RÉGIONALISME ET PROBLÈMES D`INTÉGRATION ÉCONOMIQUE

publicité
RÉGIONALISME ET PROBLÈMES
D’INTÉGRATION ÉCONOMIQUE
Aléna, Mercosur, Union européenne, Union africaine
Collection « Géopolitique mondiale »
Dirigée par Mwayila TSHIYEMBE
L’objet de la collection « Géopolitique mondiale » est de
susciter les publications dont la vocation est double : d’une part,
donner un sens aux mutations provoquées par la mondialisation,
étant donné la perte des repères du monde ancien et la nécessité
d’inventer des repères du monde nouveau ; d’autre part,
analyser la complexité des enjeux territoriaux, des rivalités
d’intérêt et de stratégies qui pousse les acteurs à user de la force
ou de la diplomatie, pour modifier ou tenter de modifier le
rapport de force (ressources naturelles, humaines, culturelles),
selon des idéologies qui les animent. A cette fin, la prospective
et la pluridisciplinarité sont des approches privilégiées.
Déjà parus
Évelyne GARNIER-ZARLI, Les risques de la fragmentation de
la recherche scientifique sur les enjeux sociétaux, 2011.
Théophile YUMA KALULU, Géopolitique de la violence des
jeunes dans la ville de Kinsagani, 2011.
Philémon MUAMBA MUMBUNDA, Géopolitique identitaire
en RDC. Cas de l’identité kasaïenne, 2011.
Mwayila TSHIEMBE, Stephan TUBENE, Migration,
mondialisation, développement. L’exemple de la RDC, 2011.
Benjamin MULAMBA MBUYI, Droit des Organisations
Internationales, Notes de cours à l’usage des étudiants en droit,
2011.
Thérèse Osenga BADIBAKE, Pouvoir des organisations
internationlales et souveraineté des Etats. Le cas de l'Union
africaine, 2010.
Didier NZAPASEZE TIMBA, La Cour pénale internationale et
la lutte contre l'impunité en RDC, 2010.
Nissé Nzereka MUGHENDI, Guerres récurrentes en
République démocratique du Congo, 2010.
Evelyne GARNIER-ZARLI, Le doctorat scientifique dans le
monde scientifique, 2010.
MWAYILA TSHIYEMBE
RÉGIONALISME ET PROBLÈMES
D’INTÉGRATION ÉCONOMIQUE
Aléna, Mercosur, Union européenne, Union africaine
Du même auteur
Migration, mondialisation, développement (sous la direction) Paris,
L’Harmattan, 2011
La politique étrangère des grandes puissances, Paris, L’Harmattan,
2010
Droit de la sécurité internationale, Paris, L’Harmattan, 2010
La politique étrangère de la République Démocratique du Congo,
Paris, L’Harmattan, 2009
L’avenir de la question noire en France, (sous la direction) Paris,
L’harmattan, 2008
Refondation de la nation et nationalité en République Démocratique du
Congo, Paris, L’Harmattan, 2007
Le défi de l’armée républicaine en République Démocratique du Congo,
Paris, L’Harmattan, 2005
Géopolitique de paix en Afrique médiane, Paris, L’harmattan, 2003
Etat multinational et démocratie africaine. Sociologie de la renaissance
politique, Paris, L’Harmattan, 2001
© L’Harmattan, 2012
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
[email protected]
ISBN : 978-2-296-96680-2
EAN : 9782296966802
AVANT-PROPOS
Dans le cursus universitaire des étudiants de Relations
internationales (Licence 1 ou équivalent Master 1) en République
Démocratique du Congo, la réforme a introduit un nouvel
enseignement intitulé « Problèmes d’intégration économique
régionale » ou « Régionalisme et problèmes d’intégration
économique », dont il sied, ex nihilo, d’imaginer le contenu, faute
de manuels spécifiques.
Ce contenu est, au demeurant, conditionné par l’objectif même de
la réforme à savoir : donner un enseignement de qualité aux jeunes
universitaires congolais, soit pour les former à une carrière
diplomatique, soit pour leur fournir les clefs d’analyse (recherche
des causes) et de compréhension (recherche de sens) des enjeux et
défis liés aux processus et stratégies d’intégration économique
régionale dans le monde d’une part ; et les problèmes de l’arrimage
du régionalisme à la globalisation, c’est-à-dire au multilatéralisme
et au développement durable d’autre part.
