L`esprit de l`art juif

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"L'esprit de l'art juif"
Extrait du Judaiques Cultures
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"L'esprit de l'art juif"
- D'art en art -
Date de mise en ligne : mardi 14 décembre 2004
Description :
"..car prêter figure à Dieu offense l'esprit juif. Les artistes juifs, dès les temps talmudiques-hellénistiques, ne s'en tiennent pas à la personne de Dieu. C'est la
volonté divine qu'ils veulent exprimer, ce qui y couve en état de devenir, ce qui y est en marche vers le devenir... » Un cas de représentation qui a bouleversé la
connaissance du monde Juif : la Synagogue de Doura-Europos (III°siècle).
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"L'esprit de l'art juif"
L'ESPRIT DE L'ART JUIF (Extraits
) de Ernest Namenyi, Les Editions de Minuit (1957)
Extraits du chapitre I : « La Volonté Divine Régissant le Devenir »« ...Le Dieu transcendant des Juifs est ETRE :
« Je suis celui qui suis. » Il ne peut pas avoir d'images. « Puisque vous n'avez vu aucune figure le jour où l'Eternel
vous parla du milieu du feu, à Horeb, veillez attentivement sur vos âmes, de peur que vous ne vous corrompiez et
que vous ne vous fassiez une image taillée représentant quelque idole, figure d'homme ou de femme, figure d'un
animal qui soit sur la terre, d'un oiseau qui vole dans les cieux, d'une bête qui rampe sur le sol, d'un poisson qui vive
dans les eaux au-dessous de la terre. » (Deutéronome. IV.15-16)
« Les dieux païens, eux, sont des images. Ils sont immanents par le moyen de leurs images. Le service des dieux
est le service des images, des idoles, tandis que le service de Dieu est le service de l'Etre véritable, de l'Etre en soi,
donc transcendant. La lutte menée par les prophètes contre les idoles fut celle de l'Etre contre l'apparence, c'est à
dire contre le néant, car les images ne représentent rien. Où en est l'original ? Quel en est le prototype ? Il n'existe
pas. »
« Le Dieu unique ne se contente pas de dire : « Tu n'auras pas d'autres dieux devant ma face ». Elargissant et
précisant sa pensée - et c'est la seule pensée du Décalogue qui inspire les quatre premiers commandements -, il dit :
« Tu ne feras point d'image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui
sont en bas sur la terre et qui sont dans les eaux au-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles et
tu ne les serviras point. »
« Toute image devant avoir un original, un prototype immanent, on ne peut faire une image de Dieu car, par sa
transcendance même, il n'est prototype de rien ; il ne se révèle que par l'intuition, par l'esprit, par l'amour, par la
raison, mais il ne peut être le modèle d'une image. »
« Il est facile de comprendre que cette conception de Dieu pourrait mener à la négation de l'art plastique. Cependant,
la force créatrice de l'homme ne peut se contenter de traduire sa ferveur religieuse par la poésie, la musique, les
rites ; il en cherche la concrétion dans tous les arts. Si la vérité, si le caractère unique de Dieu, l'Etre en soi, principe
constant de la religion d'Israël, ne supporte aucune représentation de Dieu, la faculté esthétique de l'homme n'en
existe pas moins ; elle a ses exigences à côté de la perception normale, c'est par elle, par ses intuitions que l'artiste
crée. Notre oeil, dit Bergson , aperçoit les traits de l'être vivant, mais juxtaposés les uns aux autres et non pas
organisés entre eux. L'intention de la vie, le mouvement simple qui court à travers les lignes, qui les lie les unes aux
autres et leur donne une signification lui échappe. C'est cette intention que l'artiste vise à ressaisir en se replaçant à
l'intérieur de l'objet par une espèce de sympathie, en abaissant, par un effort d'intuition, la barrière que l'espace
interpose entre lui et le modèle... « L'intuition pourra ainsi nous faire saisir ce que les données de l'intelligence ont ici
d'insuffisant, et nous laisser entrevoir le moyen de les compléter. »
« En abordant l'analyse de la création artistique par la raison - comme Hermann Cohen l'a fait - on ne peut pas
atteindre son essence. L'art est régi par l'intuition, il peut ainsi saisir la réalité, perpétuel devenir, tandis que la
science régie, elle, par la raison, est perplexe devant la réalité. Il n'y a pas de peuple dont la force créatrice, la
ferveur religieuse se limite à la poésie, à la musique, aux rites dramatiques. L'intuition artistique de l'homme tendra et
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arrivera toujours à s'exprimer dans les arts plastiques ; les monuments d'art, depuis quarante millénaires, le
prouvent.
