Contrefaçon et contrebande de produits de protection des plantes (1)

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Contrefaçon et contrebande de produits de protection des plantes (1)
Dominique Florins
Le 23 octobre, Phytofar a organisé une journée d'étude intitulée "contrefaçon et contrebande de
produits de protection des plantes". Le texte de l'invitation à cette journée d'étude décrit parfaitement la problématique:
"La contrefaçon et contrebande de produits de protection des plantes est un phénomène en forte
croissance sur le marché européen. En effet, les produits de protection de plantes, davantage
connus dans le grand public comme « pesticides », sont des produits à grande valeur ajoutée. De
plus, l’Europe dispose d’un cadre législatif très strict concernant leur autorisation et utilisation
afin de garantir la sécurité alimentaire et préserver l’impact sur l’homme et l’environnement. Par
conséquent, la recherche, le développement ainsi que la mise sur le marché exigent de nombreux
investissements.
D’autre part, la Belgique est une plaque tournante au niveau logistique, avec une industrie chimique importante qui crée de nombreux flux de marchandises au sein desquels les produits de protection de plantes ne constituent qu’une petite fraction. Il est donc important d’éviter que la Belgique ne devienne une porte d’accès aux produits de contrefaçon destinés aux autres marchés
européens. Les produits contrefaits ont un impact négatif sur l’environnement et la santé publique. Heureusement, jusqu’à ce jour peu d’entre eux ont été découverts sur le marché belge, et il
s’agit donc de rester vigilant pour éviter tout risque de problème à venir. La problématique de
contrefaçon et de contrebande au sein de notre secteur constitue cependant un terrain inconnu
pour de nombreux responsables.
Phytofar souhaite, au cours d’une journée d’étude organisée le 23 octobre 2009, mieux cadrer la
problématique de la contrefaçon et contrebande pour les autorités qui sont concernées par :
- le commerce et l’utilisation sur le marché belge ;
- le contrôle du marché international et la problématique de transit."
Cette journée a permis de rappeler le parcours d'un produit phytopharmaceutique pour qu'il soit
agréé et de décrire la situation de la contrefaçon et de la contrebande. On a également passé en
revue les moyens légaux existants pour contrôler et empêcher ces activités illégales.
Contexte des produits phytopharmaceutiques en Belgique.
Le développement d'un produit phytopharmaceutique (fongicide, herbicide, insecticide ou autres
(régulateur de croissance, rodenticide,…)) avant son agréation prend 10 ans. De 200 à 300 tests
différents sont menés (physico-chimiques, toxicologiques, biologiques, dégradation des résidus,
comportement dans le milieu naturel, écotoxicologiques), auquel s'ajoute d'autres aspects tels que
l'élaboration de l'étiquette et de l'emballage engendre un coût qui varie entre 200 et 250 millions €.
Au départ de 140.000 molécules, on arrive à une seule agréée après 10 ans. Tous ces essais découlent des Directives européennes (91/414/EEG et 97/57/EG) et de leur application dans le droit
belge (Moniteur Belge du 28/02/1994). En Belgique, c'est le comité d'agréation des produits phytopharmaceutiques (équipe multidisciplinaire composée de 12 membres) qui contrôle et éventuellement accorde le droit de commercialiser le produit pendant 10 ans (à partir de la date de dépôt
du dossier d'agréation au comité). Un produit agréé en Belgique aura un numéro d'agréation du
type XXXX/B. Après cette période de 10 ans, une révision de l'agréation a lieu (à la demande du
producteur) pour éventuellement prolonger l'agréation.
Le comité d'agréation a également en charge de comparer la formulation des produits d'importation parallèle avec la version du produit agréée en Belgique. Si et seulement si les deux formulations sont identiques, le produit d'importation parallèle peut être commercialisé en Belgique avec
un numéro du genre xxx/P. Pour rappel, toutes les informations concernant ces produits agréés en
Belgique sont consultables sur www.phytoweb.be
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Ces produits phytopharmaceutiques sont utilisés dans le secteur agricole, le secteur professionnel non agricole et auprès du particulier. En Belgique, le marché des phyto comporte moins de
300 matières actives et plus de 800 produits commerciaux. Dans notre pays, ces produits qui représentaient en 2008 un marché de 196,75 millions € pour 8 à 9.000 tonnes de matière active sont
principalement importés. Le marché belge des produits phyto est caractérisé par de nombreuses
frontières, de bonnes capacités logistiques et beaucoup de petites cultures spécialisées avec des
problèmes d'agréations.
Dans ce contexte, il apparait clairement que la commercialisation et l'utilisation de ces produits à
haute valeur employés par de nombreux utilisateurs sont régies par des lois très strictes afin d'assurer une bonne protection de l'environnement, de l'utilisateur et du consommateur. Malheureusement, une mauvaise utilisation ou un produit contrefait ou encore un produit de contrebande a
de grosses conséquences à tous les niveaux précités, est difficile à contrôler et peut procurer de
gros bénéfices aux contrevenants.