Et ce, d’autant plus que face aux difficultés économiques et
politiques inhérentes tantôt à la seconde guerre mondiale, tantôt à
la décolonisation, nombre d’Etats à travers le monde, anciens et
nouveaux, ont opté pour la régionalisation de l’économie comme
catalyseur de progrès économique et social d’une part ; instrument
de paix entre les nations d’autre part.
Abordée sous cet angle, la régionalisation de l’économie est
pensée comme un outil de création des richesses entre les Etats,
c’est-à-dire source de prospérité chez eux et de puissance entre
eux, par-delà les territoires et les souverainetés, au nom du
principe « l’Union fait la force ».
Néanmoins, la pertinence de ce postulat de régionalisation
contraste étrangement avec les conditions de sa réalisation. En
effet, dans les pays industrialisés d’Europe, détruits par la seconde
guerre mondiale, l’intégration économique régionale est conçue
comme un outil pour la paix et la reconstruction nationale, alors
que dans les pays d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique
5
décolonisés, où l’économie est encore à l’étape préindustrielle,
l’intégration économique régionale est un instrument de lutte
contre la misère et le sous-développement, et son ambition est
également la création des richesses et le développement (au sens
de la théorie libérale : la prospérité et la paix par le marché).
Alors, il n’est pas sans intérêt de se poser la question suivante :
comment intégrer à l’échelle régionale des économies
préindustrielles ? Autrement dit, le régionalisme fermé est-il une
stratégie optimale pour éradiquer le sous-développement dont la
pré-industrialisation est un goulot d’étranglement dans une
économie globalisée ? Sinon, quels sont les préalables ?
Par-delà la question vitale de l‘industrialisation des pays pauvres
par le régionalisme économique, la prolifération des organisations
d’intégration économique régionale au cours des années 199801990, a-t-elle contribué à la structuration du système
international ? Régionalisme économique et mondialisation : que
nous apprennent les théories ? Inspirée du modèle d’intégration
économique européenne, la typologie de Balassa est-elle applicable
ailleurs ? Quels problèmes l’intégration régionale et la
mondialisation de l’économie posent-elles au commerce
international ? Quelles sont les spécificités de l’ALENA et du
MERCOSUR par rapport à l’Union européenne et à ses
succédanés (CEDEAO, UEMOA, SADC) ? Qu’apporte le
néorégionalisme lorsqu’il introduit dans sa problématique la
sécurité complexe et les réseaux ? S’agit-il d’un alibi pour
dissimiler l’échec de l’intégration économique ?
Pourquoi le processus d’intégration économique et politique a-t-il
échoué en Afrique ? Quel est l’impact des pays émergents sur le
partenariat Europe/Afrique à l’épreuve de la globalisation ? Quelle
est l’incidence du processus régionalisation/décentralisation sur le
basculement géopolitique des provinces frontalières en
République Démocratique du Congo ?
Somme toute, le choix de ces problèmes d’intégration économique
régionale, est toujours sujet à caution, car il se fait par élimination.
L’approche pédagogique associant le cours magistral, les travaux
6
pratiques et les lectures personnalisées, permettra aux bénéficiaires
de compléter leur bagage intellectuel.
Pour ce faire, la présentation de cet ouvrage est en rupture avec
l’ordonnancement classique par chapitres. Nous avons opté pour
un alignement séquentiel des problèmes traités un à un, afin de
respecter cette spécificité.
Je ne saurais terminer cet avant-propos, sans remercier Monsieur
Cédric LUHITO, Assistant au Département de Relations
internationales (Faculté des Sciences sociales, politiques et
administratives, Université de Lubumbashi), d’avoir accepté de
saisir le texte de cet ouvrage.
7
PROBLEME N°1
CLARIFICATION CONCEPTUELLE
1. Régionalisme et régionalisation
Le mot régionalisme contient le suffixe – isme, dérivé de la
terminaison grecque – ismos, et fait ainsi référence à la dimension
théorique du processus de développement d’une région.