L'art de la Mésopotamie et de l'Egypte antique est étroitement lié à la religion. Ses formes ne sont point exactement
celles des apparences ; cependant elles représentent l'immanence de la divinité et, la représentant, finissent par se
substituer à la divinité ; elles deviennent les dieux ; elles ont les idoles. »
« Pour préserver l'essence du judaïsme, il n'y avait que deux moyens. Le premier était l'iconoclasme intransigeant, la
lutte contre les images par la persuasion, l'ironie, la menace - ce que faisaient les prophètes. Mais cette lutte ne
serait-elle pas sans issue, ne succomberait-elle pas à l'inlassable volonté créatrice de l'homme, née de l'intuition qui
lui inspire les oeuvres d'art ?
Depuis les hommes des cavernes, pas un peuple qui n'ait obéi à l'instinct, à l'intuition, d'où germe la création
artistique. Certes, durant toute l'histoire biblique, se poursuit un incessant combat contre les idoles. Mais qu'en
espérer, tant que l'intuition de l'homme n'a pas trouvé le moyen de créer des oeuvres d'art qui ne soient pas des
idoles ? Elle y arriva...Elle arriva à nous faire saisir ce qui, dans les données de l'intelligence, demeure caché. Il
fallait trouver les ressources d'expression d'un art « qui ne s'exprime pas par l'analogie de la nature », qui ne soit
plus l'expression de l'immanence des dieux, mais suggère la transcendance de Dieu.
Comment y parvenir, comment faire sentir la voix, la volonté de Dieu ? la représentation statique, hiératique de la
divinité n'y parvient pas. Comment exprimer le Devenir, les manifestations de la volonté de Dieu, en mouvement
dans le temps et l'espace ? Les monuments de l'art juif, dès le III° siècle de notre ère, y réussirent et en ont transmis
la méthode à l'art chrétien antique et à l'art byzantin. Le besoin d'évocation, par l'art, de la transcendance de Dieu,
s'est exprimé dans le second moyen : la narration continue.
Voilà l'apport insigne du génie juif à l'art occidental. » voir article « La narration continue »
« ...dans la narration continue on voyait paraître la volonté divine sous ses formes concrètes, spacieuses et claires.
Réalité de chaque forme, et, détachés, les événements se succèdent. Ni les personnes importent, ni l'imitation stricte
de la Nature ; ni la beauté, perfection du corps humain, telle que l'aiment les Grecs. On se détache de l'hellenisme,
on cherche - et on trouve - des voies par lesquelles, au delà des traits exactement reproduits des dieux et des
hommes, se révèle, en art, un sentiment plus vrai de l'immense réalité mouvante. C'est pourquoi dans l'art juif, au
cours de son histoire, toute image de Dieu fut bannie - sa présence n'étant suggérée, quelquefois, que par sa main.
Mais le schisme allait se produire avec l'art chrétien. ..car prêter figure à Dieu offense l'esprit juif. Les artistes juifs,
dès les temps talmudiques-hellénistiques, ne s'en tiennent pas à la personne de Dieu. C'est la volonté divine qu'ils
veulent exprimer, ce qui y couve en état de devenir, ce qui y est en marche vers le devenir... »
Le cas de la synagogue Doura-Europos en Syrie,
« ...La première application que nous connaissions dans l'art juif de la narration continue est magnifiquement donnée
par les fresques de la synagogue de DOURA-EUROPOS, datant des environs de 245 de notre ère. Notre conception
de l'art juif a été profondément bouleversée par la découverte, en 1932, des ruines de cette synagogue.
