Classiques Contemporains
&
LIVRET DU PROFESSEUR
établi par
C
LAUDIA
J
ULLIEN
professeur de lettres en classes préparatoires
PIERRE BRUNEL
professeur à la Sorbonne
Éric-Emmanuel Schmitt
La Nuit
de Valognes
SOMMAIRE
DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE
Le théâtre d’aujourd’hui dans la liberté de la modernité 3
Remarques pour une interprétation ................................................. 3
Des textes pour approfondir certains aspects de l’œuvre 5
POUR COMPRENDRE:
quelques réponses, quelques commentaires
Étape 1 Un théâtre dans tous ses états ................................ 7
Étape 2 Un nouvel avatar du mythe de Don Juan............ 9
Étape 3 Don Juan à la recherche de lui-même :
sincérité, duplicité, complicité ................................ 10
Étape 4 Le libertinage dans la dramaturgie
de sa problématique ...................................................... 12
Étape 5 Don Juan traître à lui-même ou la mort
d’un surhomme ................................................................... 16
Étape 6 Une dramaturgie de l’inconscient......................... 17
Étape 7 Stratégies du discours :
digression et symbole.................................................... 18
Étape 8 Stylisation des personnages et incarnation
des idées.................................................................................. 23
Conception : PAO Magnard, Barbara Tamadonpour
Réalisation : Nord Compo, Villeneuve-d’Ascq
DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE
Le théâtre d’aujourd’hui dans la liberté de la modernité
On manque de repères pour caractériser le théâtre d’Éric-Emmanuel
Schmitt qui est, dans l’évidence de son succès, un théâtre d’aujourd’hui. On
entend parler parfois, d’une manière générale, de théâtre populaire chic ou de
théâtre élitaire pour tous. Aucune étiquette n’est satisfaisante. Ceci devrait
avoir de quoi satisfaire un auteur qui se situe volontiers hors de tout confor-
misme, mais à l’intérieur d’une culture de la réflexion, dans un langage suffi-
samment actuel pour être entendu par tous. Les oreilles les plus affinées se
réjouiront de reconnaître les soubassements philosophiques ou littéraires qui
permettent la nouvelle construction, les autres jouiront par « les oreilles »,
comme ces femmes évoquées par la Duchesse et dont on laissera l’humour
provocateur à la responsabilité de l’auteur (II, 1, dernière réplique) !
Remarques pour une interprétation
Pour aller plus loin dans une lecture attentive de La Nuit de Valognes, il
faut rappeler que c’est la première pièce de l’auteur admise à la scène offi-
cielle. En tant que telle, elle pourrait bien contenir et les prémices des
œuvres à venir, et un certain lien intime avec le moi de l’auteur. On sait que
c’est souvent le cas pour les premières œuvres. On pourrait y voir alors une
démarche quasiment expérimentale mise à l’épreuve de la scène théâtrale
dont on dit qu’elle rejoint la scène du monde. On découvre en effet que le
Don Juan de Schmitt suit un cheminement en quelque sorte initiatique.
Don Juan apparaît, dès la scène avec Sganarelle, comme un chercheur de
sens. Une insatisfaction profonde le hante. « Qui suis-je ? » se demande-
t-il. Au milieu de sa vie, il s’interroge. Son ego (son moi) correspond à sa
partie ou âme (anima, « ce qui l’anime ») passionnelle, celle des régions
basses, strictement terrestres (instincts, envies, désirs à satisfaire dans l’im-
médiat...). Dans cette scène, Sganarelle représente un peu le « blâme », celui
qu’au niveau le plus superficiel les femmes savent s’adresser pour rester soli-
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daires. Mais Sganarelle touche un domaine plus intérieur, le valet connaît
son maître par cœur. Il en est un peu la conscience blâmante si l’on peut
dire, à l’instar de ce petit personnage qui apparaît dans le joli conte de
Pinocchio dont on a oublié l’auteur (Carlo Collodi, 1826-1890) mais que
Walt Disney immortalisa. On pourrait chercher si l’âme blâmante apparaît
bien dans le conte, mais la question n’est pas là. Elle est plutôt de savoir
comment l’âme blâmante de Don Juan (incarnée par Sganarelle) réussit,
dans La Nuit de Valognes, à dominer les passions de Don Juan, à devenir
une espèce d’âme philosophale qui touche finalement à l’essentiel, le cœur
(on ne savait pas que Don Juan en eût un !), et à le pacifier. Car, au bout
de la trajectoire, à la fin de la pièce, c’est bien un Don Juan à l’âme pacifiée
que l’on découvre, l’âme d’un « petit homme ».