En relations internationales, écrit Christian Deblock, « le
régionalisme désigne toute forme de coopération institutionnelle
entre deux ou plusieurs pays1 ». Il met en présence une forme de
pluralisme ordonné qui ne se distingue du multilatéralisme que par
le nombre d’acteurs et par la portée des règles.
Le concept a été pendant longtemps d’un usage limité en
économie internationale. Il s’est généralisé à partir des années
1980, au point de supplanter progressivement celui de l’intégration
régionale, pour désigner « toute forme d’arrangement institutionnel qui vise à libéraliser ou à faciliter le commerce à un niveau
autre que multilatéral ». Tel est, du reste, la définition très
restrictive que retient l’Organisation mondiale du commerce : elle
n’envisage que le cas de la libéralisation des échanges et laisse
ouverte la question des raisons qui peuvent pousser deux ou
plusieurs pays à rechercher une « intégration étroite » de leur
économie.
Christian D. Deblock, “Régionalisme économique et mondialisation :
que nous apprennent les théories », Cahier de recherche CEIM, n°05-07,
octobre 2005, pp.3-16
1
9
En revanche, le mot régionalisation a pour terminaison – tion,
dérivée du latin – tio et se réfère donc à une action ou à un
résultat de cette action. Il désigne le processus et la dynamique
même de l’interaction régionale voire le processus de développement d’une région. Selon Figuière et Guilhot, la régionalisation est
une concentration des flux économiques au sein d’une région
géographique donnée tandis que le régionalisme est une construction politique menée par les Etats et matérialisée par un accord, en
vue d’organiser les relations entre les pays et favoriser la
coopération de ces derniers dans divers domaines.
Quant à l’intégration économique régionale, elle est une
combinaison de régionalisme et de régionalisation. Alors, un
espace sera qualifié d’intégré régionalement, « si et seulement s’il
enregistre une concentration des flux entre les nations qui le
constituent et s’il révèle une coordination institutionnelle instaurant durablement des règles communes2 ».
Selon ces deux auteurs, il se dégage trois degrés d’intégration
économique régionale à savoir : intégration aux frontières
(coordination visant l’instauration et l’application de règles
communes portant sur les relations entre les nations ou régulation
des flux) ; intégration en profondeur (coordination visant
l’harmonisation des pratiques au sein de chacune des nations
partenaires ou instauration des règles communes) ; gouvernance
régionale (coordination dotant une institution régionale de
pouvoirs supranationaux).
Pour Deblock, Dorvalle et Rioux3, on peut distinguer trois
modèles d’intégration économique régionale : le modèle européen
dur (autonomie des marchés et coopération institutionnalisée) ; le
régime régional (souveraineté des Etats et coopération
2 Catherine Figuière et Laetitia Guilhot, “caractériser les processus
régionaux : les apports d’une approche en termes de coordination », in
Mondes en développement, n°135, 3ème trimestre, 2006, p.80
3“Mondialisation, concurrence et gouvernance : Emergence d’un espace
juridique transnational dans les Amériques”, Cahier de Recherche du
CEIM, n°2-3, 2002
10
institutionnalisée) ; gouvernance néo-libérale (autonomie des
marchés et souveraineté des Etats).
Deblock pense que si la libéralisation des échanges constitue sa
raison d’être, le régionalisme relève avant tout de l’ordre de la
« construction politique », résultant d’un choix stratégique appuyé
sur la conviction des acteurs, fondée ou non, que leurs intérêts
seront mieux défendus, et leurs objectifs plus facilement atteints, à
l’intérieur d’un groupement qu’en dehors.
Une telle construction politique repose sur un triptyque : un corps
d’idées, de valeurs et d’objectifs en vue de créer plus de sécurité,
de richesses ou d’autres finalités dans une région donnée ; un
programme formel orienté vers la construction d’institutions ; une
stratégie de régionalisation qui sera poursuivie par des acteurs
publics et privés.
Ce type de régionalisme relève de l’ordre de la gouvernance
collective et la construction de ses institutions devient un enjeu
politique selon les uns, une solution au problème d’action
collective selon les autres.