Caractérisation des produits contrefaits.
Les produits contrefaits ou de contrebande peuvent être de 3 types:
• Contrefaçon sophistiquée: il s'agit d'une copie plus ou moins parfaite d'un produit
phytopharmaceutique agréé. Les emballages de ces contrefaçons varient d'un emballage
presque totalement identique à l'original (photo 1) à une bouteille d'huile de friteuse
remplie d'herbicide contrefait dans l'exemple de la photo 2;
Photo 1 et 2: exemples de produits contrefaits
(Source: présentation Rocky Rowe: European crop association)
•
•
Produits d'importation parallèle illégaux: comme déjà évoqué précédemment, pour pouvoir
être importé légalement, un produit d'importation parallèle doit être de formulation
complètement identique au produit agréé au niveau national;
Produits non agréés: Un produit ne peut être utilisé que s'il bénéficie d'une agréation pour
un pays donné et pour une culture précise.
Le marché de ces produits illégaux est favorisé par:
• La possibilité pour les trafiquants de réaliser de gros gains. En effet, la différence de prix
de développement et de production entre un produit légal et illégal est importante;
• Le fait que les agriculteurs de certaines régions sont dans une situation financière tellement
déplorable qu'ils ne peuvent plus "s'offrir" les produits conformes;
• Le marché libre européen permet la circulation libre des marchandises;
• Internet: informations disponibles facilement et rapidement;
• Le manque de produits agréés: la diminution du nombre de produits et les coûts de
développement et d'agréation de ceux-ci entraînent que certaines cultures marginales ne
peuvent plus être protégées légalement.
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Actuellement en Europe, on estime que 5 à 7% du marché des produits phytopharmaceutiques est
illégal. Ce chiffre varie en fonction des pays. En effet, la suppression de certains produits et la
pression économique mise sur certains agriculteurs permet au marché illégal de trouver un terrain
fertile à son développement. Il en découle que dans certains pays (Espagne et Italie), les produits
contrefaits représentent jusqu'à 20% de l'usage total des produits de protection des plantes. Ce
phénomène semble être en augmentation malgré les problèmes rencontrés:
• Mauvaise qualité de la matière active;
• Des impuretés toxiques peuvent être présentes dans le produit car il n'y a pas de contrôles
de qualité et peu de suivi des spécifications lors de la fabrication;
• Utilisation de solvants, surfactants et autres composants qui sont interdits et ou dangereux;
• Mauvais emballage et donc durée de vie du produit réduite et risques de fuites;
• Etiquetage inexistant ou défaillant.
Il semble évident que tous ces manquements ont des répercussions sur:
• la santé humaine (de l'agriculteur et du consommateur);
• l'environnement (eau, sol, espèces indigènes);
• la viabilité de l'agriculture: certaines cultures sont parfois complètement détruites (voir
photos 3 et 4);
Photo 3 et 4: exemples de dégâts occasionnés aux cultures
(Source: présentation Rocky Rowe: European crop association)
•
les déchets: les produits illégaux repérés doivent être éliminés.
Les matières actives et les produits contrefaits rencontrés en Europe proviennent d'Asie, essentiellement de Chine où des opérateurs criminels organisés et motivés par le profit sans aucune considération éthique écoulent leurs contrefaçons via des réseaux internationaux. Tous ces produits ne
viennent pas directement de Chine vers l'Europe (voir carte page 51). Ils sont parfois réemballés
dans des pays tiers. Ce phénomène de ré-emballage n'est pas illégal à la base. Par exemple, un
produit d'importation parallèle venant d'un autre pays européen peut être ré-étiqueté (en Français
et en Néerlandais, obligatoire pour la Belgique) et être réemballé pour se retrouver légalement sur
le marché belge. Par contre, certains acteurs profitent du ré-emballage pour introduire des produits
n'ayant pas exactement la même formulation que le produit original ou pour déguiser un produit
contrefait.
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La lutte contre la contrefaçon des produits phytopharmaceutiques
Elle se déroule actuellement via:
• Le Service Publique Fédéral Economie, PME, Classes moyennes et Energie, Direction
Générale Contrôle et Médiation qui veille à l'application de la loi du 15 mai 2007 relative à
la répression de la contrefaçon et de la piraterie de droits de propriété intellectuelle. Dans
le cadre de cette loi, ces fonctionnaires peuvent prendre des sanctions administratives
(préventives et répressives) mais ils ont également des compétences en matière de
recherche et d'investigation sur le terrain;
• La Direction criminalité économique et financière de la police, office central de répression
des faux, division contrefaçon et piraterie qui appuie, coordonne et conçoit des
informations, des formations, des banques de données spécialisées, des analyses, des
actions sur le terrain;
• La Douane procède à de nombreux contrôles aux frontières et à l’intérieur du territoire,
dans les ports et aéroports;
• L'Agence Fédérale pour la Sécurité de la Chaîne Alimentaire, DG Politique de Contrôle,
Direction Protection des Végétaux & Sécurité des Produits Végétaux qui vérifie auprès des
différents acteurs (du fabricant à l'utilisateur) la bonne application des règlements relatifs à
la "Conservation, à la mise sur le marché et l'utilisation des pesticides à usage agricole" via
des échantillonnages et des inspections.