Doura-Europos, ville de Syrie aux bords de l'Euphrate, forteresse tout à tour des Séleucides, des Parthes et enfin du
limes Romain, fut définitivement détruite vers 260 par les Perses. Durant le dernier siège qu'elle soutint, le
commandant romain expropria tous les bâtiments se trouvant à proximité immédiate des fortifications afin de laisser
du champ à la défense des remparts. Parmi ces édifices se trouvait la synagogue. Les remparts écroulés
ensevelirent la maison de prières. Ses murs étaient couverts de précieuses peintures...jusqu'à ce que les
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archéologues les aient ramenées au jour.
..La niche de la Torah portait des peintures à son fronton ; les quatre murs étaient couverts de représentations
d'événements de l'Ecriture, peintes sur trois plans superposés. Il es important de remarquer que la création de ces
oeuvres a précédé l'épanouissement du rabbinisme babylonien dont les plus célèbres académies, celles de Soura et
Néhardéa, n'étaient pas loin de Doura.
Ces peintures sont donc l'expression plastique de la pensée juive avant la réforme halahique.
Les fresques racontent les événements marquants de la vie d'Abraham, de Jacob, de Moïse, d'Aron, de Samuel, de
David, de Salomon, d'Elie, d'Esther....
Ce qui frappe au plus haut point dans les fresques de la Synagogue de Doura, c'est comment la représentation des
personnes, la beauté des formes humaines demeurent secondaires pour l'artiste ; Il ne se préoccupe nullement des
trois dimensions ; les effets de perspective qu'il a appris chez les Grecs ne le passionnent pas. Les cadres de
l'action, l'architecture, le paysage voilà à quo il s'applique et se voue. La mobilité des spectacles est tellement
poussée qu'elle détourne de chaque personnage un à un. Nous sommes amenés à embrasser de vastes ensembles
humains, les étendues d'espace et de temps où ils se meuvent et s'affrontent. Résumons la description que le comte
du Mesnil du Buisson donne, par exemple, du tableau représentant la vision de'Ezéchiel. Chacune des scènes
peintes, parfois très réduites, illustre un paragraphe du récit que nous allons donner en suivant le texte (Pl. II et III, et
fig. 1 et 2).
« Le personnage que la main de Dieu a saisi par la chevelure pour le déposer au milieu des membres épars est le
prophète Ezéchiel lui-même...En second lieu, le prophète, posé à terre, étend la main droite, tandis que, la gauche
levée, il fait le geste de la parole plutôt qu'il ne montre la main de Yahvé au-dessus de lui. L'image répond aux
versets suivants : XXXVII, 2-7a. « Puis l'Eternel me fit passer tout autour de ces ossements...Alors il me dit :
Prophétise sur ces ossements..., et ainsi parla le Seigneur Eternel à ces ossements...Je mettrai l'esprit en vous et
vous revivrez. Je prophétiserai donc, comme j'en avais reçu l'ordre. » « La troisième image du Prophète montre la
main droite avancée vers une colline qui s'entr'ouvre et la gauche levée encore une fois vers la main de Dieu,
au-dessus de la crevasse. De cette colline ouverte paraissent sortir des membres détachés. Le texte illustré ici nous
dit : « Et comme je prophétisais, « il y eut un tremblement de terre et les os se rapprochèrent les uns des autres »
(XXXVII, 7).
...M. Rostovtzeff, le grand interprète de la civilisation du Moyen-Orient, au commencement de notre ère, écrit : «
L'artiste au service de la religion juive a cherché les moyens de donner l'impression du développement continu des
événements. Ses tâtonnements montrent qu'il n'y avait pas de guide pour l'aider ; il n'a pas eu de modèles devant les
yeux. Il n'a probablement jamais vu les produits de l'art romain et indien qui luttaient, dans le même temps, avec les
mêmes difficultés. La méthode d'isolement leur était devenue familière, grâce à la peinture et la sculpture
mythographiques de leur temps. Mais ils ignoraient la méthode de narration continue. Sur ce point, ils ont exploré
des terres inconnues » .
