daires. Mais Sganarelle touche un domaine plus intérieur, le valet connaît
son maître par cœur. Il en est un peu la conscience blâmante si l’on peut
dire, à l’instar de ce petit personnage qui apparaît dans le joli conte de
Pinocchio dont on a oublié l’auteur (Carlo Collodi, 1826-1890) mais que
Walt Disney immortalisa. On pourrait chercher si l’âme blâmante apparaît
bien dans le conte, mais la question n’est pas là. Elle est plutôt de savoir
comment l’âme blâmante de Don Juan (incarnée par Sganarelle) réussit,
dans La Nuit de Valognes, à dominer les passions de Don Juan, à devenir
une espèce d’âme philosophale qui touche finalement à l’essentiel, le cœur
(on ne savait pas que Don Juan en eût un !), et à le pacifier. Car, au bout
de la trajectoire, à la fin de la pièce, c’est bien un Don Juan à l’âme pacifiée
que l’on découvre, l’âme d’un « petit homme ».
Cette pacification est fondée sur une mystique de l’amour. Le texte le dit
à plusieurs reprises (II, 3 ; III, 9...). Il faudrait peut-être mettre une majus-
cule à cet « Amour ». La religion traditionnelle est écartée. L’amour fait le
fond d’une spiritualité sans dogme qui réunit, alors que la religion de la
Religieuse, présentée comme un ensemble de règles, sépare. Certes, le per-
sonnage simplifié, caricaturé, de la Religieuse peut choquer, mais nous
sommes ici dans le jeu du « conte philosophique » qui ne saurait se passer
de polémique pour grossir ce que l’auteur veut mettre en évidence. La ques-
tion de l’homosexualité recule aussi au profit d’une désexualisation.
L’amour gagne une dimension ontologique, c’est l’être même que chacun
porte en soi, la clé de l’harmonie universelle qu’il faut découvrir pour vivre
pleinement en paix avec soi, le monde et les autres. Ici, c’est un personnage,
un être de fiction qui le découvre et, qui plus est, un être que tout sépare,
à l’origine, de cette découverte. Mais le théâtre permet à toutes les illusions
d’exister, au moins le temps d’une représentation. C’est peut-être le sens
profond de cette conversion mystique de Don Juan, conversion sans dogme
et sans religion. La constellation métaphorique de la naissance (dernière
scène) insiste sur l’innocence, sur l’esprit nouveau du personnage qui com-
mence sa nouvelle vie. Don Juan n’est plus alors un simple objet de désir
ou de haine, deux faces intimement mêlées, mais un sujet responsable. Il ne
sent plus le soufre, il n’est pas non plus un « saint » (ne serait-ce que par son
passé !) et ne sent pas « le cierge éteint », comme le dit un sarcasme de la
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