûre ainsi que le mode d’augmentation des
doses, est soumise à certains principes, de type
empirique surtout. Pour l’instant, aucune direc-
tive contraignante et détaillée n’a été émise
par les autorités de contrôle des médicaments.
Même le concept de cohorte utilisé dans l’étude
TGN1412 (parmi huit volontaires testés, deux
ont reçu un placebo et six la substance active)
correspondait aux procédures habituelles. Aucun
motif concret justifiant une régulation n’a été
émis jusqu’ici, car l’administration initiale de
molécules de petite taille synthétisées par voie
chimique avait entraîné remarquablement peu
de complications. Et l’on peut s’attendre à ce que
la situation ne change pas à l’avenir en ce qui
concerne ce type de médicaments. Certes, ni
les études menées chez l’animal ni celles en
phase 1 ne peuvent exclure un potentiel toxique,
celui-ci ne se manifestant que rarement dans cer-
tains groupes de patients uniquement, ou seule-
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Médecine pharmaceutique: Controverses à propos
des études «first-in-man»
Peter Kleista, Beat Althausb
aPFC Pharma Focus AG, Volketswil, bGlaxoSmithKline AG, Münchenbuchsee
ne sont pas en eux-mêmes des substances à ris-
que. Ils peuvent le devenir lorsque, par exemple,
leur principe d’action est directement, ou de ma-
nière inédite, dirigé vers le système immunitaire
(cellules T), lorsque leur structure a été modifiée
par technologie génétique (par ex. fragments Fc
manipulés) ou en l’absence de modèle animal
adéquat pour les protéines conçues de manière
ciblée pour l’organisme humain. Il faut imposer
des critères clairs définissant le moment dès le-
quel un anticorps peut être considéré comme un
risque et en constitue réellement un, ainsi qu’une
caractérisation préclinique et clinique différen-
ciée, autant de facteurs que doivent développer
ensemble la recherche académique, l’industrie
et les autorités de contrôle des médicaments.
De nombreuses questions, encore
peu de réponses
La discussion actuelle relative à la manière dont
on peut accroître la sécurité des études «first-in-
man» se concentre donc sur l’utilisation initiale
des anticorps monoclonaux associée à un risque
théoriquement accru. Soulignons ici trois moda-
lités actuellement discutées pour la réalisation
de telles études. Elles montrent aussi les «désac-
cords» existants entre les intérêts éthiques et les
réflexions scientifico-méthodologiques.
1. Faut-il considérer comme obsolètes les prin-
cipes en vigueur jusqu’ici permettant de défi-
nir la dose de départ sûre chez l’homme – sur
la base du «no observed adverse effect level»
(NOAEL) – lorsque l’on utilise pour la pre-
mière fois des substances potentiellement
dangereuses chez l’homme? Un nouveau
concept est celui de «MABEL» (minimum an-
ticipated biological effect level), qui équivaut
à utiliser une dose de départ beaucoup plus
faible, considérée comme biologiquement
active, tout en augmentant prudemment les
doses ultérieures. En outre, il importe de
connaître le nombre de paramètres à consi-
dérer et la durée de la période d’analyse. Les
standards habituels définis pour les études
sur la sécurité d’utilisation suffisent-ils en-
core pour les AMC? La plupart des AMC ont
une demi-vie de plusieurs jours, de sorte que
leur clairance complète peut prendre un mois
ou même plus.
2. De nombreux éléments indiquent que, in-
discutablement, l’administration initiale chez
l’homme ne doit pas avoir lieu en même
temps chez plusieurs volontaires mais de ma-
nière séquentielle, en respectant un intervalle
d’observation suffisant [4, 7]. Quelle doit être
la durée de ces intervalles? Et dans quelle me-
sure un concept d’étude randomisé en double
aveugle avec contrôle placebo est-il encore
possible dans une phase de développement
très précoce? En effet, l’administration d’un
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ment après une utilisation à long terme. Les
études précoces en phase 1, vu leur design, ne
sont pas en mesure de mettre en évidence ce
type de risques et elles ne sont donc pas non plus
abordées ici.
Au cours de ces dernières années, la biotechno-
logie a mis à notre disposition des protéines thé-
rapeutiques inédites. Jusqu’ici, dans l’ensemble,
leur utilisation initiale chez l’être humain n’a pas
été associée à des problèmes graves. En principe,
ceci est valable également pour les anticorps
monoclonaux (AMC), porteurs d’espoirs théra-
peutiques de nombreuses maladies difficiles à
traiter. Actuellement, dans le monde entier, plus
de 300 AMC se trouvent en phase préclinique et
environ 150 en phase de développement clini-
que. Ils doivent toutefois être soumis à une ré-
flexion différenciée. Leur éventuel effet toxique
ne réside pas dans la molécule elle-même, mais
dans son effet biologique. Les AMC attaquant
directement le système immunitaire, les choses
sont encore plus complexes, car il n’existe pas de
modèle animal suffisamment prédictif applicable
au système immunitaire humain. Les systèmes
biologiques de l’homme et de l’animal ne peu-
vent être comparés que moyennant certaines
conditions, et les effets spécifiques à une espèce
déployés par les AMC sont ainsi pour l’essentiel
imprévisibles. On connaissait certes, à l’avance,
les risques théoriques qui se sont d’ailleurs
concrétisés pour la première fois avec le
TGN1412: l’agoniste TGN1412 du CD28 devait
simplement – comme l’ont montré les études pré-
cédentes chez l’animal – stimuler l’effet anti-
inflammatoire régulateur des cellules T, mais
au lieu de supprimer les réactions anti-inflam-
matoires, cet agoniste a entraîné une réaction
massive systémique chez l’homme.