Les artistes de l'Inde sont les premiers chez qui l'on voit la méthode de la narration continue, appliquée aux épisodes
de la vie de Buddha et à ses incarnations successives. A leur tour, l'art chrétien antique et l'art byzantin l'ont
employée . Mais ils ne s'en sont pas servi pour interpréter la volonté de Dieu transcendant ; ils ont décrit la vie de
Jésus, la rédemption, vues à travers les dogmes chrétiens, comme les Hindous avaient décrit divers aspects de la
méditation de Buddha.
Cette grande découverte de l'art juif apparaît ensuite dans l'art chrétien, mais avec une autre sémantique. L'art
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chrétien des derniers siècles de l'antiquité, en adoptant le prototype juif, l'adapte aux enseignements
iconographiques de l'Eglise.
Un des lieux où se manifeste particulièrement cette influence juive est l'Eglise de Sainte-Marie Majeure à Rome,
construite au IV° siècle par le Pape Libère. Dans la nef centrale, une série de mosaïques carrées d'égale grandeur,
divisées en deux pans superposés, sont consacrées à des scènes de la Genèse, de l'Exode, des Nombres, du
Deutéronome et de Josué, illustrations de la vie d'Abraham, de Jacob, de Moïse et de Josué.
Sans prétendre à une analyse exhaustive, nous évoquerons la scène où Abraham reçoit les anges : sur trois
panneaux le patriarche apparaît trois fois pour l'accomplissement de la mission contée dans les onze premiers
versets du chapitre XVIII de la Genèse. Autre exemple : la grande bataille de Gabaon. L'apparitin de la main
symbolise l'intervention de Dieu. Sur le panneau suivant, c'est Josué arrêtant le soleil et la lune (Josué.X.XIII) .
La conception qui dirige la composition des fresques de Doura-Europos, nous la retrouvons dans les admirables
miniatures sur fond pourpre de la Genèse de Vienne (Bibliothèque Nationale Autrichienne à Vienne Théol. Gr.31).
Ce manuscrit du VI° siècle est probablement originaire du Syrie ou d'Alexandrie. Les miniatures se distribuent en
registres, comme les peintures de Doura. Comme celles-ci, elles s'arrêtent moins à l'allure héroïque des
personnages, à leurs traits individuels qu'elles ne concentrent l'attention sur la succession des événements auxquels
commande la volonté divine.
L'iconographie juive n'a-t-elle pas étendu également son rayonnement au Pentateuque de Tours (Ashburnham
Pentateuque) (Bibliothèque Nationales, Paris, Nouv. Acq. Lat. 2334.), lequel fut exécuté probablement non loin
d'Alexandrie au VII° siècle ? Et aux manuscrits de Byzance de la même époque, ainsi qu'aux Homélies de Saint
Grégoire de Naziane (Bibliothèque Nationale, Paris, Grec 510), ou encore au Psaultier de la même collection (Grec
139), ou encore à la Bible de la Reine Christine du Vatican (Cod. Vat. Regin. Greco I) ?
Ainsi, ce que des érudits de génie, comme David Kaufmann et Joseph Strzygowski n'ont pu que conjecturer il y a un
demi-siècle, les peintures de Doura désormais l'attestent indiscutablement : la source la plus abondante de l'art
chrétien est l'art juif.
Pourtant, la sémantique de l'art chrétien allait bientôt subir un autre changement. Le caractère hiératique que les
artistes de Doura voulurent éviter reparaît dans l'art byzantin, bien qu'à l'origine l'interprétation de l'écriture ait suivi la
direction que l'art juif lui donnait.