Ces différents acteurs collaborent entre eux et avec le secteur privé de manière active en ce qui
concerne l'échange d'information et l'assistance mutuelle.
Le secteur privé (Crop Life international, European Crop Protection Association et Phytofar) agit
également au niveau de la lutte contre la contrefaçon des produits phytopharmaceutiques en:
• Organisant des journées d'études, des réunions d'information, des conférences aussi bien
en Europe qu'en Asie;
• Se rendant en Asie pour essayer de visiter des usines (qui parfois n'existent que sur
papier);
• Participant à des foires internationales lors desquelles des actions judiciaires sont
éventuellement menées à l'encontre de sociétés contrevenantes et des brochures
d'informations sont distribuées;
• Faisant paraître des articles de sensibilisation;
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•
•
Créant des numéros de téléphones gratuits (Italie, Espagne) dédiés à la dénonciation de
pratiques illégales;
Collaborant avec les autorités nationales ou européennes.
Pistes d'améliorations futures
Lors des présentations et des débats de la journée d'étude, des pistes ont été avancées afin d'améliorer la lutte contre la contrefaçon et la contrebande de produits de protection des plantes:
• Principaux points d'attention pour reconnaître les produits légaux:
o Le numéro d'agréation belge se présente sous la forme: XXXX/B ou le numéro
d'importation parallèle: XXX/P;
o Le numéro de lot et sa date de fabrication sont imprimés sur l'étiquette ou
directement sur le bidon, jamais ce numéro de lot ou la date de fabrication ne doit se
trouver sur une étiquette séparée et pré-imprimée;
o L'étiquette doit reprendre toutes les informations légales dans les deux langues
nationales;
o Le transport doit strictement Photos 5 et 6: exemples d'étiquettes et
respecter la réglementation ADR. d'autocollants suspects (Source: présentation
• Preuves de transits par air: des Rocky Rowe: European crop association)
étiquettes ou du papier autocollant
(avec éventuellement des caractères
asiatiques) en quantités importantes
utilisées pour les envois par avion
peuvent laisser présager des produits
suspects car généralement les produits
phyto ne voyagent pas en avion.
• Collaboration avec la Chine: en Chine,
pour pouvoir fabriquer un produit pour
l'export, une licence est nécessaire. De
plus, pour exporter un pesticide de
Chine, il faut une autorisation du Ministère de l'Agriculture de Chine, Institut pour le
Contrôle des produits Agrochimiques (ICAMA). En collaborant av ec les autorités
chinoises, ces 2 numéros d'autorisations devraient être mis en parallèle avec les documents
douaniers.
• Plus de consignes pour les douaniers: les produits passant par la douane doivent être
libérés assez rapidement. Il n'est donc pas possible de vérifier physiquement tous les colis.
Une sélection s'opère à l'avance par rapport aux documents douaniers pour essayer de
repérer des lots suspects. Quand un lot suspect est inspecté, il faut que les douaniers
disposent de consignes de fabrication, d'emballage, d'étiquetage, claires. La douane
voudrait pourvoir disposer de ces informations référencées d'une manière précise avec des
images exemplatives par société de production de produit phyto et par produit.
• Harmonisation des législations d'import et export des produits phyto et mise à disposition
des données aux services de douanes.
• Responsabilisation des transporteurs et sociétés intermédiaires: Les lots contrefaits
identifiés doivent être détruits. La logistique et la destruction de ces produits coûte très
cher. Il n'est pas toujours possible de retrouver le fabricant des lots incriminés. Ce sont
alors les services publics qui doivent prendre ces coûts en charge. Afin d'éviter cela, il
faudrait responsabiliser les transporteurs et les sociétés intermédiaires en leur transmettant
les factures de prise en charge de ces lots contrefaits.
Merci à M. Jérôme Gogniaux (Phytofar) pour la relecture de cet article.
(1) Cet article provient du résumé des exposés de la journée d'étude réalisés par (selon le programme de la journée):
Bernard Pecquereau – Phytofar, Jérôme Gogniaux – Phytofar, Olivier Guelton – SPF Santé Publique DG IV,
Rocky Rowe – ECPA, D'Arcy Quinn – Crop Life International, Stefaan Deconinck – Phytofar, Anne Slivko – SPF
Economie, Daniel Struys – Douane, Chris Vansteenkiste – Police fédérale, Walter Van Omerlingen – AFSCA
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