Le terme région trouve son origine dans le mot latin regio qui
désigne, entre autre, une aire géographique ou même administrative. Par ailleurs, regio est dérivé du verbe regere qui signifie en
français diriger ou gouverner. De ce fait, s’ajoute à la dimension
géographique, une dimension politique.
Dès lors, le concept de région recouvre plusieurs caractéristiques :
•
Soit la régularité et l’intensité des interactions entre les
membres comme moyen de mettre en évidence la
cohésion et l’intégration internes ;
•
Soit la perception qu’ont les membres qui composent
une région. Dès lors, la région est comprise comme un
construit social, émanant de la volonté des acteurs d’une
société de constituer ou fonder un ensemble (existence
d’une idée cognitive).
11
•
Soit la dimension institutionnelle d’une région, conçue
comme un ensemble d’Etats interdépendants dans un
grand nombre de domaines d’actions politiques, économiques, militaires. Dans cette acception, la région se
définit en fonction des Etats qui la composent et des
buts qu’ils veulent poursuivre. En fonction des buts à
atteindre, les Etats peuvent, s’ils y trouvent l’intérêt, se
soumettre aux décisions communes, c’est-à-dire accepter la gestion commune d’une partie des souverainetés
nationales et non le transfert des souverainetés comme
l’on disait jadis.
•
Soit la dimension structure d’ordre, car la région est un
système d’action qui guide et règlemente les activités des
acteurs qui en font partie et les transforme. Au fur et à
mesure que le processus de régionalisation avance et
s’intensifie, cette transformation se manifeste par une
redistribution des champs de compétences et de pouvoir
entre les différents niveaux d’action, et, par conséquent
l’érosion du monopole et de l’exclusivité des Etats au
profit du niveau communautaire ou supranational. Dans
cette perspective, la région devient un acteur social à
l’intérieur d’un système international, capable de prendre
des décisions, de formuler des politiques, de conduire
des politiques et d’entrer en négociation avec d’autres
acteurs internationaux. Dans cette logique, la région
s’exprime par les actes qu’elle pose et par les normes
qu’elle édicte, sous forme des traités, des décisions ou
des institutions qu’elle crée.
•
Soit une nouvelle forme d’entité politique multiculturelle, multidimensionnelle et dynamique, dont les
pouvoirs sont partagés entre différents niveaux
d’actions : le national et le supranational.
12
2. Champ théorique du régionalisme
Quatre théories classiques au moins s’intéressent à l’intégration :
théories fédéraliste, fonctionnaliste, transactionnaliste, néofonctionnaliste.
• Théorie fédéraliste
Pour les tenants de la théorie fédéraliste comme GoudenhoveKalergi : « les nations européennes, qui venaient juste de se
dévaster mutuellement dans une guerre fratricide absurde, appartenaient naturellement à une entité, qui, si elle était dotée d’une
constitution fédérale, pouvait devenir une force globale4 ».
Après la seconde guerre mondiale, Altiero Spinelli5 observait que
les Etats-nations avaient perdu leur raison d’être, puisqu’ils ne
pouvaient plus garantir la sécurité politique et économique de
leurs citoyens, et devaient donner place à une fédération appelée
« Union européenne », basée sur une constitution préparée par
une assemblée constituante et approuvée par un référendum
paneuropéen.
Ce projet a été repris quelques années plus tard par la Convention,
présidée par V. Giscard d’Estaing, avec mission de doter l’Europe
d’une constitution. La constitution européenne est rédigée et
signée à Rome le 29 octobre 2004, mais son entrée en vigueur est
conditionnée par sa ratification par chacun des Etats membres. Le
dimanche 29 mai 2005, le peuple français se prononce contre
(55% des suffrages). Trois jours plus tard, le 1er juin, les
Néerlandais la rejettent à leur tour. Ces votes négatifs renvoient
aux calendes grecques l’idée même d’une constitution européenne.
Goudenhove-Kalergi Richard, Pan Europe, New York, Knopf, 1926
Spinelli Altiero « The Growth of the European Movement since the
second world war », in M. Hodges Edition, European integration,
Harmondsworth, Penguin, 1972
4
5
13
• Théorie fonctionnaliste
Elle est fondée par Mitrany6 et Taylor7 sur l’idée que les
organisations internationales ne sont pas un but en soi, mais elles
sont les instruments de gestion des priorités dictées par les besoins
humains. Pour ce faire, elles doivent donc être flexibles, en
modifiant leurs tâches (fonctions), selon les besoins du moment.