Quoi qu'il en soit, ensuite, advenu, dans la narration continue on voyait paraître la volonté divine sous ses formes
concrètes, spacieuses et claires. Réalité de chaque forme, et, détachés, les événements se succèdent. Ni les
personnes importent, ni l'imitation stricte de la Nature ; ni la beauté, perfection du corps humain, telle que l'aiment les
Grecs. On se détache de l'hellenisme, on cherche - et on trouve - des voies par lesquelles, au delà des traits
exactement reproduits des dieux et des hommes, se révèle, en art, un sentiment plus vrai de l'immense réalité
mouvante. C'est pourquoi dans l'art juif, au cours de son histoire, toute image de Dieu fut bannie - sa présence
n'étant suggérée, quelquefois, que par sa main. Mais le schisme allait se produire avec l'art chrétien. Dieu y
redevient bientôt visible, et la représentation tend de nouveau vers les figurations hiératiques où l'image personnelle
règne souverainement. Dès lors, l'art juif n'est pas seulement séparé de l'art païen, mais de l'art chrétien. Puisque
Jésus revêt l'apparence humaine, la contradiction se détermine avec le monothéisme transcendant sur lequel les
Juifs se refusent à admettre toute équivoque. Car prêter figure à Dieu offense l'esprit juif. Les artistes juifs, dès les
temps talmudiques-hellénistiques, ne s'en tiennent pas à la personne de Dieu. C'est la volonté divine qu'ils veulent
exprimer, ce qui y couve en état de devenir, ce qui y est en marche vers le devenir... »
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Nous pouvons considérer que là est la part inaltérable de l'expression de la culture juive et son originalité.
Extraits du chapitre III : « Le Symbolisme de la
Synagogue Antique »
Retournons à Doura. Les peintures de la synagogue, par leur richesse et leur précision, disent bien en quel esprit
elles ont été conçues. Nous parlerons séparément de celles qui entourent l'arôn haqqodesh. La suite de tableaux la
plus importante concerne Moïse qui délivra le peuple juif en Egypte ; Samuel qui oignit David, aïeul du Messie ; Elie,
son précurseur ; le Prophète Ezéchiel qui ressuscita les morts ; Esther qui sauva son peuple.
Cette série de scènes n'a aucune régularité chronologique. Elle ne vise pas à illustrer littéralement la Bible, mais à
fournir une transcription imagée de la conception messianique telle qu'au III° siècle elle animait les juifs de Palestine
et de Mésopotamie. L'orientation architecturale de la synagogue servait, elle-même, à mieux exprimer cette
conception. Au mur ouest s'ouvrait, entre deux colonnes, une niche dont le fond se recourbait en forme de coquille. A
côté se trouvait le siège surélevé du chef de la Communauté dirigeant la synagogue. De sorte que la Maison des
Prières était tournée, à l'ouest de Doura, vers Jérusalem.
Nous suivons dans la description sommaire de la synagogue le Comte du Mesnil de Buisson : L'édicule contenant la
niche de la Torah était placé en face de la porte principale, contre le mur du fond, vers le milieu du long côté de
l'ouest. Dès qu'on pénétrait dans la salle des réunions, le regard était attiré par ce saillant de maçonnerie,
rectangulaire, qui s'élevait à 3 mètres au-dessus du sol, avec une largeur de 1m40. La niche, aménagée à l'intérieur,
flanquée de colonnes, était fort profonde, 1m25 au ras du parement. L'édicule avait une double utilité : contenir
l'armoire de la Loi, arôn haqqôdesh, et, en second lieu, indiquer l'orientation de l'édifice. En effet, la niche est placée
de telle manière qu'étant en face, on est tourné presque exactement vers Jérusalem. (Cf.I.Rois, VIII, 48 et 44 ;
Daniel VI,10.) Il est important de constater que les juifs du III° siècle ont marqué cette direction par une niche .
Lorsqu'on entre dans la Synagogue, on est frappé par les attributs et la scène qui ornent le fronton de la niche (Pl.I).
Sur un fond bleu, se détache, au centre, une image, sans doute de grande importance, à cette place d'honneur.