Cette pacification est fondée sur une mystique de l’amour. Le texte le dit
à plusieurs reprises (II, 3 ; III, 9...). Il faudrait peut-être mettre une majus-
cule à cet « Amour ». La religion traditionnelle est écartée. L’amour fait le
fond d’une spiritualité sans dogme qui réunit, alors que la religion de la
Religieuse, présentée comme un ensemble de règles, sépare. Certes, le per-
sonnage simplifié, caricaturé, de la Religieuse peut choquer, mais nous
sommes ici dans le jeu du « conte philosophique » qui ne saurait se passer
de polémique pour grossir ce que l’auteur veut mettre en évidence. La ques-
tion de l’homosexualité recule aussi au profit d’une désexualisation.
L’amour gagne une dimension ontologique, c’est l’être même que chacun
porte en soi, la clé de l’harmonie universelle qu’il faut découvrir pour vivre
pleinement en paix avec soi, le monde et les autres. Ici, c’est un personnage,
un être de fiction qui le découvre et, qui plus est, un être que tout sépare,
à l’origine, de cette découverte. Mais le théâtre permet à toutes les illusions
d’exister, au moins le temps d’une représentation. C’est peut-être le sens
profond de cette conversion mystique de Don Juan, conversion sans dogme
et sans religion. La constellation métaphorique de la naissance (dernière
scène) insiste sur l’innocence, sur l’esprit nouveau du personnage qui com-
mence sa nouvelle vie. Don Juan n’est plus alors un simple objet de désir
ou de haine, deux faces intimement mêlées, mais un sujet responsable. Il ne
sent plus le soufre, il n’est pas non plus un « saint » (ne serait-ce que par son
passé !) et ne sent pas « le cierge éteint », comme le dit un sarcasme de la
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Comtesse qui n’a rien compris à la spiritualité. Don Juan a enfin compris
que les autres et le temps comptent dans l’itinéraire de sa quête de soi et de
sagesse. Se débarrasser de sa part de boue pour trouver sa part de lumière
n’est pas simple. Pour Schmitt, de nombreux chemins s’ouvrent, les erreurs
sont possibles (voir Don Juan). La Nuit de Valognes ne donne aucune
« recette » mais traite le héros en sujet d’expérience. Les œuvres plus
récentes d’Éric-Emmanuel Schmitt (celles de la trilogie, L’Évangile de Ponce
Pilate) pourraient peut-être corroborer en partie les propos ci-dessus.
Des textes pour approfondir certains aspects de l’œuvre
Otto Rank s’intéresse dans son étude sur le Double au rapport de l’âme
(symbolisée par l’ombre et par le Double) avec le sentiment de la culpabi-
lité, de l’angoisse et du désir de mort. Dans la perspective littéraire, un héros
peut se débarrasser de la responsabilité de certains actes et en charger son
Double qui personnifie, symbolise ou incarne alors les tendances refoulées
dont le héros se libère grâce au transfert symbolique. Dans certains cas, le
Double devient la « conscience » du héros et lui sert de conseiller (cf. Oscar
Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, 1890). Dans un passage de l’étude, l’au-
teur précise le lien du Double avec la mort à travers l’idée du suicide.
« Un motif qui trahit un certain rapport entre la crainte de mourir et la
disposition au narcissisme, est le désir de rester toujours jeune. Il se manifeste
d’un côté par le désir qu’a l’individu de se maintenir à un certain stade de son
évolution, d’un autre côté par la crainte de vieillir qui, en dernier lieu, n’est
pas autre chose que la crainte de mourir. Après l’exclamation de Dorian Gray,
chez Wilde : “Si je m’aperçois que je vieillis, je me tue”, nous touchons au
sujet si important du suicide par lequel les nombreux héros poursuivis par
leur Double terminent leur vie. À première vue, entre le suicide auquel recou-
rurent ces héros et la crainte de la mort que nous constatons chez eux, il n’y
a qu’une contradiction apparente. Mais en étudiant de près les situations, on
voit que le suicide est autant une manifestation de leur crainte de mourir que
de leur disposition au narcissisme ; car ces héros et leurs auteurs (dans la
mesure ces derniers se sont réellement suicidés [Raimund, Maupassant],
ou ont tenté de se suicider) ne craignent pas la mort : ce qui leur est insup-
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