Si la création d’une toile d’araignée des organisations internationales spécialisées chacune dans une fonction globale est un
moyen, la construction d’un marché universel par le bas est la
perspective fonctionnaliste, selon Deblock.
En effet, les accords commerciaux constituent pour les économistes libéraux une entorse doctrinale dangereuse et leur
reconnaissance juridique est vue comme un vice congénital au
système commercial multilatéral. Cette vision classique, peu
pertinente face aux faits, a été rapidement contournée par les
théoriciens de l’intégration, dans deux directions : d’une part, le
libre-échange à l’échelle régionale peut être considéré comme une
option de deuxième rang ; d’autre part, les accords régionaux sont
des constructions intermédiaires sur la route menant au libreéchange universel.
Néanmoins, la dernière vague de régionalisme (1980-1990) oriente
la recherche vers une démarche plus institutionnelle, préoccupée
par l’avenir du système commercial mondial et la fragmentation de
l’économie mondiale.
Mitrany David, A working peace system, Chicago, Quadrangle Books,
1966
7 Taylor Paul, Functionalism : the approach of David Mitrany, in A.J.R.
Groom and P. Taylor (eds), Frameworks for international cooperation,
London, Pinter, 1994
6
14
- Régionalisme et multilatéralisme : deux
faces d’une même réalité
Le système commercial mondial reste marqué, dans son orientation comme dans son fonctionnement, par l’esprit de ses origines.
Il n’est plus adapté aux réalités nouvelles de la mondialisation et le
mandat de l’OMC est trop limitatif pour aborder de nouvelles
questions comme celles des standards ou de la protection des
droits. Le régionalisme ne serait-il pas, dans ces conditions, un
moyen de faire bouger les lignes « du bas vers le haut », s’interroge
Christian Deblock.
C’est ainsi que, faisant appel à la théorie des dominos, Baldwin
(1997) développe un argument articulé autour de quatre points : Primo, les pays dont les marchés sont déjà largement ouverts et
qui disposent des systèmes de protection des droits étendus, ne
peuvent que souhaiter l’ouverture de leurs partenaires ; - Secundo,
à défaut de pouvoir obtenir satisfaction dans le cadre du système
du commerce international, ceux-ci auront tendance à s’adresser à
des pays, en général les pays en voie de développement, en
principe réfractaires et leur proposer des arrangements institutionnels sur une base bilatérale ; - Tertio, l’offre est d’autant plus
alléchante qu’elle présente de nombreux avantages, dont celui d’un
accès préférentiel ; - Quarto, si de tels arrangements sont
mutuellement avantageux, ils ont aussi pour effet d’inciter les pays
laissés de côté d’obtenir les mêmes avantages ; - Quinto, par
« effet de dominos », c’est la cause du libre-échange qui sort
gagnante.
Parallèlement, le régionalisme peut être conçu comme un
« laboratoire institutionnel ». Le nombre d’acteurs publics étant
plus limité et les intérêts plus convergents que dans le cadre
multilatéral, il serait possible d’aller plus loin dans le cadre
régional, notamment, dans un contexte d’intégration en profondeur, d’harmoniser les politiques et d’établir des standards
communs.
15
A défaut d’aboutir aux règles universelles et de répondre aux
demandes institutionnelles des entreprises, le régionalisme
deviendrait un terrain d’expérimentation et d’avancées normatives.
- Régionalisme et construction des blocs
La multiplication des accords régionaux a fait surgir dans les
années 1990, le spectre d’une nouvelle division du monde en blocs
rivaux. Pour les uns, il s’agit d’une menace, pour les autres, il s’agit
d’un avantage.
Selon la première approche, le régionalisme et la régionalisation
doivent être associés, car la polarisation des échanges serait une
tendance lourde de l’économie mondiale dont l’explication est soit
dans la géographie économique, soit dans les stratégies d’entreprises. Dans le premier cas, les effets de gravité s’exerceraient
autour des grands marchés, d’autant plus fortement que la taille
des autres pays est petite et les distances rapprochées.