C'est, à ce qu'il semble, la façade d'un édifice. Sur un soubassement horizontal, sont posées quatre colonnes, deux
à chaque extrémité. Les chapiteaux, en forme de bulbe à la base, rappellent une fleur de Lotus ou certaines
corbeilles. Au-dessus règne un entablement à corniche, surmonté de merlons arrondis. Dans le milieu de cette
façade, une porte à deux battants fermée. Le couvre-joint central est orné de sept disques à point central. Au milieu
de chaque battant, se détache un anneau servant sans doute de bouton. La porte est encadrée de deux colonnes à
enroulement sur les côtés et, sur le dessus, un tympan arrondi garni d'une coquille. Dans l'édifice qui orne la niche,
la porte, les colonnes, le couronnement et le soubassement sont jaunes, ce qui paraît indiquer qu'ils étaient dorés ;
le mur du fond est d'un rose un peu violacé, correspondant peut-être au pourpre, dans la pensée du peintre. C'est
une figure conventionnelle du Temple de Jérusalem et l'objet du milieu est l'arche d'alliance. La forme de l'arche aux
autres parties des fresques ne laisse, à cet égard, aucun doute. A cette époque, la figuration de l'arche est assimilée,
le plus souvent, à l'arôn haqqôdesh, mais la pensée de l'artiste au sujet du prototype copié ne laisse subsister aucun
doute. A gauche du Temple est peint un gigantesque chandelier à sept branches. « Cet objet était considéré, à
l'époque de la diaspora, comme l'ustensile du Temple le plus caractéristique et il est reproduit sur une multitude
d'objets ou inscriptions juives. » A droite de la Menorah sont la loulab et l'étrôg . La partie droite du fronton de la
niche centrale est occupée par la scène du sacrifice d'Abraham. (Genèse XXII, 1-13). Le peintre a illustré les versets
9 et 10. On reconnaît là l'autel puis le bois arrangé en forme de curieux triangle et, par-dessus, Isaac couché.
Abraham, debout devant l'autel, tient de la main droite un gigantesque couteau, la pointe en l'air. Au-dessus
d'Abraham, une main droite, grande ouverte, sortant d'une nuée, la main de Dieu. Le bélier est placé derrière
Abraham. Selon la stylisation orientale, il a peint, à côté l'un de l'autre, le bélier et le buisson - un petit arbre. C'est la
première représentation connue de cette scène qui devient un thème constant de l'art juif .
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La Synagogue de Beth-Alpha et les symboles païens : De Doura, passons à présent aux mosaïques de Beth-Alpha.
Elles ressemblent, sans nul doute, aux peintures de Doura (Pl. IV). En entrant, on y aperçoit d'abord le sacrifice
d'Abraham ; le milieu est occupé par l'image du dieu solaire sur son char, entouré des signes du Zodiaque et, aux
quatre coins, les figures allégoriques des quatre saisons. Enfin, dans la troisième partie, la plus rapprochée de la
niche, est représenté le Temple. Cependant, de Doura à Beth-Alpha, il y a des différences importantes. L'Arche est
ici complètement identifiée à l'arôn haqqôdesh ; on y retrouve même la lampe perpétuelle brûlant devant l'arôn. Sur
le tympan, deux oiseaux ; l'arôn est gardé par deux lions rappelant les chérubins de l'arche. Deux menoroth
flanquent l'arôn qui est placé derrière un rideau (parohet) relevé sur deux côtés. Mais la peinture de la niche de
Doura et les mosaïques de Beth-Alpha gardent, pourtant, deux thèmes identiques : le sacrifice d'Abraham, c'est à
dire, selon la terminologie juive, le ligotement (Isaac n'est pas sacrifié mais seulement ligoté sur l'autel) et la Menorah
avec le temple messianique. Ce sont, pendant des siècles, les constantes primordiales de l'art juif.
Nous analyserons de près ces deux sujets ; arrêtons-nous cependant rapidement au panneau central des
mosaïques de Beth-Alpha : le dieu solaire sur son char que tirent quatre chevaux, sous les feux de la lune et des
étoiles. Deux cercles l'entourent, avec, en leurs segments, les signes du Zodiaque et leur désignation en hébreu.
Aux quatre coins du panneau rectangulaire, des génies ailés : les quatre saisons. Cette synthèse est-elle
exceptionnelle, est-elle unique ? On la retrouve dans les mosaïques des Synagogues d'Esfiya au Mont Carmel et à
Naaran, lesquelles sont, malheureusement, fort endommagées . Sur les reliefs de la Synagogue de K'far Birim, sont
dessinés, aussi, les signes du Zodiaque. Le Zodiaque a été au centre de la pensée religieuse juive. Le Sepher
Yetzirah, contemporain de ces synagogues, la poésie synagogale de Kalir du VII° siècle, donnent une énumération
complète des constellations célestes. Josèphe décrit leurs rapports avec les pains de proposition ; Philon avec les
douze pierres précieuses dont on pare le grand Prêtre ; le Midrash avec les douze tribus. La constellation du mois de
la naissance de chaque homme aura sa corrélation avec son destin. Le mot « MASAL » : constellation, devient
synonyme de sort.