Les éventuelles «négligences» dans le cadre de
l’étude TGN1412 ne doivent donc pas être re-
cherchées dans le manque de modèles animaux
et de directives à valeur prédictive visant les mé-
dicaments synthétiques à molécules de petite
taille. Le développement traditionnel préclinique
et clinique des médicaments novateurs ne peut
s’appliquer tel quel aux produits biotechnologi-
ques, encore moins à la nouvelle génération de
certains AMC recombinants associés à un risque
théorique [5]. Aujourd’hui déjà, on suit des pro-
cédures au «cas par cas» [6]. Dans le contexte du
TGN1412, il est encore nécessaire, en ce qui
concerne certaines molécules et principes actifs,
de modifier encore plus nos réflexions par rap-
port aux modes de pensée courants. Outre les
réflexions relatives à l’optimisation des études
«first-in-man» avec des AMC définis, un autre
défi de taille est constitué par la nécessité de
développer de meilleurs modèles in vitro et
d’identifier des marqueurs succédanés plus pré-
dictifs concernant le risque chez l’homme [7].
En ce qui concerne le risque de départ, nous
devons encore mentionner le fait que les AMC
pour obtenir des médicaments novateurs et très
efficaces. Il faut bien un jour ou l’autre franchir
le pas de l’animal à l’homme. La protection des
volontaires et les mesures visant à éviter le
«worst case», c’est-à-dire le décès d’un volon-
taire ou d’un patient, doivent absolument repré-
senter la première priorité. Par ailleurs, des
risques existent aussi sur le plan économique.
L’entreprise TeGenero de Biotech n’est plus sol-
vable depuis longtemps. Les études précoces en
phase 1 étaient considérées jusqu’ici comme
étant très sûres, un fait que les événements
liés à l’étude TGN1412 n’ont pas modifié; cela
concerne aussi la plupart des produits biotech-
nologiques dont les AMC. Il ne faut donc pas
s’attendre à un changement de paradigme
concernant les études «first-in-man».
Il est important de tirer les conséquences de cet
incident afin de pouvoir, à l’avenir, manipuler ces
substances de manière fiable moyennant un ris-
que théorique défini et d’optimiser la sécurité des
volontaires testés. Diverses procédures d’ana-
lyses des risques ont déjà été présentées [8, 9].
Il est impératif que les chercheurs académiques,
les autorités de contrôle des médicaments et
l’industrie collaborent étroitement afin d’obtenir
de meilleurs standards de recherche, base
d’une pondération adéquate du rapport béné-
fice/risque. La question se pose en outre de
savoir si des résultats d’études précliniques plus
transparents – du moins en ce qui concerne
les mécanismes d’action étudiés – permettraient
d’éviter des cas semblables. Nous attendons
avec impatience les prochains résultats dans ce
domaine.
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placebo en double aveugle ne permet de tirer
aucune conclusion. Des études contrôlées dé-
finissant l’aspect «safety first» ne sont possi-
bles que dans une seconde étape. Une autre
question consiste à savoir si des témoins se
porteront encore volontaires, sachant qu’ils
seront les seuls à recevoir une nouvelle subs-
tance.
3. Faut-il vraiment tester les substances à risque
d’abord sur des personnes en bonne santé ou
directement sur des patients, comme c’est
déjà le cas en oncologie [4]? Le TGN1412 au-
rait-il dû être administré directement à des
patients atteints de sclérose en plaques ou
d’arthrite rhumatoïde? Le calcul bénéfice/ris-
que est différent chez l’individu sain car, en
cas de risque comparable supposé, il ne peut
pas profiter d’un nouveau médicament. D’au-
tre part, des raisons médicales spécifiques
suggèrent qu’il convient d’abord de recher-
cher un système si possible homogène et sain
au lieu, notamment, d’un système immuni-
taire labile qui pourrait complètement «dé-
railler», ce qui limiterait la sécurité d’action
chez les volontaires ainsi que la valeur pré-
dictive d’une étude. Faut-il utiliser ces subs-
tances initialement sur des volontaires sains
ou sur des patients? Il est impossible de four-
nir une réponse univoque à cette question; le
choix adéquat de la population à étudier doit
absolument reposer sur des motifs solides.
Quoi qu’il en soit, on ne peut exclure totalement
tout risque associé à la recherche sur les médi-
caments; ces risques représentent le prix à payer
Correspondance:
Dr Peter Kleist
PFC Pharma Focus AG
Chriesbaumstrasse 2
CH-8604 Volketswil
Références
1 Stein CM. Managing risk in healthy subjects participating
in clinical research. Clin Pharmacol Ther. 2003;74:511–2.
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8 Kenter MJH, Cohen AF. Establishing risk of human experi-
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368:1387–91.
9 Medicines and Healthcare products Regulatory Agency
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able from: www.mhra.gov.uk.
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