L’émergence de « blocs naturels » serait une conséquence de la
géographie.
Selon la seconde approche, l’économie mondiale s’oriente dans
deux directions : l’une centrifuge, c’est-à-dire la globalisation ;
l’autre centripète, c’est-à-dire la régionalisation. De ces deux
chemins, c’est le second qui s’impose, les multinationales ayant
tendance à œuvrer dans leur environnement immédiat et à coller à
leurs marchés. Dès lors, le régionalisme s’inscrirait dans une
dynamique de régionalisation en venant consacrer sur le plan
juridique ce qui existait déjà de fait.
En revanche, si l’on aborde la dynamique d’intégration dans son
versant Nord-Sud, c’est la recherche de la sécurité économique qui
motive les pays en voie de développement à se tourner vers les
pays développés et à rechercher de nouvelles formes de partenariats avec ces derniers. Bien qu’inégal, le partenariat nord-sud
peut être mis à profit par les deux parties, à condition que chacune
sache jouer sa partition, car les Etas n’ont pas d’amis, ils n’ont que
des intérêts.
16
Somme toute, le régionalisme et le multilatéralisme sont les deux
faces d’une même réalité : la rationalité économique. Au nom de
cette rationalité économique, le fonctionnalisme instrumentalise le
politique et en réduit le rôle à celui de producteur des normes et
facilitateur d’une intégration passant par les seules voies du
marché.
Autrement dit, le fonctionnalisme ne jauge le régionalisme qu’à
l’aune d’un type idéal à atteindre : la paix par le marché universel
dans un monde sans frontières. Encore faut-il expliquer pourquoi
la raison devrait finalement l’emporter.
• Théorie néo-fonctionnaliste
Conçue par Ernst Haas8, dans la continuité de la méthode Monet,
la théorie néo-fonctionnaliste repose sur l’idée selon laquelle, c’est
l’action commune qui est l’essence de la communauté et c’est
l’action qui justifie le rejet du fédéralisme. Haas fait descendre le
fonctionnalisme de Mitrany de ses hautes sphères internationales
au niveau régional concret de certains Etats.
Pour Robert Schuman, disciple de Monet, l’Europe ne pourra se
faire que par des réalisations concrètes, créant d’abord une
solidarité de fait. L’intégration sera un processus dans lequel les
fonctions constructives des acteurs principaux, les institutions
communes, inciteraient des réactions positives des élites politiques
et économiques, influenceraient le comportement d’autres groupes
sociétaux et rapprocheraient les citoyens des différentes nations.
Dès lors, la logique néo-fonctionnaliste est construite sur l’effet
multiplicateur ou l’effet de propagation « Spill over effect ». Selon
ce postulat, l’effet multiplicateur signifie que l’intégration économique devrait graduellement créer une solidarité parmi les nations
participantes, laquelle à son tour, créerait le besoin pour une
institutionnalisation supranationale plus avancée.
Haas Ernst, The uniting of Europe : political, social and economic
forces 1950-1957, 2nd edition, Stanford CA, Stanford University Press,
1968
8
17
En termes économiques, la création d’une union douanière
engendrerait des pressions pour l’établissement d’un marché
commun et d’une union monétaire. En outre, une intégration
économique approfondie exigerait une capacité régulatrice
supranationale. Ainsi, l’intégration politique suivrait l’intégration
économique.
Il s’ensuit la formulation, le développement et la multiplication des
politiques communes, à l’instar de la politique agricole commune.
A ces théories classiques, vient se greffer l’idée que l’intégration
régionale ne porte pas seulement sur les échanges commerciaux.
Elle concerne les flux de capitaux et de travailleurs, la mise en
place d’un environnement institutionnel commun ou la coordination des politiques permettant des convergences des économies et
un ancrage des politiques économiques.
L’analyse de la régionalisation s’en trouve renouvelée dans le cadre
de l’économie institutionnelle mettant en avant le rôle des
organisations et des règles, de la nouvelle géographie économique
ou de la nouvelle économie internationale en concurrence
imparfaite et de l’économie politique internationale. L’espace
régional est ainsi un lieu de recomposition des pouvoirs publics et
privés et des stratégies des acteurs nationaux et internationaux
dans un contexte de mondialisation.