Les saisons, figurées par des génies ailés, appartiennent à l'iconographie courante juive. Dans un petit livre
enluminé de commencement du XVIII° siècle, Seder Shemiroth Shabbath d'Isaac Luria que possède le Musée
Bezalel de Jérusalem, le zodiaque et les saisons sont la réplique exacte des mosaïques synagogales palestiniennes.
La destinée humaine comprise dans le cycle de la nature, la résurrection, la renaissance de l'homme, après sa mort,
dans une monde meilleur : c'est le fond de l'enseignement des mystères en Asie Mineure et il s'introduit dans les
croyances juives . En face d'une telle propagation, on ne peut considérer ces symboles comme de pures fantaisies
ornementales. Les symboles païens furent adoptés par les Juifs de l'époque hellénistique, mais pour participer à une
compréhension générale, à une initiation spirituelle. Les Juifs y placèrent le langage imagé de leur pensée propre.
Des siècles durant, ils font partie du trésor symbolique juif . Orphée est visible à Doura. Selon les Juifs alexandrins,
c'était le témoin de Dieu unique ; D'ailleurs, il est assimilé à David, le roi qui chante, l'aïeul du Messie. A la
Synagogue de Hammam Lif, une fontaine de vie, dans les catacombes, des couronnes, des Victoires ailées
symbolisent le triomphe des Justes, l'espoir de la vie future, l'immortalité. La sémantique mythologique païenne a
disparu, mais son pouvoir émotionnel a été transposé. Et c'est par la voie du Judaïsme que ces figurations passeront
dans la sémantique chrétienne où elles trouveront, de pair avec les figurations bibliques juives, une nouvelle
signification. Les formes restent semblables, mais elles évoqueront, au fur et à mesure de l'évolution des croyances,
des sentiments et des idées différentes. C'est en le confrontant avec le cours transformé des idées, depuis l'époque
de sa création, que nous devons contempler le dieu solaire et méditer sur sa représentation dans les synagogues de
Palestine. Simple décoration, simple parade, non certes . Sur son char, le voici aux temps hellénistiques et romains,
une des manifestations du dieu suprême. Il est ainsi en Iran dans les temps les plus lointains ; dans les Védas,
comme Mithra, il est l'esprit de la lumière rayonnant sur un char.
Que devient-il dans le Judaïsme ? Quel sens y prend l'expression grecque ? C'est devenu un mystère. L'objet en est
la rédemption, dans l'acception mystique. Dieu est l'absolu ; il est relié aux phénomènes par un faisceau lumineux, le
Logos ou Sophia. Il guide l'espoir de l'homme et lui indique son but : l'abandon des choses matérielles avec leurs
complications sordides, l'élévation à la vie éternelle en traversant le faisceau lumineux .
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Telle est la clé que nous lèguent, pour déchiffrer la leçon et la direction, les mosaïques de Beth-Alpha, comme les
peintures autour de l'arôn de Doura-Europos. Le dieu solaire, avec la lune et les étoiles, n'est-ce pas l'allusion
éblouissante à ADONAI ZEBAOTH dont on n'a pas le droit d'essayer de reproduire les traits ? l'aqueda, symbole du
peuple élu, préfiguration de la résurrection des morts, forme alliance avec le Temple messianique. Ainsi l'énigme de
la pensée juive est illuminée par l'art. La lumière déborde le temps et l'espace ; Abraham rejoint les temps
messianiques. La niche où est déposée la Loi s'apparente au char du dieu solaire. C'est l'affirmation de la doctrine
de Philon, d'après laquelle la Loi sera inébranlable, aussi longtemps que subsisteront le soleil, la lune et l'univers,
pour atteindre aux temps messianiques."
Voir volet II : article 137 : "La forme et le contenu dans l'art juif".
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