"L'esprit de l'art juif"
chrétien des derniers siècles de l'antiquité, en adoptant le prototype juif, l'adapte aux enseignements
iconographiques de l'Eglise.
Un des lieux où se manifeste particulièrement cette influence juive est l'Eglise de Sainte-Marie Majeure à Rome,
construite au IV° siècle par le Pape Libère. Dans la nef centrale, une série de mosaïques carrées d'égale grandeur,
divisées en deux pans superposés, sont consacrées à des scènes de la Genèse, de l'Exode, des Nombres, du
Deutéronome et de Josué, illustrations de la vie d'Abraham, de Jacob, de Moïse et de Josué.
Sans prétendre à une analyse exhaustive, nous évoquerons la scène où Abraham reçoit les anges : sur trois
panneaux le patriarche apparaît trois fois pour l'accomplissement de la mission contée dans les onze premiers
versets du chapitre XVIII de la Genèse. Autre exemple : la grande bataille de Gabaon. L'apparitin de la main
symbolise l'intervention de Dieu. Sur le panneau suivant, c'est Josué arrêtant le soleil et la lune (Josué.X.XIII) .
La conception qui dirige la composition des fresques de Doura-Europos, nous la retrouvons dans les admirables
miniatures sur fond pourpre de la Genèse de Vienne (Bibliothèque Nationale Autrichienne à Vienne Théol. Gr.31).
Ce manuscrit du VI° siècle est probablement originaire du Syrie ou d'Alexandrie. Les miniatures se distribuent en
registres, comme les peintures de Doura. Comme celles-ci, elles s'arrêtent moins à l'allure héroïque des
personnages, à leurs traits individuels qu'elles ne concentrent l'attention sur la succession des événements auxquels
commande la volonté divine.
L'iconographie juive n'a-t-elle pas étendu également son rayonnement au Pentateuque de Tours (Ashburnham
Pentateuque) (Bibliothèque Nationales, Paris, Nouv. Acq. Lat. 2334.), lequel fut exécuté probablement non loin
d'Alexandrie au VII° siècle ? Et aux manuscrits de Byzance de la même époque, ainsi qu'aux Homélies de Saint
Grégoire de Naziane (Bibliothèque Nationale, Paris, Grec 510), ou encore au Psaultier de la même collection (Grec
139), ou encore à la Bible de la Reine Christine du Vatican (Cod. Vat. Regin. Greco I) ?
Ainsi, ce que des érudits de génie, comme David Kaufmann et Joseph Strzygowski n'ont pu que conjecturer il y a un
demi-siècle, les peintures de Doura désormais l'attestent indiscutablement : la source la plus abondante de l'art
chrétien est l'art juif.
Pourtant, la sémantique de l'art chrétien allait bientôt subir un autre changement. Le caractère hiératique que les
artistes de Doura voulurent éviter reparaît dans l'art byzantin, bien qu'à l'origine l'interprétation de l'écriture ait suivi la
direction que l'art juif lui donnait.
Quoi qu'il en soit, ensuite, advenu, dans la narration continue on voyait paraître la volonté divine sous ses formes
concrètes, spacieuses et claires. Réalité de chaque forme, et, détachés, les événements se succèdent. Ni les
personnes importent, ni l'imitation stricte de la Nature ; ni la beauté, perfection du corps humain, telle que l'aiment les
Grecs. On se détache de l'hellenisme, on cherche - et on trouve - des voies par lesquelles, au delà des traits
exactement reproduits des dieux et des hommes, se révèle, en art, un sentiment plus vrai de l'immense réalité
mouvante. C'est pourquoi dans l'art juif, au cours de son histoire, toute image de Dieu fut bannie - sa présence
n'étant suggérée, quelquefois, que par sa main. Mais le schisme allait se produire avec l'art chrétien. Dieu y
redevient bientôt visible, et la représentation tend de nouveau vers les figurations hiératiques où l'image personnelle
règne souverainement. Dès lors, l'art juif n'est pas seulement séparé de l'art païen, mais de l'art chrétien. Puisque
Jésus revêt l'apparence humaine, la contradiction se détermine avec le monothéisme transcendant sur lequel les
Juifs se refusent à admettre toute équivoque. Car prêter figure à Dieu offense l'esprit juif. Les artistes juifs, dès les
temps talmudiques-hellénistiques, ne s'en tiennent pas à la personne de Dieu. C'est la volonté divine qu'ils veulent
exprimer, ce qui y couve en état de devenir, ce qui y est en marche vers le devenir... »
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