• Théorie transactionnaliste
Cette théorie est élaborée par Karl Deutsch9 qui définit l’intégration internationale comme la création, dans un territoire, d’un
sentiment de communauté et des institutions et des pratiques
assez fortes pour assurer les attentes d’un changement pacifique
au profit de sa population.
9 Deutsch Karl, Nationalism and social communication, 2nd edition,
Cambridge, MA, MIT Press, 1966
18
Les affirmations selon lesquelles, le sentiment de communauté
entre nations dépendrait du niveau de communication entre elles
et, donc de l’établissement d’un réseau multinational de transactions sont corroborées par l’expérience de l’Union européenne,
appelée jadis communautés européennes.
En outre, Deutsch soutient que le développement de liens
fonctionnels par les interactions économiques et sociales
informelles des différents peuples, pousserait l’élite politique à
institutionnaliser et à formaliser les liens initiaux.
• Théorie structuraliste : la diplomatie
commerciale à l’épreuve de la
mondialisation
Au lieu de voir dans le régionalisme un facteur de rapprochement
entre les peuples, souligne Christian Deblock, certains y voient la
marque des Etats, et dans la généralisation du phénomène, la
conséquence d’une nouvelle dynamique de système.
Le nouveau structuralisme, précise-t-il, partage avec son
prédécesseur deux idées centrales : primo, la place relative des
Etats-nations est déterminée par les structures de l’économie
mondiale et ce sont leurs capacités économiques qui les différencient les uns des autres ; secundo, les groupements économiques
permettent d’apporter collectivement plus de sécurité, d’accroître
le potentiel économique et d’élargir le pouvoir de négociation.
Ce néo-structuralisme se démarque de l’ancien sur deux points au
moins : d’une part, les lignes de fracture de l’économie mondiale
ne sont plus entre le centre et la périphérie, mais entre les grands
blocs économiques ; d’autre part, le régionalisme cherche à établir
un modus opérandi entre deux types d’acteurs, les multinationales
d’un côté, les Etats de l’autre.
Partant de cette grille, trois perceptions du régionalisme se
dégagent : régionalisme dilemme de sécurité, régionalisme enjeu
économique, régionalisme compétitivité.
19
3. Néorégionalisme et dilemme de sécurité
• Recours au cadre théorique néo-réaliste
Pour les réalistes, la mondialisation est à la fois une menace et un
facteur de vulnérabilité. Ils considèrent que la sécurité des Etats
est indissociable de leur positionnement dans l’économie mondiale, lequel dépend de la capacité de leur économie à rester
dynamique et compétitive. Dans cet ordre d’idées, le régionalisme
en tant que forme particulière d’alliance, devient un objet central
du réalisme.
Non seulement les réalistes réaffirment la primauté de l’Etat sur la
scène internationale, et qui plus est, ils pensent que les facteurs
politiques prédominent les facteurs économiques. Et pour cause.
D’un côté, aucune puissance ne peut renoncer aux questions aussi
vitales que la distribution des richesses, le développement
industriel, l’autonomie économique, la sécurité, etc., au seul profit
de l’économie globale ; de l’autre, si l’efficacité économique et les
ambitions nationales constituent les deux forces motrices de
l’économie globale, la sécurité demeure, du point de vue de la
stabilité, la plus importante.
En outre, l’économie mondiale autant que l’économie nationale ne
peut se développer sans institutions. Non seulement les institutions doivent être créées, mais elles doivent être soutenues. Avec
la mondialisation, cependant, la distribution des capacités entre les
Etats est tellement diffuse et inégale qu’elle génère des tensions.
Aucune puissance ne peut ni les gérer seule ni faire évoluer les
institutions à sa guise.
Les nouveaux équilibres de puissance demandent au contraire une
gestion en coresponsabilité de la stabilité du système.
Autrement dit, au lieu de voir dans le régionalisme une alternative
au système des Etats, il faut y voir un « dilemme de sécurité » qui
engage la responsabilité de tous, les grands comme les petits, sur la
20
Téléchargement